Le vin. un secteur européen sous pression

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1 Le vin La filière européenne du vin se trouve à la croisée des chemins. Dans un contexte de débats politiques virulents, des modifications radicales de la réglementation européenne se profilent à l horizon et on peut craindre que le secteur de la production de vin soit méconnaissable d ici à la fin de la décennie. À une époque où les préoccupations relatives à la croissance, à l emploi, aux exportations et à la durabilité accaparent les gros titres des journaux, le vin devrait constituer un exemple de réussite en Europe. Pendant des générations, les producteurs européens de vin ont donné vie à un mode de production traditionnelle qui mobilise une forte demande de main d œuvre, ce mode de production est envié aujourd hui par le monde entier. L avenir des milliers de vignobles disséminés au sein du paysage rural est pourtant profondément incertain. Comment un secteur qui élabore un produit de qualité jouissant d une grande reconnaissance, véritable image de marque du mode de vie européen, peut-il se retrouver à l aube d une crise? Les dommages relèveraient en grande partie de la responsabilité de l Union européenne : il est prévu que la réglementation portant sur les droits de plantation (une manière de réguler les plantations de vignoble) soit supprimée en À partir de 2019, la règle serait la suivante dans l Union Européenne : «il n y a pas de règle». En résumé, n importe qui pourra planter des vignes là où il veut. Comme nous allons l expliquer dans ce document, il s agirait d une véritable révolution avec des conséquences importantes sur la création d emplois, l industrie touristique, l offre aux consommateurs et l environnement. Pourquoi vous expliquer cela maintenant? Le temps presse pour sauver le système existant. Les droits de plantation font partie d une série plus vaste de réformes de l agriculture européenne. Il est prévu que le débat politique d ensemble relatif à la refonte de la politique agricole commune (PAC) s achève l année prochaine. C est dans ce cadre que doit être réglé le dossier. Les 15 États membres producteurs de vin de l UE sont unanimement opposés à la libéralisation planifiée, de même que le Parlement européen démocratiquement élu. Toutefois, il faut davantage de soutien politique. La Commission européenne, qui avait proposé la libéralisation en 2007, continue à défendre cette approche, ce qui soulève des questionnements quant à la légitimité démocratique de l élaboration des politiques européennes s avère comme une année cruciale pour le secteur et ses consommateurs. Le compte à rebours est lancé. Droits de plantation notions de base 1 À l heure actuelle, si une personne ou une société souhaite planter des vignes, elle doit obtenir une autorisation appelée «droits de plantation». Ces «droits de plantation» constituent un moyen de contrôler le potentiel européen en matière de production de vin et de garantir une utilisation adéquate des terres. Ils sont habituellement attribués à des personnes possédant les compétences et le savoir faire leur permettant de produire du vin dans des conditions durables et de haute qualité. Le système est loin d être rigide : de nouveaux droits de plantation peuvent être attribués s il existe une demande du marché. Les droits de plantation s appliquent pour tous les types de vin produits dans l UE. Ils soutiennent notamment le système européen d appellation d origine protégée (AOP), qui permet à certains vins de promouvoir la région dans laquelle ils sont produits. Pensez au Rioja ou au Chianti. De tels vins pourraient voir leur production tripler suite à la mise en application du plan de libéralisation, bouleversant l équilibre fragile existant entre offre et demande. Ce sont cependant tous les vins européens, pas uniquement les AOP, qui sont concernés par les droits de plantation ; en effet, c est la durabilité de l ensemble du secteur qui est au cœur de ce débat. Il est important de signaler que les droits de plantation ne correspondent pas à des quotas de production. Ils sont attribués en termes d hectares et non d hectolitres de vin. Cela permet de réguler le potentiel de production. La Communauté européenne disposait d un système d octroi de permis pour l exploitation de la vigne depuis les années 70 ; mais, en 2007, la Commission européenne a convaincu les ministres européens de l agriculture de voter de justesse l abandon des droits de plantation afin de favoriser la libéralisation du secteur. Cependant, alors que cette réforme avait été conçue pour encourager la concurrence, elle menace de fragiliser le secteur du vin, se traduisant par un phénomène de surproduction et de réduction du choix de produits offerts aux consommateurs.

2 contenu Créer des emplois en période de crise Étude de cas «M investir dans le secteur du vin» Une tradition menacée L Australie une vision de notre avenir? Tout avoir : du choix, de la concurrence et une réglementation forte La politique en matière de droits de plantation p2 p3 p4 p5 p5 p7 Créer des emplois en période de crise Les manchettes des journaux sont peu réjouissantes ces temps-ci. Les taux de chômage sont élevés, les budgets des gouvernements serrés, et l Europe doit faire face à une rude concurrence de la part des États-Unis, de la Chine et de l Inde, entre autres. Pas un jour ne passe sans que l on entende dire que nous avons besoin de relancer la croissance et de créer des emplois. Les politiciens sont d accord sur une chose : les petites et moyennes entreprises, en particulier celles appartenant aux secteurs à forte demande de main d œuvre, sont cruciales pour la création d emplois et la croissance économique. Le secteur européen du vin se présente comme une réelle étude de cas sur l entreprise durable ; il est l exemple même d une industrie moderne, à forte valeur ajoutée, qui puise ses origines dans une tradition riche de savoir-faire et qui ne peut être substituée ou imitée à bas coûts. D après la Commission européenne, l UE compte plus de 2,4 millions de producteurs de vin, et le secteur emploie directement plus de 2,2 millions de personnes (équivalents temps plein). Les exploitations viticoles créent environ 22 % des emplois agricoles de l UE. Les exportations de vin se sont chiffrées à 6,7 milliards d euros en 2010, représentant presque le quart des exportations agricoles européennes. Le vin est un produit de grande qualité, made in Europe. Le modèle de production actuelle, qui repose sur le régime de droits de plantation, permet de soutenir un réseau de petites entreprises, bien souvent à caractère familial. Cet écosystème de fournisseurs, de producteurs et de distributeurs crée des emplois d une manière qui ne pourrait pas être assurée par un modèle industrialisé concentré. Le secteur soutient également l emploi de manière indirecte, lorsque les travailleurs et les chefs d entreprise du secteur mangent dans les restaurants locaux, ont recours aux services d un artisan ou font leurs achats sur les marchés de proximité. le vin 2. Le vin :

3 Ajoutez-y les milliers d emplois créés par le tourisme œnologique, et vous commencerez à avoir une vision plus complète de la contribution essentielle du secteur à l économie. Bon nombre de régions viticoles européennes menacées par la fin des droits de plantation sont classées au patrimoine mondial de l UNESCO, car elles offrent des environnements uniques et un refuge à la biodiversité. Prenez par exemple les vins d Alsace. Ce petit vignoble de hectares compte producteurs et emploie personnes. Ces vignes en coteaux constituent la quintessence de l un des paysages viticoles les plus beaux du monde. Environ 7 millions de personnes visitent l Alsace chaque année, et 85 % d entre elles viennent pour explorer les routes des vins. La libéralisation proposée aurait pour effet d encourager un déplacement des plantations de vignes des collines vers les plaines et de réduire le nombre de producteurs de vin à une centaine. L industrie touristique s étiolerait, l environnement se dégraderait et la biodiversité s appauvrirait. le vin «M investir dans le secteur du vin» «Pourquoi ai-je choisi de travailler dans le secteur du vin? D une certaine manière, je pense que c est lui qui m a choisi. La production de vin fait partie de l histoire de ma famille depuis des générations et joue un rôle primordial dans la culture de notre village. J aime le vin. J aime son histoire, la satisfaction que l on ressent lorsque de longues années de travail se matérialisent en un produit de qualité ; et oui, j aime le déguster. C est une profession qui exige de consacrer énormément de temps et d efforts afin de développer les compétences et l expertise requises pour connaître les raisins, savoir choisir les meilleures terres pour planter et maîtriser la science de la fermentation. Comme pour tous les métiers, c est également une question de relations humaines. Il s agit d une activité qui requiert une main d œuvre importante ; pendant les vendanges, je dois donc superviser une équipe, et je travaille également avec un réseau de fournisseurs et de distributeurs pour acheminer notre produit sur le marché. David Brazsil, Viticulteur hongrois (HNT) Je suis très heureux de sentir que j appartiens à une tradition européenne unique transmise au fil des siècles et qui, je l espère, sera poursuivie par les générations à venir.» 3. le vin :

4 Le vin Une tradition menacée Que vous vient-il à l esprit lorsque vous pensez à l élaboration du vin? Peut-être un tableau idyllique de raisins cultivés sur une petite colline rurale par un vigneron passionné. Ou encore des images de votre vin favori vieillissant en fût de chêne. Si vous avez déjà participé à une visite de vignobles, cette question est susceptible de vous rappeler des odeurs, des goûts et des sons accompagnant ces images. Malheureusement, cette scène pourrait ne plus être que de l histoire ancienne d ici peu. Vous pourriez la retrouver en cartes postales, mais plus dans les villages où elle a prospéré pendant des générations. Pendant des siècles, la production de vin a été un mode de vie dans certaines contrées de l Europe. C est une tradition ; une partie de notre culture et de notre patrimoine. C est un travail passionné de longue haleine, qui exige une connaissance profonde de l exploitation de la terre, des variétés de raisin, ainsi que de grandes qualités scientifiques et commerciales. Cette expertise a été transmise et affinée au sein de communautés vitivinicoles dont les membres tirent toute leur fierté de leurs méthodes et de leurs produits. Les vignobles familiaux et les réseaux de producteurs de vin font partie d une riche histoire, mais il serait une erreur de considérer cette activité comme un «cercle fermé». Les jeunes générations peuvent s installer dans le secteur si elles font leurs les compétences et les traditions qui le définissent. De nouveaux droits de plantation peuvent être attribués par les autorités à condition que certains critères soient respectés, y compris la démonstration d une demande réelle du marché. Pour les petites entreprises de l industrie du vin, la libéralisation du régime des droits de plantation ne porte pas seulement atteinte à la valeur de leurs droits de plantation, mais menace d anéantir l économie rurale et les communautés qui en dépendent. Le scénario cauchemardesque, ce serait une augmentation spectaculaire de la production, un effondrement des prix et la disparition des exploitations familiales au profit d un petit nombre d opérateurs industriels employant un nombre réduit de travailleurs dans un contexte de taux de chômage élevé. le vin 4. Le vin :

5 L Australie une vision de notre avenir? L abandon du système des droits de plantation pourrait, dans le meilleur des cas, être décrit comme un saut dans l inconnu. Pourtant, en vérité, nous savons déjà ce qui nous attend si nous nous engageons dans cette voie... et l avenir n est pas rose. Dans les années 1990, l Australie a augmenté sa production de manière significative et à une échelle industrielle, inondant, entre autres, le marché britannique avec ses vins. Le produit était acceptable et bon marché, d autant plus si l on considère les milliers de kilomètres qu il avait à parcourir avant d atterrir dans les rayons de nos supermarchés. Mais ce n est pas une histoire qui finit bien. Le marché australien est principalement composé d une poignée de grands négociants, à l opposé du réseau disséminé de producteurs et de coopératives que nous connaissons en Europe. Exaltés par leur succès rapide et l appât constitué par une demande a priori constante de la part des négociants, les producteurs australiens ont planté bien trop de vignes, provoquant une surproduction chronique. Les prix se sont effondrés. Ne soyez pas trop tristes pour les grands acteurs qui dominent le marché, rien n a changé; ils continuent à mener le jeu et à acheter les raisins à des prix que de nombreux producteurs considèrent non viables. Cette situation s est soldée par une baisse des revenus des producteurs, un déclin de la réputation du produit et l établissement d un processus industrialisé qui se centre sur un nombre de cépages réduit. Pas vraiment un modèle à suivre ou qui fasse rêver. Or, s il s avère difficile de revenir sur l augmentation de la capacité de production, il est possible de la freiner en régulant les droits de plantation. C est pour cela que le maintien de ce régime est essentiel. Tout avoir : du choix, de la concurrence et une réglementation forte Vous vous demandez peut-être pourquoi la Commission européenne a proposé la libéralisation des droits de plantation étant donné les effets négatifs décrits dans ces pages. Avant tout, il faut rappeler que certains décideurs politiques sont convaincus que la déréglementation œuvre toujours en faveur de la concurrence. L idée est que l abandon du système de droits de plantation va dynamiser la concurrence, au bénéfice des consommateurs. 5. Le vin :

6 Cette logique comporte un certain nombre de failles. La première réside dans la question fondamentale suivante : quels sont réellement les intérêts des consommateurs? Comme indiqué précédemment, l Australie a déjà pu donner l exemple de ce qu il advient lorsque les niveaux de production sont trop hauts : la concurrence entre les producteurs s accroit, mais la gamme de produits mise à disposition des consommateurs s étiole. La concurrence, telle qu elle est conçue, bénéficie à un petit nombre d opérateurs mais n entraîne pas de changement positif pour les consommateurs. Élément crucial, la viabilité du secteur est remise en cause, ce qui porte préjudice aux consommateurs à long terme. sauvegardant la diversité et la qualité et en garantissant un équilibre entre l offre et la demande. Les droits de plantation sont également assimilés à des quotas de production ou même à un instrument de contrôle des prix. Or, ce n est aucunement le cas. Le système de droits de plantation régule le potentiel de production ; il couvre la qualité et la quantité des plantations de vignes. Il n exerce aucun contrôle sur les rendements ou les prix. L Europe se doit de faire les bons choix à l heure où elle veut rivaliser sur les marchés mondiaux. Est-il souhaitable de nous placer sur le marché des produits de grande qualité ou faut-il nous joindre à la course à la production d un vin toujours moins cher, course que nous aurons bien du mal à gagner étant donné les coûts de production défiant toute concurrence en vigueur au Chili et en Chine? La compétitivité des vins européens sera mieux défendue en régulant le potentiel de production, en sauvegardant la diversité et la qualité et en garantissant un équilibre entre l offre et la demande. 6. Le vin :

7 La politique en matière de droits de plantation L histoire des droits de plantation des vignes est aujourd hui politique, plongée dans la complexité des mécanismes législatifs européens. Suite aux débats longs et houleux de décembre 2007, la Commission européenne a poussé les ministres de l agriculture européens à s accorder sur une série de réformes, qui incluait un agenda pour le démantèlement des droits de plantation. Les répercussions de cette décision n ont cessé de se faire sentir depuis lors, avec une opposition grandissante à l approche de l échéance de En 2010, l Allemagne s est dressée contre la libéralisation des droits de plantation, suivie par la France début En avril 2012, un groupe de pays (Allemagne, France, Italie, Chypre, Luxembourg, Hongrie, Autriche, Portugal et Roumanie) s est réuni pour demander à la Commission européenne de modifier la législation afin de réintégrer les droits de plantation avant qu il ne soit trop tard. L Espagne, la République tchèque, la Slovaquie, la Grèce, la Slovénie et la Bulgarie se sont depuis lors ralliées au mouvement d opposition à la libéralisation, portant à 15 le nombre total de pays opposés à la dérégulation. Ces pays représentent 98 % de la production de vin européenne. Malgré tout, la complexité des prises de décision au sein de l Union européenne est telle que ces 15 pays ne disposent pas d un nombre de votes suffisant pour renverser la décision prise en Tout n est pas encore perdu. En janvier 2012, Dacian Cioloş, le Commissaire européen à l agriculture, a mis en place un Groupe à haut niveau sur le vin afin d examiner la question des droits de plantation. Ce groupe devrait remettre son rapport fin Si le système des droits de plantation venait à être préservé, la Commission européenne devra soumettre une proposition au Parlement européen et aux ministres Ministres de l agriculture de l UE en vue de son approbation. C est ce à quoi nous aspirons. Toutefois, la sauvegarde de l avenir du secteur européen du vin requiert davantage de soutien de la part des gouvernements nationaux. 7. Le vin :