Rencontre 11 octobre 2017 «Qualité de vie au travail et santé des dirigeants» Dr Fabienne LOZE Médecin du travail Service de Santé au Travail Dans mes pratiques quotidiennes de médecin du travail, j ai pu faire à ce jour, le constat suivant : on parle de plus en plus de la qualité de vie au travail et pourtant les salariés considèrent que les conditions de travail se dégradent de plus en plus. Les attentes et les exigences des salariés sont de plus en plus fortes en terme de santé au travail, on n accepte plus de souffrir : souffrir physiquement, souffrir psychologiquement Et pourtant, le monde du travail est bien loin de celui de Zola. Ce bien-être au travail ne doit pas être confondu avec un état de santé parfait ; des salariés souffrant d un handicap ou de maladies chroniques peuvent ressentir un bien-être au travail. Qu est-ce qui contribue à la qualité de vie au travail? C est : 1. L autonomie dans le travail, la capacité d agir. 2. Le sentiment d être utile et efficace, faire un travail qui a du sens. 3. L engagement dans les projets de l entreprise. 4. Le sentiment de sécurité 1
quant à l avenir professionnel. 5. Le droit à l erreur. 6. La capacité à s exprimer. 7. Le travail en sécurité. Les indicateurs de la qualité de vie au travail sont multiples : Les taux d accident de travail, les maladies professionnelles dont les troubles musculo-squelettiques, l absentéisme, le turnover, les demandes de mutation, les retards répétés non motivés, les congés non pris. Ces indicateurs sont des signaux d alerte pour l employeur. Pour mesurer la qualité de vie au travail dans une entreprise, on peut utiliser trois modèles : Le modèle de KARASEK : qui évalue à l aide d un questionnaire l intensité de la demande psychologique à laquelle est soumise le salarié, la latitude décisionnelle et le soutien social et professionnel. La situation à risque pour la santé est une demande psychologique forte et une latitude décisionnelle faible ; on appelle cela le JOB-STRAIN. Le modèle de SIEGRIST : ce questionnaire est basé sur les efforts et la récompense. La situation à risque pour la santé est l effort qui dépasse la récompense. La Politique de SQVT en entreprise doit structurer des espaces de parole pour conduire des échanges sur les tensions collectives et individuelles car toute tension mise à jour constitue une opportunité d amélioration du fonctionnement collectif. La loi travail introduit la reconnaissance des outils numériques pour favoriser le droit d expression qui vise à améliorer la qualité de vie au travail. La loi travail introduit également le droit à la déconnexion qui constitue le droit des salariés à ne pas répondre aux courriels et autres messages en dehors des heures de travail. Cette mesure sert à garantir un équilibre et donc à réduire le burnout. Le burnout est un épuisement psychologique, émotionnel, professionnel avec une dépersonnalisation, un manque de concentration, d intérêt, une fatigue physique. Dans 40 % des cas, les causes sont à rechercher dans les facteurs personnels et dans environ 60 %, dans les facteurs organisationnels au travail. 2
Afin d éviter ce burnout, l évaluation des risques psychosociaux dans l entreprise est à mettre en place et à formaliser. Selon l INRS, les risques psycho-sociaux incluent le stress, les violences externes à l entreprise (c est-à-dire les relations avec les clients, les usagers), et les violences internes à l entreprise (entre collègues, avec la hiérarchie et on pourra parler dans ce cas de harcèlement moral). Quand survient un état de stress? lorsqu il y a un déséquilibre entre la perception qu a un salarié des contraintes que lui impose l environnement de travail et la perception qu il a de ses propres ressources pour y faire face. Les effets du stress n affectent pas que la santé psychologique mais aussi la santé physique du salarié : tels que l hypertension, les vertiges, les acouphènes, l inflammation de l appareil digestif, les troubles du sommeil, les comportements addictifs, la fatigue, les pleurs, les troubles de la concentration. Selon l article L.4121-1 du code du travail, l employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et, selon l article R.4121-3, l employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs. L évaluation des risques psychosociaux est donc une obligation légale, les risques psychosociaux doivent être traités comme un autre risque : on repère les situations critiques, on évalue le degré d exposition et on en met en œuvre des mesures de prévention. La prévention primaire doit concentrer l essentiel des décisions du plan d action ; on doit agir en amont des facteurs de stress, cette démarche est collective et centrée sur l organisation du travail. La prévention secondaire doit gérer le stress en limitant le risque par des formations, des espaces de dialogues, la mise en place d une cellule d écoute. La prévention tertiaire doit permettre la prise en charge des salariés en souffrance et le retour au travail des salariés après un long arrêt, grâce à des aménagements du poste. Cette dé- 3
marche est curative. Le médecin du travail accompagne l employeur dans cette démarche préventive. Dans cette démarche de prévention se succèdent cinq phases : 1. Recherche des indicateurs : turnover des salariés, accident du travail, maladie professionnelle, dont les troubles musculo-squelettiques, nombre de visites médicales à la demande des salariés, des employeurs, des médecins du travail, inaptitudes définitives au poste de travail. 2. Constitution d un groupe projet qui accompagne la démarche préventive de l information des salariés aux pistes d actions ; ce groupe projet appelé comité de pilotage est composé le plus souvent de La Direction, avec le/la DRH, les délégués du personnel et des salariés légitimés par leurs pairs. Ce comité de pilotage doit être formé à la compréhension et à l analyse des risques psychosociaux. 3. Phase de diagnostic : des entretiens collectifs avec les différentes équipes de travail, voire des entretiens individuels permettent de faire surgir des situations vécues comme problématiques. Une analyse des situations de travail est réalisée en objectivant les situations à problèmes. Ce diagnostic est communiqué à l ensemble des salariés par le comité de pilotage. 4. Elaboration d un plan d action : qui définit et priorise des actions concrètes. 5. Création d un tableau de bord de suivis des indicateurs et évaluation des actions. Le comité de pilotage aura en charge la maintenance du tableau de bord et devra, tout au long de la démarche en référer aux salariés. La direction finalise cette démarche dans le document unique d évaluation des risques professionnels. Un cas concert Voici une intervention qui illustre concrètement les propos préliminaires. Cette intervention a été réalisée en binôme : médecin du travail, psychologue du travail, dans un institut éducatif appelé maison d enfants qui accueille des jeunes de trois à dixhuit-ans au titre de la protection de l enfance. Ces enfants sont placés par décision de justice ou de l aide à l enfance. Cet institut accueille quarante jeunes environ et est composé d une 4
cinquantaine de salariés : des éducateurs spécialisés, des maîtresses de maison, des assistantes familiales, des chauffeurs de minibus, des veilleurs de nuit, des cuisiniers, du personnel administratif (secrétariat, comptabilité) et une Direction (composée d un Directeur et d une DRH) J ai tout d abord été interpellée par plusieurs faits qui sont devenus de réels indicateurs : c est-à-dire un nombre important et en recrudescence de visites médicales à la demande des salariés (j entends aussi les responsables de service et la Direction), une augmentation des accidents de travail, un turnover important avec des départs volontaires des salariés, des congés maladies fréquents. La plupart de ces indicateurs traduisaient une nécessité pour le salarié de s extraire de situations de travail pouvant être pathogènes. Certains salariés exprimaient une inquiétude vis-à-vis des changements de directions répétitifs (trois directeurs en sept ans) ; ainsi ressortaient une incertitude sur les objectifs de travail, la sécurité de l emploi, l organisation du travail. Ils s inquiétaient aussi vis-à-vis de l absentéisme important qui entraînait une surcharge de travail temporaire des équipes, une gestion des remplacements à la hâte par le service Ressources Humaines, une gestion des congés et même des interrogations des enfants pris en charge dans l établissement. Nous avons donc (le psychologue du travail et moi-même) rencontré La Direction et les différents responsables de services pour exposer ce constat et, avec leur accord, nous, leur avons fait part de notre volonté de réaliser une analyse que nous appellerons psychosocioprofessionnelle en vue d une démarche préventive des risques psychosociaux dans leur établissement. Des entretiens collectifs par métier ont été réalisés pour mettre en évidence des problématiques transversales tout d abord et ensuite des problématiques propres à chaque service (problématique étant sources de stress). Dans les problématiques transversales ressortaient : le manque de soutien de la direction. le manque de clarté des tâches à réaliser. 5
L inquiétude sur leur avenir La conciliation difficile : travail/hors travail à cause surtout d horaires atypiques Le manque de reconnaissance de la dimension éducative de certains métiers. Certains salariés notamment des responsables de services, ont émis le souhait d entretien individuel avec le psychologue du travail. A ce stade nous n avons pas eu recours aux modèles de KARASEK ou SIEGRIEST car les facteurs de stress étaient évidents. Nous avons constitué un groupe projet avec La direction, un délégué du personnel et des salariés volontaires légitimés par leurs pairs. Nous avons formé ce groupe projet à la compréhension des risques psychosociaux et à l analyse des risques psychosociaux. Ce groupe projet, appelé comité de pilotage avait pour mission d accompagner la démarche prévention de l information aux salariés aux pistes d action. Nous avons proposé des pistes d action avec un plan d action par unité de travail ; un responsable de chaque action s est désigné ; nous avons planifié les actions en les hiérarchisant. Des groupes d analyse de pratique ont été mis en place ; pour chaque action, nous avons donné un objectif avec un descriptif d action. Ce calendrier a été présenté à l ensemble des salariés par le comité de pilotage. Ces différentes actions étaient, en autres : La coopération transversale avec mise en place de rencontre sur un projet commun ; création ainsi d espace de discussion. La valorisation de la dimension éducative des différentes unités de travail ; acceptation du rôle éducatif des chauffeurs du minibus, des cuisiniers, des veilleurs de nuit, par tous les corps de métiers. Le fonctionnement de chaque unité de travail en autonomie avec une latitude des tâches nécessitant la confiance de la direction. L implication des équipes de travail dans la gouvernance de l établissement grâce à un dialogue social en élaborant des objectifs d organisation de travail. La création de protocole pour des situations d urgences telles que l agressivité physique d un enfant vis- 6
à-vis d un salarié de l établissement. La création de fiche de poste pour redéfinir les responsabilités de chacun. L anticipation des plannings, des emplois du temps et des congés des salariés pour un respect de l équilibre vie professionnelle/vie privée. Le comité de pilotage a évalué progressivement l impact de ces actions sur le travail réel dans chaque unité de travail et a ainsi créé un tableau de bord des indicateurs. A chaque étape, le comité de pilotage a tenu informé l ensemble des salariés. Cette démarche de prévention secondaire voire primaire est maintenant intégrée au management de l établissement et formalisée dans le document unique d évaluation des risques professionnels. L impact de cette démarche est objectivé grâce à un outil numérique comparatif des indicateurs. Cette intervention met en évidence la mission du Service de Santé au Travail dans l amélioration de la qualité de vie au travail. Le médecin du travail et son équipe pluridisciplinaire d intervenants en prévention des risques professionnels accompagne l employeur dans sa démarche préventive d amélioration des conditions de travail en prenant en compte non seulement les risques physiques mais aussi les risques psychosociaux dans son entreprise. Ainsi, la performance et l engagement des salariés ne seront que plus forts. 7