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1 Cet article est disponible en ligne à l adresse : Ouvrir la boîte de Pandore par Richard SOTTO érès Vie sociale et traitements 2009/2 - N 102 ISSN ISBN pages 115 à 118 Pour citer cet article : Sotto R., Ouvrir la boîte de Pandore, Vie sociale et traitements 2009/2, N 102, p Distribution électronique Cairn pour érès. érès. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
2 Ouvrir la boîte de Pandore Ouvrir la boîte de Pandore 115 RICHARD SOTTO La mission des «équipes mobiles psychiatrie-précarité» est d améliorer la prise en charge des besoins en santé mentale, voire de les prévenir, à l égard des personnes en situation de précarité et d exclusion sociale. Trois axes de travail en découlent. Premièrement, l intervention auprès des publics : évaluation concernant le diagnostic posé par les équipes sociales autour de troubles du comportement apparents. Deuxièmement, l aide aux aidants travaillant dans ce secteur : accueils de jour, centres d urgence et de stabilisation, CHRS, maisons relais, lits halte soin santé. Notre équipe intervient sur des séquences d appui et soutien à la fréquence qu ils souhaitent, mensuelle, voire tous les deux mois, autour de situations posant des problèmes. Ces actions mettent la personne au centre de la réflexion, ainsi que les enjeux institutionnels. Il ne s agit pas d analyse de pratique ni de supervision. Troisièmement, formation auprès des travailleurs sociaux autour des problèmes d addiction, des troubles psychiatriques, des troubles du comportement et des phénomènes liés à des pathologies somatiques. Concernant la sectorisation des publics sans hébergement stable, seul le CPOA (Centre psychiatrique d orientation et d accueil, particularité parisienne) est habilité à déterminer un secteur de soins, sauf si ceux-ci ont déjà bénéficié d une prise en charge antérieure. Nos équipes ont donc une fonction passerelle entre les équipes du secteur social au sens large et les dispositifs de soins quand cela est nécessaire hôpital psychiatrique, hôpital général, centre médico-social, centres médico-psychologiques, réseau de médecins généralistes, afin que ces publics puissent avoir une prise en charge pérenne concernant tous les soins qui s avéreraient nécessaires. Diogène et Pandore Lorsque nous sommes appelés sur un site pour rencontrer des personnes présentant des troubles du comportement, il nous est de plus en plus nécessaire d établir un diagnostic différentiel concernant l origine des troubles. Depuis la création d hébergements pérennes de type urgence-stabilisation, comme c était déjà le cas dans les centres d hébergement et de réinsertion sociale, nous remarquons que ces personnes développent au bout d un certain temps des pathologies diverses et variées, tant d un point de vue psychiatrique, psychologique, somatique et surtout neurologique. Tous ces phénomènes enfouis par une vie d errance explosent, comme si
3 Ça bouge 116 baisser la garde face à l urgence ouvrait la boîte de Pandore. Nous sommes notamment de plus en plus confrontés à des phénomènes de Diogène : les personnes amassent des produits alimentaires achetés ou récupérés sur le site, des objets ramassés autour des lieux d hébergement, phénomène nouveau qui ne va pas sans poser des problèmes sur les lieux les accueillant (conflit interne dans la chambre, relations difficiles avec les travailleurs sociaux). Une personne ayant vécu dans un contexte de diète alimentaire et de privation d objets, à partir du moment où elle est sur un lieu dont la pérennité existe, amasse comme pour ne pas manquer. J ai en tête un monsieur de 81 ans qui stocke de façon indifférenciée des choses hétéroclites telles que aliments, poubelles, objets ce qui empêche de mettre une deuxième personne dans la chambre. Ce monsieur n a plus aucune pièce d identité. Un travailleur social a constitué pour lui un dossier de retraite. Il n a aucun compte en banque. Est-il compatible avec une maison de retraite? devrons-nous envisager une mise sous tutelle ou curatelle avec les acteurs sociaux du site, si nous arrivons à ce que cette personne accepte, a minima, de collaborer avec notre équipe et celle du site hébergeant? Pour l instant, nous sommes avec lui dans une relation d apprivoisement, et cela fait quelques mois que cela dure. Nous avons pris contact avec un réseau de santé spécialisé, nous étions convenus d une visite avec cette équipe sur le centre d hébergement de façon à établir un bilan somatique, mais il avait disparu la veille. Absent durant quinze jours, il vient de regagner le lieu et nous devons le revoir bientôt pour renégocier avec lui une visite avec un médecin. Il y a aussi Monsieur A, 57 ans, alcoolique chronique qui a subi un sevrage avec succès. Jusqu à présent il vivait dans le métro. Nous sommes amenés à le rencontrer pour un syndrome dépressif majeur : il souhaite se tuer. «Pourquoi m avez-vous sorti de la rue? dit-il, je ne mérite pas ce que vous me proposez.» Quelques semaines plus tard, il se sent persécuté et veut tuer toutes les personnes de l arrondissement où il est hébergé, persuadé qu un complot contre lui s est mis en place. Il est hospitalisé via le CPOA à la demande d un tiers, et le service de soin psychiatrique où il est adressé décide de le garder une quinzaine de jours pour recaler les choses. Avant cette échéance, ce monsieur est perdu dans le service, il n a plus aucun repère spatio-temporel, et il est orienté sur un service de soin neurologique pour un bilan. Il s avère qu après de nombreux examens, aucun élément neurologique du type d une tumeur n est décelé, mais qu un diagnostic de démence alcoolique est envisageable. Le service de soin psychiatrique le reprend alors en charge. Pendant une période de trois semaines, son comportement semble s améliorer et l équipe décide de le faire sortir, sachant qu il dispose d un hébergement, et lui propose des consultations au centre médico-psychologique. Sur le site d hébergement, ses troubles s aggravent, il ne reconnaît pas le lieu ni son travailleur social référent et est dans l incapacité de retrouver sa chambre. Il oublie qu il a mangé, et quand il va à la banque retirer de l argent, il ne se souvient pas qu il a déjà effectué cette opération une
4 Ouvrir la boîte de Pandore heure plus tôt. Le seul point de repère qui tienne est l épicerie en face du lieu d hébergement, où il achète à nouveau de grosses quantités d alcool, qu il absorbe malgré un problème hépatique qu il refuse de prendre en compte. Monsieur B., 53 ans, grand précaire, SDF depuis la nuit des temps, alcoolique, qui disparaît dès qu il sort du centre d hébergement. Il est convaincu d être OSS 117, de posséder une énorme propriété à La Napoule, et d être propriétaire du centre d hébergement. Dans ses errances pathologiques, il est régulièrement retrouvé en gare de Lyon par les équipes mobiles du SAMU social. Il y a peu de temps, il se retrouve hospitalisé pour une hypothermie, et s évade de l hôpital. Maintenant, il vient d être récupéré par les pompiers avec une fracture de l humérus, dirigé sur un autre hôpital qui l oriente, après avoir prodigué des soins, sur des lits halte soin santé. Quel est son avenir possible? Compatible, pas compatible avec un centre d hébergement d urgence et de stabilisation? Madame C., 52 ans, long parcours d alcoolisation, ne consomme plus rien depuis trois ans. Rencontrée sur son site d hébergement, elle a de moins en moins de repères spatio-temporels. Quand l équipe sociale essaye de recaler avec elle quelques éléments de réalité, elle se met en colère et devient agressive. Son périmètre de vie à l extérieur se restreint de plus en plus. Elle prend toujours les mêmes lignes de métro, mais maintenant il lui arrive de se tromper de quai, ce qui la rend d autant plus agressive. On vient de lui découvrir un diabète, vraisemblablement existant antérieurement, mais qui n avait jamais été décelé. Elle rend responsable le site d une alimentation qui aurait tout déréglé. Nous l avons rencontrée à plusieurs reprises, elle refuse toujours de faire un bilan dans un centre médico-social. Quelles ressources pour des soins imbriqués? Nous sommes de plus en plus confrontés à ce type de problématiques où le diagnostic d un neuropsychiatre serait essentiel, ainsi que celui d un expert somaticien, afin de pouvoir mettre en place une orientation efficace. L hôpital psychiatrique a eu vocation de prendre en charge ces personnes, dont les états ne peuvent malheureusement que se dégrader au fil du temps. Que faire d elles aujourd hui? Les lieux d hébergement actuels ne disposent pas forcément d une consultation médicale ; au mieux ils ont un infirmier, mais qui est vite débordé par toutes ces pathologies enchevêtrées. La nouvelle urgence concernant ces publics qui ont enfoui des problèmes psychologiques, psychiatriques et somatiques est de pouvoir les installer dans des lieux médico-sociaux où ils pourront bénéficier d une prise en charge multidisciplinaire, et ce sans limite de temps. Concernant notre équipe, sur 2008, sur une file active de 316 demandes, 17 % ont été orientés sur des services de soins généraux alcoologie, neurologie, diabète, thyroïde Avec ces publics, la notion de médecin référent devient un souci incontournable. Aucun médecin, aucun hôpital ne souhaitent les incorporer dans leur file active afin qu ils puissent bénéficier d un classement en ALD (affection longue durée), ce qui leur permettrait de se soigner sans pour cela qu une partie de leur budget disparaisse et éviterait à un bon nombre d entre eux l arrêt de la prise de traitement. 117
5 Ça bouge 118 J aurai pour conclure une version un peu optimiste : depuis l existence des équipes mobiles psychiatrie et précarité sur Paris, lorsqu il s agit de soin psychiatrique, les équipes de secteur prennent en charge sans trop de réticence, pour l instant, ce type de personnes. Néanmoins, nous trouvons encore sur certains comptesrendus d hospitalisation, lorsqu il s agit de SDF, la formule «retour au domicile». Nos équipes ont donc la nécessité de se doter d un réseau multidisciplinaire car ce public nécessite une prise en charge globale. Nous sommes toujours dans l obligation de faire du «sur mesure», et non du prêt-à-porter. Quand un symptôme est résolu, un autre surgit, puis encore un autre : dermato, cardio, endocrino, neuro, d où l importance d avoir un partenariat large, ouvert et disponible autour des différents acteurs de santé. RICHARD SOTTO Infirmier, équipe mobile psychiatrie-précarité, intersecteur hôpital Maison-Blanche
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