Où va l argent? L endettement des ménages canadiens dans une économie en déroute



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Transcription:

Où va l argent? L endettement des ménages canadiens dans une économie en déroute Un rapport de l Association des comptables généraux accrédités du Canada

Remerciements CGA-Canada tient à remercier Rock Lefebvre, P.Adm., M.B.A., CFE, FCIS, FCGA, et Elena Simonova, M.A. (Économie), du Service de recherche et normalisation, et à souligner la précieuse collaboration de la société de recherche Synovate ainsi que des membres de ménages canadiens qui ont généreusement participé au sondage de CGA-Canada sur l attitude des ménages face à l endettement. Nous remercions également les membres de CGA-Canada et les membres de l équipe qui ont apporté leur soutien et leur expertise à la rédaction et à la révision du présent rapport. Il est possible de consulter par voie électronique le présent document à l adresse www.cga.org/canada-fr. Association des comptables généraux accrédités du Canada, 2009 Toute reproduction totale ou partielle sans autorisation écrite est strictement interdite.

Où va l argent? L endettement des ménages canadiens dans une économie en déroute par l Association des comptables généraux accrédités du Canada 3

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Table des matières Avant-propos... 9 Introduction... 11 1. Résumé... 15 2. L ampleur de la chute l économie canadienne avant et après la déroute de 2008... 21 3. L attitude des ménages face à la dette, aux dépenses et à l épargne : 2007 et 2008... 25 4. L endettement des ménages canadiens qu est-ce qui a changé?... 31 4.1. Niveau et composition de la dette... 32 4.1.1. Crédit hypothécaire à l habitation et crédit à la consommation... 33 4.1.2. Un examen plus attentif du crédit à la consommation... 36 4.1.3. Dette des ménages individuels... 39 4.2. Mesure de l endettement des ménages... 41 4.2.1. L endettement par rapport au revenu, à l actif et à la valeur nette... 41 4.2.2. Ratio du service de la dette... 44 5. Les conséquences des chocs économiques... 49 5.1. Chocs liés aux revenus... 49 5.1.1. Interruption des revenus... 50 5.1.2. Baisse des revenus... 52 5.2. Chocs liés aux prix des actifs... 55 5.3. Chocs liés aux taux d intérêt... 60 6. Qu est-ce qui n a pas changé? Le dilemme entre les dépenses et l épargne... 65 7. Aperçu de l insolvabilité des consommateurs... 69 8. Conclusions... 73 9. Des mesures à prendre... 77 5

10. Annexe A : Constatations détaillées découlant du sondage sur l attitude des ménages à l égard de leur endettement et de leur consommation... 81 11. Annexe B : Sondage...123 12. Bibliographie...135 Liste des figures Figure 1 Dette des ménages canadiens, 2000-2008... 33 Figure 2 Croissance des composantes de la dette des ménages, 2000-2008 (corrigée en fonction de l inflation et de la croissance démographique)... 35 Figure 3 Croissance moyenne annuelle des composantes du crédit à la consommation banques à charte, 2007 et 2008 (corrigée en fonction de l inflation et de la croissance démographique)... 37 Figure 4 Composition du crédit à la consommation banques à charte... 38 Figure 5 Mesure de la dette des ménages... 42 Figure 6 Rapport entre les composantes de la dette et l actif... 43 Figure 7 Ratio du service de la dette des ménages crédit hypothécaire... 46 Figure 8 Ratio du service de la dette des ménages crédit à la consommation... 47 Figure 9 Quelques indicateurs du marché de l emploi, 1976-2008... 51 Figure 10 Revenus des particuliers... 53 Figure 11 Revenus des particuliers par personne, 1976-2006... 54 Figure 12 Rendement boursier, 1976-2008... 58 Figure 13 Indice des prix des logements neufs, 1976-2008... 60 Figure 14 Quelques taux d intérêt... 63 Figure 15 Taux d épargne des ménages et indice de confiance des consommateurs... 66 Figure 16 Insolvabilité des consommateurs, 2000-2008... 71 Liste des tableaux Tableau 1 Quelques indicateurs économiques (taux de croissance annuel moyen, à moins d indication contraire)... 23 Tableau 2 Exposition des ménages aux chocs liés aux prix des actifs... 57 6

Liste des diagrammes (Annexe A) Diagramme 1 Évolution du niveau de la dette des ménages au cours des 3 dernières années... 83 Diagramme 2 Évolution du niveau de la dette des ménages, par tranche de revenu... 84 Diagramme 3 Évolution du niveau de la dette des ménages, par région... 85 Diagramme 4 Évolution de la dette par rapport à l évolution du revenu et de la richesse... 86 Diagramme 5 Raisons de l augmentation du niveau de la dette... 87 Diagramme 6 Types de dettes des ménages... 89 Diagramme 7 Évolution du niveau de la dette selon le type... 90 Diagramme 8 Raisons de la difficulté à gérer la dette... 91 Diagramme 9 Attitude à l égard de la dette... 91 Diagramme 10 Le niveau de dette de votre ménage nuit-il à votre capacité de réaliser vos buts dans les domaines suivants?... 92 Diagramme 11 Évolution de la dette totale des répondants auxquels la dette nuit... 93 Diagramme 12 Évolution du revenu des ménages au cours des 3 dernières années... 95 Diagramme 13 Évolution du revenu des ménages, par répondant et par tranche de revenu... 96 Diagramme 14 Éléments d actif que possèdent les ménages... 97 Diagramme 15 Évolution des éléments d actif des ménages... 98 Diagramme 16 Évolution du niveau de richesse des répondants...101 Diagramme 17 Chocs (événements négatifs) auxquels les ménages seraient vulnérables...102 Diagramme 18 Évolution des dépenses des ménages...104 Diagramme 19 Évolution des dépenses par rapport à l évolution du revenu et de la richesse...105 Diagramme 20 Raisons de l augmentation des dépenses des ménages...106 Diagramme 21 Manières de régler une dépense imprévue de 500 $ et 5 000 $...107 Diagramme 22 Répondants dans l incapacité de faire face à des dépenses imprévues...108 Diagramme 23 Source principale du revenu de retraite...111 Diagramme 24 Niveau de confiance quant à l adéquation de la situation financière à la retraite...112 Diagramme 25 Les répondants ont-ils une idée précise du montant d épargne-retraite qu ils doivent accumuler?...114 Diagramme 26 Fins auxquelles les répondants mettent de l argent de côté...115 7

8 Diagramme 27 Utilisation de divers instruments d investissement dans les portefeuilles d épargne des répondants...116 Diagramme 28 Participation à des régimes d épargne fiscalement avantageux...117 Diagramme 29 Connaissance du CELI...119 Diagramme 30 Différences régionales quant à la connaissance du CELI...120 Diagramme 31 Intentions des répondants à l égard du CELI...122

Avant-propos Plusieurs forces continuent de se disputer les ressources des ménages dans le monde moderne. Les frais de subsistance typiques associés au logement et à l alimentation, les magasins de détail qui cherchent à augmenter leurs ventes et leurs profits, les nouveaux produits offerts par l industrie des services, notamment ceux que proposent les établissements de crédit ou de prêt, ainsi que les occasions de placement n en sont que quelques exemples. Les principes de la théorie économique tendent à indiquer que la concurrence procure davantage de choix et de qualité au consommateur. Comme le confirme l évolution de l économie canadienne, les dépenses de consommation ont joué un rôle majeur dans l économie réelle. En fait, elles en ont été un moteur important au cours des trois dernières décennies. Certains se demandent cependant, à juste titre, si les ménages et leurs finances ne sont pas des victimes indirectes des guerres que se livrent ces forces puissantes et s il existe une limite mesurable à l économie de l offre. Les organisations et les médias sont souvent revenus sur le fait que les Canadiens s inquiètent de plus en plus de leur bien-être financier. Certains laissent entendre que l insécurité économique fait désormais partie de la réalité de la plupart des gens, peu importe où ils se situent dans l échelle des revenus. Cependant, même si cela paraît contraire à l intuition, nous constatons que le taux d épargne des ménages continue de dégringoler au fur et à mesure qu ils s endettent. En outre, les gens dépensent plus que jamais pour des biens et des services accessoires qui réduisent leur capacité d épargne ou de constitution de patrimoine. Particulièrement curieuse de connaître les vues des Canadiens à l égard de leur situation financière, de leurs dépenses et de leurs compétences en matière de finances, l Association des comptables généraux accrédités du Canada (CGA-Canada) a commandé un premier sondage auprès des consommateurs au printemps 2007 qui a donné lieu à la publication en 2007 du rapport Où va l argent? La croissance de l endettement des ménages au Canada. À l hiver 2008, CGA-Canada a entrepris de réaliser un deuxième sondage auprès des consommateurs sur le même sujet en cherchant cette fois à comprendre les répercussions de la crise financière naissante sur les ménages. La présente publication, qui confirme certaines conclusions précédentes, constitue le résultat de ce travail. 9

Nous commençons notre analyse par un bref aperçu de l ampleur des bouleversements économiques survenus à la fin de 2008 que nous utilisons comme toile de fond pour mieux structurer les principales constatations découlant de notre plus récent sondage. À partir des résultats du sondage, nous examinons les principaux indicateurs de l endettement des ménages. Nous étudions ensuite les retombées des chocs économiques actuels sur les ménages endettés. Enfin, nous concluons en mettant en évidence les aspects les plus fondamentaux de nos constatations et en proposant certaines recommandations pratiques. Notre conclusion fondamentale, qui est d ailleurs étayée par d autres études, est la suivante : nous avons le sentiment que les Canadiens gagneraient à bien comprendre leur environnement économique et la place qu ils y occupent pour être en mesure de progresser sur la voie de l optimisation financière individuelle. Anthony Ariganello, CPA (Delaware), FCGA Président et chef de la direction Association des comptables généraux accrédités du Canada 10

Introduction L économie mondiale a subi un choc terrible à l automne 2008. En l espace d un instant, les marchés des capitaux se sont effondrés, des puissances économiques mondiales ont vacillé et les interventions des gouvernements ont pris une telle ampleur qu on en est venu à se demander si on assistait à la fin du capitalisme. Le choc a été tel qu il a marqué un contraste saisissant entre le passé récent et le présent, au point où on parle aujourd hui souvent de l avant et de l après-effondrement de l économie dès qu une question économique ou sociale est abordée. Au Canada, l «avant-effondrement» a consisté en une période de croissance économique de 17 ans sans récession, qui a été caractérisée par une augmentation modeste mais constante du revenu, une forte demande de main-d œuvre, une activité économique en expansion, des prix des marchandises élevés et une solide demande pour les exportations canadiennes. L «après-effondrement» est toujours en train de se dessiner et continue de mettre à mal les économies mondiales pendant que les experts tentent de deviner son évolution. Cette incertitude permet d espérer que la reprise économique sera miraculeusement hâtive et facile, mais donne prise également à de sombres scénarios faisant état d une dépression prolongée et évoquant des notions économiques inquiétantes comme la déflation, la stagflation ou l hyperinflation. Aussi ironique que cela puisse paraître, la dynamique du recours au financement par les ménages canadiens est l un des rares éléments qui était resté, du moins à la fin de 2008, pratiquement imperméable à la nouvelle réalité économique. La dette a augmenté considérablement avant la crise et a continué d augmenter après que celle-ci se fut déclenchée. Compte tenu de la situation économique actuelle, la question de l endettement des ménages a rapidement pris une tournure plus dramatique. L accroissement de la dette des ménages canadiens fait l objet de discussions animées depuis un bon nombre d années. Cependant, compte tenu de la situation économique actuelle, la question de l endettement des ménages a rapidement pris une tournure plus dramatique. L endettement est aggravé non seulement par la détérioration du bilan des ménages mais également par le recul accéléré des éléments régulateurs dans d autres secteurs de l économie. En raison du ralentissement des marchés de l emploi et de l activité économique, d une nouvelle détérioration de la valeur des actifs et de l accroissement de la dette publique, les autres secteurs auront de la difficulté à absorber les mouvements négatifs dans le secteur des ménages si son recul continue de s accentuer. 11

La motivation personnelle et la responsabilité associées au fait d emprunter sont de plus en plus contrebalancées par la grande importance de la consommation personnelle pour l économie canadienne. On peut également observer un changement d orientation dans les débats sur l endettement des ménages. Dans le passé, les craintes suscitées par l accroissement de l endettement avaient souvent comme contrepoids un argument aussi solide selon lequel l essor rapide de l enrichissement permettait, du moins en théorie, de résister aux pressions exercées par l endettement. Cet argument ne tient plus actuellement. À la prise de conscience d une rapide détérioration du bilan des ménages, s ajoute la crainte à la fois nouvelle et paradoxale que le resserrement des conditions de crédit étrangle encore un peu plus l économie en limitant l accès des ménages aux ressources et au crédit, d où une diminution de leur capacité à consommer. Malgré l importance croissante et la nouvelle orientation du débat sur l endettement des ménages, les anciens paramètres de l analyse de l endettement des Canadiens valent toujours. La santé financière du secteur des ménages à l échelle nationale est couramment évaluée à un niveau global. Cette approche peut dissimuler le poids de la dette de chaque ménage, diminuant de ce fait la fiabilité des totalisations et des moyennes. Un autre défi consiste à choisir l angle d analyse de la question de l endettement des ménages. Les autorités monétaires peuvent être plus enclines à faire valoir que le secteur bancaire est susceptible de subir des pertes d actif importantes en raison de la vulnérabilité croissante du secteur des ménages. Les établissements de crédit pourraient être plus préoccupés par le recul de leur rentabilité découlant des pertes subies sur les portefeuilles de prêts. Par ailleurs, les ménages peuvent s inquiéter davantage de l accumulation des dettes et de la difficulté à effectuer les remboursements prévus. Cependant, les tensions financières liées à ce dernier point ne se reflètent pas nécessairement dans les ratios financiers du bilan des ménages et elles prennent une teinte plus modeste une fois converties en statistiques globales sur l endettement des ménages. L importance des emprunts est indéniable. Ils permettent aux ménages d équilibrer la consommation et aux consommateurs de répartir le coût des achats importants sur de plus longues périodes. Guidés principalement par les besoins et les désirs individuels, les emprunts sont entièrement une affaire de choix personnel. Par ailleurs, il revient à chacun d assumer la responsabilité des conséquences d une dette qui peut devenir excessive ou d une piètre gestion financière. Là encore, la motivation personnelle et la responsabilité associées au fait d emprunter sont de plus en plus contrebalancées par la grande importance de la consommation personnelle pour l économie canadienne, les dépenses des consommateurs ayant été et demeurant un puissant vecteur de croissance économique. Dans le contexte actuel de grave ralentissement économique, les dépenses de consommation semblent représenter l un des derniers remparts pour sauver l économie d une récession prolongée. 12

Au début de 2007, l Association des comptables généraux accrédités du Canada (CGA-Canada) a entrepris une étude visant à analyser le niveau d endettement des Canadiens et les risques associés à son accentuation. Pour ce faire, nous avons intégré les résultats d un sondage d opinion commandé par CGA-Canada à une analyse de l information statistique disponible 1. La conclusion dominante de notre analyse de 2007 était que la combinaison de l accroissement rapide de l endettement des ménages et de la légère détérioration de la situation financière dans le secteur des ménages devait être envisagée comme un problème naissant pour les Canadiens. CGA-Canada s est à nouveau intéressée à cette question, à l hiver 2008, pour comprendre les répercussions de la crise actuelle sur les finances des Canadiens déjà aux prises avec des difficultés financières. Nous commençons notre analyse par un bref aperçu de l ampleur des bouleversements économiques qui sont survenus à l automne 2008. Nous présentons ensuite les principales constatations découlant du sondage commandé par CGA-Canada en 2008 2. À partir de ces constatations, nous examinons les principaux indicateurs de l endettement des ménages avant de passer à une discussion des incidences des chocs économiques actuels sur les ménages endettés. Nous concluons en mettant en évidence les aspects les plus fondamentaux de nos constatations et en proposant certaines recommandations pratiques. 1 Pour une description détaillée des constatations découlant de l étude et des résultats du sondage, consultez le rapport de CGA-Canada intitulé Où va l argent? La croissance de l endettement des ménages au Canada (www.cga.org/canada-fr). 2 Sauf indications contraires, les constatations présentées dans ce rapport sont celles qui découlent du sondage réalisé en 2008. Une comparaison avec les résultats du sondage de 2007 n est fournie que dans le cas où des différences notables sont apparues dans les perceptions des répondants entre 2007 et 2008. 13

14

Résumé 1 À l automne 2007, l Association des comptables généraux accrédités du Canada (CGA-Canada) a entrepris d analyser le niveau d endettement des Canadiens et les risques associés au poids croissant de la dette. Le but premier de la recherche était de cerner le point de vue des Canadiens sur l évolution de leur endettement et de leur richesse et d examiner ces constatations dans le contexte des faits et des chiffres disponibles publiquement. À la lumière de l effondrement abrupt des marchés des capitaux et de la forte détérioration de la situation économique à l automne 2008, CGA-Canada a jugé à-propos d analyser dans quelle mesure la crise économique et financière a aggravé la situation financière des Canadiens. Elle a commandé à cette fin une nouvelle version du sondage effectué en 2007, afin de mesurer l évolution des vues des ménages sur leur niveau d endettement et leur adaptation aux bouleversements économiques. Les résultats du sondage ont ensuite été examinés dans le contexte des données statistiques publiées. Conscients, au moment de rédiger ces lignes, que le degré élevé d incertitude et la forte volatilité des marchés entraînent des fluctuations incessantes des perspectives économiques, les auteurs de l analyse présentée dans ce rapport ont limité leur examen de l endettement des ménages à la situation telle qu elle se présentait à la fin de 2008. Les paragraphes qui suivent exposent les principales constatations faites dans le cadre de l étude en établissant un lien entre les tendances inquiétantes révélées par les Canadiens et celles qui ressortent des statistiques disponibles publiquement. Première préoccupation L endettement des ménages s accroît Résultats du sondage Les Canadiens sont de plus en plus nombreux à estimer que leur endettement s accroît. Si, en 2007, le nombre de répondants dont l endettement diminuait était supérieur à celui dont l endettement augmentait, la situation s est inversée en 2008, 42 % des Canadiens estimant que leur endettement s accroissait. Les ménages ayant un revenu annuel de moins de 35 000 $, ceux avec des enfants et les retraités étaient beaucoup plus susceptibles de reconnaître que leur endettement avait considérablement augmenté. La proportion d individus estimant qu ils sont trop endettés et ayant de la difficulté à gérer leur dette a également augmenté. 15

Des faits et des chiffres La dette des ménages corrigée pour tenir compte de l inflation et de la croissance démographique a poursuivi sa progression depuis le début des années 2000. Le taux annuel moyen d augmentation de la dette au cours des années difficiles 2007 et 2008 a été supérieur à celui observé au cours des années de forte croissance économique (2003 à 2006) ainsi que pendant la période précédente de turbulence financière 2000-2002. L expansion du crédit n a ralenti que très brièvement pendant l effondrement des marchés des capitaux à l automne 2008, tandis que le taux de croissance d une année sur l autre est resté bien au-dessus de la moyenne à plus long terme de 5,5 %. Le taux de croissance des prêts hypothécaires est resté pratiquement imperméable à l effondrement du marché de l habitation aux États-Unis. Le ralentissement du crédit à la consommation n a été en aucun cas comparable à celui observé au début des années 2000 lors de l éclatement de la bulle technologique. Les marges de crédit et les prêts personnels, deux formes de crédit à la consommation servant habituellement à l achat de biens durables, ont connu une croissance plus rapide en 2008 qu en 2007. Cependant, les ventes de véhicules neufs et de meubles se sont repliées, et la croissance des ventes de voitures d occasion, d appareils électroménagers et électroniques, ainsi que la consommation personnelle globale, ont ralenti considérablement en 2008 par rapport à 2007. La part du crédit renouvelable (marges de crédit personnelles et cartes de crédit) par rapport à l ensemble du crédit à la consommation consenti par les banques à charte s est accrue pour passer de 44,3 % en 2000 à 75,0 % en 2008. Entre 1999 et 2005, la tranche de 20 % des ménages qui regroupe les ménages les moins riches a connu le deuxième taux de croissance de la dette le plus rapide. Les ménages de ce groupe sont les seuls à avoir subi une diminution de leur valeur nette médiane. Deuxième préoccupation Le bilan des ménages se détériore Résultats du sondage Au moins quatre répondants sur dix font état d une diminution de la valeur de leurs placements dans les fonds communs, les actions, les obligations et les régimes de retraite privés au cours des trois dernières années. Près d un tiers (30 %) des répondants estiment que l accroissement des paiements visant le remboursement de leurs prêts autres que leurs prêts hypothécaires a contribué à faire augmenter leurs dépenses. Plus de la moitié (51 %) des répondants jugent que leur revenu est resté le même ou a diminué, tandis que la majorité (83 %) de ceux dont le revenu a augmenté indiquent qu il s agit d une modeste amélioration. 16

Des faits et des chiffres La dette totale en proportion du revenu annuel disponible s établissait à 136,5 % à la fin de 2008. Les mesures de l endettement des ménages par rapport à l actif et à la valeur nette indiquent que la croissance graduelle ou inexistante du début des années 2000 s est transformée en une poussée en 2008. Le ratio dette-actif a atteint 19,0 %, tandis que le ratio dette-valeur nette a culminé à 23,7 % à la fin de 2008, comparativement à des moyennes de 15,4 % et 18,5 %, respectivement, pour la période comprise entre 2000 et 2006. Bien que la diminution annuelle moyenne de la valeur de l actif des ménages enregistrée en 2007-2008 ait été similaire à celle de 2000-2002, l accroissement des ratios dette-actif et dette-valeur nette a été beaucoup plus modéré au début des années 2000 par rapport à 2007-2008. La montée rapide du crédit hypothécaire semble encore bien soutenue par les actifs résidentiels, tandis que le montant du solde impayé des prêts à la consommation pour chaque dollar d actifs financiers des ménages a pratiquement doublé entre 2000 et 2008. Imperméable au repli du taux moyen des prêts hypothécaires, le poids du service de la dette hypothécaire a augmenté, passant de 6,0 % en 2000 à 8,0 % en 2007. De même, le poids du service de la dette imposé par les prêts à la consommation s est accru en dépit de la stabilité relative des taux d intérêt. Troisième préoccupation La dette sert à la consommation plutôt qu à la constitution de patrimoine Résultats du sondage L accroissement de la dette demeure principalement motivé par la consommation plutôt que par la constitution de patrimoine. Quelque 58 % des répondants affirment que les frais de subsistance courants (dépenses de tous les jours) sont la cause première de l accroissement de leur endettement. La plupart des répondants (65 %) estiment que la dette limite leur capacité d atteindre leurs objectifs financiers. Des faits et des chiffres La structure de la consommation des ménages canadiens a évolué au cours des dernières années, les biens de consommation non durables y jouant maintenant une plus grande importance. Le solde impayé des prêts à la consommation pour chaque dollar de biens consommés a augmenté considérablement au cours des dernières années, ce qui donne à penser que les ménages ont recours à des prêts de plus en plus considérables pour acheter la même quantité de biens durables ou qu ils ont de plus en plus tendance à utiliser le crédit à la consommation pour acheter des biens non durables. 17

Quatrième préoccupation Les perspectives d amélioration de la sécurité financière des ménages sont peu reluisantes Résultats du sondage Une proportion accrue (43 %) des répondants se disent inquiets quant à leur situation financière à la retraite; cependant, un nombre croissant de non-retraités (32 %) ne mettent pas d argent de côté de façon régulière, ni même en prévision de la retraite. Quelque 78 % des répondants ont indiqué qu ils ne changeraient pas leurs habitudes d épargne pour s adapter à l évolution de la situation économique. Des faits et des chiffres Il y a peu d espoir que le revenu des ménages canadiens augmente ou même reste stable au cours des prochaines années. Les sources de revenus principales des Canadiens sont peu diversifiées : 75 % environ du total des revenus des particuliers est tiré de leur emploi. Le taux de chômage a pratiquement doublé au cours de la récession du début des années 1980 et a progressé de quelque 50 % au cours de celle du début des années 1990. Les périodes moyennes de chômage ont également tendance à augmenter en période de récession. Plus de la moitié (55 %) de tous les salariés sont rémunérés à l heure. Lors des deux dernières récessions, les salariés payés à l heure ont travaillé en moyenne une heure de moins par semaine par rapport au nombre d heures travaillées pendant les années précédant la récession. Le revenu individuel tiré des salaires affiche une sensibilité importante aux cycles économiques. Le niveau de rémunération par personne corrigé en fonction de l inflation enregistré en 1989, année précédant la récession, n a été atteint de nouveau qu en 2000. Les autres sources de revenu n ont pas suffi à contrebalancer le repli de la rémunération au cours des récessions précédentes. Les modifications apportées à l imposition des particuliers au cours des années 2000 ont donné lieu à une augmentation plus rapide du revenu disponible que du revenu global des ménages. Toutefois, un essor semblable du revenu disponible semble fort peu probable dans le contexte actuel de gonflement des déficits budgétaires. Il faudra peut-être des années pour récupérer les pertes de valeur des actifs. Les actifs sensibles aux fluctuations des marchés des capitaux représentent 38,6 % de l actif total des ménages et sont répartis parmi un large éventail des ménages canadiens. Au cours des trois dernières décennies, le marché boursier canadien a subi cinq corrections qui ont donné lieu à une chute de plus de 20 % de l indice S&P/TSX. Dans le cas de la correction à l égard de laquelle le délai de récupération a été le plus court, l indice a mis 1,6 an à revenir à son niveau précédent. Lors de la dernière correction d une ampleur semblable à celle 18

de l automne 2008, plus de cinq ans se sont écoulés avant que l indice ne revienne à son niveau d avant la correction. Contrairement à ce qui s est produit lors des dernières corrections importantes au sein des marchés des capitaux, les ménages ne peuvent compter sur leurs actifs résidentiels pour contrebalancer, même partiellement, la baisse de valeur de leurs actifs financiers. La diminution des taux d intérêt peut en fait se traduire par un choc négatif pour le fardeau de la dette, du moins à brève échéance. Une inflation faible ou négative peut contribuer à accroître le poids réel du service de la dette des ménages dont la dette est assortie d un taux fixe. Pour les ménages dont les prêts sont à taux variable, la tendance générale à la baisse des taux d intérêt peut avoir un effet positif limité, la diminution des taux des prêts hypothécaires et des prêts à la consommation étant en proportion beaucoup moins importante que celle du coût du crédit pour les établissements financiers. Examinés en combinaison avec les attitudes et les perceptions des Canadiens, les faits et les chiffres présentés précédemment permettent de formuler avec une certaine assurance les quatre conclusions suivantes. Premièrement, la rapide détérioration du bilan du secteur des ménages est alarmante et doit être vue comme telle. Deuxièmement, la tolérance au risque des établissements financiers ne doit pas être considérée comme un substitut à la sagesse ou au jugement des particuliers en matière de finances personnelles. Troisièmement, les perspectives d amélioration à brève échéance de la situation financière des ménages sont peu reluisantes. Quatrièmement, une gestion équilibrée des dépenses, de l épargne et du remboursement de la dette s avère une caractéristique souhaitable du comportement des ménages à court terme. 19

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L ampleur de la chute l économie canadienne avant et après la déroute de 2008 2 En octobre 2007, à peu près au même moment où CGA-Canada publiait son premier rapport sur l endettement des ménages canadiens, la Banque du Canada formulait la conclusion suivante : «Avec en toile de fond la robuste expansion économique mondiale et les cours élevés des matières premières, la croissance de l économie canadienne a été supérieure aux prévisions par suite de la vigueur considérable de la demande intérieure. L économie fonctionne maintenant davantage au-delà de son potentiel qu on ne l avait alors anticipé 3.» Entre ce moment et maintenant le printemps de 2009, les perspectives touchant l économie canadienne et mondiale ont radicalement changé. Ce que l on qualifiait au départ de «turbulence des marchés des capitaux» causée par les défauts de paiement sur le marché des prêts hypothécaires à risque aux États-Unis au début de l été 2007 s est transformé en une crise du papier commercial adossé à des actifs (PCAA). À la fin de 2008, la «turbulence» s est amplifiée, passant du resserrement des conditions du crédit à la contraction des marchés monétaires puis à l effondrement historique des cours sur les marchés boursiers, pour aboutir finalement à une récession mondiale que la plupart des observateurs considèrent maintenant comme étant la pire depuis la Deuxième Guerre mondiale. En plus de la déroute financière mondiale, l économie canadienne subit l effet croissant de deux autres facteurs de ralentissement. Le premier est l affaiblissement continu de l économie américaine, principal partenaire commercial du Canada, compte tenu des faibles perspectives de reprise à court terme. Le deuxième est la chute marquée des prix de certaines marchandises, en particulier dans le secteur de l énergie, qui constituent le gros des exportations canadiennes. Le changement des perspectives économiques ajoute une nouvelle dimension à l analyse de l endettement des ménages. L instabilité et l incertitude économiques actuelles ont été précédées par une période relativement prolongée de prospérité caractérisée par une forte croissance économique mondiale, de faibles taux d intérêt et un accès plus facile au crédit. Avant les événements de 2008, l économie canadienne n avait pas connu de récession depuis 17 ans. Ce virage à 180 degrés des perspectives économiques ajoute une nouvelle dimension à l analyse de l endettement des ménages. Il faut déterminer non seulement comment le niveau d endettement a évolué avec le temps, mais également quelle incidence ont sur lui les nouvelles conditions économiques et l incertitude qui en découle. 3 Banque du Canada, Rapport sur la politique monétaire, octobre 2007, p. 5. 21

Les indicateurs liés à la richesse se sont dégradés nettement en 2008. Conscients de l importance de ce virage, nous jugeons raisonnable d entreprendre notre étude du niveau d endettement des ménages canadiens par un bref aperçu de certains indicateurs économiques, tels qu ils s établissaient avant et après l effondrement des marchés des capitaux. Parmi le large éventail d indicateurs utilisés habituellement pour jauger la santé de l économie, nous nous concentrons sur ceux qui sont pertinents quant à la capacité des ménages de constituer un patrimoine, de gagner un revenu et de consommer. Trois périodes sont prises en compte : 2003-2007, soit les cinq années les plus récentes de forte croissance économique; 2008, qui a marqué la transition d une économie en forte croissance à long terme à une économie en récession; et le quatrième trimestre de 2008, soit la période la plus récente à l égard de laquelle des statistiques sont disponibles pour tous les indicateurs. Comme le montre le Tableau 1, les indicateurs liés à la richesse se sont dégradés nettement en 2008. Les marchés boursiers canadiens et américains ont enregistré un repli annuel supérieur à 10 %, par rapport à la solide croissance qui a caractérisé la période 2003-2007. Bien que le marché immobilier canadien n ait pas connu un recul aussi marqué en 2008, la croissance de l indice des prix des maisons neuves a été presque nulle au cours de cette période. Les indicateurs liés au revenu montrent des chiffres un peu plus contrastés : le taux de chômage a été relativement faible pendant les années de forte croissance économique et a continué de baisser en 2008. Cette dynamique positive n a pas trouvé d écho cependant dans le nombre d heures réellement travaillées, qui n a augmenté que légèrement en 2008, comparativement à une croissance soutenue de 1,9 % pendant la période 2003-2007. Le fait de travailler moins d heures n est peut-être pas une mauvaise idée, mais sur le plan économique, le repli de cet indicateur reflète des compressions des heures de travail et précède souvent des mises à pied. Bien qu ils ne représentent pas une source directe de revenu des ménages, les bénéfices des entreprises sont liés de deux façons au secteur des ménages : ils ont une influence sur les revenus d emploi et de placement touchés par les particuliers et annoncent l évolution à venir de la demande de main-d œuvre. Comme le montre le Tableau 1, les bénéfices des entreprises ont diminué considérablement au quatrième trimestre de 2008; de ce fait, la croissance globale pour 2008 a été deux fois moindre qu au cours des années précédentes. Les indicateurs relatifs au comportement des consommateurs témoignent de la disposition des ménages à dépenser et de la perception qu ont les gens des conditions économiques actuelles et futures. Les trois indicateurs consommation des particuliers, confiance des consommateurs et ventes au détail, ont nettement reculé en 2008 par rapport aux cinq années précédentes, et, sans surprise, la tendance s est accentuée au quatrième trimestre. 22

Le produit intérieur brut (PIB) réel ne témoigne pas directement de la capacité des ménages à constituer un patrimoine, à gagner un revenu et à consommer, mais il est l indicateur du bien-être de la nation le plus couramment utilisé. Même si le PIB réel a connu une croissance positive en 2008, chaque Canadien s est appauvri de 749 $ par rapport à 2007, le PIB réel par personne ayant fléchi de 40 350 $ en 2007 à 39 601 $ en 2008 4. Tableau 1 Quelques indicateurs économiques (taux de croissance annuel moyen, à moins d indication contraire) 2003-2007 2008 4 e t. 2008* Indicateurs liés à la richesse S&P/TSX 15,9 % -35,0 % -28,2 % S&P 500 É.-U. 10,8 % -38,5 % -24,4 % Indice des prix des maisons neuves 8,3 % 0,4 % -1,8 % Indicateurs liés au revenu Taux de chômage (moyenne de la période) 6,8 % 6,1 % 6,0 % Total des heures réellement travaillées 1,9 % 0,6 % -10,4 % Bénéfices des sociétés avant impôts ** 4,5 % 2,4 % -54,6 % Indicateurs liés au comportement des consommateurs Indice de confiance des consommateurs (moyenne de la période) 1,04 0,89 0,75 Consommation des particuliers** 2,7 % 0,6 % 0,7 % Commerce de détail** 4,1 % 2,9 % -6,1 % PIB réel 2,4 % 0,5 % -3,4 % * Croissance annualisée ** Corrigés pour tenir compte de l inflation Sources : Tableaux CANSIM 080-0016, 176-0047, 282-0001, 282-0017, 282-0028, 326-0020, 327-0005, 380-0002, 380-0003 et 380-0005; portail des statistiques de l OCDE; calculs de CGA-Canada. Une mise en garde s impose à l égard de l analyse de la dynamique des indicateurs économiques qui influencent la santé du secteur des ménages. L ampleur nettement différente et l orientation des changements relatifs aux indicateurs ci-dessus ne doivent pas être interprétées comme des retombées limitées du ralentissement économique. Le décalage entre les mouvements de différents indicateurs économiques et les fluctuations de l économie varie. Certains indicateurs (p. ex., le marché boursier) sont considérés comme des indicateurs guides et changent avant l économie; d autres (p. ex., le taux de chômage) sont des indicateurs témoins et peuvent changer de direction quelques trimestres après l économie. D autres encore (par exemple le PIB) évoluent en phase avec l économie. L ampleur nettement différente et l orientation des changements relatifs aux indicateurs liés à la richesse ne doivent pas être interprétées comme des retombées limitées du ralentissement économique. 4 Sources : Tableaux CANSIM 380-0002 et 051-0001; calculs de CGA-Canada. 23

On parle habituellement de récession quand l économie connaît deux trimestres consécutifs de croissance négative du PIB réel. Si l on s en tient à cette manière de définir la récession, on peut établir que les indicateurs présentés précédemment n évoquaient pas encore de façon uniforme la récession à la fin de 2008. Au moment de rédiger ces lignes, toutefois, les experts étaient unanimes à affirmer que l économie canadienne était entrée en récession au quatrième trimestre de 2008, et ce n était qu une question de temps avant que les statistiques le confirment. L histoire récente nous offre deux points de comparaison; en effet, deux épisodes semblables se sont produits au cours des dernières décennies, soit la dernière récession, qui s est déroulée sur une période de douze mois entre avril 1990 et mars 1991, et la précédente, qui s est amorcée en juin 1981 et s est terminée en décembre 1982, 18 mois plus tard. Maintenant que nous avons souligné le contraste entre l état de l économie canadienne avant et après l effondrement des marchés, nous comptons utiliser cette information comme toile de fond pour présenter dans les pages qui suivent les principales constatations faites dans le cadre du sondage et analyser l endettement des ménages, tel qu il transparaît dans les statistiques officielles. 24

L attitude des ménages face à la dette, aux dépenses et à l épargne : 2007 et 2008 3 Le sondage réalisé à l automne 2008 reprenait, dans une large mesure, un sondage précédent commandé par CGA-Canada au printemps 2007. Se fondant sur la perception des répondants plutôt que sur les montants figurant au bilan, le sondage invitait les Canadiens à réfléchir sur l évolution de leur ménage au cours des trois dernières années. Quatre grands thèmes étaient abordés : i) niveau d endettement du ménage, ii) situation quant au revenu, à l actif et au patrimoine, iii) nature des dépenses et iv) perspectives en matière d épargne et de retraite. Dans le présent chapitre, nous exposons les constatations clés découlant du sondage et faisons ressortir les principales évolutions des perceptions des Canadiens. L Annexe A décrit plus en détail les résultats du sondage. De plus en plus de Canadiens jugent que leur endettement augmente. Bien que la proportion globale des Canadiens endettés n ait pas changé de façon significative entre 2007 et 2008, un plus grand nombre de Canadiens indiquent maintenant que leur dette augmente. Alors qu en 2007, le nombre de répondants dont l endettement diminuait était supérieur à celui dont l endettement augmentait, la situation s est inversée en 2008 : 42 % des Canadiens estimaient que leur endettement s accroissait. Le nombre de répondants qui ont indiqué une forte progression de leur endettement est également plus élevé. Certains groupes socioéconomiques sont particulièrement vulnérables à l accroissement de l endettement. Les ménages ayant un revenu annuel de moins de 35 000 $, ceux avec des enfants et les jeunes répondants sont beaucoup plus susceptibles de reconnaître que leur endettement a considérablement augmenté. De plus, le nombre de répondants dont l endettement s est accru a augmenté plus rapidement chez les retraités que chez les non-retraités. Le niveau de préoccupation engendré par l accroissement de l endettement des ménages augmente. La consommation plutôt que la constitution du patrimoine demeure la première cause de la hausse de l endettement. Le nombre de Canadiens qui se disent plus préoccupés par l accroissement de leur endettement augmente (84 % en 2008 contre 81 % en 2007), la hausse 25

la plus remarquable ayant trait à ceux dont la dette s accroît beaucoup. Le nombre de personnes qui estiment qu elles ont trop de dettes et qui ont de la difficulté à les gérer prend aussi de l ampleur. Cependant, la majorité des ménages (79 %) demeurent convaincus qu ils peuvent soit gérer efficacement leur dette actuelle, soit accroître leur niveau d endettement. L augmentation de l endettement demeure principalement motivée par la consommation plutôt que par la constitution du patrimoine. Quelque 58 % des répondants affirment que les frais de subsistance courants sont la cause première de l accroissement de leur endettement. (Ce pourcentage est supérieur à celui de 52 % constaté en 2007.) Par contre, les dépenses pouvant s avérer profitables, notamment celles consacrées à l achat d une maison, à des études ou à des soins de santé, figurent parmi les causes d accroissement de l endettement les moins probables. En dépit du fait que la plupart des répondants ont déclaré qu ils se jugeaient capables de gérer leur dette, la majorité des personnes interrogées (65 %) croyaient que leur endettement restreignait leur capacité d atteindre leurs objectifs financiers dans au moins un des domaines importants que sont la retraite, les études, les loisirs et les voyages, et la sécurité financière en cas de circonstances imprévues. Moins de Canadiens font état d une évolution positive de leur revenu, de leur actif et de leur patrimoine, mais un grand nombre indiquent une augmentation des dépenses du ménage. Si les Canadiens ayant répondu au sondage en 2007 étaient peu nombreux à se montrer optimistes quant à la croissance de leur revenu, ils étaient susceptibles d être encore moins nombreux à faire état de changements positifs en 2008. Plus de la moitié (51 %) des répondants ont en effet indiqué que leur revenu était resté stable ou avait diminué au cours des trois dernières années, tandis que la majorité (83 %) de ceux dont le revenu a augmenté ont indiqué une modeste amélioration. L évolution de la valeur des actifs semble reproduire les conditions du marché. Au moins quatre répondants sur dix ont indiqué une baisse de la valeur de leurs placements dans les fonds communs, les actions, les obligations et les régimes de retraite privés; cependant, quelque 60 % des répondants ayant des actifs immobiliers ont jugé que la valeur de ceux-ci avait augmenté. Ces résultats contrastent avec le sondage de 2007, alors que très peu de répondants estimaient que la valeur de leurs actifs, toutes catégories confondues, avait diminué au cours des trois dernières années. 26

À l instar de la dynamique du revenu et de l actif, la perception des répondants à l égard du patrimoine a également évolué. En 2008, moins de la moitié (44 %) de tous les répondants jugeaient qu ils étaient plus riches qu il y a trois ans; cela représente une diminution par rapport aux 57 % qui s étaient dits plus riches en 2007. Cette évolution semble toutefois relativement modeste étant donné la gravité de la crise financière qui a éclaté en 2008. Même s ils estiment que leur revenu, leur actif et leur patrimoine se sont détériorés, près de la moitié (47 %) des Canadiens constatent que leurs dépenses ont augmenté au cours des trois dernières années. Une immense majorité (83 %) de Canadiens ont attribué l accroissement des dépenses aux frais de subsistance, tandis que près du tiers des répondants ont indiqué que l accroissement des paiements visant le remboursement des prêts autres que les prêts hypothécaires avait contribué à l augmentation de leurs dépenses. Peu de Canadiens sont conscients que les chocs économiques négatifs peuvent affecter leur santé financière. Près du quart (24 %) des répondants ne croient pas qu une baisse modérée du marché de l habitation ou du marché boursier, une hausse des taux d intérêt ou une réduction du salaire ou de l accès au crédit se répercuteraient de façon marquée sur leur bien-être financier. Comparativement au sondage précédent, une proportion beaucoup plus importante de répondants au sondage de 2008 se sont dits vulnérables aux variations du marché boursier et du marché de l habitation. Cependant, une très grande majorité (87 %) des propriétaires de structures résidentielles n estiment toujours pas qu un recul modéré du marché de l habitation aurait des conséquences négatives pour eux. Près de sept répondants sur dix détenant des actifs de retraite privés ou de fonds communs de placement, des actions et des obligations en dehors d un REER se disent insensibles aux variations du marché boursier. Le quart des Canadiens seraient incapables de faire face à des dépenses imprévues; pourtant, les Canadiens épargnent encore moins qu avant. Même en pouvant compter sur l assistance temporaire que leur procure une carte de crédit ou une marge de crédit, le quart des Canadiens seraient incapables d assumer une dépense imprévue de 5 000 $ et 10 % auraient de la difficulté à composer avec une dépense inattendue de 500 $. Les répondants qui ne mettent pas d argent de côté sur une base régulière se sont révélés 27

beaucoup plus susceptibles d indiquer qu ils seraient incapables de régler une dépense imprévue de 500 $ ou 5 000 $. La difficulté croissante à faire face aux dépenses imprévues ne semble pas être une raison suffisante pour inciter les ménages à épargner davantage. Le tiers (32 %) des Canadiens non retraités n affectent aucune ressource à une formule d épargne standard quelle qu elle soit, même pas en vue de la retraite. Il s agit d une augmentation marquée par rapport au chiffre de 25 % enregistré en 2007. L épargne en prévision des vacances et des divertissements est davantage prioritaire aux yeux des ménages non retraités que l épargne destinée aux études ou au remboursement d une hypothèque. La détérioration de la conjoncture économique ne semble avoir aucune incidence sur les habitudes d épargne des répondants non plus. La majorité (78 %) des répondants ont indiqué qu ils ne modifieraient pas leurs habitudes d épargne pour se faire ou se refaire un «coussin de sécurité» financier de la taille qu ils croient juste pour eux. Seuls 16 % d entre eux ont indiqué qu ils comptaient épargner à un rythme accéléré pour faire face aux fluctuations de la situation économique. La mise en place de nouveaux stimulants fiscaux à l épargne (sous la forme des comptes d épargne libres d impôt CELI) semble avoir eu un effet limité. Quelque 63 % des répondants ne connaissaient pas le programme ou en avaient une compréhension limitée, tandis que 38 % de ceux qui en avaient au moins une connaissance et une compréhension générales ont admis qu ils ne prévoyaient pas y cotiser. Si les intentions des répondants s avèrent, pas plus du quart des Canadiens devraient avoir recours à un CELI. Quatre Canadiens sur dix ne sont pas certains que leur situation financière à la retraite sera adéquate. Quelque 43 % des répondants ne sont pas certains que leur situation financière répondra à leurs besoins à la retraite. La confiance des répondants s est même affaiblie par rapport à 2007. Les répondants plus jeunes (et non plus vieux) étaient davantage susceptibles d être anxieux au sujet de leur retraite. Ainsi que l on pouvait s y attendre, le niveau de confiance tendait à s accroître chez les répondants dont le revenu et la richesse augmentaient ou dont la dette diminuait. Moins de la moitié (44 %) des répondants non retraités avaient une bonne idée de l épargne personnelle et des ressources qu ils doivent accumuler pour pouvoir bénéficier d une situation financière adéquate à la retraite. Par rapport au sondage de 2007, ce chiffre témoigne d une incertitude beaucoup plus grande quant à la somme à épargner. 28

Près de quatre répondants non retraités sur dix qui s attendent à tirer leur revenu de retraite des REER ou d un héritage n ont pas une idée claire de la somme qu ils doivent accumuler pour assurer leur bien-être financier à la retraite. De plus, 10 % des répondants non retraités qui estiment qu un REER sera leur principale source de revenu à la retraite n en ont pas. Les résultats du sondage font ressortir plusieurs tendances inquiétantes. Elles ne sont pas nouvelles, mais leur importance a évolué dans le contexte actuel d instabilité financière et de ralentissement économique. Ces tendances sont notamment les suivantes : la surconsommation est devenue un phénomène normal dans notre société; les perspectives d amélioration des habitudes d épargne demeurent faibles; la prise de conscience de la vulnérabilité aux chocs économiques survient principalement lorsqu ils se produisent, pas avant; les ménages moins nantis, qui sont particulièrement vulnérables à l accroissement de la dette, ne peuvent compter sur une amélioration du revenu ou de la richesse. Dans les pages qui suivent, nous tenterons de comprendre les faits et les chiffres empiriques que nous avons recueillis au sujet de la dette des ménages ainsi que les incidences des chocs économiques sur les ménages toujours plus endettés. 29