HUGO, Hernani, dénouement (extrait : V, 6, v ) «C est notre nuit de noce»

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1 HUGO, Hernani, dénouement (extrait : V, 6, v ) «C est notre nuit de noce» HERNANI : Hélas! qu as-tu fait, malheureuse? DONA SOL : C est toi qui l as voulu. C est une mort affreuse! DS : Non. Pourquoi donc? Ce philtre au sépulcre conduit. DS : Devions-nous pas dormir ensemble cette nuit? Qu importe dans quel lit? Mon père, tu te venges Sur moi qui t oubliais! (Il porte la fiole à sa bouche.) DS, se jetant sur lui. Ciel! des douleurs étranges! Ah! jette loin de toi ce philtre! Ma raison S égare. Arrête! Hélas! mon don Juan, ce poison Est vivant! ce poison dans le cœur fait éclore Une hydre à mille dents qui ronge et qui dévore! Oh! je ne savais pas qu on souffrît à ce point! Qu est-ce donc que cela? c est du feu! ne bois point! Oh! tu souffrirais trop! H, à don Ruy. Ah! ton âme est cruelle! Pouvais-tu pas choisir d autre poison pour elle? (Il boit et jette la fiole.) DS : Que fais-tu? Qu as-tu fait? DS : Viens, ô mon jeune amant, Dans mes bras. (Ils s asseyent l un près de l autre). N est-ce pas qu on souffre horriblement? Non. DS : Voilà notre nuit de noce commencée! Je suis bien pâle, dis, pour une fiancée? Ah! DON RUY GOMEZ : La fatalité s accomplit. Désespoir! O tourment! dona Sol souffrir, et moi le voir! DS : Calme-toi. Je suis mieux. Vers des clartés nouvelles Nous allons tout à l heure ensemble ouvrir nous ailes. Partons d un vol égal vers un monde meilleur. Un baiser seulement, un baiser! (Ils s embrassent.) DRG : O douleur! H, d une voix affaiblie. Oh! béni soit le ciel qui m a fait une vie

2 D abîmes entourée et de spectres suivie, Mais qui permet que, las d un si rude chemin, Je puisse m endormir ma bouche sur ta main! DRG : Qu ils sont heureux! H, d une voix de plus en plus faible. Viens, viens dona Sol tout est sombre Souffres-tu? DS, d une voix également éteinte. Rien, plus rien. Voix-tu des feux dans l ombre? DS : Pas encor. H, avec un soupir. Voici (Il tombe.) DRG, soulevant la tête qui retombe. Mort! DS, échevelée, et se dressant à demi sur son séant. Mort! non pas! nous dormons. Il dort. C est mon époux, vois-tu. Nous nous aimons. Nous sommes couchés là. C est notre nuit de noce. (D une voix qui s éteint.) Ne le réveillez pas, seigneur duc de Mendoce. Il est las. (Elle retourne la figure d Hernani.) Mon amour, tiens-toi vers moi tourné. Plus près plus près encor (Elle retombe.) DRG : Morte! Oh! je suis damné! (Il se tue.) INTRO Hernani, 1830 : cette pièce de Hugo, pourtant déjà considéré comme le chef des romantiques, fait l effet d une bombe. Appliquant les principes de la préface de Cromwell, pièce précédente du même auteur (1827), qui était pourtant passé inaperçue, elle taille en pièces les règles classiques. On ne parle d ailleurs plus de tragédie, ni de comédie, mais de «drame» : le drame romantique inaugure une nouvelle vision du théâtre. La pièce raconte l histoire d un rebelle, Hernani, amoureux de Dona Sol, déjà fiancée à Dom Ruy, un vieillard. La pièce, construite comme un roman, pleine de rebondissements (caractéristique du drame romantique), se termine sur le mariage d Hernani et de Dona Sol, finalement autorisé par le roi Dom Carlos devenu empereur.. Mais Dom Ruy, jaloux, veut se venger, et rappelle par un signe convenu (son du cor) à Hernani la dette qu il a envers lui, il lui doit la vie, et Dom Ruy a le droit de la reprendre. Le soir même des noces, il présente une fiole de poison à Hernani, que l honneur force à tenir sa parole. Dona Sol ne peut le supporter et boit le poison en premier.

3 HUGO, Hernani, dénouement (extrait), V, 6, v HERNANI : Hélas! qu as-tu fait, malheureuse? DONA SOL : C est toi qui l as voulu. C est une mort affreuse! DS : Non. Pourquoi donc? Ce philtre au sépulcre conduit. DS : Devions-nous pas dormir ensemble cette nuit? Qu importe dans quel lit? Mon père, tu te venges Sur moi qui t oubliais! (Il porte la fiole à sa bouche.) DS, se jetant sur lui. Ciel! des douleurs étranges! Ah! jette loin de toi ce philtre! Ma raison S égare. Arrête! Hélas! mon don Juan, ce poison Est vivant! ce poison dans le cœur fait éclore Une hydre à mille dents qui ronge et qui dévore! Oh! je ne savais pas qu on souffrît à ce point! Qu est-ce donc que cela? c est du feu! ne bois point! Oh! tu souffrirais trop! H, à don Ruy. Ah! ton âme est cruelle! Pouvais-tu pas choisir d autre poison pour elle? (Il boit et jette la fiole.) DS : Que fais-tu? Qu as-tu fait? DS : Viens, ô mon jeune amant, Dans mes bras. (Ils s asseyent l un près de l autre). N est-ce pas qu on souffre horriblement? Non. DS : Voilà notre nuit de noce commencée! Je suis bien pâle, dis, pour une fiancée? Ah! DON RUY GOMEZ : La fatalité s accomplit. Désespoir! DS : O tourment! dona Sol souffrir, et moi le voir! Calme-toi. Je suis mieux. Vers des clartés nouvelles Nous allons tout à l heure ensemble ouvrir nous ailes. Partons d un vol égal vers un monde meilleur. Un baiser seulement, un baiser! (Ils s embrassent.) DRG : O douleur! H, d une voix affaiblie. Oh! béni soit le ciel qui m a fait une vie D abîmes entourée et de spectres suivie, Mais qui permet que, las d un si rude chemin, Je puisse m endormir ma bouche sur ta main! DRG : Qu ils sont heureux! H, d une voix de plus en plus faible. Viens, viens dona Sol tout est sombre Souffres-tu? DS, d une voix également éteinte. Rien, plus rien. Voix-tu des feux dans l ombre? DS : Pas encor. H, avec un soupir. Voici (Il tombe.) DRG, soulevant la tête qui retombe. Mort! DS, échevelée, et se dressant à demi sur son séant. Mort! non pas! nous dormons. Il dort. C est mon époux, vois-tu. Nous nous aimons. Nous sommes couchés là. C est notre nuit de noce. (D une voix qui s éteint.) Ne le réveillez pas, seigneur duc de Mendoce. Il est las. (Elle retourne la figure d Hernani.) Mon amour, tiens-toi vers moi tourné. Plus près plus près encor (Elle retombe.) DRG : Morte! Oh! je suis damné! (Il se tue.)

4 Hernani, fin. Axes : LE PERSONNAGE DE DON RUY 1) une présence : n agit plus le compte à rebours est lancé (par lui), on ne peut plus l arrêter ; se borne à constater les morts : seuls gestes indiqués >>sa responsabilité dans l action et sa présence de témoin final en font une allégorie de la Mort qui vient surprendre les hommes à l improviste, dans leurs plus grandes joies (nuit de noces) 2)cependant, son propre suicide, et les quelques rares paroles qu il prononce(«ô douleur» - devant le baiser «qu ils sont heureux!» et «morte! je suis damné») révèlent son profond désespoir : il a cédé à l esprit de vengeance et perd par là les valeurs aristocratiques qu il défendait (honneur, que le roi devenu empereur a su reconquérir par la clémence) ; sa faiblesse se retourne par ironie tragique- contre lui : il voulait profiter de la mort de H pour avoir DS pour lui-même, or il les voit lui échapper définitivement, avec les marques de l amour le plus profond (cf déclaration d amour de DS, coup de poignard avant son suicide). De victime («trompé» par H, il devient coupable : a tué une innocente, et ne peut y survivre, par amour >>c est certes un personnage maléfique, mais aussi un personnage composite (il n y a pas de manichéisme chez les romantiques, mais toujours un mélange) 2) par son rejet et sa tentative de séparation des amants vaine, il sert de mise en valeur à l amour du couple (la déclaration finale de DS n est possible que par sa présence) UN DENOUEMENT ROMANTIQUE 1)la dualité fatalité amour salvateur la fatalité poursuit le héros romantique, ce qui le fait accéder au tragique : -ch lex de la fatalité -dimension fantastique («d abîmes entourée et de spectres suivie» = morts des camarades d H ; «vers des clartés nouvelles ouvrir nos ailes ) >>cependant hésitation entre le surnaturel inquétant (fantastique), et le merveilleux (surnaturel rassurant) ; passage de l un à l autre par la magie de l amour (même la mort est adoucie, doux sommeil amoureux) >> à l appel absolu du destin correspond l amour absolu (passion, sens de l honneur, fidélité jusqu au bout, sens du sacrifice) ; aux dimensions ténébreuses du sort des amants correspond la dimension sublime de leur amour, qui transforme -le malheur absolu en bonheur envié -la mort en sommeil (euphémisme) -le breuvage de la mort en philtre d amour («ce philtre» : intertextualité : Tristan et Yseut) ; même fonctionnement : liés à jamais, jusque dans la mort -les ténèbres en lumière >>fonction particulière de la nuit romantique, qui est communication avec un autre monde, une autre dimension celle du sentiment et de l échange des âmes, celle de l au-delà et de la métamorphose des corps. Espace-temps privilégié, la nuit est à la fois le symbole de leurs malheurs et un espace hors normes, où l amour impossible devient possible ; noter aussi la transmutation de l amour dans l au-delà : «feux», métaphore traditionnelle «dans l ombre»

5 -la malédiction en bénédiction («béni soit le ciel qui m a fait une vie D abîmes entourée et de spectres suivie, Mais qui permet que.. je puisse m endormir la bouche sur ta main!» >>réponse au passage : «Je suis une force qui va» 3) l importance des didascalies : elles soulignent le discours amoureux, et leur sensualité rappelle qu il s agit de la «nuit de noces». Rapprochement progressif des corps, intimité des poses et de la coiffure et des gestes de DS, si pudique avant, position allongée finale noter le chiasme : elle boit il boit il meurt elle meurt, qui rappelle l embrassement final elles dramatisent la scène d amour en étant source de suspense (au début, fiole), puis en indiquant la progression vers la mort CONCL : le drame romantique et son dénouement cherchent à émouvoir -par l imprévu de coups de théâtre exceptionnels (3 coups de théâtre à la fin : appel d H qui doit mourir, mais c est DS qui prend le poison en 1 er, et suicide du «tueur») -par la force de sentiments et de gestes qui confinent au sublime (à situation exceptionnels, êtres exceptionnels) -par la rigueur même du destin : plus l amour est beau, plus il est impossible -par le rôle salvateur de l amour, qui répond aux questions existentielles du héros et apaise la rigueur du destin : amour plus fort que la mort, et réciproquement accomplissement de l amour par la mort -par une action centrée sur les émotions des personnages et non sur un conflit qui concerne la société (duo final, don Ruy étant en quelque sorte le double du spectateur) créent -par la rupture des règles de bienséance (gestes amoureux, 3 morts sur scène), -et la poétisation de la mort (belle en paroles et en gestes) une dramaturgie moderne qui s écarte du schéma classique