Le Contrôle Judiciaire Socio-Éducatif (CJSE). Christophe WarmÄ (psychologue clinicien). AprÄs quelques annåes de pratique professionnelle dans le champ du CJSE, j ai pu percevoir le manque d informations d un grand nombre sur cette mesure judiciaire. La perception premiäre, si elle existe, est souvent celle d un É pointage Ñ au commissariat. Aussi, il m a semblå intåressant de pouvoir retracer les grandes lignes de cette mesure Ö travers sa constitution historique, les principaux ÅlÅments de son cadre et un regard sur ma pratique. Les grandes dates du contrôle judiciaire socio-éducatif : Le contrüle judiciaire a ÅtÅ instituå par la loi Ná 70-643 du 17 juillet 1970. Au cours de la phase prå-sentencielle (avant l audience) cette loi introduit une mesure intermådiaire entre l incarcåration et la libertå. Ainsi, le contrüle judiciaire est appråhendå comme un substitut Ö la dåtention provisoire, permettant de diminuer le nombre de mis en examen au sein des maisons d arràt. L aspect socio-åducatif de la mesure est dåjö pråsent en 1970. Cependant, la finalitä sociale et Äducative, präsentäe de faåon Äquivoque, ne se dämarquait pas clairement de la finalitä policiçre et coercitive de la mesure 1. Par la suite, le sens de cette mesure a ÅtÅ dåveloppå par certaines circulaires, comme celle du 28 dåcembre 1970. Par la circulaire du 04 aoât 1982, Robert BADINTER, ministre de la Justice de l Åpoque, institue le contrüle judiciaire Ö caractäre socio-åducatif. Cette circulaire transforme le contrüle judiciaire en un outil dont la fonction serait moins de se substituer É la dätention provisoire que d assurer un traitement des causes de la dälinquance dçs le däbut du procçs pänal 2. De part la dimension socio-åducative, c est Ö cette Åpoque que la prise en charge du contrüle judiciaire par le secteur associatif apparaät le plus conseillå. Le contrüle judiciaire trouve sa consåcration lors de la parution de la loi Ná 2000-516 du 15 juin 2000. 1 C. CARDET, Le contrüle judiciaire socio-åducatif : Substitut Ö la dåtention provisoire entre surveillance et råinsertion, L Harmattan, 2000, p. 44. 2 Ibid. p. 51. 1
Ainsi, il est clairement indiquå que la mesure de contrüle judiciaire peut àtre confiäe Ö non seulement É Ö toute autoritä Ü mais Ägalement É toute association Ü habilitäe, ce qui constitue une reconnaissance lägale de la place occupäe par le champ associatif dans la mise en œuvre du CJSE 3. De plus, les termes de É mesures socio-åducatives Ñ apparaissent de maniäre explicite dans le Code de ProcÅdure PÅnale. L article 50-3á de la Loi indique que les autoritås ou associations dåsignåes pour exercer la mesure, pourront utiliser les mesures socio-åducatives destinåes Ö favoriser l insertion sociale et Ö pråvenir la råcidive. Le cadre de la mesure : - L ordonnance de CJSE : Une association est mandatåe en tant que personne morale pour la mise en place du contrüle judiciaire socio-åducatif. La dåsignation se fait par une ordonnance de placement sous contrüle judiciaire. Elle peut àtre saisie par : - Un juge d instruction Ö tout moment de l instruction, c est-ö-dire, au moment de la mise en examen ou suite Ö une påriode de dåtention provisoire. - Un juge des libertås et de la dåtention selon deux possibilitås : 1- Lorsque ce dernier est saisi par un juge d instruction dans les cas d un placement en dåtention provisoire, de la prolongation de la dåtention, de rejet d une demande de mise en libertå ou de maintien en dåtention apräs requalification. 2- Sur råquisition du Procureur de la RÅpublique, le magistrat prononcera cette mesure dans le cadre d une comparution par procäs-verbal. De multiples informations figurent sur cette ordonnance concernant le justiciable : son identitå, son lieu d håbergement ou de domiciliation, qui permet Ö l association de prendre contact avec l intåresså, si celui-ci ne s est pas vu remettre une convocation par le Tribunal de Grande Instance. Nous trouvons aussi les chefs d inculpation, la date de la mise sous CJSE, ainsi que le magistrat qui mandate. 3 Ibid. p. 54. 2
Sur cette ordonnance figure l ensemble des obligations auxquelles la personne mise sous CJSE doit råpondre le temps de la mesure, selon l article 138 du code de procådure pånal. Afin de percevoir le sens donnå Ö cette mesure, nous citerons celles qui, d apräs notre pratique, nous semblent les plus fråquemment posåes par les magistrats. 1- Ne pas sortir des limites du territoire national (limites pouvant parfois se restreindre Ö une rågion, un dåpartement, une commune). 2- Informer le magistrat de tout dåplacement au-delö des limites dåterminåes par ce dernier. 3- Se pråsenter påriodiquement Ö l association dåsignåe par le magistrat pour l application de la mesure. 4- Se pråsenter au commissariat ou Ö la gendarmerie indiquåe sur l ordonnance, selon la fråquence Åtablie. 5- RÅpondre d une activitå professionnelle, de l assiduitå Ö un enseignement ou aux mesures socio-åducatives destinåes Ö favoriser son insertion sociale et Ö pråvenir la råcidive. 6- S abstenir de rencontrer certaines personnes spåcialement dåsignåes par le magistrat, ainsi que d entrer en relation avec elles de quelques faãons que ce soit. 7- Se soumettre Ö des mesures d examen, de traitement ou de soins, pouvant àtre spåcifiås par le magistrat : toxicomanie, psychiatrique, violences conjugales, etc. 8- En cas d une infraction commise soit contre son conjoint ou son concubin, soit contre ses enfants ou les enfants de ce dernier, råsider hors du domicile ou de la råsidence. Lorsque le terme obligation est indiquå, il faut comprendre obligation et interdiction. Concernant la pratique du contrüleur judiciaire, ce dernier a essentiellement une possibilitå de regard sur les obligations, Ö travers des justificatifs apportås par la personne sous contrüle judiciaire. Quant aux interdictions, elles sont plutüt du registre de la vårification par d autres corps professionnels tels que la police, la gendarmerie. Ces derniers sont fråquemment saisis par le magistrat concernant un É pointage Ñ du justiciable. Lors du premier entretien, le professionnel socio-judiciaire pråsente la mesure Ö l intåresså oå figure ses obligations. Il l informe aussi de ses droits, tels que la possibilitå de solliciter la mainlevåe du contrüle judiciaire ou une demande de modification concernant une ou plusieurs 3
de ses obligations. Il lui appartient de le faire, soit directement, soit par l intermådiaire de son avocat, aupräs du magistrat concernå. L association ne peut se substituer au justiciable. Par contre, un Åcrit peut venir accompagner la demande, si elle s inscrit dans un projet facilitant, permettant l insertion de l individu. Le contrüle judiciaire peut àtre vu Ö court ou long terme. Il est dit court dans le cadre d une comparution immådiate ou lors d un contrüle judiciaire par procäs verbal (CJPPV). Ce type de contrüle judiciaire est É audiencå Ñ au sein du tribunal correctionnel (affaires dålictuelles). Le dålai du contrüle judiciaire est de quelques semaines, voir quelques mois. Dans ce cas, l ordonnance voit figurer la future date et la chambre pour l audience. Pour un contrüle judiciaire long, dans le cadre d une instruction (affaires criminelles ou dålictuelles), la mesure peut aller de quelques mois Ö plusieurs annåes. La date d audience n est donc jamais indiquåe au dåpart de la mesure. De la longueur de l instruction dåpendra la forme de la prise en charge par le professionnel. Ainsi, un contrüle judiciaire court peut parfois donner l impression de se faire dans l urgence, autant pour le professionnel que le justiciable, ne laissant pas poindre l idåe d une stabilitå. A l inverse, un contrüle judiciaire trop long peut retirer le sens accordå Ö la mesure. - Profil du professionnel : DÄs la råception du mandat, un intervenant socio-judiciaire dåsignå par l association prend en charge l intåresså mis sous CJSE. Le statut du contrüleur judiciaire est celui d Åducateur spåcialiså. Initialement, le professionnel peut avoir une formation d Åducateur, de juriste ou de psychologue (la plus fråquente). La formation de base peut s avårer pertinente vis-ö-vis des objectifs de la prise en charge du CJSE. - Le sens du contrôle judiciaire : Le contrüle judiciaire est une mesure de såcuritå publique, favorisant la repråsentation en justice de la personne mise en examen. Elle va aussi permettre Ö l auteur pråsumå de l infraction, d Åviter le caractäre dåsocialisant de l emprisonnement, mais aussi, de ne pas bånåficier de la libertå totale. 4
C est aussi une mesure d accompagnement Ö plusieurs niveaux : Åducatif, social et psychologique. La dimension socio-åducative du contrüle judiciaire Ö pour but de restaurer ou maintenir les liens sociaux, familiaux, professionnels et de pråvenir la råcidive. Le travail d Ålaboration mis en place avec l individu permet aussi de le pråparer Ö sa future audience. Cela passe notamment par une råflexion sur le passage Ö l acte, quand celui-ci est reconnu. L objectif est que l auteur assume ses responsabilitås et la sanction encourue. Pour effectuer un tel accompagnement, il est nåcessaire que l intervenant socio-judiciaire soit porteur d une pluralitå de compåtences et de connaissances dans diffårents domaines, tels que le soin, l håbergement, le secteur professionnel, etc. A cela, il faut ajouter la nåcessitå d un råseau partenarial stable sur lequel le professionnel peut s appuyer dans sa pratique. Cependant, l intervenant doit toujours garder Ö l esprit que le justiciable doit se montrer le plus actif possible dans l ensemble de ses dåmarches. Le contrüleur judiciaire peut àtre amenå Ö se positionner selon diffårents registres : contrüleur, accompagnateur L orientation vers divers secteurs, råpondant aux obligations, a pour but de råsoudre les difficultås de l individu. Face Ö la mesure, la personne sous main de justice peut råpondre Ö ses obligations afin de s assurer une tranquillitå vis-ö-vis de l instance judiciaire. La finalitå est d amener l individu Ö prendre conscience que ce qu il a pu percevoir comme des contraintes, sont surtout des points d accroches lui permettant de pråsenter un nouveau visage (celui de la råinsertion) aux yeux de la justice. Cette prise de conscience peut se faire däs le dåbut de la mise en examen de l individu. La justice se positionne symboliquement comme un instigateur de limites. Parfois, un våritable travail d Åcoute, de communication est nåcessaire pour faire naätre, chez l individu, une råflexion sur son rapport Ö la loi, Ö la sociåtå. Une majoritå d intervenant socio-judiciaire ayant une formation de psychologue clinicien, permet de passer au-delö de la dimension de contrüle pour entamer un våritable travail d Åcoute de la personne. Ce travail va permettre, lorsque c est possible, de cråer un våritable lien de confiance avec le justiciable, base de la relation Åducative. 5
Evidemment, les entretiens de contrüle judiciaire ne doivent pas se substituer Ö une prise en charge psychologique ou psychiatrique, mais plutüt aider Ö l Åmergence d une telle demande. Le contrüleur judiciaire reãoit le justiciable selon une fråquence pouvant àtre demandåe par le magistrat ordonnateur (ex : une fois par semaine). Cette fråquence peut aussi àtre Ö l initiative de l intervenant celle lui semblant la plus pertinente pour la prise en charge de l individu. Concernant ce suivi, l intervenant socio-judiciaire se doit de transmettre de maniäre råguliäre au magistrat, des informations sous formes de rapports Åcrits, sur la situation de l intåresså et le respect de son contrüle judiciaire. Ces rapports permettent au magistrat de conserver un regard aviså sur le mis en examen et son Åvolution. Afin de pråserver la relation de confiance, les rapports peuvent àtre lus Ö l intåresså avant l envoi vers le magistrat. - Fin de la mesure : Lorsque le CJSE se termine, l association mandatåe est avertie par le tribunal. Cette fin de mesure doit donner lieu Ö un rapport råsumant le parcours de la personne. Le contrüle judiciaire peut se terminer de diverses maniäres. Il peut y avoir une mainlevåe, une ordonnance de non-lieu, un placement en dåtention provisoire, le jugement. En cas de renvoi de l audience Ö une date ultårieure, le CJSE peut àtre maintenue. L association s en voit informåe par une ordonnance de renvoi et continue la prise en charge de l intåresså selon les mesures indiquåes. Une pratique du CJSE : D un point de vue thåorique, le contrüle judiciaire socio-åducatif pråsente une certaine linåaritå concernant sa structure, ses objectifs. Cependant, la pratique de cette mesure au sein du secteur associatif apparaät avec un manque d uniformitå selon les associations. L intervenant socio-judiciaire n a pas toujours le màme statut (bånåvole, salariå) au sein de l association. 6
De plus, comme nous l avons indiquå pråcådemment, la formation initiale du professionnel peut s avårer dåterminante dans la prise en charge du justiciable, malgrå la formation commune Ö la fonction de contrüleur judiciaire pouvant exister au sein du secteur associatif. L engagement quantitatif de l association sur la mesure de CJSE peut avoir une råpercussion qualitative. Ainsi, selon les associations, nous trouvons une file active par intervenant sociojudiciaire pouvant varier du simple au double. L engagement du professionnel ne prendra pas la màme dimension concernant les problåmatiques Ö råsoudre selon le temps qui peut àtre apparti Ö chaque justiciable. Nous pouvons concevoir que la qualitå de travail est diffårente selon le temps d entretien, la fråquence des rendez-vous, une file active de 50 Ö 80 CJSE par intervenant. La dimension socio-åducative dåpend de divers facteurs : la relation du justiciable avec le professionnel, le dåsir d insertion ou de råinsertion de l intåresså, des obligations mises en place sur l ordonnance de contrüle judiciaire, de la relation existant entre l intervenant sociojudiciaire et le magistrat. Une bonne compråhension du cadre par la personne sous main de justice lors de ses premiers contacts avec le professionnel peut s avårer dåterminante pour la suite de la mesure. MalgrÅ la meilleure volontå de l intervenant, la rencontre avec l intåresså, parfois, ne se fera pas. De lö, peut dåcouler une pratique dont le justiciable ne prendra en compte que la dimension judiciaire par son simple caractäre de pråsentation des justificatifs aupräs de son contrüleur judiciaire. Parfois, il ne respecte pas certaines ou l ensemble de ses obligations. Le professionnel se doit d en avertir le magistrat par l intermådiaire de ses rapports. La råalitå du terrain a pu dåmontrer que la communication entre les diffårents professionnels de la chaäne judiciaire n est pas toujours des plus simple. Ainsi, la charge de travail impartie au contrüleur judiciaire s aväre parfois si importante que ce dernier n arrive pas Ö respecter ses engagements, notamment sur ses Åcrits. Les rapports aux magistrats font l objet d un protocole dans le temps (ex : premier rapport Ö un mois, les suivants tous les X mois). Rapidement, le respect de cette pratique peut s avårer difficilement råalisable, surtout si l intervenant socio-judiciaire multiplie les fonctions (enquàte de personnalitå ou autres ). 7
D un autre cütå, certains Åcrits de l intervenant socio-judiciaire peuvent rester sans råponse. Ainsi, le contrüleur judiciaire Åmet des rapports de carence lorsque l intåresså ne se pråsente plus au sein de l association, sans connaätre la suite donnåe Ö cet Åcrit. Par ailleurs, il se peut que le professionnel ne se voit pas averti des modifications ou d une Åvolution de la mesure (fin de l instruction, changement de magistrat, etc.). Ces manques de communication peuvent avoir une influence sur la crådibilitå du professionnel et la dimension socio-åducative dans la perception du justiciable, alors qu il y a nåcessitå d un cadre judiciaire stable face Ö des problåmatiques transgressives. Le non respect des obligations qui ne trouvent pas de råpondant, le manque de visibilitå d un des intervenants de la chaäne judiciaire sur le parcours de la personne mis sous main de justice, sont des lacunes pouvant entraver les possibilitås d insertion ou de råinsertion de l individu, et par lö, intervenir sur la notion de råcidive. De màme, nous pouvons nous interroger lorsque la mesure de CJSE perdure des annåes. La mise sous main de justice intervient comme une mise sur pause dans la vie de l intåresså (il y a une difficultå Ö se projeter dans l avenir), notamment par l angoisse que suscite la dåcision judiciaire finale dans l imaginaire (angoisse de l incarcåration, l enfermement). L angoisse la plus forte est celle d àtre incarcårå, entraänant l impossibilitå pour nombre de sujets de construire des projets Ö long terme. Ainsi, comme l Åcrit Christophe CARDET : La mesure de contràle judiciaire a pu âtre Ägalement assimiläe É une forme d arrestation 4. Le sujet perãoit un paradoxe Ö la mesure lorsqu il s astreint Ö trouver une activitå professionnelle, s autonomise concernant son logement, fonde une famille et se voit condamnå Ö une peine de prison ferme. Bien sâr cet exemple n est pas le plus fråquent. Un grand nombre de mesures trouve une finalitå dans une peine avec un sursis simple, une mise Ö l Åpreuve, si nåcessaire, la prison ferme ayant ÅtÅ effectuåe en amont pendant la dåtention provisoire. 4 Ibid. p. 27. 8