La décision de la Cour Administrative est ainsi motivée au regard des garanties du contribuable et de sa protection à l'égard de l'impôt. Les salaires des frontaliers sous la loupe du fisc belge JANIQUE BULTOT, IF ADVISORY Bref historique La presse s est fait largement l écho des questionnaires reçus par certains frontaliers suite au dépôt de leur déclaration fiscale en Belgique. L administration fiscale belge vérifie la situation fiscale des frontaliers depuis de nombreuses années déjà. Dans un premier temps, les contrôles ont principalement visé les contribuables ayant un domicile éloigné du Luxembourg, laissant supposer qu ils ne sont pas en mesure de passer la frontière chaque jour pour exercer leur activité professionnelle. Plus récemment, les contrôles se sont portés aussi sur les Arlonais et autres résidents belges ayant un domicile proche de la frontière. Ces nouveaux contrôles ordonnés par l Administration centrale à Bruxelles visent les contribuables ayant un certain niveau de rémunération en provenance du Luxembourg. La volonté de l administration fiscale belge est, de toute évidence, d appliquer de manière stricte les règles découlant de la convention fiscale existant entre les deux pays. Il ne s agit donc pas de règles fiscales nouvelles mais d une volonté ferme et déterminée de faire appliquer les règles existantes. Cadre légal La convention fiscale conclue entre le Luxembourg et la Belgique est entrée en vigueur en 1971 16. Elle suit la Convention Modèle OCDE 17. Son objectif est d éviter la double imposition en donnant le droit d imposition sur les différents types de revenus que peut percevoir un contribuable, dont le salaire, à l un de ces deux pays. Il n est pas prévu de régime spécial à l endroit des travailleurs frontaliers. Dès lors, leur rémunération est en principe imposable dans l Etat dans lequel l emploi est effectivement exercé. Toute la question est de savoir ce qu il faut entendre par ces termes. 16 Convention signée le 17.09.1970 en vue d éviter les doubles impositions et de régler certaines autres questions en matière d impôts sur le revenu et sur la fortune (modifiée par l avenant du 11 décembre 2002). 17 Organisation de Coopération et de Développement Economiques. Actualités en bref - Juin 2014 13
Kluwer Le 8 du Protocole final de la Convention stipule expressément qu «Au sens de l article 15, 1 er et 2, il est entendu qu un emploi salarié est exercé dans l autre Etat contractant lorsque l activité en raison de laquelle les salaires, traitements et autres rémunérations sont payés est effectivement exercée dans cet autre Etat, c est-à-dire lorsque le salarié est physiquement présent dans cet autre Etat pour y exercer cette activité». Cette disposition est tout à fait conforme aux principes d interprétation proposés par l OCDE 18. Cela étant, si le frontalier exerce effectivement et totalement son activité sur le territoire luxembourgeois, le droit d imposition sur son salaire revient intégralement au Luxembourg. Le frontalier est, dans ce cas, imposé sur son salaire à la source au Luxembourg. En tant que résident belge (imposable sur son revenu mondial en Belgique), il est néanmoins tenu de déclarer son salaire luxembourgeois en Belgique en tant que revenu étranger exonéré. Le fisc belge n imposera toutefois pas une seconde fois ce revenu. La double imposition sera évitée par l application de la méthode de l exemption avec réserve de progressivité: le salaire perçu au Luxembourg sera ajouté aux autres revenus imposables en Belgique uniquement afin de déterminer le taux d imposition qui sera appliqué à ces seuls revenus imposables en Belgique. En revanche, si dans le cadre de ses fonctions, le salarié est amené à se déplacer en dehors du Luxembourg, le droit d imposition pour tous les business trips 19 effectués extra muros n appartient plus au Luxembourg. Pour toutes ces prestations effectuées sporadiquement en dehors du Luxembourg (en Belgique ou dans n importe quel autre pays), le droit d imposition revient en effet à la Belgique, en tant que pays de résidence du frontalier belge. Le fait que ces prestations soient effectuées au profit et pour le compte de son employeur luxembourgeois ou que les résultats du travail presté à l étranger soient exploités au Luxembourg n y change rien. Le droit d imposition appartient à la Belgique dès le premier jour de travail effectué en dehors du Luxembourg. A ce jour, il n existe en effet pas de seuil de tolérance officiel. Il n est cependant pas impossible qu à la demande du Luxembourg, le ministre des Finances belge accepte d instaurer un seuil de tolérance en deçà duquel le fronta- 18 Voir les commentaires sur l article 15 de la Convention Modèle OCDE. 19 Pour les missions d une certaine durée (plus de 183 jours), le droit d imposition sera en principe attribué au pays dans lequel le salarié est détaché. 14 Actualités en bref - Juin 2014
lier belge resterait imposable au Luxembourg comme cela a pu être négocié 20 en 2010 entre le Luxembourg et l Allemagne. En principe, tout type d activité exercée en dehors du Luxembourg est visé, c est-àdire tant les jours de travail productifs (missions, business trips, visites de clients, télétravail, etc.), que les jours de travail non productifs (formations, séminaires, participation à des réunions internes, activités sociales organisées par l employeur, etc.). En application de ces principes, la retenue à la source doit être uniquement calculée sur le salaire en relation avec les jours d activité exercés au Luxembourg. Ce faisant, la portion du salaire exonéré au Luxembourg sera reflétée sur les fiches de salaire mensuelles du frontalier ainsi que sur son certificat de rémunération établi en fin d année. Les taux d imposition sur les revenus étant différents dans les deux pays, l impact sur la rémunération peut être important, en fonction du niveau de rémunération et aussi en fonction du nombre de jours travaillés au Luxembourg. Certaines professions 21 ne sont pas concernées par ces règles. Demande de renseignements Les frontaliers sont tenus de répondre au questionnaire qui leur est envoyé par leur contrôleur fiscal dans un délai d un mois, lequel peut être prolongé pour de justes motifs. Les renseignements demandés visent à permettre à l administration fiscale de vérifier s ils sont dans les conditions pour bénéficier en Belgique de l exonération - totale ou partielle - sur le salaire perçu au Luxembourg. Dans la mesure où ils sollicitent une exonération fiscale qui nécessite d avoir exercé physiquement leur activité au Luxembourg, la charge de la preuve quant à cette présence au Luxembourg incombe aux frontaliers. Ils doivent donc pouvoir justifier par toute voie de droit leur présence physique au Luxembourg pour tous les jours de l année fiscale concernée. 20 Les frontaliers allemands bénéficient d un seuil de tolérance de 19 jours. Cette règle de minimis permet aux frontaliers allemands de travailler 19 jours par année civile hors du Luxembourg (en Allemagne ou dans un pays tiers) pour le compte de leur employeur luxembourgeois sans déclencher une imposition en Allemagne. En revanche, si ce seuil est dépassé, ils sont imposables en Allemagne sur la rémunération en relation avec les jours d activité exercés en dehors du Luxembourg (y compris les 19 premiers jours). 21 C est notamment le cas des salariés exerçant à bord d un navire, d un aéronef ou d un véhicule ferroviaire ou routier exploité en trafic international qui sont imposables au Luxembourg si l entreprise y a son siège de direction effectif. Actualités en bref - Juin 2014 15
Kluwer Ils doivent fournir à leur contrôleur la copie de leur contrat de travail et surtout, expliquer, de manière détaillée, la nature des activités ou fonctions exercées auprès de leur employeur. Certains dossiers vont davantage susciter l attention du fisc belge, comme par exemple les frontaliers exerçant des fonctions commerciales, les salariés de sociétés implantées des deux côtés de la frontière, les cadres de groupes internationaux, etc. Certains documents sont exigés mais sont insuffisants à eux seuls (fiches de salaire, attestation émise par l employeur, des collègues ou des clients) pour prouver la présence physique au Luxembourg. D autres documents sont davantage de nature à convaincre le fisc: cartes de pointage nominatives, agenda et timesheet, documents de transport nominatifs, documents prouvant la présence à des réunions (extraits de PV), notes de frais, attestation de présence à des cours ou formations, décomptes de carte visa, factures nominatives de téléphonie, etc. Sans justificatifs probants, le fisc belge risque d imposer tout ou partie du salaire luxembourgeois via le mécanisme de la taxation d office. En cas de contestation, le contribuable devra introduire rapidement une réclamation auprès du directeur régional des contributions. Délai d investigation Sans préjudice d un éventuel contrôle portant sur des années antérieures, l administration fiscale belge investigue en principe sur les trois dernières années d imposition, à savoir actuellement: 2011, 2012 et 2013. Rôle de l employeur Si cela n est pas déjà fait, il est vivement recommandé aux départements RH de mettre en place les outils leur permettant de suivre les jours d activité exercés par leur personnel en dehors du Luxembourg et de prendre les mesures appropriées au niveau du Payroll. L exonération d une partie du salaire peut avoir des répercussions notamment au niveau de la classe d impôt pour les contribuables mariés, au niveau de l imposition des rémunérations non-périodiques (13 ème mois, bonus, etc.) que les employeurs devront gérer. 16 Actualités en bref - Juin 2014
Lorsqu à la suite d un contrôle, un salarié doit s acquitter d un impôt en Belgique sur sa rémunération en relation avec un certain nombre de jours prestés hors du Luxembourg, son employeur pourra l assister afin d accomplir les démarches nécessaires auprès du bureau RTS en vue d obtenir le remboursement de la retenue à la source indûment versée pour l année concernée. En tout état de cause, les employeurs luxembourgeois ont un rôle d information et d accompagnement important à jouer vis-à-vis de leurs salariés. DROIT DU TRAVAIL De la correspondance privée au travail MAITRE LAURENT SUIN, AVOCAT A LA COUR Suscitant critiques et commentaires, un jugement rendu récemment par le tribunal correctionnel 22 a ravivé la problématique liée au secret des correspondances reçues par les salariés sur le lieu de travail. Position du problème Il faut rappeler, de prime abord, que l entreprise n a pas en soi vocation à être un lieu d échange du courrier personnel des salariés. Cela se conçoit facilement. De même, il appartient en principe à l employeur de fixer les règles applicables en la matière, voire d interdire purement et simplement cette pratique. Il n en reste pas moins que tels courriers peuvent être échangés dans l entreprise que ce soit à l initiative ou contre le gré du salarié et qu il convient de déterminer quelle est la conduite à tenir devant une telle éventualité 23. Fondements théoriques Il s impose de mettre en perspective deux notions antagonistes 24 : le pouvoir de direction et de contrôle de l employeur; et le nécessaire respect de la vie privée du salarié. 22 Jugement du tribunal correctionnel n 905/2014 du 20 mars 2014. 23 Voir l avis de l avocat général M. Mathon en vue de l arrêt de la chambre mixte de la Cour de cassation française n 251 du 18 mai 2007, consultable sur le site internet www.courdecassation.fr 24 Ibid. Actualités en bref - Juin 2014 17