Mesdames et Messieurs les représentants des associations des anciens. Il n'est pas coutume après avoir prononcé le message du Gouvernement

Transcription

1 Cérémonies du 8 mai 1945 Inauguration de l exposition photos libération 1944 Allocution de M. Jean-Christophe MORAUD, Préfet de l Orne Monsieur le député-maire, Madame la représentante du conseil régional, Monsieur le représentant du conseil général, Monsieur le délégué militaire départemental, Madame la directrice de l ONAC, Mesdames et Messieurs les représentants des associations des anciens combattants et associations patriotiques, Mesdames et Messieurs, Il n'est pas coutume après avoir prononcé le message du Gouvernement de reprendre la parole ; néanmoins, cet après-midi, je vous dirai quelques mots de l'exposition qui décore les grilles de la préfecture.

2 En effet, nous avons décidé dans les trois préfectures de la région, le Calvados, la Manche et l Orne, d accrocher durant cet été, à l occasion de la commémoration du 70ème anniversaire du débarquement et de la bataille de Normandie, les photographies les plus emblématiques de cet été 44 en Normandie. Vous redécouvrirez donc sans doute des photographies connues : elles représentent des scènes de la libération d Alençon, trois enfants ébahis devant un char Tigre à Chambois, le Général Leclerc écoutant sur le Pont-Neuf des renseignements produits par les riverains, l image émouvante du jeune tankiste polonais qui partage sa ration avec deux enfants de Chambois, commune ravagée dans les derniers moments de la bataille de Normandie - une des plus féroces qu ait connue le front occidental en 44. Symboliquement, j ai souhaité que le même jour, nous conjuguions Histoire et Mémoire collective. Les rapports entre la mémoire collective et l'histoire sont complexes, principalement en raison de la polysémie qui caractérise le concept de mémoire. Les appropriations sociales de cette notion sont multiples

3 puisque ceci va de la promotion du patrimoine local au patrimoine tout court, à la vogue des autobiographies, biographies, généalogies, jusqu'à l'injonction du «devoir de mémoire» et aux politiques publiques de mémoire. Le philosophe F. Nietzsche avait dénoncé dès le XIXe siècle «les excès du sens historique dont souffre le présent». Pour autant, c'est le bon sens même qui parle quand nous lions intimement comme nous le faisons, l Histoire et la mémoire collective en regardant ces photographies. L'Histoire n est-elle pas cette discipline qui fait revivre ce que la mémoire collective a enfoui? L'histoire peut-elle se passer de cette mémoire collective inscrite dans nos monuments, dans nos textes de loi, dans nos coutumes, dans notre langue, dans notre enseignement et qui nous renvoit, en France, à une certaine idée de notre identité nationale et à un fort sentiment d appartenance. Ces photographies exposées aux grilles des trois préfectures bas normandes se sont imposées à nous parce que la mémoire ne se soucie que de l'enchaînement temporel des images - elle s'identifie à notre

4 conscience intime du temps, conscience qui est très présente en Normandie. Cette mémoire collective des combats de l'été 1944 se constitue dans un travail d'homogénéisation de représentation du passé et de réduction de la diversité des souvenirs. Ces photographies qui participent à cette mémoire collective comme cette cérémonie du 8 mai constituent des «faits de communication» entre les individus et une «transmission», comme l'avait évoqué le grand historien Marc Bloch, le «plus vieux capitaine de l'armée française» en 1940, résistant fusillé à Lyon le 16 juin Il fut avec Maurice Halbwachs, dès les années 25, un des premiers à réfléchir sur la double question de mémoire collective et des «relations inter-individuelles» qui compose la réalité des groupes sociaux comme ensembles structurés au sein de «communautés affectives». Au titre de cette mémoire collective dont la transmission assure le lien entre l individu et la Nation, nous avons voulu dans le choix de ces photographies, rappeler un aspect particulier : les combats ont été effroyables, les victimes civiles ont été considérables avec plus de

5 personnes soit presque autant que de soldats, les paysages furent dévastés, des villages et des villes normands ont été détruits, des cheptels décimés... Et pourtant, aujourd hui à la contemplation, rien ne ressort des paysages et villes de l Orne même si cette mémoire ressurgit très vite à la faveur d une ou deux questions, en particulier dans les villes et villages reconstruits selon un principe de mémoire palimpseste qui se réfère à la ville ou au village qui existait auparavant. Ces photographies, au-delà des morts et destructions qui ont notamment concerné la poche de Falaise en réalité, un triangle entre Falaise/Argentan/Chambois-Trun-Montormel, révèlent des gestes de tendresse et de fraternité. Le tankiste polonais qui partage en souriant sa gamelle avec les petits ornais de Chambois ; les alençonnais mi-interdits mi-heureux de voir débouler les chars de Leclerc et les camions Dodge de l'armée américaine le 12 août ; c'est Flers dévasté dont les habitants hébétés acclament leurs libérateurs ; c est Gacé pavoisé et la joie sans retenue de ses habitants... C est donc un mélange doux-amer que vous découvrirez en regardant ces photographies et ces regards de nos parents, grands-parents stupéfaits

6 autant par le déploiement mécanique des alliés que l apparente décontraction de ces boys venus de si loin et aux uniformes si modernes. Ces quelques images que vous pouvez voir aux grilles des trois Préfectures sont constitutives de notre mémoire collective et au moment où les protagonistes de ces événements s évanouissent, il nous revient, collectivement, d assurer ce rôle de passeur de mémoire. Je vous remercie.