La fiscalité des personnes physiques en France, vue de Suisse



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Transcription:

La fiscalité des personnes physiques en France, vue de Suisse Conférence Martigny 4 septembre 2014 Eric Ginter Avocat Associé HOCHE Cabinet d avocats OCTOBER 2011 1

Introduction La France, la Suisse, deux pays que tout oppose : L Histoire En guerre avec ses voisins En paix avec ses voisins L organisation administrative Centralisée, jacobine Décentralisée, fédérale Les relations avec l Etat Les impôts On attend tout de lui L égalité l emporte sur la liberté «Il y a des charges publiques, il faut les couvrir». Servent à tout. On attend peu de lui La liberté des citoyens avant tout Un mal à contenir dans des limites aussi strictes que possible 2 2

Introduction Présenter l imposition des personnes physiques en France dans un tel contexte relève donc de la gageure, que nous tenterons de relever en articulant notre propos en deux parties : Partie I : La notion de résidence : les résidents sont assujettis à une obligation fiscale illimitée ; les non-résidents à des obligations fiscales limitées. Comment passe-t-on de l un à l autre et quels enseignements en tirer? Partie II : Les moyens d investigation de l administration fiscale française ; les garanties données aux contribuables ; les échanges d informations avec les administrations étrangères. 3 3

Partie I : La notion de résident I. Qui est résident fiscal français? Définition de l article 4B du CGI : a) les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal (CE 12/03/2010 n 311121, Gerschel; CE 17/03/2010 n 299770 et 300090, Blanc); b) celles qui excercent en France une activité professionnelle, à moins qu elle ne soit qu accessoire (CE 18/10/2002 n 224459, Gambay; CE 26/05/2010 n 296808, Beckman; CAA Lyon 26/01/2006 01-599, Talou Hashemi); c) celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques ( Cass.com 3/03/2009 n 08-12-600, Mme Granier; CE 27/01/2010 n 294784 Mr Caporal) 4 4

Partie I : La notion de résident II. Les conséquences qui en résultent au regard des différents impôts 1. L impôt sur le revenu Article 4 A du CGI : les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l impôt sur le revenu à raison de l ensemble de leurs revenus A contrario : imposition limitée des non-résidents aux seuls revenus de source française, le cas échéant, par voie de retenue à la source (art. 182 A et suivants du CGI). 5 5

Partie I : La notion de résident II. Les conséquences qui en résultent au regard des différents impôts 2. L impôt de solidarité sur la fortune Article 885 A du CGI : Sont soumises à l impôt annuel sur la fortune les personnes physiques ayant leur domicile fiscal en France à raison de leurs biens situés en France ou hors de France A contrario : les personnes physiques n ayant pas leur domicile en France à raison seulement de leurs biens situés en France (2 e du 885A). En outre : les personnes physiques qui n ont pas en France leur domicile fiscal ne sont pas imposables sur leurs placements financiers. 6 6

Partie I : La notion de résident II. Les conséquences qui en résultent au regard des différents impôts 3. Les DMTG Article 750 ter du CGI : Sont soumis aux DMTG : les biens meubles ou immeubles situés en France ou hors de France si le défunt ou le donateur est résident de France ; les biens meubles ou immeubles, que ces derniers soient détenus directement ou indirectement, situés en France, lorsque le défunt ou le donateur n est pas résident de France ; les biens meubles ou immeubles situés en France ou hors de France reçus par l héritier ou le donataire domicilé en France, à la condition que celui-ci ait été domicilié en France pendant 6 ans au cours des 10 années précédant la transmission des biens. 7 7

Partie I : La notion de résident III. L application des conventions internationales, et en particulier de la convention franco-suisse du 9 septembre 1966 1. Le principe de subsidiarité des conventions fiscales Article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 : Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l autre partie. Les conventions fiscales sont des traités internationaux qui prévalent en conséquence sur le droit interne en tant que de besoin (CE 28 juin 2002 Schneider Electric n 232276). La démarche suivie par les juridictions françaises : qualification du revenu selon le droit interne ; possibilité pour le contribuable de se réclamer utilement d une convention ; application des dispositions conventionnelles relatives au pouvoir d imposer ; le cas échéant, application des dispositions relatives à l élimination des doubles impositions. Exemple d application: CE 28/03/2008 n 271366, Aznavour. 8 8

Partie I : La notion de résident III. L application des conventions internationales, et en particulier de la convention franco-suisse du 9 septembre 1966 2. La convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 2.1 Résidence Les critères successifs posés par l article 4 de la convention : en cas de double résidence par application des critères de droit interne propres à chaque Etat, la personne en cause sera considérée comme résidente de l Etat : où elle dispose d un foyer d habitation permanent, cette expression désignant le centre des intérêts vitaux, c est-à-dire le lien avec lequel les relations personnelles sont les plus étroites où elle séjourne de façon habituelle dont elle possède la nationalité. Observations cette formulation diffère en plusieurs points de celle que donne la convention modèle OCDE ; portée à donner au 6b de cet article : n est pas considérée comme résident d un Etat une personne qui n est imposable que sur la valeur locative des résidences qu elle y possède. 9 9

Partie I : La notion de résident 2.2 L imposition des revenus et du patrimoine revenus immobiliers : imposables dans l Etat de situation de l immeuble; revenus définis conformément au droit de l Etat où ces biens sont situés ; idem pour les P.V. immobilières ; BIC : imposables uniquement dans l Etat où est situé un E.S. ; dérogation pour les revenus immobiliers ; dividendes : taxables dans l Etat de résidence sous réserve d une RAS qui ne peut excéder 15% si le bénéficiaire effectif est résident de l autre Etat ; salaires, revenus des artistes et sportifs : dispositions analogues à la convention OCDE élimination des doubles impositions : par la méthode du crédit d impôt pour ce qui concerne la France (y compris pour l ISF). non discrimination : les «nationaux» d un Etat contractant ne peuvent faire l objet de mesures discriminatoires (art. 26) ; mais il faut qu ils soient aussi «résidents» de cet Etat au sens de la convention (double condition). 10 10

Partie I : La notion de résident 2.2 L imposition des revenus et du patrimoine l élimination des doubles impositions en matière de DMTG en l absence de convention fiscale : les droits acquittés hors de France sont imputables sur ceux qui sont dus en France ; cette imputation est limitée aux droits acquittés sur les meubles et immeubles situés hors de France (Article 784 A du CGI). Exemple : Patrimoine du défunt (N.R) = 1500 (étranger) + 500 (français) = 2000 Droits payés à l étranger 20% = 400 Droits dus en France au taux de 25% = Si 2 e du 750 ter: 500 x 25% = 125 Total = 525 Si 3 e du 750 ter: 2000 x 25% = 500 Crédit d impôt Art 784 A = 1500 x 20% = 300 Droits dus en France= 200 Total = 600 11 11

Focus 1 Le régime d imposition des PV immobilières réalisées par des personnes passibles de l IR Article 6 de la convention franco-suisse: les revenus provenant de biens immobiliers (-) sont imposables dans l Etat où ces biens sont situés. L expression «bien immobilier» est définie conformément au droit de l Etat contractant où ces biens sont situés Article 15 de la convention franco-suisse: Les gains provenant de l aliénation de biens immobiliers tels que définis à l alinéa 1 du 2 de l article 6 sont imposables dans l Etat contractant où ces biens sont situés. Possibilité pour la France d imposer la PV sur le bien immobilier ou sur la cession de parts de sociétés à prépondérance immobilière; Application du prélèvement de 33 1/3 % de l article 244 bis A du CGI; Application des prélèvements sociaux (CSG/CRDS) au taux de 15,5%. 12 12

Focus 1 Le régime d imposition des PV immobilières réalisées par des personnes passibles de l IR Détermination de l assiette de la Plus value: Différence entre le prix de vente et le prix d acquisition augmentée des frais; Application d un abattement pour durée de détention, différent pour l IR et pour la CSG/CRDS: Les questions qui se posent: Durée de détention IR CSG/CRDS Moins de 6 ans pas d'abattement pas d'abattement De 6 à 22 ans 6%/an 1,65% /an Plus de 22 ans Exonération 9%/an Plus de 30 ans Exonération Exonération IR: application du taux de 33 1/3% au lieu de 19% contraire à la convention franco suisse (Voir CE 20/11/2013 n 361167, Aaron) Application du taux probablement contraire à la liberté de circulation de capitaux pour les opérations privées (CJUE 17/10/2013 aff C-181/12,Yvon Welte; CE 26/12/2013 n 360488, Kramer) CSG/CRDS: assujettissement des non résidents à des contributions sociales? Questions préjudicielles auprès de la CJUE (CE 17/07/2013 n 334551 et 342944, Ruyter) 13 13

Focus 2 Le régime de l exit tax applicable aux personnes qui transfèrent de France en Suisse leur résidence fiscale Imputation immédiate des plus values latentes, des PV placées en report d imposition et des PV correspondant à un complément de prix de cession en cas de transfert de domicile fiscal hors de France (article 167 bis du CGI) Paiement immédiat de l impôt correspondant ou octroi d un sursis de paiement: Automatique en cas de transfert au sein de l UE ou de l EEE; Automatique en cas de transfert hors de l UE pour des raisons professionelles vers un Etat avec lequel existe une convention d assistance au recouvrement (ce n est pas le cas de la convention franco suisse) Subordonné à la constitution de garanties dans les autres cas. Dégrèvement au terme d une durée de 15 ans passés hors de France. Le principe de l exit tax n est pas contraire au droit de l UE (cf CJUE 29/11/2011 Aff. 371/10 Grid Indus et CE 12/07/2013, n 359994, Aube- Martin) Il n est pas contraire à l accord UE/Suisse de Luxembourg (Cf CE 12/07/2013 n 359314, Gibier; CE 29/04/2013 n 357574, Rodriguez; CE 29 avril n 357576, Picart, CE 29 avril 2013 n 357575, Coutre) 14 14

Partie II : Les moyens d investigation de l administration à l égard des personnes physiques Le contrôle de l impôt est une forme de police et, comme toute bonne police, repose sur une bonne information. Ce pouvoir d information est très largement reconnu à l administration fiscale française. Il peut s analyser en distinguant trois modalités différentes : les informations auxquelles l administration a automatiquement accès ; le droit de communication dont elle dispose sur le territoire national ; et, enfin, les échanges d informations avec les administrations étrangères. Nous conclurons par un Focus sur la procédure de régularisation des avoirs étrangers. 15 15

Partie II : Les moyens d investigation de l administration à l égard des personnes physiques I. Les informations auxquelles l administration a automatiquement accès Les services fiscaux ont accès à un très grand nombre d informations qui leur permettent de cerner très largement les activités d un individu. Il y a tout d abord les informations qu elle gère elle-même : cadastre, fichier immobilier, enregistrement de toutes les transactions immobilières ; tous les paiements effectués au profit de particuliers par l Etat, les collectivités locales ou leurs démembrements (établissements publics). Il y a ensuite toutes les informations qui lui sont automatiquement communiquées : déclarations annuelles de salaires des entreprises ; déclarations des honoraires et paiements divers (DADS 2) ; déclarations de l ensemble des revenus financiers par les établissements payeurs (IFU). Résultat : les déclarations annuelles de revenus pré-remplies adressées aux contribuables. 16 16

Partie II : Les moyens d investigation de l administration à l égard des personnes physiques II. L exercice du droit de communication et ses prolongements 1. Le droit de communication stricto sensu (art. L81 et suivants du LPF) Le droit de communication permet aux agents de l administration, pour l établissement de l assiette et le contrôle des impôts, d avoir connaissance des documents et des renseignements mentionnés aux articles du présent chapitre dans les conditions qui y sont précisées. Notamment : personnes versant des honoraires ou des droits d auteur employeurs et débirentiers Ministère public (voir aussi l article 40 du Code de Procédure Pénale) organismes publics (administrations de l Etat, des collectivités locales ) autorité de contrôle prudentiel, autorité des marchés financiers artisans, commerçants, exploitants agricoles, etc. Obligations de signaler les flux financiers suspects (art. L 561-15 du CMF;cellule TRACFIN). Obligations déclaratives étendues à des personnes situées à l étranger : notamment les administrateurs des «trusts» ou structures comparables (art. 1649 AB ; art. 1736 IV bis et 1754 V 8). 17 17

Partie II : Les moyens d investigation de l administration à l égard des personnes physiques II. L exercice du droit de communication et ses prolongements 2. L accès contraint à l information 2.1 Les visites domiciliaires (art. L16B du LPF) possibilité donnée aux agents de l administration fiscale d effectuer des visites domiciliaires (environ 250 par an) ; subordonnées à une autorisation du juge des libertés ; l ordonnance autorisant les visites peut être contestée devant le Président de la Cour d appel et faire l objet d un pourvoi en cassation ; les cas d annulation des ordonnances sont rares et leur effet est en tout état de cause limité. 2.2 Elargissement des pouvoirs d investigation de l administration possibilité notamment de procéder à des écoutes (loi n 2013-1117 du 6/12/2013) saisine préalable pour autorisation de la CIF (sans information des intéressés) moyens renforcés par la loi de finances pour 2014 (notamment utilisation d informations obtenues illégalement par une autorité étrangère). 18 18

Partie II : Les moyens d investigation de l administration à l égard des personnes physiques III. L échange d informations avec les administrations étrangères 1. Le cadre juridique L échange d informations avec les administrations étrangères est rendu possible par : les conventions destinées à éviter les doubles impositions (plus de 120) les conventions destinées spécifiquement à permettre cet échange (28) les textes communautaires (notamment, la directive 2003/48 du 3 juin 2003, relative aux revenus de l épargne, et la directive 2011/16 du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal). L échange d informations doit intervenir par l intermédiaire des autorités compétentes des Etats concernés, il est soumis au secret professionnel. 19 19

Partie II : Les moyens d investigation de l administration à l égard des personnes physiques 2. La mise en oeuvre L administration n est pas tenue d informer un contribuable qu elle met en oeuvre l assistance administrative dans une affaire qui le concerne. En cas de mise en œuvre de l assistance administrative dans le cadre d une procédure de contrôle, les délais de prescription sont rallongés dans l attente du retour de l administration étrangère, sous réserve d information du contribuable (Article L 188 A du LPF). Exemple : III. L échange d informations avec les administrations étrangères Délai de prescription Report du délai de prescription N - 3 N - 2 N - 1 N N+1 N +2 N +3 Demande d information L administration n est pas tenue de communiquer au contribuable les informations obtenues d une administration étrangère pendant la durée du contrôle ; en revanche, ces informations devront être débattues contradictoirement dans la phase contentieuse, à défaut de quoi le juge les écartera des débats (voir CE 4/06/2008 n 301776 Sté Sparflex). 20 20

Partie II : Les moyens d investigation de l administration à l égard des personnes physiques III. L échange d informations avec les administrations étrangères 3. Les sanctions Apparition dans notre droit fiscal de la notion d Etat ou Territoire Non Coopératif (ETNC) dont la liste est fixée chaque année par le Ministre des Finances sur le fondement, notamment, des travaux du Forum mondial de l OCDE. L inscription d un pays sur la liste des ETNC emporte deux types de conséquences : une pénalisation financière (RAS passant de 30% à 75% sur les paiements d intérêts ou redevances, art. 182 B et 187 du CGI ; taxation forfaitaire des structures patrimoniales qui y sont établies, art. 123 bis du CGI par exemple) ; un renversement de la charge de la preuve pour les contribuables qui ont recours à des structures établies dans ces pays (non imputation des RAS sur les produits financiers provenant des ETNC, art. 209B-I-5 du CGI ; non déductibilité des charges payées dans un ETNC, sauf démonstration que cela n a pas pour effet ou pour objet de localiser ces produits dans cet ETNC, art. 238A). 21 21

Focus La régularisation des avoirs non déclarés à l étranger Cadre juridique : en l absence de déclaration d avoirs à l étranger au cours des 10 années précédentes, possibilité pour l administration d en demander la justification (art. L23C du LPF) ; en l absence de réponse satisfaisante, ces avoirs sont réputés résulter de donations à titre gratuit taxables au taux de 60% sur le montant le plus élevé de ces avoirs connu de l administration (art. 755 CGI). Circulaire du 21 juin 2013 : possibilité de régulariser ces avoirs sur une base volontaire sur la période débutant le 01.01.2006 ; modération des amendes pour non déclaration de comptes et des majorations d impôt selon que les intéressés sont considérés comme «actifs» ou «passifs» : Barème appliqué Origine des avoirs Avoirs reçus dans le cadre d'une succession ou d'une donation Avoirs constitués par le contribuable lorsqu'il ne résidait pas fiscalement en France Autres origines (ex: avoirs constitués par le contribuable lorsqu'il résidait fiscalement en France) Taux de la majoration pour manquement délibéré 15% 30% Amende plafonnée pour chaque manquement déclaratif à 1,5% de la valeur des avoirs au 31 décembre de l'année concernée 3% de la valeur des avoirs au 31 décembre de l'année concernée 22 22

Bilan provisoire de cette procédure : un indéniable succès populaire : près de 30.000 contribuables ont manifesté leur intention de régulariser leur situation ; près de 6.000 dossiers complets déposés ; une procédure lourde puisqu elle passe par le dépôt de déclarations rectificatives (IR / ISF / DMTG) pour toutes les années concernées ; des résultats très contrastés pour les personnes concernées : un taux moyen de prélèvement de l ordre de 20/25% mais qui peut augmenter significativement (application du 123 bis, imposition des DMTG). un cadre légal comportant peu de garanties pour les contribuables en cas de désaccord avec les positions de l administration ; un très bon rapport pour les finances publiques (2 milliards en 2014?). la doctrine de l administration est connue par deux conférences organisées avec les avocats conseils fiscaux (IACF) 23 23

Conclusion Vu de l étranger, l imposition des personnes physiques en France peut sembler excessivement complexe ; on peut aussi déplorer des changements excessifs et souvent rétroactifs ( petite rétroactivité ) qui génèrent un sentiment d insécurité fiscale ; Le montant des prélèvements sur le revenu est comparable à ce qui existe dans d autres pays industrialisés, quoique l IR soit excessivement concentré (10% des contribuables en acquittent 70%) et que 50% ne l acquittent pas ; La taxation du patrimoine (ISF + DMTG) est clairement plus pénalisante en France que dans d autres pays comparables ; Enfin, l accroissement spectaculaire des moyens de contrôle de l administration conduit à s interroger sur les conditions de leur mise en oeuvre dans les prochaines années. 24 24