REEDUCATION PERINEALE G. AMARENCO, J. KERDRAON Laboratoire d'urodynamique et de Neurophysiologie Service de Rééducation Neurologique. Hopital Rothschild La rééducation périnéale, grace à des techniques manuelles ou instrumentales (stimulation électrique fonctionnelle, rétro-controle), permet la prise de conscience et le renforcement des muscles pelviens. Si son indication principale demeure l'incontinence urinaire d'effort de la femme, d'autres indications ont vu récemment le jour (troubles ano-rectaux et génito-sexuels). 1 PRINCIPE ET TECHNIQUES DE LA REEDUCATION PERINEALE Le principe de la rééducation périnéale est fondé sur la possibilité de prise de conscience, d'éveil, de renforcement en puissance et en endurance, et de contraction réflexe en situation de stress de la structure musculaire striée urétrale et péri-urétrale, support essentiel des forces actives de la continence urinaire. Cette musculature striée et péri-urétrale va redevenir capable d'exercer une augmentation active, volontaire et/ou réflexe, simultanée et par anticipation, des pressions urétrales lors de la toux et plus généralement lors de l'effort, permettant, dans le cadre d'un appareil neuro-musculaire intègre, de conserver en permanence un gradient urétro-vésical positif, et de pallier ainsi à un éventuel déficit des facteurs passifs de la continence urinaire. Différentes techniques peuvent être utilisées au cours de la rééducation périnéale. La stimulation électrique est effectuée par électrodes endo-vaginale. De fréquences variables (de 10 à 50 Hz), avec des durées d'impulsions brèves (2 à 5 secondes avec temps de repos double), elle est avant tout utilisée pour favoriser le réveil de la contraction musculaire et la prise de conscience de la musculature pelvienne. Son intérêt dans le renforcement musculaire est plus discutable. Contre-indiquée en cas de 1
troubles sensitifs majeurs et de grossesse, elle doit être adaptée à une éventuelle dénervation dont on connait la fréquence en post-partum en raison de la possibilité d'une neuropathie périnéale d'étirement (1,9). Des courants à longue pente avec des temps de repos longs ainsi que des brèves séances sont alors indispensables pour stimuler les fibres dénervées (6). C'est dire qu'en cas de suspicion de neuropathie d'étirement du nerf honteux interne (accouchement difficile, prolongé, dystocique, forceps, bébé de poids élevé) ou d'inefficacité de la rééducation, des explorations électrophysiologiques devront être pratiquées permettant de moduler le type et les modalités de la rééducation (électromyographie de détection objectivant un processus neurogène périphérique, latence distale du nerf honteux interne à la recherche d'une lésion terminale de ce nerf, potentiels évoqués somesthésiques corticaux du nerf honteux, latence du réflexe bulbo-caverneux). La prise de conscience du périnée et de ses différents muscles peut être aussi manuelle, le kinésithérapeute effectuant des manoeuvres d'étirement et de sollicitation directe proprioceptive des muscles pelviens. Les exercices de contraction et de relaxation volontaires suivent cette phase de prise de conscience et d'éveil musculaire, préparant les exercices dynamiques. A cette phase, la mise en évidence et l'élimination de contractions antagonistes synergiques sont fondamentales. Ces co-contractions, périnéales, abdominales voire des membres inférieurs (adducteurs), peuvent en effet entraver le schéma du verrouillage périnéal normal et aboutir à une véritable inversion de commande musculaire. En raison de l'intervention de la posture et du lien de la statique lombo-pelvienne avec la contraction périnéale, l'ensemble des exercices devront être effectués en différentes positions (couchée, assise, debout, bassin rétroversé) (6). Le renforcement musculaire pourra se faire manuellement mais au mieux en appliquant les techniques de biofeedback (7,8). Ce rétrocontrole biologique est fondé sur la prise de conscience objective de la contraction musculaire périnéale, à l'aide de l'enregistrement et de la visualisation de cette dernière par l'intermédiaire de sondes intravaginales. Ces sondes utilisant des signaux électriques (électromyographie de surface des muscles périnéaux) ou manométriques (pression intra-vaginale), assurent une véritable auto-correction de l'exercice musculaire. Les différents paramètres de la contraction musculaire (vitesse, force, amplitude et endurance) sont ainsi analysés, 2
intégrés et renforcés. Ils peuvent être suivis par le testing périnéal. La durée de la contraction musculaire est variable (pouvant aller jusqu'à 10 secondes) avec un temps de repos soit équivalent, soit plus généralement double du temps de contraction. L'étape suivante est l'acquisition d'une contraction ("verrouillage") à l'effort devenant automatique et intégrée dans les activités de la vie quotidienne. Le biofeedback électromyographique permet l'apprentissage de ce verrouillage périnéal au cours de l'activité physique et ce en différentes positions. L'utilisation de cônes intra-vaginaux peut constituer un traitement complémentaire à ces exercices actifs mais reste à évaluer. 2 INDICATIONS DE LA REEDUCATION PERINEALE 2-1 L'INCONTINENCE URINAIRE A L'EFFORT DE LA FEMME Si le traitement de l'incontinence urinaire à l'effort de la femme n'a longtemps été que chirurgical, la rééducation périnéale constitue désormais une alternative et/ou un complément efficace. 2-1-1 Aspects physiopathologiques La continence chez la femme, assurée par des pressions de clôture constamment positives, est la résultante de deux composantes : d'une part une composante purement passive (tonus et compliance urétrales, transmission des pressions vésicales à l'urètre basée sur la théorie de l'enceinte manométrique d'enhörning(4)); d'autre part une composante active, sous-tendue par la musculature striée urétrale et péri-urétrale, permettant une augmentation volontaire et/ou réflexe, simultanée et par anticipation, des pressions urétrales lors des efforts (Tableau I). Toute défaillance de l'un ou plusieurs de ces facteurs pourra déterminer une incontinence urinaire à l'effort. Les forces actives viennent en complément des forces passives qui restent néanmoins importantes (2,3,5,10), la compliance urétrale assurant un certain degré de déformabilité de l'urètre permettant aux forces actives et passives de s'exercer. En cas de défaillance des mécanismes passifs (tableau I), le facteur actif reste seul en cause pour conserver en permanence un gradient urétro-vésical positif. Si l'appareil neuro-musculaire n'est pas totalement intègre (dénervation quelqu'en soit l'origine : neuropathie périnéale 3
d'étirement, atteintes radiculo-médullaires, neuropathies périphériques, etc...), cette composante active de la continence disparait avec apparition de fuites d'urine (1,9). 2-1-2 Les modalités de la rééducation La rééducation devra être modulée en fonction des données cliniques, urodynamiques voire électromyographiques en privilégiant selon les cas le travail de renforcement musculaire, le travail réflexe, le développement de synergies, le tout adapté à une éventuelle dénervation, et en tenant compte d'une éventuelle fatigabilité urétrale. C'est souligner la nécessité d'une exploration spécifique des différents paramètres de continence (tableau II) pour orienter la thérapeutique. L'incontinence urinaire à l'effort par défaut de transmission isolé des pressions vésicales à l'urètre, peut être efficacement traitée par la rééducation périnéale. Electrostimulation et réveil proprioceptif ne sont utiles qu'en cas d'abolition totale de la commande musculaire. Le travail par biofeedback électromyographique et/ou manométrique est en revanche fondamental (10 à 20 séances) en insistant tout particulièrement sur la composante à l'effort et la mise en situation. L'existence d'une fatigabilité urétrale peut modifier le programme thérapeutique avec nécessité d'exercices d'endurance en évitant en début de traitement des séances trop longues afin de ne pas épuiser les fibres musculaires. L'échec de cette rééducation ou la récidive de l'incontinence pourra conduire à une intervention de colposuspension. L'insuffisance sphinctérienne est un problème fréquent. Son existence contre-indique en théorie, toute intervention de colposuspension en cas de défaut de transmission associé ce qui est souvent le cas. C'est dire la nécessité d'une rééducation longtemps poursuivie en tenant compte d'une éventuelle dénervation par neuropathie d'étirement du nerf honteux interne. L'électrostimulation fonctionnelle est souvent utile, pouvant être complétée par un traitement à domicile grâce à l'utilisation d'un appareil miniaturisé portable pré-réglé. Les techniques de réveil et de renforcement musculaire par biofeedback sont fondamentales. Un traitement pharmacologique associé est souvent utile (alphastimulants par voie orale, oestrogènes par voie loco-régionale). En cas d'échec, si l'incontinence s'avère quantitativement et psychologiquement gênante, le seul recours sera chirurgical (sphincter artificiel). 4
Globalement, la rééducation périnéale est efficace dans plus de deux tiers des cas (8), avec des résultats se maintenant à moyen terme, justifiant son intérêt dans le traitement de l'incontinence urinaire de la femme. Dans la majorité des cas, 10 à 20 séances de rééducation sont suffisantes. En cas d'échec, il est exceptionnellement nécessaire de poursuivre la prise en charge. Dans tous les cas, l'auto-entretien est un facteur indispensable dans la pérénité des résultats. 2-2 LES AUTRES INDICATIONS 2-2-1 L'incontinence urinaire de l'homme, notamment secondaire à une insuffisance sphinctérienne par exemple après chirurgie prostatique, doit bénéficier d'une rééducation longtemps poursuivie car les drogues alpha-stimulantes étant peu efficaces, la seule alternative demeure l'implantation d'un sphincter artificiel. 2-2-2 L'incontinence urinaire par hyperactivité vésicale peut dans certain cas être améliorée par la rééducation périnéale grace au renforcement du réflexe périnéodétrusorien. La stimulation électrique périnéale peut aussi inhiber l'hyperactivité vésicale. 2-2-3 Les troubles ano-rectaux sont une bonne indication de rééducation périnéale. L'incontinence fécale (gaz, matières, solides) est améliorée par le travail en rétrocontrole du sphincter anal. La dyschésie ano-rectale par anisme nécessite une rééducation manométrique pour le réapprentissage du synchronisme abdomino-pelvien. 2-2-4 Les troubles génito-sexuels tant de l'homme que de la femme peuvent bénéficier de tecnhiques de rééducation périnéale. C'est ainsi que certain troubles de l'érection (défaut de maintien par déficience de la musculature périnéale et tout particulièrement des ischio-caverneux) peuvent bénéficier d'un renforcement par biofeed-back; de même cette technique a pu donner de bon résultats au cours de l'éjaculation précoce. L'hypoorgasmie de la femme (par exemple dans le cadre d'une neuropathie du plancher pelvien) peut être accessible à une rééducation proprioceptive pelvienne avec renforcement musculaire. 5
FORCES PASSIVES FORCES ACTIVES LES FACTEURS DE CONTINENCE 1 ) Tonus urétral statique 2 ) Compliance urétrale 3 ) Transmission des pressions vésicales à l'urètre 1 ) Contraction périnéale volontaire 2 ) Réflectivité urétrale à l'effort 3 ) Endurance urétrale (fatigabilité) Tableau I : Les différents facteurs de continence chez la femme LES FACTEURS Tonus urétral statique Compliance urétrale Transmission des pressions vésicales à l'urètre Contraction périnéale volontaire Réflectivité urétrale à l'effort Endurance urétrale (fatigabilité) LES METHODES D'EXPLORATION Prise des pressions urétrales Etude de la compliance par cathéters de calibre croissant Analyse du ratio de transmission à la toux Effort de contraction volontaire (amplitude et durée) en pression urétrale maximale Analyse du spectre de puissance du signal EMG du sphincter strié lors de la toux Etude de 4 profils urétral au décours de 6 efforts de toux Tableau II : Les méthodes d'investigation des différents facteurs de continence chez la femme. REFERENCES 1- AMARENCO G., KERDRAON J., LANOE Y. "Neuropathie périnéale d'étirement et incontinence urinaire. Physiopathologie, diagnostic et indication thérapeutique" Ann. Urol., 1990,24, N 6, 463-466 2- CAINE M. "Peripheral factors in urinary incontinence" J.Urol., 92:521-530, 1986 3- CONSTANTINOU C., GOVAN D. "Spatial distribution and timing of transmitted and reflexly generated pressures in healthy woen" J.Urol., 127: 964-969, 1982. 4- ENHORNING G. "Simultaneous recording of intravesical and intraurethral pressure; A study on urethral closure in normal and stress incontinent women" Acta Chir. Scand. (Suppl.), 276: 1-68, 1961. 5- HEIDLER H., CASPER F., THUROFF J. "Role of striated sphincter muscle in urethral closure under stress conditions : an experimental study" Urol.Int., 42:195-200, 1987 6- MINAIRE P., BLANCHON M.A., SABOT E., LYONNET A. "La rééducation de l'incontinence urinaire" J.Réad.Med., 8, 3/4, 111-115, 1988 7- PERRIGOT M., BRISSOT R., LE COZ M.T. "La rééducation périnéale en biofeedback" J. Réadapt. Med, 4,1, 5-7, 1984 8- SENGLER J., PETER M., JURASCHECK F., GROSSE D. "Place de la rééducation dans le traitement de l'incontinence urinaire féminine" Ann. Réadapt. Med. Phys., 30, 127-142, 1987 6
9- SNOOKS S., SWASH S. "Abnormalities of the innervation of the urethral striated sphincter musculature in incontinence" Br.J.Urol., 56: 401-405, 1984 10- THIND P., LOSE G., JORGENSEN L., COLSTRUP H. "Variations in urethral and bladder pressure during stress episodes in healthy women" Br.J.Urol., 66:389-392, 1990 7