SEMINAIRE SFMU 2003 PRISE EN CHARGE D UN TRAUMATISME DU GENOU Docteur Alain FREY, Docteur Aurélie BRANA SAU C.H.I. Poissy St Germain en Laye 10, rue du Champ gaillard 78300 Poissy I INTRODUCTION : L examen clinique d un genou traumatisé est difficile en urgence mais l interrogatoire permet de retrouver le mécanisme causal et de s orienter vers un diagnostic probable. Le médecin, même chevronné, doit parfois se contenter d un bilan radiologique avant de pouvoir examiner cet articulation correctement. Quand le genou est examinable, les signes cliniques sont nombreux et riches d enseignement; les pathologies sont variées mais pour certaines le diagnostic ne se fera que lors d une deuxième consultation. C est une articulation souvent touchée dans les activités sportives et qui représentent un nombre important de patients se présentant dans un service d urgence. II MECANISMES LESIONNELS : L interrogatoire prend une place capitale pour cette articulation ; en effet, essayer de connaître le mécanisme permet déjà une orientation diagnostique majeure. Traumatismes directs avec contact: Un choc direct sur le genou en fonction de l impact peut provoquer des lésions des parties molles et des lésions osseuses. Les lésions ainsi retrouvées sont fonction de la force d impact et du terrain sous-jacent. Le choc peut être soit latéral soit frontal. Si le pied est en appui, la transmission de l énergie cinétique est souvent importante avec des lésions potentiellement graves. - Un placage au rugby par l arrière avec un impact sous le genou pied en appui peut être à l origine d une lésion du ligament croisé antérieur (LCA) associée ou non à une lésion du ligament collatéral médian (LLI) et des ménisques. - Un choc direct de dedans en dehors en extension comme au rugby peut entraîner une luxation de la rotule. - Un choc direct contre le tableau de bord (traces impact antérieur sous le genou) atteint surtout le ligament croisé postérieur (LCP +/- complet) - Un choc latéral en appui entraîne souvent des lésions du LLI, du point d angle postéro-interne (PAPI), ou des fractures articulaires des plateaux tibiaux - Un récurvatum forcé peut entraîner une luxation du genou dans le plan sagittal. Traumatismes indirects sans contact: Un mouvement en valgus flexion rotation externe (VFE) classique lors de la pratique de certaines activités physiques expose à des lésions ligamentaires bien précises comme d autres mécanismes tels que le varus en rotation interne (VRI), l hyperextension, la flexion forcée. Plusieurs situations sont rencontrées : - la position assise prolongée, genoux fléchis peut entraîner des problèmes rotuliens (voiture ou cinéma par exemple) - Un craquement voire un blocage en se relevant d une position accroupie ou flexion appuyée puis remise en extension accompagnée est en faveur d une pathologie méniscale. - Un coup de pied dans le vide en ratant le ballon peut entraîner une lésion du ligament croisé antérieur (LCA) -Une chute à ski (torsion en valgus + flexion modérée + rotation externe) sans savoir exactement ce qui s est passé peut être à l origine d une atteinte soit du LCA, soit du ménisque soit de la rotule. - Une sensation de déchirure avec douleur sur un antécédent de tendinite ou après une prise de fluoroquinolones évoque une rupture de l appareil extenseur ou une aggravation de la tendinite. - Une Flexion +/- rotation avec blocage complet inaugural en flexion (~ 45 ) peut entraîner une lésion méniscale type anse de seau ou une déchirure du hiatus poplité. Parfois on ne retrouve pas d événement particulier mais simplement des signes comme : Des douleurs fugaces, une sensation de blocage, une description d une bille dure palpée, qui se ballade évoquent un corps étranger intra-articulaire. Une douleur du compartiment et de l interligne externe +/- kyste évoque une atteinte du ménisque latérale. Société Francophone de Médecine d Urgence http://www.sfmu.org 1
Un flessum douloureux +/- épanchement peu abondant peut être à l origine d une tumeur synoviale de l échancrure. Situation particulière : Une pratique intensive chez un enfant peut entraîner des douleurs en regard de la tubérosité tibiale antérieure et être à l origine d une maladie de croissance type Osgood- Schlatter. Prévalence et biomécanique : Chez le sujet jeune, il existe une prédominance des lésions ligamentaires surtout lors des activités physiques ; les fractures étant plus rare. Chez le sujet âgé, nous observons l inverse mais cette articulation est peu touchée. Le genou est une articulation de type trochléen à 1 degré de liberté avec des mouvements de flexion-extension dans le plan sagittal et accessoirement un 2 e degré de liberté lors des mouvements de rotation uniquement sur un genou fléchi. La position de flexion du genou expose surtout à des lésions ligamentaires alors qu en extension, on retrouve des fractures articulaires. Plusieurs articulations composent le genou à savoir la fémoro-tibiale comportant deux ménisques interposés, la fémoro-patellaire, la fibulo-tibiale supérieure. III- STRATEGIE DE PRISE EN CHARGE Nous distinguerons les situations à prise en charge rapide de celles qui peuvent être gérer sans urgence. III-1-PRISE EN CHARGE MEDICALE RAPIDE Reconnaître un certain nombre de signes de gravité dès l arrivée à l accueil est le rôle de l IAO : La douleur supérieure ou égale à 7 sur l EVA La déformation La plaie délabrante La prise en charge de la douleur est quasi immédiate afin de soulager le patient et de parfois obtenir une certaine décontraction musculaire pour optimiser l examen clinique. La déformation du genou est de deux ordres ; soit il s agit une luxation du genou dans les mécanismes à haute cinétique avec troubles vasculo-nerveux distaux soit il s agit d une luxation latérale de la rotule lors d un impact tangentiel. En cas de luxation du genou, le patient est dirigé directement vers le bloc opératoire après avoir prévenu le chirurgien orthopédiste voire vasculaire surtout s il existe des complications vasculo-nerveuses distales. Dans le 2 e cas, la réduction s effectue simplement en demandant au sujet d allonger la jambe en aidant, avec le pouce, la rotule à réintégrer la trochlée fémorale ; ce geste peut être effectué dès l accueil aux urgences. La plaie délabrante nécessite une exploration rapide au bloc opératoire après examen vasculo-nerveux distal. Le bilan radiologique, dans ces situations, est systématique avec clichés de face, de profil (30 de flexion plutôt qu en extension), le défilé fémoro-patellaire (DFP), initialement dans ses circonstances, n est pas une urgence. Une attelle postérieure est posée s il s agit d une luxation de rotule réduite et sans complications ostéochondrales car dans ce cas une indication d arthroscanner doit être posée mais sans urgence. Cas particulier du genou bloqué hyperalgique: Sur un genou bloqué en flexion avec impossibilité de tendre celui-ci, le diagnostic supposé est celui d une anse de seau méniscal qu il faut essayer de débloquer soit par des manœuvres de rotation en décoaptation soit associées à une infiltration d anesthésique en intraarticulaire ; le bloc sera programmé en semi-urgence si le déblocage est impossible. III-2 PRISE EN CHARGE SECONDAIRE : Après interrogatoire, l examen clinique prend toute sa valeur ; la recherche de signes comme l instabilité fonctionnelle avec dérobements, le gonflement articulaire, la localisation de la douleur, l enraidissement ou la sensation de blocage, la perception d un claquement ou des craquements douloureux ; autant de signes à rechercher lors de l interrogatoire qui peuvent nous orienter vers telle ou telle pathologie. L interrogatoire du patient permet de retrouver des mécanismes ou des signes qui nous orientent vers un diagnostic. En voici quelques exemples : «Lors de la réception d un saut, mon genou s est tordu.» «J ai reçu un coup à la face latérale du genou.» «En me retournant, mon pied est resté bloqué.» «J ai ressenti comme une déchirure.» «Mon genou s est tordu car ma fixation de ski n a pas cédé.» «Mon genou s est dérobé en descendant l escalier.» «En me relevant, j ai senti comme un craquement.» «Mon genou s est mis en hyperextension.» «Je ne sais pas ce qui s est passé en chutant de moto.» Quand l examen clinique est impossible ou non fiable, celui-ci sera toujours couplé à un bilan radiologique avec 3 incidences obligatoires: genou de face, de profil à 30 de flexion et les DFP à 30 de flexion si leur réalisation est possible: c est le bilan minimum obligatoire de tout genou douloureux. En cas de fracture transversale non déplacée de la rotule, il est effectué un cliché de profil en flexion 90 afin de vérifier un déplacement. Société Francophone de Médecine d Urgence http://www.sfmu.org 2
En cas d atteinte des plateaux tibiaux, il ne faut pas hésiter à demander des clichés de trois-quart à la recherche d une fracture qui peut passer inaperçue sur les incidences classiques (face et profil). Il ne faudra pas oublier de vérifier les articulations sus et sous-jacentes afin de compléter le bilan radiologique si cela est nécessaire. Quand l examen clinique est réalisable, il s effectue toujours dans le même ordre : L inspection recherche des tuméfactions, des dermabrasions surtout en regard de la face antérieure du tibia, des déformations éventuelles. En urgence, il est difficile d apprécier systématiquement le morphotype du sujet ou de le faire marcher à cause de la douleur. L analyse des amplitudes articulaires note les déficit d amplitude ou les flessum, la présence d arc douloureux. Le testing du pivot central recherche d une lésion du LCAE ou du LCP, celui des ligaments latéraux recherche surtout une lésion du ligament collatéral médial (LCM) beaucoup plus rarement du ligament collatéral latéral (LCL). Les manœuvres de testing ligamentaires nécessitent une décontraction préalable relative ; la recherche d un lachman n est pas toujours évident en urgence ainsi qu un ressaut rotatoire ou les différents tiroirs. Si ces manœuvres ne sont pas possibles, il faut savoir suspecter le diagnostic devant l interrogatoire et traiter le patient de la même manière. Il faut se méfier de la présence d un tiroir antérieur qui peut être la réduction d un tiroir postérieur en cas d atteinte du LCP avec avalement de la tubérosité tibiale antérieure. Les ménisques sont examinés en utilisant différentes manœuvres afin de rechercher une lésion méniscale. L examen de la rotule recherche d une douleur rotulienne ou sur un aileron rotulien, des douleurs lors des contractions musculaires. Le testing musculaire recherche une douleur lors de la contraction ou une impossibilité à contracter. La palpation des différentes structures recherche une douleur (reliefs osseux, ligaments latéraux, interlignes articulaires, insertions tendineuses). A l issue de cet examen, un bilan radiologique peut être demandé en suivant les règles d Ottawa genou : - âge inférieur à 18 ans et supérieur à 55 ans - incapable d effectuer 2 pas immédiatement après le traumatisme ou lors de l examen clinique - - - incapable de plier le genou à plus de 90 - douleur lors de la palpation de la face antérieure de la rotule - douleur lors de la palpation de la partie supérieure de la tête fibulaire. Actuellement, plusieurs études montrent la fiabilité de ces critères sauf peut-être pour deux pathologies bien précises à savoir : la fracture des épines tibiales surtout chez le sujet jeune mais l âge fait partie des critères et la fracture enfoncement du plateau tibial latéral non déplacée. Aucun autre examen complémentaire n est utile en urgence pour un genou. Un arthroscanner en cas de lésions chondrales ou ostéochondrales secondaire à des luxations de rotule peut être indiquée mais pas en urgence. Dans le cadre d un épanchement intra-articulaire important et limitant l examen clinique, une ponction dans le quadrant supéro-latéral est effectuée afin de soustraire un maximum de liquide, en ayant au préalable éliminer une fracture. Les règles d asepsie sont de rigueur et l analyse du prélèvement est effectuée dès lors qu il s agit d un épanchement non traumatique. En cas de dermabrasions importantes situées dans la zone de ponction, on peut tenter une ponction par voie antérieure en regard des interlignes articulaires. IV- Différents diagnostics sont alors posées : IV-1 Les fractures : Un avis chirurgical est systématiquement demandé dès lors qu il s agit d une fracture articulaire (condylienne, des plateaux tibiaux, rotulienne). Pour les fractures rotuliennes, on peut traiter toutes les fractures transversales non déplacées après réalisation du clichés en flexion 90. La marche avec appui complet sous couvert d une attelle est préconisée, la rééducation est précoce entre 0-60 pendant 4 semaines puis sans limitation. Il ne faut pas oublier la prévention de la phlébite jusqu à la reprise de l appui normal et non jusqu au rendez-vous avec un médecin compétent en traumatologie à 8-10 jours». IV-2 Les entorses : Les atteintes du pivot central confirmées ou fortement suspectées sans fracture associée relèvent d un traitement fonctionnelle ou orthopédique et sont adressées sous les 8-10 jours à un médecin réfèrent. Le bilan radiologique de base peut montrer une fracture de Segond sur l incidence de face (fracture parcellaire du rebord du plateau tibial externe), ou une fracture parcellaire d une épine tibiale, ou un arrachement de la surface pré-spinale ; tous ces signes témoignent d une atteinte du LCA. L indication d une IRM en urgence n est pas nécessaire et sera discutée à distance lors de la consultation non pour faire le diagnostic de lésion du pivot central mais surtout pour analyser l existence ou non de lésions associées comme celles du point d angle postéro-externe (PAPE) qui nécessiteront une intervention chirurgicale précoce. Société Francophone de Médecine d Urgence http://www.sfmu.org 3
Les atteintes ligamentaires extra-articulaires sont surtout celles du plan médial : le suivi est identique au précédent surtout s il s agit d une entorse grave du LCM avec rupture complète qui pourraient bénéficier d une réparation chirurgicale dans certains cas ; une immobilisation provisoire est ainsi réalisée initialement avec décharge si douleur. IV-3 Les lésions méniscales : S il s agit d une anse de seau méniscale réduite aux urgences, le patient est adressé secondairement au chirurgien orthopédiste sans urgence avec la réalisation d un arthroscanner. Si l anse de seau n est pas réduite aux urgences, le patient est soit gardé soit adressé le lendemain à un chirurgien pour arthroscopie dans les 24 heures si possible. En cas de suspicion de lésion méniscale mais avec peu de signes cliniques initialement, le patient sous couvert d antalgique est adressé en consultation secondaire à un médecin compétent en traumatologie. IV-4 La luxation ou l instabilité rotulienne : En cas de luxation de la rotule sans complications, l immobilisation, pour 6 semaines avec appui, est de mise après réduction surtout s il s agit de la première luxation ; en cas de récidive, la prescription d une attelle type Zimmer est utile lors de la première semaine puis le patient est dirigé vers une consultation spécialisée. En cas d instabilité rotulienne, un traitement antalgique, éventuellement associée à la prescription d une attelle est préconisée avec consultation spécialisée secondaire. IV-5 Les lésions tendineuses : En cas de rupture du tendon rotulien, la rotule est ascensionnée et l extension quasi impossible. En cas de rupture du tendon quadricipital, la rotule est basculée en avant sans ascension lors de la contraction musculaire du quadriceps. IV-6 L arthrite du genou : Un genou douloureux «non traumatique» doit d abord faire évoquer une maladie articulaire type arthropathie dégénérative ou osseuse. C est encore l interrogatoire qui révèlera soit un début progressif des symptômes dans le premier cas, soit le début brutal dans le second, mais sans événement déclenchant précis. En cas d épanchement inaugural important, chez un sujet jeune, il faut ponctionner le genou : une hémarthrose doit faire suspecter une synovite villonodulaire, à moins qu il ne s agisse d un sujet hémophile connu ou sous AVK. IV-7 Corps étrangers : Il faut s attacher à bien lire les clichés à la recherche d une opacité arrondie de quelques mm appelée «souris» ou d un fin et court liseré opaque «flottant», témoin d une lamelle d os sous-chondral. Il peut s agir d une fracture ostéochondrale venant de la rotule ou du bord de la trochlée en cas de luxation de la rotule ou d un séquestre d une ostéochondrite. IV-8 Maladie de croissance : Pas rare, elles touchent préférentiellement les enfants ayant une activité physique intense avec des douleurs en regard des noyaux d ossification. Il peut s agir d une fragmentation du noyau épiphysaire de la tubérosité tibiale antérieure (TTA) sur le profil qui nécessite souvent des clichés comparatifs (Maladie d Osgood-Schlatter) ou au niveau de la pointe de la rotule (Maladie de Sinding Larsen Johnson). L arrêt de sport est systématique initialement avec une consultation secondaire avec un médecin compétent en traumatologie. F CONCLUSION Le genou présente une grande richesse séméiologique ; il ne faut pas hésiter à déranger un référent en traumatologie en cas de doute et à adresser le patient en consultation secondaire. Le bilan radiologique suit les critères d Ottawa en complétant celui-ci par des incidences particulières si besoin. En fonction de l expérience de l examinateur, l attitude thérapeutique doit être adapté en ce qui concerne la décision d immobilisation dans une attelle, le délai de prise de RDV avec un médecin compétent en traumatologie et la demande d examens d imagerie secondaire. L attelle «parapluie» ne doit s envisager que dans certains cas avec un avis secondaire rapide d un référent: l urgence est alors au diagnostic avant d être au traitement. Le préjudice fonctionnel causée par une mauvaise prise en charge peut être sévère surtout chez les patients jeunes et sportifs. Un genou douloureux fébrile est jusqu à preuve du contraire une arthrite infectieuse potentiellement mortelle, dont l épanchement devra être ponctionné en urgence et envoyé en bactériologie avant de démarrer un traitement antibiothique. Société Francophone de Médecine d Urgence http://www.sfmu.org 4
BIBLIOGRAPHIE : G. Liorzou «Le genou ligamentaire : examen clinique» Editions Springer-Verlag, 1990 J.L. Blin «Comment j examine un genou douloureux?» Congrès urgences 2003, conférence d enseignement, avril 2003 I.A Kapandji «Physiologie articulaire ; Tome 2 Membre inférieure» Editions Maloine, 5 e édition, 1985 Goldman AB, Pavlov H, Rubenstein D. The Segond fracture of the proximal tibia : a small avulsion that reflects major ligamentous damage AJR 1988 ; 151 :1163-1167 Stiell IG, Greenberg GH, Wells GA, et al. Prospective validation of a decision rule for the use of radiography in acute knee injuries JAMA 1996 ; 275 :611-615 Stiell IG, Wells GA, McDowell I, et al. Use of radiography in acute knee injuries : Need for clinical decision rules Acad Emerg Med 1995 ; 2 :966-973 Société Francophone de Médecine d Urgence http://www.sfmu.org 5