Bernard Pellé. Ce putain de cancer

Transcription

1 Bernard Pellé Ce putain de cancer 2

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3 à Marie-Jo, ma femme, la mère de notre fils Julien, la grand-mère (Mamiejo) de nos petits-fils Benjamin et Mathias, la belle-mère de Virginie à tous ceux et toutes celles qui m ont aidé, qui n ont pas su quoi faire, qui n ont pas pu faire, qui ont pensé à elle et à nous à tous ceux et toutes celles qui sont dans la tourmente, le combat et à qui vont mes pensées à tous ceux et toutes celles dont je n ai pas ressenti la souffrance et la dureté du moment par ignorance 2 3

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5 Préface ça vous tombe dessus Les moments de la vie sont bien établis, on connaît la naissance, on connaît la mort, on connaît l enfance, l adolescence, la vie d adulte, la vie de couple, la vie professionnelle, la vie de famille on appelle tout cela la vie, même quand c est fini Vivre ces différents stades n est pas toujours aisé, soit on est le sujet, ou «l objet», c est-à-dire on peut influer sur son déroulement ou soit on subit son action. Tout se déroule dans le temps ; la durée d une vie n est jamais connue d avance, on nous assène de statistiques : les femmes vivent en moyenne plus longtemps que les hommes, le nombre de centenaires croit Mathématiquement, il est certain qu il y a des données qui ne sont pas dites : pour qu il y ait des centenaires alors que l espérance de vie est de vingt ans inférieure, il faut malheureusement que certains trouvent la mort sur leur chemin bien en deçà de cet âge! Alors qu ont-ils croisé? Beaucoup de personnes 2 5

6 donnent comme responsable : le Destin, d autres et pourquoi ne pas les croire disent ironiquement : «ils ont oublié de vivre». Il est vrai que mourir, c est vivre sa fin de vie. Raymond Devos a employé tous ces mots qui font que les maux que nous vivons deviennent plus doux à entendre et nous amènent même à en rire, sauf lorsque nous sommes les acteurs directs de la pièce qui se joue. Un jour, ce jour-là qui d ailleurs semble être le même que tous les autres ou tout au moins le même que la veille, devient le début de la fin d un stade où on ne ressort pas forcément vivant, et qui change irrémédiablement votre lendemain. Qu a-t-on pu vous dire pour qu il y ait un Avant et un Après? Avant, on vivait comme tout le monde avec les aléas de la vie, les jours bien, les jours sans, les jours faciles, les jours difficiles, ces jours font des semaines, des mois, des années que l on a vécues, où on a vieilli, on vieillit tous les jours. Puis il y a Après, alors commencent les doutes par rapport à ce que vous venez d apprendre, la vie a pris un virage, vous pensez à votre espérance de vie d une façon sérieuse, on vient de vous flanquer au visage que vous êtes atteint de ce mal de plus en plus répandu, le cancer. Tout ce que vous avez pu lire, entendre, vous revient en mémoire et le mot le plus gros, ce n est pas un gros mot, c est celui qu on veut repousser : la mort. On vient de vous asséner avec ce mot, l existence même de votre propre décès. Aura-t-il lieu? Peut-être car vous venez de mettre le pied dans le chemin tortueux et incertain du doute. Vais-je guérir ou mourir? Vous ne pouvez pas retenir ces premiers sanglots qui prouvent que comme tout être humain votre sensibilité est touchée. Vos larmes 26

7 marqueront à jamais votre entrée dans un autre état d esprit, où vous devrez penser à vous, à vous parmi les autres qui deviendront des humains potentiellement atteignables par cette maladie mais qui ne le sont pas et qui ne le savent pas encore. Ce jour-là, Marie-Jo, ma femme, l a connu, l a vécu, l a subi. Elle a lutté, elle s est battue comme on dit, elle a souffert, elle a espéré, elle a accepté, elle est partie. Le cancer, ce putain de cancer, a encore gagné. Pour l instant, je fais partie de ceux «potentiellement atteignables», j ai vécu à ses côtés, j ai souffert avec elle différemment, j ai espéré comme elle, je n ai pas toujours tout compris, j ai toujours été prêt à me rebeller. J ai vécu un épisode qui malheureusement s est mal terminé. Comment est-on arrivé à la disparition de ma femme? Comment l a-t-on vécu au jour le jour? Je vais malgré la douleur qui est en moi, avec beaucoup de mal à la maîtriser, faire un bilan pour elle en premier, pour moi, pour vous, pour tous ceux à qui je souhaite de ne jamais connaître cela. Je le dis maintenant souvent, après l avoir affirmé dans les premiers jours de mon veuvage à une amie qui, elle aussi, venait de perdre son mari : «nous, nous pouvons en parler car je sais que tu sais ce que c est» 2 7

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9 Chapitre premier Ah! La retraite Il a fallu attendre, en appliquant les nouvelles normes des retraites suite aux décisions du gouvernement Fillon et sous la présidence Sarkozy, pour voir Marie-Jo prendre, à soixante deux ans, un repos bien mérité. Cette expression, après coup, est cruelle et tellement vicieuse qu il faudrait mieux la ressasser sept fois avant de l écrire. «Enfin la retraite» Nous n avons pas perdu plus de temps et devant une feuille blanche nous avons réfléchi à ce que nous pouvions prévoir pour meubler et surtout nous faire plaisir sans problèmes de temps, de durée, de week-end. Nous étions libres de nous créer du bon temps, bien sûr en fonction de nos ressources. Cette première année de retraite qui officiellement commençait en avril 2015 avait en réalité débuté comme le calendrier puisque ma femme avait bénéficié de trois mois de congés pré-retraite. Un élément considérable avait changé notre vie, 2 9