Pour la sûreté et la solidité du système financier : Enseignements à tirer de la fable La Poule aux œufs d or

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Pour la sûreté et la solidité du système financier : Enseignements à tirer de la fable La Poule aux œufs d or Allocution prononcée par M. Mark Zelmer, surintendant auxiliaire de la Réglementation, à l occasion du Forum canadien de 2012 sur la protection en cas d insolvabilité d une institution financière Toronto (Ontario) Le 21 novembre 2012 LE TEXTE PRONONCÉ FAIT FOI Pour renseignements : Brock Kruger Communications et consultations brock.kruger@osfi-bsif.gc.ca www.osfi-bsif.gc.ca

Allocution prononcée par M. Mark Zelmer, surintendant auxiliaire de la Réglementation, à l occasion du Forum canadien de 2012 sur la protection en cas d insolvabilité d une institution financière Toronto (Ontario) Le 21 novembre 2012 Pour la sûreté et la solidité du système financier : enseignements à tirer de la fable La Poule aux œufs d or Je vous remercie beaucoup de m avoir invité à prendre la parole aujourd hui. Je tiens aussi à remercier Ia Société d indemnisation en matière d assurances IARD d avoir organisé le Forum cette année. Je suis heureux de voir réunis dans une même salle bon nombre des principaux acteurs chargés de protéger les consommateurs en cas de faillite improbable d une institution financière canadienne. Vous jouez un rôle important en faveur de la sûreté et de la solidité du système financier. Les forums comme celui-ci nous permettent d apprendre les uns des autres et de débattre de questions d intérêt commun. Lorsque Jim Harris m a invité à vous présenter mes vues, il m a encouragé à vous entretenir des dossiers nouveaux susceptibles de menacer la sûreté et la solidité des banques, des coopératives de crédit, des assureurs-vie et des assureurs multirisques et même des sociétés de placement et des fonds communs de placement. J ai choisi de me concentrer principalement sur le secteur bancaire. J espère cependant que ceux d entre vous dont les intérêts sont ailleurs prendront le temps de m écouter, car je pense qu ils constateront que ce que j ai à dire s applique également, dans une certaine mesure, à leur secteur d activité. Cinq années plus tard, la crise financière continue de nuire aux économies et aux systèmes financiers aux quatre coins du globe, et le programme de réforme visant à prévenir de nouvelles crises bat son plein. L une des plus grandes réalisations en ce sens a été l Accord de Bâle III sur les fonds propres. Les régulateurs de par le monde sont en voie de l intégrer dans leur réglementation bancaire nationale, si bien que sa mise en œuvre pourra débuter véritablement en janvier 2013. Ici au Canada, le BSIF a fait paraître en août dernier une version à l étude de sa ligne directrice sur les normes de fonds propres, qui tient compte de l Accord de Bâle III. La version définitive paraîtra avant la fin de l année et prendra effet le 1 er janvier, ce qui permettra de clarifier en partie les exigences de fonds propres de la réglementation. Le BSIF a aussi fait savoir qu il s attend à ce que les institutions de dépôts fédérales respectent d entrée de jeu l exigence de 7 % d actions ordinaires prescrite par Bâle III. Leur solidité est telle qu elles peuvent se passer de la plupart des clauses prévoyant l application progressive des exigences de l Accord. Ce coussin de fonds propres 1

supplémentaires viendra accroître la protection des consommateurs si une institution de dépôts fédérale éprouve des difficultés. Mais ce n est pas tout. Le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire met au point une nouvelle norme de liquidité, le ratio de liquidité à court terme, qui accroîtra de nouveau la résilience des banques. Plus précisément, la nouvelle norme fera en sorte que les banques aient assez de liquidités pour pouvoir répondre à leurs besoins financiers éventuels à un horizon de trente jours. Par ailleurs, d autres éléments de l Accord de Bâle III, tels que les fonds propres d urgence en cas de non-viabilité, feront que nous n aurons pas nécessairement à recourir en premier lieu au Trésor public pour recapitaliser une banque. Il s agit là d un pas capital à faire pour éviter l existence d institutions de dépôts trop importantes pour faire faillite. Pourtant, à la veille de la mise en œuvre de Bâle III, certains spécialistes se demandent s il ne faut pas complètement abandonner ce projet et le remplacer par des règles plus simples. D autres craignent que certains pays ne satisfassent pas entièrement aux nouvelles exigences, ce qui, à leurs yeux, feront passer les pays qui y adhèrent comme le Canada pour des naïfs de service. Ce qui met de l huile sur le feu est le fait que les banques d autres pays continuent de faire la une, mais pas pour de bonnes raisons. Cela s est accompagné d une intensification des débats sur la question de savoir s il faut séparer, dans une certaine mesure, les activités de banque commerciale et de banque d investissement. Au cours de mon allocution d aujourd hui, je remettrai en question les arguments de ceux qui souhaitent réécrire l Accord de Bâle III au moment même où nous nous apprêtons à le mettre en œuvre. J exposerai aussi quelques-unes des mesures prises à l échelle internationale pour susciter la confiance du public dans l application de Bâle III. Enfin, je vous ferai part de quelques réflexions sur les propositions parues en Europe et aux États-Unis qui visent le maintien d une certaine distance entre les activités de banque commerciale et de banque d investissement. Mes réflexions seront fondées sur la célèbre fable, inspirée d Ésope, intitulée La Poule aux œufs d or 1. Je suis certain que vous ou vos enfants vous souvenez bien de cette histoire. Elle constitue, pour l essentiel, une mise en garde contre la cupidité et le piège de vouloir récolter tous les bénéfices d un seul coup. Lorsque vous entendrez mes commentaires, je veux que vous considériez les banques comme étant la poule et la stabilité financière comme un œuf en or. 1 La fable raconte l histoire d un homme et de sa femme qui possédaient une poule très singulière qui pondait chaque jour un œuf en or, tant et si bien qu ils étaient devenus très riches. «Pensez donc», dit la femme, «si nous pouvions mettre la main sur tous les œufs en or qui sont à l intérieur de la poule, nous pourrions nous enrichir plus rapidement.» «Vous avez raison», dit le mari, «nous n aurions pas à attendre chaque jour qu elle ponde son œuf.» Le couple décida donc de tuer la poule et de l éventrer, pour se rendre compte qu elle était faite exactement comme toutes les autres. Il venait ainsi d anéantir une occasion en or. 2

Les règles les plus simples ne sont pas nécessairement les meilleures L Accord de Bâle III n a qu un seul but : accroître la solidité et la résilience des banques. En d autres termes, engraisser la poule pour qu elle soit plus résistante aux maladies, afin qu elle puisse vivre plus longtemps et pondre de beaux œufs d or pendant de nombreuses années encore. Personne ne conteste l objectif de Bâle III. Pourtant, certains spécialistes soutiennent que nous devrions abandonner ces normes de fonds propres, qu ils jugent trop complexes et trop opaques, et les remplacer par des règles plus simples telles que le test classique du levier financier, c est-à-dire le ratio de fonds propres à l actif total 2. Cela se traduirait par des exigences de fonds propres qui sont fonction de la taille du bilan des banques ou du total de leur actif plutôt que de leur exposition au risque, qu elle soit ou non hors bilan. Je comprends leurs craintes. Les modèles de risque des banques sont très complexes, mais ils n en demeurent pas moins une simplification grossière de la réalité. Les données qui alimentent ces modèles sont coûteuses. De plus, l établissement de facteurs de risque à l aide de données antérieures équivaut à conduire une voiture en se fiant uniquement au rétroviseur, à plus forte raison si les données prélevées témoignent de courtes périodes. Certes, nous courons le risque que les banques et les autorités qui les contrôlent attachent trop d importance à des modèles de risque complexes. Si elles n y prennent garde, elles pourraient perdre la vue d ensemble que requiert la saine gestion du risque. Le BSIF s oppose à un retour en arrière et à l abandon de ces modèles poussés au profit de tests plus simples. Si les normes de fonds propres de l Accord de Bâle sont complexes, c est que les banques actives à l échelle internationale le sont aussi. Elles offrent des services très évolués d intermédiation des risques afin de répondre aux besoins de leurs clients dans l économie et dans d autres parties du système financier. Et, en règle générale, elles cherchent des moyens de réduire au minimum les exigences de fonds propres. Il importe également de se rappeler que les règles de Bâle sont des normes internationales minimales, et c est ce qui les rend d autant plus complexes, car elles doivent prendre en compte la grande diversité des paramètres institutionnels et des normes comptables qui caractérisent les systèmes bancaires nationaux de par le monde. 2 Voir, par exemple : A.G. Haldane et V. Madouros, «The dog and the frisbee», tiré du 36 e symposium sur la politique économique organisé par la Banque fédérale de réserve de Kansas City, The Changing Policy Landscape, Jackson Hole (Wyoming), 31 août 2012. Sur Internet : www.bankofengland.co.uk/publications/pages/speeches/default.aspx; et T.M. Hoenig, «Back to Basics: A Better Alternative to Basel Capital Rules», discours prononcé à l occasion de l American Banker Regulatory Symposium, Washington (D.C.), 14 septembre 2012. Sur Internet : www.fdic.gov/news/news/speeches/chairman/spsep1412_2.html. 3

Il ne faut pas oublier non plus que l Accord de Bâle III n émerge pas de nulle part. Nous avions auparavant des règles plus simples, et leurs lacunes sont l une des raisons pour lesquelles nous avons aujourd hui des règles plus complexes. Comme l a fait remarquer dernièrement M. Wayne Byres, secrétaire général du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, l une des raisons pour lesquelles les régulateurs ont adopté une méthode fondée sur le risque était la mésestimation du prix de chacun des risques par une mesure plus simple 3. Il a aussi indiqué que les mesures simples faisaient facilement l objet d un arbitrage. Rappelez-vous l expansion rapide des activités hors bilan avant l instauration des normes de fonds propres fondées sur le risque. À l évidence, les règles complexes de fonds propres fondées sur le risque et les simples tests de levier présentent des avantages et des inconvénients. Ni les premières ni les seconds ne peuvent suffire à eux seuls. Alors, que faire? Une partie de la réponse se trouve dans un article du Wall Street Journal écrit par M. Stefan Ingves, président du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire 4. Il y indique que l Accord de Bâle III prévoit une hausse significative du capital-actions ordinaire des banques, qui devra passer de 2 % seulement des actifs pondérés en fonction du risque à au moins 7 %. Et cette mesure s accompagne d une définition beaucoup plus stricte des actifs pondérés en fonction du risque. À n en point douter, les poules seront dorénavant bien plus grasses. Par ailleurs, Bâle III prévoit un test de levier financier non fondé sur le risque en complément de la méthode fondée sur le risque, formant ainsi un dispositif très prudent en matière de réglementation qui servira de filet de sécurité au cadre complexe fondé sur le risque, contribuant du coup à freiner les tentatives de «manipulation» des exigences fondées sur le risque. Depuis de nombreuses années, le BSIF impose à la fois des normes de fonds propres fondées sur le risque et des tests plus simples de levier financier sous forme de ratio actif-fonds propres, et il a pu constater que le recours aux deux donnait de bons résultats. Bien entendu, il importe toujours de s assurer que les banques et leurs surveillants ne font pas excessivement confiance aux mesures rétrospectives et qu ils effectuent aussi des analyses prospectives du risque et des facteurs de vulnérabilité. C est ici qu interviennent le nouveau volant de fonds propres contracyclique prévu dans Bâle III et le recours accru aux simulations de crise dans le cadre de la planification des fonds propres des banques. Pour utiliser ces deux outils, les banques et leurs surveillants doivent analyser l environnement actuel et les facteurs de vulnérabilité cachés. En fin de compte, l établissement de normes de fonds propres à l usage des banques ne repose pas sur le choix entre des règles simples ou complexes. Il consiste plutôt à faire appel à ces deux types de règles ainsi qu à des analyses prospectives du risque et des facteurs de vulnérabilité afin de décider combien de fonds propres sont requis pour que 3 W. Byres, «Regulatory reforms incentives matter (can we make bankers more like pilots?)», discours prononcé à l occasion du colloque de la Banque du Portugal, Global Risk Management: Governance and Control, Lisbonne, 24 octobre 2012. Sur Internet : www.bis.org/speeches/121024.htm. 4 S. Ingves, «Basel III is Simpler and Stronger: The new rules will make taxpayer bailouts less likely», Wall Street Journal, 14 octobre 2012. 4

les banques puissent répondre aux besoins de leurs clients selon un large éventail de conjonctures économiques. Les examens publics par des pairs favoriseront la bonne mise en œuvre de Bâle III Maintenant que l Accord de Bâle III est en voie de passer du stade de l acceptation à celui de la mise en œuvre, on se demande, non sans une certaine appréhension, si toutes les parties à l Accord le mettront en œuvre fidèlement. Certains pays n ont même pas achevé le passage de Bâle I à Bâle II, et encore moins amorcé la mise en œuvre de Bâle III. Si des pays n emboîtent pas le pas, on court le risque que les pays comme le Canada, qui adhèrent à l Accord, placent leurs banques en situation désavantageuse sur les marchés internationaux, ou pire encore, les mettent en situation de concurrence déloyale avec les banques étrangères sur leur propre territoire. Lors des dernières réunions du G20, tenues à Mexico ce mois-ci, les pays ont réaffirmé leur volonté de mettre en œuvre l Accord de Bâle III et, de façon plus générale, le programme international de réformes. Encore faut-il que les actes suivent les mots. Il faut dire en sa faveur que le Comité de Bâle en est conscient et qu il a prévu un processus rigoureux et transparent d examen par des pairs qui nous permettra de nous contrôler mutuellement. Ce processus comporte trois éléments. Tout d abord, le Comité de Bâle a commencé à rendre compte publiquement et périodiquement des progrès accomplis par chacun des pays membres dans la mise en œuvre de Bâle III, soulignant les chefs de file et les pays à la traîne dans l adoption de nouveaux règlements. Mais le Comité ne fait pas que croire les pays sur parole. C est pourquoi, en deuxième lieu, il a instauré un processus d examens complets sur place selon lequel des équipes formées à même les autorités de contrôle bancaire étrangères se déplacent de pays membre en pays membre pour examiner et analyser la réglementation bancaire nationale, s assurer qu elle tient compte des nouvelles règles et commenter publiquement l importance de tout écart. Jusqu à présent, des projets de règlements ont fait l objet d un examen au sein de l Union européenne et aux États-Unis, et un nouveau règlement a été adopté au Japon. Les lacunes importantes constatées ont été annoncées publiquement et très franchement, ce qui est sans précédent pour Bâle. D autres pays feront l objet d un examen au cours des prochaines années, dont le Canada vers la fin de 2013. Le BSIF a hâte de prendre part à cet important processus. En troisième lieu, des équipes internationales de contrôleurs ont été chargées d examiner le mode d application des règles de Bâle par chacune des banques. La première étape en ce sens consiste à examiner la cohérence des calculs fondés sur le risque dans les portefeuilles bancaires et les portefeuilles de négociation qui seront tirés 5

d un échantillon de banques actives à l échelle internationale, dont une banque canadienne. Une fois ces deux projets achevés, des examens portant sur d autres facteurs auront lieu. En sa qualité de membre du Comité de Bâle, le BSIF a fourni du personnel pour certains des projets susmentionnés d examen par des pairs. Nous avons bon espoir que, au fil des ans, ces initiatives amèneront le public à avoir confiance dans la mise en œuvre de Bâle III et montreront que les promesses faites par les pays du G20 n ont pas été vaines. La réforme des structures bancaires ne réduira pas forcément le risque systémique La crise financière a aussi avivé le débat sur la question de savoir s il doit y avoir séparation des activités de banque commerciale et de banque d investissement. Cette idée nous vient d une crise financière antérieure, la Grande dépression des années 1930, qui a conduit à l adoption de la Banking Act of 1933 aux États-Unis (communément appelée la loi Glass-Steagall), laquelle a imposé de sévères restrictions aux activités des banques commerciales américaines sur les marchés des valeurs mobilières et rompu les liens entre les banques commerciales et les maisons de courtage en valeurs, l objectif étant de protéger le noyau du système bancaire commercial contre les problèmes financiers qui survenaient ailleurs dans le système financier dans la foulée du krach boursier de 1929. Les récentes propositions qui ont suivi la dernière crise financière ne sont pas si draconiennes. Aux États-Unis, la loi Dodd-Frank imposera des restrictions aux opérations pour compte propre des banques américaines, au moyen de ce qui est couramment appelé la règle Volcker. Par la même occasion, la commission Vickers au Royaume-Uni et le groupe Liikanen de l Union européenne ont proposé l encadrement de certaines des opérations bancaires intragroupes afin de réduire le financement des activités de banque d investissement par des dépôts adossés aux filets de sécurité publics 5. Les partisans de cette approche soutiennent que le maintien d une certaine distance entre les activités de banque commerciale et de banque d investissement offre deux types d avantages du point de vue de la stabilité financière 6. En premier lieu, ils considèrent que cette mesure protégerait le noyau du système bancaire commercial 5 Independent Commission on Banking, recommandations du rapport final, septembre 2012. Sur Internet : http://bankingcommission.independent.gov.uk; et Groupe d experts de haut niveau sur la réforme de la structure du secteur bancaire de l UE, Bruxelles, 2 octobre 2012. Sur Internet : http://ec.europa.eu/internal_market/bank/docs/high-level_expert_group/liikanen-report/final_report_en.pdf. 6 Ces avantages sont exposés en détail dans : A. Boot et L. Ratnovski. 2012. Banking and Trading, document de travail du FMI (WP/12/238), 2012. Sur Internet : http://www.imf.org/external/pubs/ft/wp/2012/wp12238.pdf. 6

contre les pertes provoquées par les activités risquées de banque d investissement. En second lieu, elle pourrait déboucher sur une meilleure répartition des ressources du point de vue de la société en limitant le financement des activités de banque d investissement par les activités de banque commerciale. La question de savoir si le Canada devrait adopter pareilles réformes se pose naturellement. Pour faire une analyse complète de leurs avantages, il faudrait prendre en compte tout un éventail de questions de fond touchant le secteur financier qui ne sont pas du ressort du BSIF. Cependant, trois points d ordre prudentiel méritent d être soulevés dans le contexte canadien. Tout d abord, les banques canadiennes offrent depuis de nombreuses années des services bancaires d investissement, surtout après avoir acquis les grandes maisons de courtage vers la fin des années 1980 et le début des années 1990. Ces acquisitions ont offert aux banques d importants avantages résultant de l effet de diversification, ce qui leur a permis depuis lors de faire face à plusieurs crises financières. Par exemple, les profits tirés des activités de banque d investissement ont permis aux banques, il y a quelques années, d absorber la forte dépréciation des prêts liée à leurs activités de banque commerciale. De même, les profits tirés des activités de banque commerciale au fil des ans leur ont permis d affronter les soubresauts épisodiques des marchés financiers. L introduction de réformes structurelles imposant une certaine séparation des activités de banque commerciale et de banque d investissement au Canada équivaudrait à opérer la poule dans l espoir de recueillir tous les œufs d or d un seul coup, les œufs d or étant, en l occurrence, une plus grande stabilité du système financier. À supposer qu une telle opération soit un jour pratiquée au Canada, il faudrait être réellement convaincu que les résultats de l intervention ne seront pas pires que les effets de la maladie. Deuxièmement, dans l hypothèse où le projet d encadrement pourrait être mis en pratique, dans quelle mesure les activités qui ne font pas partie du noyau redéfini du système bancaire seront-elles stables? L expérience a montré que les banques d investissement qui comptent sur les marchés de gros pour financer leurs opérations courantes peuvent devenir très fragiles en période de crise. De plus, les banques canadiennes sont des acteurs clés sur les marchés nationaux de capitaux et de dérivés et les marchés des changes. Si les activités de tenue de marché n étaient plus étroitement liées aux activités de banque commerciale, les banques pourraient avoir de la difficulté à fournir des liquidités aux marchés en période de crise. Troisièmement, il est à craindre que les parties des banques à l extérieur du périmètre de la réglementation acquièrent une importance systémique au fil des ans. Cela serait particulièrement vrai si le noyau du système bancaire national qui se situe à l intérieur du périmètre était davantage renforcé au moyen d exigences de fonds propres accrues, alors que les parties situées à l extérieur du périmètre faisaient l objet d exigences moins strictes. Dans un pareil monde, il pourrait être très attrayant pour les acteurs des 7

services financiers de passer du noyau aux parties moins réglementées situées à l extérieur du périmètre, dans l espoir de réduire leurs coûts. Nous avons déjà été témoins de ce genre de choses. Cela s appelait la titrisation. Compte tenu de ces craintes, existe-t-il d autres moyens d empêcher que certaines banques soient trop importantes pour faire faillite? Je crois que oui, et vous avez un important rôle à jouer à cette fin. Solutions possibles Tout d abord, si ces activités continuent d être exercées sous le même toit, il importe que la gouvernance d entreprise, les méthodes de gestion du risque, le contrôle interne, l infrastructure et les ressources de manière plus générale soient à même de permettre une saine gestion des activités et des risques s y rapportant. Il faut reconnaître que les banques cherchent constamment à s améliorer à cet égard. Et le BSIF les appuie en révisant régulièrement ses instructions réglementaires, par exemple sa ligne directrice sur la gouvernance, et en exerçant une haute surveillance qui tient compte de la taille et de la complexité des institutions. Deuxièmement, nous devons nous assurer que le système financier et les consommateurs sont en mesure de faire face à la faillite d une institution financière, quelle que soit sa taille ou sa complexité. C est dans cette optique que des réformes ont été entreprises ici au Canada et à l échelle internationale afin de favoriser la résilience des marchés financiers grâce à des projets comme le recours à des contreparties centrales. C est également dans cette optique que des travaux ont été amorcés pour améliorer la surveillance des activités bancaires parallèles. Enfin, troisièmement, nous devons nous assurer que toutes les institutions financières, quelle que soit leur taille ou leur complexité, peuvent rapidement et aisément faire l objet de mesures de résolution sans nous obliger à puiser en premier lieu dans le Trésor public et sans gravement déstabiliser l économie. Vous êtes les experts dans ce domaine, mais, à mon avis, la réalisation de cet objectif passe notamment par les activités suivantes : encourager les grandes institutions financières complexes à établir des plans détaillés de relance et de résolution, afin que nous n ayons pas à partir de zéro en période de crise lorsque le temps presse; veiller à ce que les institutions financières qui ne peuvent être menées doucement vers leur fin ou liquidées aient des fonds propres d urgence, afin que l on ait recours en premier lieu aux porteurs de capitaux de second rang lorsqu une institution a besoin de nouveaux capitaux; poursuivre le travail sur les politiques et procédures relatives aux banques relais, afin que les parties en bonne santé des institutions financières puissent 8

poursuivre leurs activités, tandis que les éléments toxiques feront l objet de mesures de résolution; et, bien entendu, veiller à ce que le cadre législatif et la réglementation fassent toujours l objet d un examen périodique, car les procédures légales et judiciaires ne cessent d évoluer, et il importe que les institutions financières puissent faire l objet de mesures de résolution de façon ordonnée. Ces réformes peuvent être d importants moyens à prendre pour que les grandes institutions financières complexes puissent, au besoin, être gérées à l intérieur même du système financier, sans déstabiliser l économie ni faire appel au Trésor public. Conclusion Comme je l ai dit au tout début, nous subissons encore les effets de la crise financière mondiale. La bonne nouvelle, c est que les réformes internationales comme Bâle III nous procureront un système financier mondial doté de plus de capitaux et de liquidités qu auparavant. Des poules plus dodues, si vous préférez. Ce système, conjugué à nos initiatives nationales en cours qui visent à favoriser la saine gouvernance, une meilleure culture de gestion du risque et un meilleur contrôle interne, devrait contribuer nettement à réduire la probabilité que des institutions financières se trouvent en difficulté. Parallèlement, un grand nombre d autres initiatives ont été lancées pour que le système financier et les consommateurs puissent faire face à la faillite d une institution financière. En tant qu assureurs de dépôts et de polices d assurance, vous avez un rôle important à jouer dans la conception et la mise en œuvre réussies de telles initiatives au Canada. Celles-ci contribueront dans une large mesure à réduire les conséquences économiques et financières des crises financières, et nous éviteront d avoir à effectuer des interventions chirurgicales intrusives chez les poules. Il reste beaucoup de travail à faire. Mais, au bout du compte, le système financier canadien sera plus sûr et plus résilient, et il pourra continuer à pondre des œufs d or pendant de nombreuses années encore. 9