Paris, le 12/10/2015 AUX UNIONS DEPARTEMENTALES AUX FEDERATIONS NATIONALES Pour information aux administrateurs : - Retraite et Prévoyance - CNAV, CRAM, CRAV, CGSS Aux membres du Comité exécutif de l UCR PP/JLA/NH Circulaire n 131-2015 Secteur Retraites / complémentaire santé Objet : Généralisation de la complémentaire santé Après l Accord National Interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013, qui généralise la couverture complémentaire santé, la loi n 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi prévoit l'obligation à compter du 1er janvier 2016 et pour l'ensemble des entreprises de couvrir leurs salariés en matière de frais de santé par des garanties collectives et obligatoires. Ainsi, au 1er janvier 2016, 22 millions de salariés auront droit à une couverture santé complémentaire minimale. Force Ouvrière n a pas signé l ANI de janvier 2013 qui pose dans l article 1 le principe de l interdiction des clauses de désignation de l organisme assureur. En laissant «la liberté de choix» aux entreprises, les signataires ont tué la désignation, condamnant cet outil de mutualisation. Force Ouvrière aurait accueilli favorablement le principe de la généralisation de la complémentaire santé sous réserve qu elle soit effective et de qualité. Or, s agissant des salariés du privé, les chômeurs et dans un premier temps les retraités en ont été exclus. De plus la généralisation s accompagne de la définition d une couverture santé minimaliste. En outre, les 5 décrets encadrant «la généralisation de l accès à une complémentaire santé de qualité» marquent un basculement vers des prises en charge éclatées, foulant le principe fondateur d universalité et confortant le désengagement de la Sécurité Sociale. 1- Fin des clauses de désignation : possibilité de recommandation d un ou plusieurs organismes assureurs Pour mémoire, lors de la négociation d un contrat collectif de branche, deux options s offraient aux partenaires sociaux : soit les entreprises adhèrent auprès de 1/6
l organisme assureur de leur choix (institution de prévoyance, mutuelle, société d assurances) soit un organisme assureur est désigné, c est la «clause de désignation». Par décision du 13 juin 2013 le Conseil Constitutionnel a considéré que les clauses de désignation sont une contrainte excessive et sans aucune contrepartie ; il a cru voir dans ce mécanisme une atteinte à la liberté d entreprendre. Force Ouvrière ne peut accepter cette décision qui restreint la liberté des négociateurs de branche d assurer la mutualisation du régime, la solidarité et l égalité entre salariés d une même branche professionnelle. Les actions engagées par la confédération Force Ouvrière ont fait l objet d une présentation détaillée dans les publications F.O Actu retraites n 72 de mars 2015 et n 73 de juin 2015. Voir aussi la lettre@ n 92 du 25 septembre 2015 : premier succès d étape devant le comité européen des droits sociaux (CEDS). 2- Les paramètres de la généralisation de la protection complémentaire santé : A partir du 1er janvier 2016, toutes les entreprises devront proposer à leurs salariés une complémentaire santé leur permettant d être indemnisés des dépenses de santé non couvertes par la sécurité sociale. Le financement sera pris en charge, a minima, à hauteur de 50% par l employeur. De plus, suite à la perte de son emploi, le salarié conservera sa complémentaire santé pendant une durée maximale de 12 mois à titre gratuit (portabilité des droits). 3- Le calendrier de mise en œuvre de la généralisation de la complémentaire santé : Avant le 1er juillet 2014 les négociations devaient intervenir entre interlocuteurs sociaux au sein des branches ou dans les entreprises qui disposent d un délégué syndical, pour définir le contenu du contrat collectif proposé par la branche et recommander un ou plusieurs organismes pour assurer le régime collectif. Au 1er juillet 2014, si les négociations de branche n avaient pas abouti, la réflexion devait être menée au sein de l entreprise. Au 31 décembre 2015, à défaut d accord collectif, l employeur devra mettre en place par déclaration unilatérale une couverture complémentaire santé répondant aux obligations minimales prévues par la Loi. 4- Les décrets d application de la loi du 14 juin 2013 - le décret «panier de soins», définit le niveau minimum des garanties à prévoir par l employeur et les dispenses d affiliation au régime mis en place par l employeur.. Entré en vigueur le 11 septembre 2014. (n 2014-1025 du 8 septembre 2014) 2/6
- le décret «contrat responsable» : détermine les planchers et les plafonds de prise en charge permettant de bénéficier des aides fiscales et sociales.. Entré en vigueur au 1er avril 2015. (n 2014-1374 du 18 novembre 2014) Si Force Ouvrière est favorable au principe de la régulation de l'offre de soins, à travers un encadrement des tarifs opposables, il ne nous paraît pas équilibré que cette régulation repose sur les négociateurs, restreignant de fait leur liberté de contracter (cf réclamation F.O contre la France devant le CEDS pour mauvaise application de l art 6 2 de la charte sociale européenne). Attachée au principe d'égal accès aux soins, Force Ouvrière considère qu il est de la responsabilité des pouvoirs publics de veiller à ce que les tarifs pratiqués soient déterminés de manière nationale et non pas à travers des niveaux de remboursement, a fortiori complémentaires. Pour Force Ouvrière, la généralisation de la complémentaire santé se traduira par un glissement progressif vers un système qui laissera mécaniquement à terme un reste à charge plus important supporté par les salariés. - le décret «degré élevé de solidarité dans les accords collectifs» : l accord doit prévoir que les contrats santé ou prévoyance intègrent des garanties collectives présentant un degré élevé de solidarité et comprenant, à ce titre, des prestations à caractère non directement contributif. Le degré élevé de solidarité est défini par un niveau de financement d au moins 2% de la cotisation du contrat et par l insertion de garanties et de prestations spécifiques. Entré en vigueur le 12 décembre 2014. t (n 2014-1498 du 11 décembre 2014). - Le décret «mise en concurrence préalable au choix du ou des organismes assureurs recommandés» définit la procédure de mise en concurrence transparente, avec égalité de traitement et impartialité des interlocuteurs sociaux dans le choix effectué par une branche professionnelle. Le texte définit les conditions de recevabilité et d éligibilité des candidatures, les critères d évaluation des offres, les situations de conflit d intérêts. La Commission paritaire arrête la liste des candidatures recevables et éligibles. Le décret prévoit plusieurs règles visant notamment à prohiber les situations de conflits d'intérêts. Entré en vigueur le 11 janvier 2015 (n 2014-1498 du 8 janvier 2015) Force Ouvrière est favorable à la transparence et à la traçabilité dans le processus de désignation d un ou de plusieurs assureurs complémentaires dans le cadre d un accord collectif. Mais la recommandation n est, comme son nom l indique, que facultative. Seule restera la «loi du marché» au détriment de l accord collectif. De plus, en l'état actuel, le dispositif de recommandation est une fausse bonne solution : il crée une concurrence déséquilibrée entre l'organisme assureur recommandé et les autres. L organisme recommandé se retrouve contraint de proposer un tarif unique à toutes les entreprises et risque au final de mutualiser du mauvais risque avec du mauvais risque, ce qui va à l'encontre de la logique de mutualisation (cf recours F.O 3/6
devant le Conseil d Etat, pour excès de pouvoir contre le décret relatif à la procédure de mise en concurrence des organismes assureurs, dans le cadre de la recommandation). Pour Force Ouvrière, le système des recommandations entraîne fatalement la dégradation du dialogue social en induisant le morcellement au sein des entreprises de la gestion de la protection sociale jusqu alors impulsée par les branches - Un décret à paraître : art L 912-1 al IV du Code de la Sécurité sociale. Il doit définir les modalités de la gestion de façon mutualisée de certaines prestations d action sociale. Ce décret serait un outil de «désignation» de l action sociale favorable aux institutions de prévoyance. 5- Le rapport LIBAULT du 23 septembre 2015: Face au tollé des acteurs de la protection complémentaire ( hormis la FFSA, et pour cause) et au bouleversement du paysage engendré par la fin des clauses de désignation, le gouvernement a confié une mission qui visait à accompagner la généralisation de la complémentaire santé en entreprise et devait analyser les conséquences de la suppression des clauses de désignation à D. Libault, directeur général de l Ecole Nationale Supérieure de Sécurité Sociale (ENS3). Après concertation avec les interlocuteurs sociaux et les fédérations d'organismes complémentaires, le rapport formule des propositions concrètes dans l objectif de maintenir, voire de renforcer, la solidarité professionnelle en matière de couverture collective. Pour Force Ouvrière la délégation était composée de Philippe Pihet et de Jocelyne Lavier d Antonio, assistante. Lors de cet entretien, Force-Ouvrière a asséné les positions rappelées ci-dessus, à savoir l atteinte au dialogue social, le caractère attentatoire à la liberté syndicale, le risque d augmentation du reste à charge pour les salariés... Mais surtout, la délégation a vivement souligné l impact de la démutualisation, notamment dans le domaine de la prévoyance lourde. Le constat général du rapport LIBAULT est éloquent: «la remise en cause des clauses de désignation pourrait se traduire par une détérioration forte du «modèle» de solidarité qui était entrain de se construire entre salariés et autres catégories de la population, et entre salariés». Le risque majeur est identifié : «on ne peut exclure que se dessine un nouveau paysage de la protection complémentaire qui combinerait les «inconvénients» d un système obligatoire (notamment l absence de liberté individuelle quand au contenu de l assurance) sans en présenter les avantages (notamment la solidarité), et les défauts d un système volontaire et assurantiel, caractérisé par des différences tarifaires fortes selon le profil de risque et la faiblesse voir l absence d éléments de solidarité». Tout est dit 4/6
L auteur du rapport formule 11 recommandations, mesures à véhiculer essentiellement par la voie règlementaire ou législative. Avec 5 objectifs stratégiques : observer et analyser, renforcer la solidarité, renforcer le pilotage, limiter la sélection des risques, limiter les trous de couverture. 1 : étoffer le dispositif d observation 2 : mise en place d un système de médiation renforcée 3 : compléter le dispositif de recommandation 4 : renforcer la gouvernance de la protection sociale complémentaire 5 : renforcer les dispositifs proposés par les assureurs pour limiter la sélection des risques, 6 : autoriser, par dérogation, un assureur unique dans les secteurs multiemployeurs, 7 : organiser via un fonds interprofessionnel la couverture de certains contrats courts, 8 : encourager les cotisations prenant en compte le revenu et les mesures favorables aux retraités grâce à des mécanismes d incitation fiscale, 9 : prévoir le recours à la codésignation, 10 : autoriser l assureur unique en prévoyance, 11 : créer le concept de conventions collectives de sécurité sociale. Accompagnant la publication du rapport, le communiqué ministériel annonçait que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 (PLFSS 2016) présenté le lendemain apporte «des premières réponses concrètes». Il faudra donc s attendre à des secondes ou même deuxièmes et troisièmes réponses Effectivement le projet de PLFSS 2016 fait état des dispositions pour les anciens salariés (art 20) et celles en faveur des salariés en CDD de courte durée ou à temps très partiel (art 21). Pour Force Ouvrière, le rapport a le mérite de poser les vrais questions, cependant il y a lieu d être inquiet et de rester vigilant quand aux réponses qui y seront apportées. Quel sera le calendrier de mise en œuvre et surtout jusqu où les pouvoirs publics s autoriseront-ils à aller dans leur traduction règlementaire pour gérer la protection sociale complémentaire en restreignant toujours plus le paritarisme? A ce stade, il est prématuré de se livrer à l analyse de fond de chacune des 11 recommandations tant leur mise en œuvre reste parfois floue dans l attente de connaître les modalités qui seront fixées par les pouvoirs publics. Cependant, Force Ouvrière se tient déjà attentive à la concrétisation des recommandations N 3 «compléter le dispositif de recommandation, offrir aux branches la possibilité de mettre en place le fond de solidarité prévu» et N 4 «renforcer la gouvernance de la protection complémentaire». De même notre organisation se tient en alerte sur les mesures favorables aux retraités. Enfin, l analyse de Force Ouvrière de l article 20 du PLFSS 2016 a fait l objet d une déclaration au C.A de la CNAV : «L article 20, organisant la généralisation de la complémentaire santé pour les retraités, pourrait être salué comme une avancée sociale. Mais le recours à cette procédure est subséquent de la généralisation issue de l ANI de janvier 2013 qui a, 5/6
de fait, tué le fondement même de la solidarité intergénérationnelle, à savoir la mutualisation du risque. Sans mutualisation, quelle sera la portée de cette mesure? Que deviendront la solidarité entre bien-portants et malades et la solidarité financière selon les revenus de chacun? Pour Force Ouvrière, une «mutuelle» sénior obligatoire ne peut pas être mutualisée entre les seuls retraités, ce serait un nouveau recul social. Cela créerait dans les faits une solidarité «générationnelle» : les actifs d un côté, les retraités de l autre, avec le risque de voir opposer les catégories les unes aux autres. Le problème du reste à charge pour les retraités doit être traité, mais pas au prix d un découpage des populations selon leur âge ou leur condition. Force Ouvrière sera très vigilante sur le décret à paraître pour la mise en concurrence des contrats destinés aux personnes âgées». Amitiés syndicales Philippe Pihet Secrétaire confédéral Jean-Claude MAILLY Secrétaire général 6/6