Rapport public thématique «L évaluation de la politique en faveur de l assurance-vie»



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Transcription:

Rapport public thématique «L évaluation de la politique en faveur de l assurance-vie» Discours de Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes Jeudi 19 janvier 2012 Mesdames, Messieurs, Dans le rapport qui vous est présenté aujourd hui, la Cour souhaite montrer que l assurance-vie, ce placement auquel les Français sont si attachés, doit être encore mieux placée au service d un des besoins qu ils ressentent aujourd hui le plus fortement, celui de protection contre les aléas de la vie. L assurance-vie joue un rôle central dans l épargne financière des ménages : elle en représente 35 % en 2010, soit un encours de 1 360 Md. A titre de comparaison, les actions et autres titres de fonds propres représentent 18 %, soit deux fois moins, et l ensemble des livrets réglementés et bancaires 12,5 %. La part de l assurance-vie a considérablement augmenté dans le temps puisqu elle était seulement de 24 % en 1997. L assurance-vie concerne aussi, à des degrés divers, toutes les catégories de population et est devenue le support d épargne le plus utilisé après les livrets défiscalisés. 41 % des ménages détiennent au moins un contrat d assurance en cas de vie. La France est le quatrième marché d assurance-vie au monde derrière les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Japon. A l origine de ce succès se trouve notamment une combinaison unique d avantages alliant sécurité, souplesse, liquidité et rendement, qui a bien répondu à des attentes et à des préférences fortes des épargnants. L essor de l assurance-vie comme produit d épargne a été également soutenu par une commercialisation très active de la part des réseaux de bancassurance qui sont devenus les premiers distributeurs avec une part de marché de 61 %. Juridiquement, l assurance-vie est une prestation d assurance. Le risque couvert est le risque lié à la durée de vie humaine : c est ce que l on appelle le risque viager. Dans la pratique, certains contrats sont utilisés comme un produit d épargne et de placement parmi d autres, notamment grâce à la possibilité de racheter à tout instant les primes investies, ce qui en fait une épargne à la fois garantie et disponible. L assurance-vie est un produit auquel les Français sont bien habitués. Elle a parfois été qualifiée, non sans raison, de «placement fétiche». Pourtant, l assurance-vie se trouve aujourd hui à un tournant et c est pourquoi la Cour a décidé d examiner la politique publique en ce domaine. * * * * * * Sur ce sujet, la Cour a adopté une démarche d évaluation. Il s agit de la première présentation d une évaluation que la Cour mène de sa propre initiative en application des dispositions du nouvel article 47-2 de la Constitution, issu de la révision de 2008, qui assigne à la Cour la mission d assister le Parlement et le Gouvernement dans l évaluation des politiques publiques. En 2011, elle l a déjà fait à deux reprises à la demande du Parlement sur les sujets de la médecine scolaire et de l hébergement d urgence. 1

La démarche d évaluation nous a paru la plus adaptée, car le champ de l assurance-vie comporte de multiples dimensions. Une simple analyse des mécanismes administratifs ou une analyse purement fiscale et budgétaire ne saurait suffire. Une première dimension concerne les motivations des ménages à souscrire ce produit. Le souci d épargner en vue de la période d inactivité est devenu la motivation principale. Toutefois, la diversité des situations personnelles est frappante. Selon l INSEE, les encours détenus en assurance-vie sont nettement plus concentrés que le patrimoine total des ménages. Les deux tiers de ces encours seraient détenus par des ménages appartenant au décile supérieur de patrimoine. L analyse fine du haut de la distribution que nous avons demandée à l INSEE, indique qu 1 % des ménages les plus aisés détiendrait plus d un quart de l encours total. Selon les professionnels que la Cour a consultés, certains contrats atteindraient plusieurs dizaines de millions d euros, voire dans des cas très restreints plusieurs centaines de millions. Dans ce type cas, la motivation est alors la gestion et la transmission du patrimoine. Deuxième dimension, l assurance-vie constitue un enjeu majeur dans l équilibre économique et financier de notre pays. Les assureurs qui collectent cette épargne, sont des investisseurs réguliers. Ils gèrent près de 1 700 Md de placements investis principalement en titres d entreprise ou emprunts d Etat. La troisième dimension est budgétaire et fiscale : l assurance-vie est assortie d avantages fiscaux pour les ménages tant en matière de revenus que de transmission du capital dont le régime est nettement plus avantageux que la fiscalité successorale de droit commun. Ce modèle économique de l assurance-vie se trouve manifestement, je le disais, à un tournant. L attractivité des rendements servis faiblit. Les nouvelles règles comptable et prudentielle infléchissent en profondeur la stratégie financière des assureurs. Les banques, elles aussi confrontées à de nouvelles normes, réorientent leur politique commerciale en faveur des livrets bancaires ou réglementés et ces produits font concurrence à l assurance-vie. L une des manifestations est la décollecte observée depuis septembre 2011. Les épargnants semblent s être orientés ces derniers mois vers d autres formes d épargne, notamment les livrets A et les livrets bancaires. Concernant la méthode, ce qui distingue, entre autres, l évaluation des contrôles que conduit habituellement la Cour, c est notamment l association à ses travaux des acteurs de la politique publique. Dans le cas de l assurance-vie, ceux-ci sont particulièrement nombreux : - naturellement, les ménages et les entreprises d assurance, qui sont liés dans une relation contractuelle ; - l Etat, qui élabore et met en œuvre la politique ; - d autres acteurs, qui jouent également un rôle essentiel : les réseaux commerciaux, les conseillers des épargnants (notaires, avocats fiscalistes, conseillers en gestion de patrimoine, associations d épargnants et de consommateurs) ; les gestionnaires d actifs. Tous ces acteurs ont un rôle qui est loin d être neutre car ils influencent parfois fortement les résultats concrets de la politique publique. - enfin, il ne faut pas oublier les bénéficiaires finaux des placements des assureurs, principalement les entreprises et l Etat dont les points de vue doivent être pris en compte. Une très large association des acteurs a été réalisée. Elle a pris de multiples formes. Un groupe de travail de 23 personnalités représentant la pluralité des points de vue a été constitué et a pu régulièrement, au fur et à mesure de l avancement des travaux, valider les constats de la Cour et proposer des orientations. En outre, une cinquantaine de personnalités ont été auditionnées ou rencontrées pour compléter les enseignements tirés des travaux du groupe de travail. * * * 2

Au terme de l évaluation ainsi menée, la Cour formule trois constats : - la politique publique en faveur de l assurance-vie comporte des objectifs peu précis et mal hiérarchisés, ce qui appelle un travail d explicitation et de recentrage ; - les dispositifs fiscaux ne répondent qu imparfaitement aux objectifs poursuivis par les pouvoirs publics, leur coût n est pas évalué et leur impact sur le comportement des épargnants est incertain, ce qui appelle des réaménagements dans les modalités ; - la protection des épargnants devrait être améliorée sur divers points pour préserver leur confiance dans ce placement, confiance qui est essentielle. Le premier constat de la Cour porte sur les objectifs poursuivis par les pouvoirs publics. Depuis une cinquantaine d années, l Etat a assigné à cette politique deux objectifs étroitement imbriqués : développer la contribution des assureurs au financement de l économie, notamment du secteur productif national ; et cela en encourageant l épargne longue des ménages au moyen d une incitation fiscale. Mais l objectif essentiel est le premier, le financement de l économie, le second lui apparaissant comme subordonné. L action des pouvoirs publics est dans ce cadre indirecte : l allègement de la fiscalité des revenus vise à inciter les ménages à conserver longtemps leur épargne, ce qui doit permettre aux entreprises d assurance d investir dans des placements de durée longue, jugés utiles au dynamisme de l économie nationale. L Etat s en remet donc à l intermédiation des entreprises d assurance. Or l objectif naturel des assureurs est de satisfaire d abord les attentes de leurs assurés, notamment en termes de garantie de rendement, de sécurité et de disponibilité de l épargne placée, et non de financer spécifiquement les entreprises ou la dette publique nationale. Les contraintes juridiques qui pèsent sur les contrats d assurance-vie, ainsi que la faculté des épargnants de racheter à tout moment leur contrat, impliquent une politique de placement particulière, orientée essentiellement vers les actifs liquides et peu risqués, en particulier les obligations. Cette tendance va inévitablement se renforcer avec l application des nouvelles règles prudentielles issues notamment de la directive Solvabilité 2. Paradoxalement, alors que l assurance-vie est conçue en principe comme un produit d épargne à long terme, les placements des assureurs ont un horizon moyen de 6 à 7 années seulement. Ils ne laissent qu une place résiduelle aux actions émises par les entreprises. La Cour a examiné de façon détaillée les placements des assureurs. La structure de ces placements ne répond que partiellement aux intentions des pouvoirs publics. Moins de 10 % de ces placements portent sur des titres - actions et obligations - d entreprises résidentes du secteur productif. Certes, le secteur de l assurance investit plus largement dans les obligations des banques françaises et contribue indirectement au financement de l économie via ces dernières. Au total, le secteur de l assurance détient environ 450 Md d actifs des entreprises résidentes en 2010, soit moins de la moitié des actifs d entreprise détenus en portefeuille. Cela signifie, dans une économie fortement internationalisée, que la profession investit majoritairement dans des entreprises non résidentes, et plus particulièrement de la zone euro. Les assureurs détiennent, fin 2010, 20 % de la dette de l Etat à plus d un an, soit environ 200 Md sur 1 040 Md. Cependant, cette proportion a sensiblement diminué puisqu elle était de 40 % en 1999. Ce mouvement est allé de pair avec l internationalisation de la détention de la dette française. Le volume d investissement dans des actifs résidents, bien que significatifs, pourrait être considéré comme n étant pas à la hauteur des besoins de l économie nationale. Il tient à la stratégie de diversification des assureurs. Une diversification est en théorie plutôt une bonne chose du point de vue de l assuré : elle permet d améliorer le couple rendement / risque du produit et de diversifier le risque pays. Des besoins spécifiques, notamment en matière de financement des PME, existent. Les initiatives pour orienter l épargne en assurance-vie vers les besoins de financement spécifiques, comme ceux des PME, n ont pas rencontré le succès attendu. En particulier, l engagement pris en 2004 par la profession de consacrer 2 % de ses actifs aux PME non cotées n a pas été complètement tenu. Ce type d investissement n est pas parfaitement adapté à la gestion des assureurs-vie et, d ailleurs, l engagement n a pas été renouvelé après 2007. 3

Les ménages ont été incités à détenir davantage d actions. Des contrats spécifiques, dits «DSK» et «NSK» par référence aux noms des ministres des finances de l époque, ont été créés en 1998 et 2005. Ils doivent être investis pour partie en actions de PME ou d entreprises innovantes et ne se sont pas développés en dépit d un avantage fiscal renforcé. La possibilité, permise par l amendement FOURGOUS de 2005, de transformer des contrats en euros en contrats en unités de compte tout en conservant le bénéfice de l antériorité fiscale a eu un effet plus que modeste. Les contrats en unités de compte ne représentent que 16 % des encours totaux d assurance-vie. Cela s explique principalement par la forte aversion au risque des épargnants qui privilégient les contrats en euros aux contrats en unités de compte davantage investis en actions d entreprise. La Cour a ainsi mis en évidence une divergence entre le souhait des pouvoirs publics d orienter l épargne vers l économie nationale et une gestion des assureurs dans l intérêt des épargnants. Les pouvoirs publics ont en réalité peu de prise sur les mécanismes de marché qui sont à l œuvre d autant plus que la règlementation européenne interdit d orienter les placements des assureurs. Chercher à orienter de façon sélective les ressources de l assurance-vie vers certains besoins précis de financement pour l économie nationale apparaît aujourd hui un objectif peu réaliste, compte tenu de l effet indirect des outils fiscaux employés et de l ouverture des marchés de capitaux. Le deuxième constat, qui concerne le bon usage des moyens publics, est que l efficacité et l efficience des dispositifs fiscaux mis en place en faveur de l assurance-vie ne peuvent être prouvées. Ce constat rend nécessaire plusieurs ajustements. La fiscalité constitue le principal levier d action de la politique publique. Le régime fiscal avantageux de l assurance-vie qui a beaucoup évolué au cours des trois dernières décennies, se caractérise aujourd hui par une très forte complexité. Bénéficiant d une exonération totale jusqu en 1983, les revenus sont aujourd hui soumis à une imposition dégressive selon la durée de détention du contrat. Cette modalité allégée vise à maintenir une durée de détention de l épargne d au moins huit ans. La fiscalité concernant les revenus des contrats d assurance-vie constitue une dépense fiscale dont le coût, estimé à 1 Md, va très vraisemblablement augmenter à moyen terme alors que l impôt prélevé chaque année sur ces revenus ne dépasse pas 400 M. Le chiffrage par l Etat de la dépense fiscale est passé de 3 Md à 1 Md, à la suite d un changement de méthode. La Cour souligne la fragilité de ce chiffrage. En effet, l administration fiscale ne dispose pas de toutes les données nécessaires : par exemple, elle n a pas de base de données lui permettant de connaître, pour chaque épargnant, la tranche d imposition qui aurait été applicable aux revenus de son contrat d assurance-vie s il n avait pas opté pour le prélèvement libératoire. Au demeurant, l estimation du coût des dépenses fiscales à laquelle le Gouvernement avait fait procéder au printemps 2011, avait conclu, pour sa part, que la dépense fiscale au titre des revenus de l assurance-vie serait comprise entre 900 M et 1,6 Md. Le régime de taxation des revenus présente plusieurs faiblesses qui réduisent son caractère incitatif à la détention d une épargne longue. La première tient au fait est que les huit années de détention s apprécient à compter du premier versement qui correspond le plus souvent à l ouverture du contrat. On ne tient pas compte du rythme des versements ultérieurs. De ce fait, certains vendeurs incitent les particuliers à ouvrir des comptes au plus tôt, en «prenant date» et à les abonder plus tard. Ces contrats peuvent devenir de simples véhicules fiscaux et être utilisés comme des comptes d épargne rémunérés, constituant une source d instabilité de l encours. L incitation fiscale ne bénéficie véritablement qu à une minorité d épargnants détenteurs des contrats d assurance-vie les plus importants. La très grande majorité des ménages - ceux imposés dans les trois premières tranches de l impôt sur le revenu - ne retire qu un faible intérêt aux dispositions fiscales censées les inciter à détenir leur épargne au-delà de huit ans. Une autre faiblesse réside dans le barème de taxation des rentes viagères. Devenu obsolète il n a pas été actualisé depuis 1963 -, celui-ci pénalise l épargnant qui choisit pour son contrat d assurance-vie une sortie 4

en rente plutôt qu en capital. Or la sortie en rente favorise l utilisation de l assurance-vie comme une source de revenu complémentaire pendant la période de la retraite. Elle allonge la durée de détention de l épargne. Elle donne par ailleurs à l assureur une visibilité plus grande sur le rythme et l échéance des prestations à verser et stabilise sa gestion. S agissant de la fiscalité des transmissions des capitaux en cas de décès, l assurance-vie présente un avantage substantiel par rapport aux autres produits d épargne. Les capitaux ne font pas juridiquement partie du patrimoine de l assuré et, par conséquent, n entrent dans la succession. Ils font l objet d une taxation spécifique favorable. Selon les professionnels consultés par la Cour, la fiscalité en matière de transmission des capitaux d assurance-vie constitue une souplesse nécessaire en raison de la spécificité du droit successoral français qui privilégie la transmission en ligne directe. La fiscalité successorale de droit commun est comparativement plus lourde en France que dans la plupart des pays européens, notamment l Allemagne. Il est critiquable que l administration ne comptabilise pas les avantages consentis en dépense fiscale et que leur coût, en conséquence, ne soit pas connu. De manière plus générale, les pouvoirs publics ne disposent d aucune étude précisant l influence de la fiscalité sur le comportement d épargne des ménages. Cela rend très délicats les réglages et les modifications éventuels. En examinant l évolution des encours sur 30 ans, on constate que le recours croissant à l assurancevie n a pas été freiné par l alourdissement continu des prélèvements fiscaux et sociaux. La Cour relève également que, dans la pratique, les épargnants appréhendent parfois mal les modalités complexes de la fiscalité, ce qui peut les conduire à choisir le prélèvement forfaitaire libératoire alors qu ils auraient intérêt à être imposés au barème de l impôt sur le revenu. Trop complexe, cette fiscalité est peu lisible. Au total, la Cour conclut que : - la fiscalité des produits d assurance-vie est insuffisamment orientée vers la détention longue, qui représente pourtant aujourd hui un besoin fondamental ; - le régime fiscal de la transmission n a pas de lien direct avec les objectifs de la politique publique tels qu affichés par l Etat ; - les pouvoirs publics ne disposent pas de l information nécessaire au pilotage de la politique publique. Le dernier constat de la Cour porte sur la protection des épargnants. Globalement satisfaisante, elle devrait toutefois être améliorée sur plusieurs aspects. L information fournie aux épargnants a atteint un degré de précision et de complexité qui peut s avérer parfois contre-productif. L excès de formalisme et la multiplication des informations nuisent à la bonne compréhension des clauses par le souscripteur. La transparence des frais, qui sont parfois négociés au cas par cas, devrait être améliorée, notamment pour les contrats dits «en unités de compte» car leurs frais de gestion sont plus importants. Les frais prélevés par les intermédiaires ne sont pas tous clairement portés à la connaissance de l épargnant. Le problème posé par les contrats non réclamés par les bénéficiaires après le décès de l assuré demeure. Certes, le législateur a institué des obligations pour l assureur de rechercher le bénéficiaire. Les professionnels ont mis en place un dispositif qui a permis et traiter, à mi 2010, près de 35 000 dossiers et de reverser en 2010 plus de 500 M. Ces résultats sont certes non négligeables, mais restent en deçà des attentes. Le montant des contrats non réclamés a été estimé par la profession à 1 Md mais pourrait s élever en réalité à plusieurs milliards d euros. Une fourchette de 1 à 5 Md a été évoquée au cours de nos travaux. Aucun recensement précis n a été établi par l Etat, l autorité de contrôle et les assureurs. 5

Le travail d évaluation que la Cour publie aujourd hui doit permettre de reformuler la finalité principale de la politique publique en matière d assurance-vie, à un moment où ce mode de placement se trouve à un tournant. L assurance-vie est vue, et souvent utilisée, comme un produit de placement financier. Elle doit revenir à ses fondamentaux, à savoir la protection contre les risques liés au cycle de vie et particulièrement ceux qui concernent la fin d activité. Il faut utiliser cette habitude qu ont les Français de l assurance-vie, ce placement fétiche, pour mieux répondre à ce besoin encore plus fondamental aujourd hui d une détention longue. L accent doit être mis sur un objectif de politique publique ciblé sur le développement de l épargne longue pour la satisfaction des besoins des ménages. Cette réorientation permettra de manière induite de contribuer aux besoins du financement de l économie puisque les assureurs disposeraient de la stabilité des encours nécessaire pour investir sur le long terme. Ces investissements de long terme sont nécessaires au dynamisme de l économie. Cette réorientation devrait conduire à modifier certaines modalités de la politique fiscale. La Cour formule des préconisations concrètes dans ce domaine : - calculer l avantage fiscal en fonction de l historique des versements et non de la date d ouverture du contrat ; - moderniser le régime fiscal des rentes viagères à titre onéreux et, de manière plus générale, privilégier la sortie en rente par rapport à la sortie en capital, tout en laissant bien entendu la liberté de choix aux épargnants ; - améliorer l attractivité des produits d épargne retraite, notamment le PERP, en redéployant l incitation fiscale actuelle vers les ménages à revenus moyens et modestes. Plus globalement, la Cour recommande de revoir l ensemble de la fiscalité de l épargne qui n est pas cohérente. Elle concerne un nombre trop grand de produits, avec chacun une niche fiscale, au service d objectifs foisonnants et parfois contradictoires. En tout état de cause, l Etat doit améliorer les conditions d élaboration et de pilotage de la politique publique en faveur de l assurance-vie : - en renforçant la connaissance statistique par l administration des placements des entreprises d assurance ; - en classant en dépense fiscale le régime fiscal des transmissions des contrats d assurance-vie, notamment pour en connaître le coût ; - en mesurant la sensibilité des épargnants aux incitations fiscales afin de mieux cibler et calibrer les mesures. La Cour est bien entendu consciente du caractère stratégique voire systémique de l assurance-vie par son volume même. Ses conclusions et recommandations sont en conséquence pragmatiques. La nécessaire rationalisation de la dépense publique et la recherche de l adaptation la meilleure de l assurance-vie aux besoins actuels et futurs des Français nous conduit à penser que le statu quo présenterait plus d inconvénients que d avantages et qu une réorientation est nécessaire. Je vous remercie de votre attention. 6