Laurent Berger ALG` EBRE 1



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Transcription:

ALGÈBRE 1 Laurent Berger

Laurent Berger UMPA, ENS de Lyon, UMR 5669 du CNRS, Université de Lyon. E-mail : laurent.berger@ens-lyon.fr Url : http://perso.ens-lyon.fr/laurent.berger/

ALGÈBRE 1 Laurent Berger

TABLE DES MATIÈRES 1. Groupes...................................................................... 7 1.1. Sous-groupes et quotients.................................................. 7 1.2. Actions de groupes........................................................ 8 1.3. Groupes symétriques...................................................... 10 1.4. Groupes linéaires sur un corps fini.......................................... 11 2. Représentations des groupes finis........................................ 15 2.1. Représentations, sous-représentations et morphismes...................... 15 2.2. Caractères et fonctions centrales.......................................... 17 2.3. Décomposition des représentations........................................ 19 2.4. Tables des caractères...................................................... 20 3. Anneaux et modules........................................................ 23 3.1. Modules.................................................................. 23 3.2. Idéaux.................................................................... 25 3.3. Corps des fractions........................................................ 26 3.4. Anneaux principaux et euclidiens.......................................... 26 3.5. Anneaux factoriels........................................................ 27 3.6. Anneaux noethériens...................................................... 29 4. Polynômes et corps finis.................................................... 31 4.1. Polynômes et racines...................................................... 31 4.2. Le théorème de Hilbert.................................................... 32 4.3. Polynômes à coefficients dans un anneau factoriel.......................... 33 4.4. Corps finis................................................................ 34 5. Modules de type fini sur un anneau principal............................ 37 5.1. Modules libres de type fini et matrices.................................... 37 5.2. Diviseurs élémentaires pour un anneau principal............................ 38 5.3. Modules de type fini sur un anneau principal.............................. 40 5.4. Groupes abéliens de type fini et réduction des endomorphismes............ 42 6. Produits tensoriels.......................................................... 45 6.1. Produits tensoriels d espaces vectoriels.................................... 45 6.2. Produits alternés.......................................................... 46 6.3. Produits tensoriels de modules............................................ 48

6 TABLE DES MATIÈRES A. Relations d équivalence.................................................... 51 B. L axiome du choix.......................................................... 53 C. Le lemme du serpent...................................................... 55 Index............................................................................ 57

CHAPITRE 1 GROUPES Un groupe est un ensemble G muni d une loi de composition associative notée qui admet une unité, notée e ou 1, et tel que tout élément admet un inverse, noté g 1. On dit que G est commutatif ou abélien si la loi est commutative. Dans ce cas on note parfois cette loi + et l unité et l inverse d un élément g sont alors notés 0 et g. 1.1. Sous-groupes et quotients Une partie H de G est dite être un sous-groupe de G si h H implique h 1 H et si h 1, h 2 H implique h 1 h 2 H. Si P est une partie de G, alors on note P le sous-groupe engendré par P, c est l ensemble des éléments de G qui peuvent s écrire comme produits d éléments de P et de leurs inverses. On dit qu un groupe G est cyclique s il est engendré par un seul élément x. Si x G, alors l ordre de x est le cardinal du groupe x qui est un sous-groupe de G. Si G est un groupe fini, l ordre de G est le cardinal de G. Si H est un sous-groupe de G, alors on définit une relation d équivalence sur G par x y si et seulement si x 1 y H, c est-à-dire si et seulement si xh = yh. Les classes d équivalence de sont alors de la forme xh avec x G et l ensemble G est la réunion disjointe de telles classes d équivalence. On dit que H est un sous-groupe d indice fini si le nombre de classes d équivalence est fini, et on note alors (G : H) ce nombre. Par exemple, si G est un groupe fini, alors tout sous-groupe H est nécessairement d indice fini et on a : card(g) = (G : H) card(h). En particulier, card(h) divise card(g), c est le théorème de Lagrange. Notons G/H l ensemble des classes d équivalence de G pour la relation. On dit que le sous-groupe H est distingué dans G si pour tout y G, on a yh = Hy, ce qui revient à yhy 1 = H. Dans ce cas, on a xhyh = xyh et le produit de deux classes est encore une classe. Cela nous permet de munir l ensemble G/H d une structure de groupe par

8 CHAPITRE 1. GROUPES xh yh = xyh. L application naturelle G G/H est alors un morphisme de groupes surjectif dont le noyau est H. Notons que si f : G K est un morphisme de groupes, alors ker(f) est toujours un sous-groupe distingué de G. Proposition 1.1.1. Si Q est un groupe et si π : G Q est un morphisme de groupes surjectif dont le noyau est H, alors Q G/H. Démonstration. Si π : G Q est un morphisme comme ci-dessus, alors on définit une application r : Q G/H par r(q) = g où g G est tel que π(g) = q. Deux choix possibles d un tel g vérifient g = gh et donc g G/H est bien défini. Si q 1, q 2 Q, et π(g 1 ) = q 1 et π(g 2 ) = q 2, alors π(g 1 g 2 ) = q 1 q 2 et donc r est un morphisme de groupes. Enfin, r est surjectif car g = r(π(g)) et r est injectif car r(q) = 1 si et seulement si q = π(g) avec g H = ker(π). En particulier, si f : G K est un morphisme de groupes, alors im(f) G/ ker(f) et donc si G est fini, alors card(g) = card(ker(f)) card(im(f)). 1.2. Actions de groupes On dit qu un groupe G agit sur un ensemble X si l on a une application G X X notée telle que e x = x et a (b x) = (ab) x, ce qui revient à se donner un morphisme de groupes G Bij(X). Les actions de groupes sont au cœur des mathématiques, et même les plus simples sont très utiles. Si x X, on note Stab(x) ou G x l ensemble des g G tels que g x = x, c est un sous-groupe de G appelé le stabilisateur de x. Par ailleurs, l orbite de x est l ensemble G x = {g x, g G}. L application g g x est alors une bijection entre G/ Stab(x) et G x. En particulier, G x est fini si et seulement si Stab(x) est un sous-groupe d indice fini de G et alors (G : Stab(x)) = card(g x). L ensemble X est réunion disjointe des orbites de ses éléments, X = i I G x i et donc si X est fini, alors : card(x) = i I (G : Stab(x i )). On dit que deux éléments x et y sont conjugués s ils sont dans la même orbite. Dans ce cas, il existe g G tel que y = g x et alors Stab(y) = g Stab(x)g 1. L action de G sur X est dite transitive si deux éléments sont toujours conjugués, c est-à-dire s il n y a qu une seule orbite. L action est dite fidèle si le morphisme G Bij(X) est injectif. Par exemple, un groupe G agit sur lui-même par translation par g h = gh et cette action est fidèle et transitive. Si G est fini de cardinal n, alors Bij(G) S n (le groupe

1.2. ACTIONS DE GROUPES 9 symétrique) et le morphisme G S n est injectif. On en déduit le théorème ci-dessous, dû à Cayley. Théorème 1.2.1. Si G est un groupe fini d ordre n, alors G s identifie à un sousgroupe de S n. Si σ S n est une permutation et si K est un corps, alors la matrice de permutation Mat(σ) (définie par Mat(σ) σ(i),i = 1 pour tout i et les autres coefficients sont nuls) appartient à GL n (K) et Mat(στ) = Mat(σ) Mat(τ) ce qui fait que S n est de manière naturelle un sous-groupe de GL n (K). Le théorème 1.2.1 implique alors le résultat cidessous, valable quel que soit K, et que nous utiliserons plus loin avec K = F p. Théorème 1.2.2. Si G est un groupe fini de cardinal n et si K est un corps, alors G s identifie à un sous-groupe de GL n (K). Le groupe G agit aussi sur lui-même par g h = ghg 1 : c est l action par conjugaison. Si x G, alors le sous-groupe Stab(x) est aussi noté Z(x), c est l ensemble des g G tels que gx = xg, le centralisateur de x. Cette notion se généralise à une partie quelconque P de G, on pose Z(P ) = {g G, gx = xg pour tout x P }. En particulier, si P = G, on trouve le centre Z(G) de G ; c est le noyau de l application G Bij(G) donnée par l action par conjugaison. Si x G, alors l orbite de x sous l action par conjugaison est appelée la classe de conjugaison de x. Si G est un groupe fini, alors la formule card(x) = i I (G : Stab(x i)) nous donne dans ce cas l équation aux classes : card(g) = x C(G : Z(x)), où C est un ensemble de représentants des classes de conjugaison de G. Si p est un nombre premier, on dit qu un groupe G est un p-groupe si son cardinal est une puissance de p. Proposition 1.2.3. Si G est un p-groupe qui agit sur un ensemble fini E, alors : card(e) = card(e G ) mod p. Démonstration. On a x E G si et seulement si Stab(x) = G et la formule card(e) = i I (G : Stab(x i)) implique alors que : card(e) card(e G ) = (G : Stab(x i )) = 0 mod p, i I Stab(x i ) G chaque indice (G : Stab(x i )) étant divisible par p s il est non trivial. Corollaire 1.2.4. Si G est un p-groupe, alors Z(G) {e}.

10 CHAPITRE 1. GROUPES Démonstration. Remarquons que x Z(G) si et seulement si Z(x) = G. Si G agit sur lui-même par conjugaison, alors l ensemble des x tels que Stab(x) = Z(x) = G est non vide (puisque x = e convient) et la proposition 1.2.3 montre qu il est de cardinal divisible par p et contient donc un x e. Corollaire 1.2.5. Si G est un p-groupe qui agit par des applications linéaires sur un F p -espace vectoriel E de dimension finie, alors E G {0}. Démonstration. Comme G agit par des applications linéaires, on a 0 E G et la proposition 1.2.3 implique que p divise card(e G ) et le cardinal de E G est donc p. Corollaire 1.2.6. Si G est un groupe fini et si p est un nombre premier qui divise card(g), alors il existe un élément dans G d ordre p. Démonstration. On fait agir le groupe Z/pZ sur l ensemble : E = {(g 0,..., g p 1 ) G p, g 0 g p 1 = e}, par a (g 0,..., g p 1 ) = (g a, g a+1,... ), les indices étant pris modulo p. Remarquons que E Z/pZ = {(g,..., g)} où g p = 1 et contient donc au moins (e,..., e). La proposition 1.2.3 implique que p divise card(e Z/pZ ) et donc qu il existe g G d ordre p. 1.3. Groupes symétriques Si n 1, alors rappelons que l on note S n le groupe des permutations de l ensemble {1,..., n}. C est un groupe fini de cardinal n! qui agit de manière fidèle et transitive sur {1,..., n}. Un cycle de longueur r 2 est une permutation de la forme : i 1 i 2... i r i 1 avec {i 1..., i r } {1,..., n}. Un tel cycle est noté [i 1 i 2... i r ]. Un cycle de longueur 2 s appelle une transposition. On dit que deux cycles [i 1 i 2... i r ] et [j 1 i 2... j s ] sont disjoints si {i 1..., i r } {j 1..., j s } =. Tout élément de S n est alors un produit de cycles disjoints. Comme [i 1 i 2... i r ] = [i 1 i 2 ][i 2 i 3 ] [i r 1 i r ] (attention au fait que quand on applique στ, on fait d abord la permutation τ et ensuite la permutation σ), on voit que tout cycle est produit de transpositions et donc que les transpositions engendrent S n. La signature ε(σ) d une permutation σ S n est définie par : ε(σ) = i<j σ(j) σ(i) j i {±1}.

1.4. GROUPES LINÉAIRES SUR UN CORPS FINI 11 L application ε : S n {±1} ainsi définie est un morphisme de groupes. On en déduit que si σ est le produit de k transpositions, alors ε(σ) = ( 1) k ou encore que si Mat(σ) est la matrice de permutation associée à σ, alors ε(σ) = det(mat(σ)). Le noyau de ε est un sous-groupe distingué de S n appelé groupe alterné, et noté A n. Ce groupe est l ensemble des produits d un nombre pair de transpositions et on en déduit qu il est engendré par tous les 3-cycles, par exemple. Proposition 1.3.1. Le groupe A n est un sous-groupe d indice 2 de S n et c est le seul sous-groupe ayant cette propriété. Démonstration. Si H est un sous-groupe d indice 2 d un groupe G, alors H est nécessairement distingué. En effet, si g G\H, alors G = H gh = H Hg et donc gh = Hg ce qui fait que H = ghg 1. On en déduit que si g G \ H, alors g 2 = 1 dans G/H et donc g 2 H ce qui fait que H contient tous les carrés d éléments de G. En particulier, un sous-groupe d indice 2 de S n contient forcément tous les 3-cycles et est donc égal à A n (on peut aussi utiliser le fait que [ijkl] 2 = [ik][jl]). Pour terminer, nous décrivons toutes les classes de conjugaison dans S n. Si n est un entier 1, alors une partition de n est une manière d écrire n = k 1 + k 2 + + k s avec k i entier et k 1 k 2 k s 1. Théorème 1.3.2. Il existe une bijection entre l ensemble des classes de conjugaison de S n et l ensemble des partitions de n. Démonstration. Si σ S n, alors on peut lui associer une partition de la manière suivante : si σ est le produit de s cycles disjoints de longueurs k i (on rajoute un cycle de longueur 1 donné par [j] pour chaque point fixe j de σ), alors on associe à σ la partition n = k 1 + k 2 + + k s. Si σ S n et si [i 1 i 2... i r ] est un cycle, alors σ[i 1 i 2... i r ]σ 1 = [σ(i 1 )σ(i 2 )... σ(i r )]. En particulier, si deux transpositions sont conjuguées, alors leurs décompositions en cycles se font avec des cycles de même longueurs. Réciproquement, si les partitions associées à σ et τ sont les mêmes, alors σ et τ sont conjuguées. Par exemple, la classe de conjugaison de l identité correspond à la partition n = 1 + + 1 et la classe de conjugaison des n-cycles correspond à la partition n = n. La suite naturelle du théorème 1.3.2 est la théorie de tableaux de Young. 1.4. Groupes linéaires sur un corps fini Si p est un nombre premier, alors GL n (F p ) est le groupe des matrices n n à coefficients dans F p de déterminant 0. Si V = F n p et (e 1,..., e n ) en dénote la base standard, alors

12 CHAPITRE 1. GROUPES G s identifie à Aut(V ) via la bijection Mat(f) f et donc G agit sur V. Cette action est fidèle sur V et transitive sur V \ {0}. Proposition 1.4.1. Le groupe GL n (F p ) est de cardinal : (p n 1)(p n p) (p n p n 1 ) = p n(n 1) 2 (p n 1)(p n 1 1) (p 1). Démonstration. Une matrice M GL n (F p ) est constituée de n vecteurs colonnes C 1,..., C n qui engendrent F n p. Il y a p n 1 manières de choisir C 1 F n p \ {0}, et pour chaque i 1, il y a ensuite p n p i manières de choisir C i+1 F n p \ Vect(C 1,..., C i ). Le morphisme det : GL n (F p ) F p est surjectif et son noyau est le groupe SL n (F p ) = {M GL n (F p ), det(m) = 1}. La formule card(gl n (F p )) = card(ker(det)) card(im(det)) montre alors que : card(sl n (F p )) = p n(n 1)/2 (p n 1)(p n 1 1) (p 2 1). Nous allons tout d abord utiliser le fait que tout groupe fini de cardinal n se plonge dans GL n (F p ) pour montrer un théorème de Sylow. Si p est un nombre premier, alors on dit qu un sous-groupe P d un groupe fini H est un p-sylow si P est un p-groupe et si (H : P ) est premier à p. Le groupe GL n (F p ) admet un p-sylow évident, le sous-groupe U constitué des matrices triangulaires supérieures ayant des 1 sur la diagonale. Théorème 1.4.2. Si H est un groupe fini et p divise card(h), alors H admet un p-sylow. Démonstration. Par le théorème 1.2.2, H s identifie à un sous-groupe de GL n (F p ). On a vu plus haut que GL n (F p ) admet un p-sylow, par exemple son sous-groupe U. Par suite, il suffit de montrer le résultat suivant : si G est un groupe fini, si H est un sous-groupe de G et si P est un p-sylow de G, alors il existe g G tel que H gp g 1 est un p-sylow de H. Comme H gp g 1 est un p-groupe, il suffit de trouver g tel que (H : H gp g 1 ) est premier à p. Pour cela, considérons l action de H par translations à gauche sur G/P. Si gp G/P, alors Stab(gP ) = {h H tels que hgp = gp } = H gp g 1. Il suffit donc de montrer qu il existe une orbite dont le cardinal n est pas divisible par p, puisque ce cardinal vaut (H : H gp g 1 ). Mais G/P est réunion disjointe de ces orbites et est de cardinal premier à p, et il existe donc une orbite de cardinal premier à p. Rappelons à présent que le centre Z(G) d un groupe G est le sous-groupe formé des éléments qui commutent avec tous les autres. Proposition 1.4.3. Le centre de GL n (F p ) est constitué des matrices de la forme λ Id et le centre de SL n (F p ) est constitué des matrices de la forme λ Id avec λ n = 1.

1.4. GROUPES LINÉAIRES SUR UN CORPS FINI 13 Démonstration. Soit E i,j la matrice élémentaire, qui est nulle sauf le terme sur la i- ième ligne et la j-ième colonne qui vaut 1. Si M M n (F p ), alors la matrice ME i,j est nulle sauf sa j-ième colonne qui est la i-ième colonne de M et E i,j M est nulle sauf sa i-ième ligne qui est la j-ième ligne de M. Par suite, si ME i,j = E i,j M pour tout i j, alors M est diagonale et tous les termes diagonaux sont égaux entre eux. Si i j, alors Id +E i,j SL n (F p ) et donc si M commute avec tous les éléments de SL n (F p ), alors M est de la forme λ Id. Enfin, si M SL n (F p ), alors on doit avoir det(m) = λ n = 1. On définit alors le groupe projectif linéaire PGL n (F p ) = GL n (F p )/Z(GL n (F p )) et le groupe projectif spécial linéaire PSL n (F p ) = SL n (F p )/Z(SL n (F p )). Le groupe GL n (F p ) agit de manière naturelle sur V = F n p. Nous allons construire un espace sur lequel PGL n (F p ) et PSL n (F p ) agissent naturellement. Si n 1, on définit une relation d équivalence sur F n+1 p \ {0} par x y si et seulement si il existe λ F p tel que y = λx. L espace quotient P n (F p ) = (F n+1 p \ {0})/ s identifie alors à l ensemble des droites vectorielles de F n+1 p et on l appelle espace projectif de dimension n sur F p. C est un ensemble fini de cardinal (p n+1 1)/(p 1). Si v P n (F p ) avec v F n+1 p \ {0} et si g PGL n+1 (F p ) ou PSL n+1 (F p ) avec g GL n+1 (F p ), alors g(v) P n (F p ) ne dépend pas du choix de v ni de celui de g et les groupes PGL n+1 (F p ) et PSL n+1 (F p ) agissent donc naturellement sur P n (F p ). Proposition 1.4.4. L action naturelle de PGL n+1 (F p ) et PSL n+1 (F p ) sur P n (F p ) est fidèle et transitive. Démonstration. Si g PGL n+1 (F p ) ou PSL n+1 (F p ) agit trivialement sur P n (F p ), cela veut dire que l action de g sur F n+1 p stabilise toutes les droites et donc que g est scalaire ce qui implique g = 1. Ceci montre que l action est fidèle. Pour montrer que l action est transitive, il suffit de voir que si l on se donne deux droites de F n+1 p, alors il existe g GL n+1 (F p ) ou SL n+1 (F p ) qui envoie l une sur l autre, mais cela résulte du fait que l action de GL n+1 (F p ) ou SL n+1 (F p ) sur F n+1 p \ {0} est transitive. Par exemple, si n = 1, on trouve que PGL 2 (F p ) et PSL 2 (F p ) s injectent tous les deux dans Bij(P 1 (F p )) S p+1. Ceci permet de déterminer PGL 2 (F p ) et PSL 2 (F p ) pour des petites valeurs de p. Nous donnons quelques exemples ci-dessous. Rappelons que A n est le groupe alterné, sous-groupe des permutations de S n dont la signature est égale à 1. Exemple 1.4.5. On a les isomorphismes suivants : (1) PSL 2 (F 2 ) S 3 ; (2) PGL 2 (F 3 ) S 4 ;

14 CHAPITRE 1. GROUPES (3) PSL 2 (F 3 ) A 4. Démonstration. Pour les deux premiers cas, on sait que le groupe de gauche s injecte dans celui de droite et il suffit de comparer les cardinaux. Le centre de SL 2 (F 2 ) est réduit à ( 1 0 0 1 ) et donc : card(psl 2 (F 2 )) = card(sl 2 (F 2 )) = 2 1 (2 2 1) = 6. Le centre de GL 2 (F 3 ) est égal à ± ( 1 0 0 1 ) et donc : card(pgl 2 (F 3 )) = card(gl 2 (F 3 ))/2 = 3 1 (3 2 1) (3 1 1)/2 = 24. Pour le dernier cas, on sait que le groupe de gauche s injecte dans S 4 et en comparant les cardinaux, il suffit d utiliser la proposition 1.3.1 qui dit que si k 3, alors le seul sous-groupe d indice 2 de S k est A k. Il y a bien sûr d autres exemples de ce type. Pour terminer, signalons que le groupe PSL n (F p ) est simple, c est-à-dire qu il n admet pas de sous-groupe distingué non trivial, sauf dans deux cas : PSL 2 (F 2 ) qui est isomorphe à S 3 et PSL 2 (F 3 ) qui est isomorphe à A 4. Nous ne montrons pas la simplicité de PSL n (F p ) dans ce cours (mais ce n est pas très compliqué : exercice).

CHAPITRE 2 REPRÉSENTATIONS DES GROUPES FINIS On a vu au chapitre précédent que tout groupe fini peut être vu comme un groupe de matrices (théorème 1.2.2). Si G est un groupe, une représentation de G est un morphisme de groupes ρ : G GL(V ) où V est un espace vectoriel. L objet de ce chapitre est d étudier les représentations des groupes finis sur des C-espaces vectoriels de dimension finie. 2.1. Représentations, sous-représentations et morphismes Dans tout ce chapitre, on suppose que G est un groupe fini et que V est un C-espace vectoriel de dimension finie et la dimension de la représentation est celle de V. On écrit généralement g v au lieu de ρ(g)(v). On dit qu un produit scalaire hermitien, sur V est invariant sous l action de G si gv, gw = v, w pour tout g G et v, w V ce qui revient à dire que ρ(g) est unitaire pour,. Proposition 2.1.1. Si V est une représentation de G, alors il existe sur V un produit scalaire hermitien, V invariant sous l action de G. Démonstration. Soit, un produit scalaire quelconque et : 1 v, w V = gv, gw. card(g) Il est clair que, V est linéaire à droite et semi-linéaire à gauche et invariant par G. Enfin si v 0, alors on a v, v V = (1/ card(g)) g G gv 2 > 0 et donc, V est bien défini positif. Si V est une représentation de G et si W est un sous-espace vectoriel de V stable par G, alors on dit que W est une sous-représentation de V. On note V G = {v V tels que gv = v pour tout g G} l ensemble des invariants sous l action de G ; c est une g G

16 CHAPITRE 2. REPRÉSENTATIONS DES GROUPES FINIS sous-représentation de V sur laquelle G agit trivialement. On dit que V est irréductible si les seules sous-représentations de V sont {0} et V. Théorème 2.1.2. Toute représentation V de G est somme directe de représentations irréductibles. Démonstration. Si V est irréductible, alors on a terminé. Sinon, il en existe une sous-représentation W et l orthogonal W de W dans V pour, V est aussi une sousreprésentation de V et on a V = W W. On applique alors le théorème par récurrence (sur la dimension) à W et W. La décomposition n est pas unique, par exemple si ρ(g) = Id pour tout g G alors une décomposition de V en somme directe de représentations irréductibles est juste une décomposition quelconque de V en somme directe de droites. Si V et W sont deux représentations de G, on appelle Hom(V, W ) l ensemble des applications linéaires f : V W. C est une représentation de G : si f Hom(V, W ) et g G, alors on pose (g f)(v) = g (f(g 1 v)). Dans le cas particulier où W est C muni de l action triviale de G, on note V = Hom(V, C) : c est la duale de V. On note Hom G (V, W ) l ensemble des f : V W qui commutent à G (on dit aussi que f est G-équivariante) et on a alors Hom G (V, W ) = Hom(V, W ) G. Deux représentations V et W sont isomorphes s il existe un isomorphisme f : V W qui commute à l action de G. Le résultat ci-dessous s appelle le lemme de Schur. Théorème 2.1.3. Si V et W sont deux représentations irréductibles de G, alors Hom G (V, W ) = {0} si W V et Hom G (V, V ) = C Id. Démonstration. Soit f : V W une application G-équivariante. Comme ker(f) et im(f) sont des sous-espaces stables de V et W, ils sont nuls ou égaux à V ou W ce qui fait que f est forcément nulle ou bien un isomorphisme. Si W V, alors f est donc forcément nulle. Si f : V V est un morphisme équivariant, alors comme C est algébriquement clos, f admet une valeur propre λ et l espace ker(f λ Id) est alors une sous-représentation non nulle de V ce qui fait que ker(f λ Id) = V et donc que f = λ Id. Remarquons que si G est un groupe abélien, alors toutes les représentations irréductibles de G sont de dimension 1. En effet, si V est une telle représentation, et si g G, alors ρ(g) Hom G (V, V ) puisque G est abélien et donc par le théorème 2.1.3, pour tout g G, il existe χ(g) C tel que gv = χ(g)v. On en déduit que tout sous-espace vectoriel de V est stable par G et donc que V est une droite si elle est irréductible.

2.2. CARACTÈRES ET FONCTIONS CENTRALES 17 Si G est un groupe, un morphisme χ : G C s appelle un caractère linéaire de G. Ceux-ci correspondent aux représentations irréductibles de dimension 1 de G. En particulier, les représentations irréductibles d un groupe abélien correspondent bijectivement à ses caractères linéaires. Si V est une représentation de G, on note V (χ) la tordue de V par χ ; c est le même espace vectoriel mais on pose : ρ V (χ) (g) = ρ V (g)χ(g). Pour terminer, remarquons qu il y a un lien étroit entre actions de groupes et représentations. Si X est un ensemble fini sur lequel G agit, soit V X l espace vectoriel x X C e x. On fait de V X une représentation de G en posant ge x = e gx. Dans le cas particulier où X = G est muni de l action de G par translation, on obtient la représentation régulière de G. 2.2. Caractères et fonctions centrales Si V est une représentation de G, alors le caractère de la représentation V est la fonction χ V : G C définie par χ V (g) = Tr(ρ(g)). On a par exemple χ V (1) = Tr(Id) = dim(v ). Si l on fixe g G et que l on pose n = card(g), alors ρ(g) n = ρ(g n ) = Id et donc ρ(g) est diagonalisable à valeurs propres de module 1 ce qui fait que χ V (g 1 ) = χ V (g). Proposition 2.2.1. Si V est une représentation de G, alors χ V = χ V sont deux représentations, alors χ V W = χ V + χ W et χ Hom(V,W ) = χ V χ W. et si V et W Démonstration. La formule χ V W = χ V + χ W est claire et par ailleurs on a χ C = 1 et donc le fait que χ V = χ V suit de la formule χ Hom(V,W ) = χ V χ W que nous montrons maintenant. Soit g G ; comme ρ(g) est diagonalisable (sur V et sur W ) à valeurs propres de module 1, on peut choisir des bases {v i } et {w j } dans lesquelles l action de g est diagonale (de valeurs propres λ i et µ j ) et si l on appelle u i,j Hom(V, W ) l application qui envoie v i sur w j, alors on a (g u i,j )(v k ) = gu i,j (λ k v k ) = λ i µ j w j si k = i et 0 sinon ce qui fait que : χ Hom(V,W ) (g) = Tr(ρ Hom(V,W ) (g)) = i,j λ i µ j = χ V (g)χ W (g), et donc que χ Hom(V,W ) = χ V χ W. Proposition 2.2.2. Si V est une représentation de G, alors : dim(v G 1 ) = χ V (g). card(g) Démonstration. Soit f : V V la fonction f = (1/ card(g)) g G ρ(g). On a ρ(g)f = f pour tout g G et donc f 2 = f ce qui fait que f est diagonalisable sur V à valeurs propres 0 et 1 et que l on peut écrire V = V 0 V 1. Si v V 1, alors gv = gf(v) = g G

18 CHAPITRE 2. REPRÉSENTATIONS DES GROUPES FINIS f(v) = v et donc v V G. Réciproquement, si v V G, alors f(v) = v et donc f V 1 ce qui fait que V 1 = V G. La dimension de V G = V 1 est égale à la trace de f et donc à (1/ card(g)) g G χ V (g). Une fonction f : G C telle que f(g) = f(hgh 1 ) pour tout g, h G s appelle une fonction centrale. On note R(G) l espace vectoriel des fonctions centrales sur G : c est un C-espace vectoriel dont la dimension est égale au nombre de classes de conjugaisons de G. On munit R(G) du produit scalaire hermitien : 1 f 1, f 2 = f 1 (g)f 2 (g). card(g) Si g, h G, alors ρ(hgh 1 ) = ρ(h)ρ(g)ρ(h) 1 et donc χ V (g) = χ V (hgh 1 ) et les caractères χ V g G sont donc des exemples de fonctions centrales. Proposition 2.2.3. Si V et W sont deux représentations de G, alors χ V, χ W = dim Hom G (V, W ). En particulier, si V et W sont irréductibles, alors χ V, χ W = 0 si W V et χ V, χ W = 1 si W = V. Démonstration. La proposition 2.2.1 montre que : 1 χ V, χ W = χ Hom(V,W ) (g), card(g) et la proposition 2.2.2 implique alors que : g G χ V, χ W = dim Hom(V, W ) G = dim Hom G (V, W ), ce qui montre le premier point. Le deuxième suit alors du théorème 2.1.3 (le lemme de Schur) qui dit que dim Hom G (V, W ) est égal à 1 ou 0 selon que W = V ou pas. On en déduit en particulier que l ensemble des caractères χ V où V parcourt l ensemble des représentations irréductibles de G, forme une famille orthonormale de l espace des fonctions centrales sur G. Le résultat ci-dessous est dû à Frobenius. Théorème 2.2.4. L ensemble des caractères χ V où V parcourt l ensemble des représentations irréductibles de G, forme une base orthonormale de l espace des fonctions centrales sur G. Démonstration. Etant donné ce que l on a déjà vu, il suffit de montrer que ces caractères engendrent R(G). Pour cela, il suffit de montrer que si ϕ est une fonction centrale telle que ϕ, χ V = 0 pour toute V irréductible, alors ϕ = 0. Si V est irréductible, soit f : V V définie par f = g G ϕ(g)g. Si h G, alors : fh = g G ϕ(g)gh = h g G ϕ(h 1 gh)h 1 gh = hf,

2.3. DÉCOMPOSITION DES REPRÉSENTATIONS 19 et donc f = λ Id par le théorème 2.1.3. Comme Tr(f) = card(g) ϕ, χ V = 0, on a f = 0. Si V est une représentation quelconque de G, alors le théorème 2.1.2 montre que V est somme directe de représentations irréductibles de G et donc que l endomorphisme f = g G ϕ(g)g de V est nul. Si V est à présent la représentation régulière de G définie à la fin du 2.1, de base {e g } g G, alors f(e 1 ) = g G ϕ(g)e g = 0 ce qui fait que ϕ(g) = 0 pour tout g G. 2.3. Décomposition des représentations Le théorème 2.1.2 nous dit que toute représentation de G est une somme directe de représentations irréductibles. Grâce aux résultats du paragraphe précedent, nous pouvons préciser ce théorème. Proposition 2.3.1. Si V est une représentation de G et si V = W 1 W r est une décomposition de V en somme directe de représentations irréductibles, et si W est une représentation irréductible, alors le nombre de W i qui sont isomorphes à W ne dépend pas de la décomposition et vaut χ W, χ V. Démonstration. Par la proposition 2.2.1, on a χ V = χ W1 + + χ Wr ce qui fait que χ W, χ V = χ W, χ W1 + + χ W, χ Wr et par la proposition 2.2.3, on a χ W, χ Wi = 1 si W = W i et χ W, χ Wi = 0 si W W i. En particulier, on a V = W W χ W,χ V et si deux représentations V 1 et V 2 ont le même caractère χ, elles sont donc isomorphes (à W W χ W,χ ). Par le théorème 2.2.4, l espace R(G) des fonctions centrales admet l ensemble des caractères des représentations irréductibles comme base orthonormale, ce qui fait que le nombre de représentations irréductibles de G est égal au nombre de classes de conjugaison de G. La décomposition de la représentation régulière V G est particulièrement intéressante. On a χ VG (1) = dim(v G ) = card(g) et d autre part, si h 1, alors la matrice de l action de h dans la base {e g } g G est une matrice de permutation qui n a que des zéros sur la diagonale, et qui est donc de trace nulle, ce qui fait que χ VG (h) = 0 si h 1. Théorème 2.3.2. Si W est une représentation irréductible de G, alors W est contenue dans la représentation régulière et y apparaît avec la multiplicité dim(w ). De plus : (1) on a W dim(w )2 = card(g) ; (2) si g 1, alors W dim(w )χ W (g) = 0.

20 CHAPITRE 2. REPRÉSENTATIONS DES GROUPES FINIS Démonstration. Le nombre de fois que W apparaît dans V G est (par la proposition 2.3.1) égal à : χ W, χ VG = On en déduit que χ VG 1 card(g) χ W (g)χ VG (g) = g G 1 card(g) χ W (1) card(g) = dim(w ). = W dim(w ) χ W ; en appliquant cette formule à g = 1, on trouve le (1) et en l appliquant à g 1, on trouve le (2). Pour terminer, remarquons que si V = r i=1w m i i est une décomposition d une représentation V en somme directe d irréductibles, alors χ V, χ V = m 2 1 + m 2 r et en particulier, χ V, χ V est un entier 1 qui vaut 1 si et seulement si V est irréductible. 2.4. Tables des caractères Si G est un groupe fini, alors on a vu que le nombre de représentations irréductibles de G est égal au nombre de classes de conjugaison de G, et qu une représentation V est déterminée par son caractère χ V qui est une fonction centrale. On peut donc regrouper toute l information concernant les représentations de G dans un tableau carré, appelé table des caractères de G. Les lignes correspondent aux caractères des représentations irréductibles de G et les colonnes aux classes de conjugaison de G (on choisit un représentant g i par classe C i, et χ(g i ) ne dépend pas du choix de g i ) Par convention g 1 = 1 et par ailleurs la première ligne correspond au caractère de la représentation triviale. Quelque fois, on écrit au-dessus de chaque g i le cardinal de la classe de conjugaison correspondante. La table des caractères d un groupe G a donc la forme suivante : g 1... g r χ 1 χ 1 (g 1 )... χ 1 (g r ).. χ r χ r (g 1 )... χ r (g r ) ou bien k 1... k r g 1... g r χ 1 χ 1 (g 1 )... χ 1 (g r ).. χ r χ r (g 1 )... χ r (g r ) Par exemple, si G = Z/nZ, alors G admet n classes de conjugaison et donc n représentations irréductibles, qui sont toutes de dimension 1 puisque G est abélien. Si l on pose ω n = exp(2iπ/n), alors ces représentations irréductibles sont données par les n caractères

2.4. TABLES DES CARACTÈRES 21 linéaires η h : a ω ah n avec h {0,..., n 1}. La table des caractères de G est alors : 1 1 1... 1 0 1 2... n 1 η 0 1 1 1... 1 η 1 1 ω n ωn 2... ωn n 1. η n 1 1 ωn n 1. ωn n 2... ω n Faisons la table des caractères de S 3. Le groupe S n agit naturellement sur V n = C n = Vect(e 1,..., e n ) en permutant les coordonnées : σ(e j ) = e σ(j) et on a V n = H n C où H n = { n i=1 α ie i tels que i α i = 0} et C est la représentation triviale de S n. Cela nous donne deux représentations de S n de dimensions n 1 et 1. La représentation H n est en fait irréductible : si W est une sous-représentation de H n et x = n i=1 x ie i W est non nul, alors il existe i et j tels que x i x j et en regardant [ij]x x, on trouve que e i e j W. Enfin, si k et l sont deux entiers, alors il existe σ S n telle que σ(i) = k et σ(j) = l et on en déduit que e k e l W. Comme ces vecteurs engendrent H n on a finalement W = H n. Enfin, la signature ε est un caractère linéaire de S n et définit donc une troisième représentation. Si n = 3, alors S 3 est de cardinal 6 et possède trois classes de conjugaison : celle de 1 qui est de cardinal 1, celle des transpositions qui est de cardinal 3 et celle des 3-cycles qui est de cardinal 2. Le groupe S 3 admet donc trois représentations irréductibles de dimensions m 1, m 2 et m 3 qui doivent satisfaire m 2 1 + m 2 2 + m 2 3 = 6 ce qui force ces dimensions à être 1, 1 et 2. La représentations triviale C, la signature et H 3 nous donnent donc toutes les représentations de S 3. La représentation H 3 admet e 1 e 2 et e 1 e 3 comme base ce qui permet de calculer χ H3. La table des caractères de S 3 est alors : 1 3 2 1 [ij] [ijk] 1 1 1 1 ε 1 1 1 χ 2 0 1 Les résultats que l on a vus aux paragraphes précédents se traduisent immédiatement en des propriétés de la table des caractères X(G) d un groupe G. Par exemple, le fait que χ W (1) = dim(w ) implique que la première colonne de X(G) est la liste des dimensions des représentations irréductibles de G. Proposition 2.4.1. Soit r le nombre de classes de conjugaison de G et X = X(G) la matrice r r des χ i (g j ) et soit K la matrice diagonale dont les termes diagonaux sont les k i. On a alors XK t X = card(g) Id.

22 CHAPITRE 2. REPRÉSENTATIONS DES GROUPES FINIS Démonstration. On a : r (XK t X) i,j = k l χ i (g l )χ j (g l ) = χ i (g)χ j (g) = card(g) χ i, χ j g G l=1 et le fait que XK t X = card(g) Id suit de la proposition 2.2.3 qui nous dit que χ i, χ j = 1 ou 0 selon que i = j ou pas. On en déduit en particulier que deux lignes distinctes sont orthogonales, si l on pondère le j-ième terme du produit par k j (d où l utilité de noter les k j ) et le produit scalaire pondéré de la i-ème ligne avec elle-même vaut card(g). L équation XK t X = card(g) Id implique que t XX = card(g)k 1 et donc que deux colonnes distinctes sont orthogonales et que le produit scalaire de la i-ième colonne avec elle-même vaut card(g)/k i. Cela permet souvent de compléter la table des caractères si on n en connaît qu un morceau. Faisons à présent la table des caractères de S 4 qui a 5 classes de conjugaisons, celle de 1 (de cardinal 1), celle de [ij][kl] (de cardinal 3), celle de [ijk] (de cardinal 8), celle de [ij] (de cardinal 6), et celle de [ijkl] (de cardinal 6). Le groupe S 4 a deux représentations irréductibles de dimension 1, la triviale et ε, et une représentation irréductible de dimension 3, H 4. De plus, χ H4 χ H4 ε et donc H 4 (ε) est une deuxième représentation irréductible de dimension 3. Il manque une dernière représentation irréductible W, qui est nécessairement de dimension 2 puisque 1 2 + 1 2 + 3 2 + 3 2 + 2 2 = 24. En utilisant les relations d orthogonalité, on peut compléter la table sans déterminer W. La table des caractères de S 4 est donc : 1 3 8 6 6 1 [ij][kl] [ijk] [ij] [ijkl] 1 1 1 1 1 1 ε 1 1 1 1 1 H 4 3 1 0 1 1 H 4 (ε) 3 1 0 1 1 W 2 2 1 0 0 D autres exemples sont faits en exercices. Voir aussi le 6.1.

CHAPITRE 3 ANNEAUX ET MODULES Un anneau est un ensemble A muni de deux lois + et telles que : (1) (A, +) est un groupe abélien ; (2) a(bc) = (ab)c et a 1 = 1 a ; (3) a(b + c) = ab + ac et (b + c)a = ba + ca. Si 0 1 et si a 0 et b 0 implique que ab 0, alors on dit que A est intègre. Si ab = ba pour tous a, b A, alors on dit que A est commutatif. Si A est commutatif, et si tout a 0 admet un inverse, alors on dit que A est un corps. 3.1. Modules Un module sur un anneau A est l analogue d un espace vectoriel sur un corps K, c està-dire que c est un ensemble M muni d une loi + telle que (M, +) est un groupe abélien et d une loi A M M qui à (a, m) associe am et vérifie : (1) (a + b)m = am + bm et a(m + n) = am + an ; (2) a(bm) = abm et 1 m = m. Contrairement au cas des espaces vectoriels, le fait que am = 0 n implique pas que a = 0 ou que m = 0, et les A-modules n admettent pas de bases en général. La théorie des A-modules est beaucoup plus riche que celle des espaces vectoriels sur un corps. Si M et N sont deux modules, alors on définit M N. Un morphisme f : M N est une application additive et A-linéaire. L ensemble des morphismes de M dans N est noté Hom A (M, N) ou plus simplement Hom(M, N) et c est un A-module. Le module dual de M est M ou M et est défini par M = Hom(M, A). C est donc l ensemble des formes linéaires sur M. Etant donnée une application f : M N, on note ker(f) = {m M f(m) = 0} et im(f) = {f(m), m M}. Ce sont des sous-modules de M et N respectivement. Si l on a

24 CHAPITRE 3. ANNEAUX ET MODULES trois modules L, M et N et f : L M et g : M N, alors on écrit plutôt la suite : L f M g N, et on dit que cette suite est exacte en M si im(f) = ker(g). Cette définition est absolument fondamentale. Si on a une suite : f 1 f 2 M 1 M2 M3, alors on dit que cette suite est exacte en M i si im(f i 1 ) = ker(f i ) et on dit que la suite est exacte si elle est exacte en M i pour tout i. Par exemple, la suite 0 L f M g N 0 est exacte si et seulement si : (1) f est injective ; (2) im(f) = ker(g) ; (3) g est surjective. Si M est un sous-module de N, alors on définit une relation d équivalence sur N par n 1 n 2 si et seulement si n 1 n 2 M et on note N/M l ensemble des classes d équivalence de. On munit cet ensemble des lois n 1 + n 2 = n 1 + n 2 et a n = an. C est un exercice de vérifier que les lois ne dépendent pas des choix faits, et qu elles font de N/M un A-module. On a alors une suite exacte : 0 M N n n N/M 0. Théorème 3.1.1. Si l on a une suite exacte 0 M f N N/f(M). g Q 0, alors Q Démonstration. Cela revient à montrer que si l on a un morphisme surjectif g : N Q, alors Q N/ ker(g). Pour cela, nous allons construire h : Q N/ ker(g) et montrer que c est un isomorphisme. Si q Q, alors il existe n N tel que g(n) = q et si n est un autre élément ayant cette propriété, alors n n ker(g) ce qui fait que l application h : q n est bien définie. Elle est injective, car h(q) = 0 si et seulement si q = g(n) avec n ker(g) ce qui implique q = 0. Elle est surjective car si n N/ ker(g), alors n = h(g(n)). On a donc bien construit un isomorphisme h : Q N/ ker(g). Si l on a f : M N, on note coker(f) = N/ im(f) le conoyau de f et on a alors une suite exacte : 0 ker(f) M f N coker(f) 0. Enfin, f est injective si et seulement si ker(f) = 0 et f est surjective si et seulement si coker(f) = 0.

3.2. IDÉAUX 25 Notons que si l on se donne f : M N et X M et Y N deux sous-modules de M et N tels que f(x) Y, alors l application f : M/X N/Y est bien définie. Un diagramme est une collection de modules {M i } i et de morphismes f ij entre eux, par exemple : f 12 M 1 M2 f 13 f 24 f 34 M 3 M4. On dit qu un diagramme est commutatif si quels que soient i et j et le chemin que l on choisit de M i à M j en suivant les flèches, on obtient le même résultat. Par exemple, le diagramme ci-dessus est commutatif si et seulement si f 24 f 12 = f 34 f 13. 3.2. Idéaux A partir de maintenant, on ne travaille qu avec des anneaux commutatifs. Si K est un corps, la structure de K comme K-espace vectoriel n est pas intéressante ; en revanche, un anneau A peut avoir beaucoup de sous-a-modules. Un sous-a-module d un anneau A est un idéal de A (propre si I A). On dit qu un idéal I de A est : (1) de type fini s il existe f 1,..., f r I tels que I = { r i=1 a if i, a i A} (on écrit alors I = (f 1,..., f r )) ; (2) principal s il existe a I tel que I = (a) ; (3) maximal si I est un idéal propre et si I J A implique que I = J ou que I = A ; (4) premier si I est propre et si x / I et y / I implique xy / I. Si I est un idéal de A, alors A/I est un anneau (c est un A-module, et on pose a b = ab). Par exemple, I est maximal si et seulement si A/I est un corps et I est premier si et seulement si A/I est intègre. Si I et J sont deux idéaux de A, on dit qu ils sont premiers entre eux si I + J = A. Le résultat ci-dessous est connu sous le nom de lemme chinois. Théorème 3.2.1. Si I 1,..., I n sont n idéaux de A qui sont premiers entre eux deux à deux, alors l application f : A/I 1 I n A/I 1 A/I n est un isomorphisme. Démonstration. On montre par récurrence sur 1 k n 1 que I n + I 1 I k = A et donc que les idéaux I n et I 1 I n 1 sont premiers entre eux. Il suffit alors de montrer le théorème pour n = 2, le cas général s en déduisant par récurrence puisqu alors : A/I 1 I n A/I 1 I n 1 A/I n A/I 1 A/I n.

26 CHAPITRE 3. ANNEAUX ET MODULES Montrons donc que si I et J sont premiers entre eux, alors f : A/IJ A/I A/J est un isomorphisme. Comme I + J = A, on peut écrire 1 = i + j avec i I et j J. Si x I J, alors x = x(i + j) IJ et donc I J = IJ, ce qui fait que f est injective. Enfin, on voit que si x, y A, alors f(xj + yi) = (x, y) A/I A/J et donc f est surjective. 3.3. Corps des fractions Si K est un corps et si A est un sous-anneau de K, alors A est nécessairement intègre. Réciproquement, on a le résultat ci-dessous. Théorème 3.3.1. Si A est un anneau intègre, alors il existe un corps K et un morphisme injectif A K. Démonstration. Soit B l ensemble {(x, y) A A \ {0}} sur lequel on définit une relation d équivalence par (a, b) (c, d) si et seulement si ad bc = 0. On note K l ensemble des classes d équivalence et on munit K des lois + et définies par : (1) (a, b) + (c, d) = (ad + bc, bd) ; (2) (a, b) (c, d) = (ac, bd). On vérifie que K est bien un anneau et comme (a, b) (b, a) (1, 1), tout élément non nul est inversible et K est en fait un corps. Enfin, l application a (a, 1) de A dans K est injective puisque (a, 1) (0, 1) si et seulement si a = 0. Le corps construit ci-dessus s appelle le corps des fractions de A. C est le plus petit corps contenant A : si x K, alors il existe b A \ {0} tel que bx A. 3.4. Anneaux principaux et euclidiens On dit qu un anneau A est principal s il est intègre et si tout idéal I de A est principal. On dit que A est euclidien si A est intègre et s il existe une application N : A \ {0} N (appelée stathme euclidien) telle que si a A et b A \ {0}, alors il existe q, r A vérifiant a = qb + r avec soit r = 0, soit N(r) < N(b). Les exemples les plus importants sont A = Z avec N(a) = a et A = K[X] avec N(P ) = deg(p ). Théorème 3.4.1. Si A est un anneau euclidien, alors A est principal. Démonstration. Par définition, A est intègre. Si I est un idéal de A qui est différent de (0), alors {N(a), a I \ {0}} est un sous-ensemble non vide de N et admet donc un plus petit élément, disons N(b) avec b I.

3.5. ANNEAUX FACTORIELS 27 Si a I, alors il existe q, r A vérifiant a = qb + r avec soit r = 0, soit N(r) < N(b). Comme a, b I, on a r I et donc N(r) < N(b) n est pas possible ce qui fait que r = 0 et donc que a = bq. On en déduit que I = (b). Si A est un anneau principal, et si a, b A, alors l idéal engendré par a et b est principal, engendré par un élément d A. On dit que d est «le» pgcd de a et b (bien sûr, d n est bien défini qu à une unité de A près). En particulier, comme d (a, b), il existe x et y A tels que ax + by = d (relation de Bezout). Dans un anneau euclidien, on peut utiliser l algorithme d Euclide pour calculer le pgcd de deux éléments a et b. On pose a 0 = a et a 1 = b et pour i 1, on définit a i+1 comme étant un reste de la division euclidienne de a i 1 par a i. Comme la suite des N(a i ) est strictement décroissante, il existe i 0 tel que a i0 0 et a i0 +1 = 0 et on a alors a i0 = pgcd(a, b). 3.5. Anneaux factoriels Dans Z ou dans K[X], on a une décomposition en produit de nombres premiers ou en produit de polynômes irréductibles. Nous allons généraliser cette notion. Soit A un anneau intègre. On dit que a A est irréductible si a = bc implique que soit b soit c est une unité de A. On dit que p A est premier si p bc implique que soit p b, soit p c (ce qui revient à dire que l idéal (p) est premier). Lemme 3.5.1. Si A est intègre et si p A est premier, alors p est irréductible. Démonstration. Si p = bc, alors p b ou p c. Si l on a b = px, alors p = pxc et donc xc = 1 ce qui fait que c est une unité. Dans Z ou dans K[X] les éléments irréductibles coïncident avec les éléments premiers, mais en général, ce n est pas le cas. Par exemple, dans A = Z[ 5], on a 2 3 = (1 + 5) (1 5) et les éléments 2, 3, 1 + 5 et 1 5 sont irréductibles mais pas premiers. En revanche, dans un anneau principal, les deux notions coïncident. Lemme 3.5.2. Si A est principal et si x A est irréductible, alors x est premier. Démonstration. Supposons que x ab, c est-à-dire que ab = xy. On va montrer que x a ou que x b. Considérons l idéal (b, x) ; il est principal, engendré par un élément c. On a x (c) et donc on peut écrire x = cz. Comme x est irréductible, soit c est une unité, soit z est une unité. Si z est une unité, alors (b, x) = (x) et donc il existe d A tel que b = xd et donc x b.

28 CHAPITRE 3. ANNEAUX ET MODULES Si c est une unité, alors (b, x) = A et en particulier, il existe d, e A tels que bd+xe = 1. On a alors abd + axe = a et donc xyd + xae = a ce qui fait que x(yd + ae) = a et que x a. On dit qu un anneau A est factoriel si A est intègre et si tout élément a une factorisation unique en produit d irréductibles, ce qui veut dire que si a A \ {0} n est pas une unité, alors il existe p 1,..., p r irréductibles tels que a = p 1 p r et que si l on a aussi a = q 1 q s alors r = s et quitte à permuter les q i on a p i = q i u i avec u i unité de A. Théorème 3.5.3. Si A est un anneau principal, alors A est factoriel. Démonstration. Commençons par montrer que tout élément admet une décomposition. Si ce n est pas le cas, soit a A un élément qui n en admet pas. On peut alors écrire a = a 1 b 1 où ni a 1 ni b 1 ne sont des unités et où soit a 1 soit b 1 n admet pas de décomposition, disons a 1.On peut alors itérer ce procédé : a = a 1 b 1, a 1 = a 2 b 2...où chaque a i divise a i 1 strictement et n admet pas de décomposition. On a alors (a 1 ) (a 2 ). L idéal I = i 1 (a i ) est principal, disons I = (f) et il existe alors un indice i tel que f (a i ) ce qui fait que (a i ) = (a i+1 ) =, ce qui est une contradiction. Montrons maintenant l unicité de la décomposition. Si a = p 1 p r = q 1 q s, alors p 1 est irréductible et donc premier par le lemme 3.5.2 ce qui fait que (quitte à permuter les q i ) on a p 1 q 1. Comme q 1 est irréductible, cela implique que p 1 = u 1 q 1 avec u 1 A et donc quitte à remplacer q 2 par u 1 q 2 que p 1 = q 1. Supposons que s r ; en itérant, on trouve que 1 = q r+1 q s ce qui fait que r = s et que p i = u i q i avec u i A pour tout i. Notons bien que dans un anneau factoriel, les éléments premiers coïncident avec les irréductibles. Dans Z[ 5] qui n est plus principal, il existe toujours des décompositions en irréductibles mais elles ne sont plus uniques. Ce qui est vrai, c est que tout idéal s écrit de manière unique comme produit d idéaux premiers. C est de là que vient la terminologie «idéal», ce sont des objets idéaux qui remplacent les nombres. On a par exemple : 6 = (2, 1 + 5) (2, 1 5) (3, 1 + 5) (3, 1 5). Nous verrons au chapitre suivant des exemples d anneaux factoriels qui ne sont pas principaux.

3.6. ANNEAUX NOETHÉRIENS 29 3.6. Anneaux noethériens Rappelons qu un module M est de type fini s il existe m 1,..., m r M tels que M = { r i=1 a im i, a i A} (on écrit alors M = (m 1,..., m r )), ce qui revient à dire qu il existe un morphisme surjectif A r M. On dit qu un A-module M est noethérien (d après Emmy Noether) si tout sous-amodule de M est de type fini (en particulier M lui-même). On dit que A est un anneau noethérien si tout idéal I de A est de type fini, c est-à-dire si A est un A-module noethérien. En particulier, un anneau principal est noethérien (tout idéal étant engendré par un seul élément). Proposition 3.6.1. Un A-module M est noethérien si et seulement si toute suite croissante M 1 M 2 de sous-modules de M est stationnaire (constante après un certain rang). Démonstration. Si M est noethérien et si M 1 M 2 est une telle suite, alors N = i 1 M i est un sous-module de M et est donc de type fini, engendré par m 1,..., m r. Il existe alors n 0 tel que m i M n ce qui fait que M n = M n+1 = = N. Réciproquement, soit M vérifiant la condition sur les suites de sous-modules et N un sous-module de M. Soit m 1 N et M 1 = (m 1 ). Pour i 1, on choisit m i+1 N \ M i si N M i (sinon on prend m i+1 = 0) et on pose M i+1 = (m i+1, M i ). Par hypothèse, la suite des M i doit être constante à partir d un certain rang r ce qui fait que N = (m 1,, m r ). Lemme 3.6.2. Si L, M et N sont trois A-modules et si on a une suite exacte : 0 L f M g N 0, alors M est noethérien si et seulement si L et N le sont. Démonstration. Si M est noethérien, alors un sous-module de L est via f un sousmodule de M et est donc de type fini ce qui fait que L est noethérien. Si P est un sous-module de N, alors g 1 (P ) est un sous-module de M qui est donc de type fini et si l on note m 1,..., m r des éléments qui l engendrent, alors g(m 1 ),..., g(m r ) engendrent P et donc N est noethérien. Si L et N sont noethériens, soit P un sous-module de M, soient l 1,..., l r des éléments de L tels que f(l 1 ),..., f(l r ) engendrent f(l) P et soient p 1,..., p s des éléments de P dont les images dans N engendrent g(p ). Si p P, alors il existe des a i A tels que g(p) = s i=1 a ig(p i ) ce qui fait que p s i=1 a ip i ker(g) = im(f) et donc qu il existe des b i tels que p = s i=1 a ip i + r j=1 b jf(l j ) ce qui fait que P est de type fini engendré par les f(l j ) et les p i.