Théorèmes de Point Fixe et Applications 1



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Théorèmes de Point Fixe et Applications 1 Victor Ginsburgh Université Libre de Bruxelles et CORE, Louvain-la-Neuve Janvier 1999 Published in C. Jessua, C. Labrousse et D. Vitry, eds., Dictionnaire des Sciences Economiques, Paris: Presses Universitaires de France, 2001. Introduction Considérons une fonction continue à une variable g(x) qui applique des points de I =[0, 1] dans I. Comme le montre la Figure 1, il existe nécessairement un point x I tel que x = g(x ). Un tel point est appelé point fixe de l application continue g. 2 Remarquons que si l une des deux hypothèses (g est continue, g applique des points de I dans I) n est pas vérifiée, il peut ne pas exister de point fixe. Ces situations sont illustrées dans la Figure 2 pour une fonction continue qui applique des points de I dans un autre ensemble que I et dans la Figure 3 pour une fonction qui applique des points de I dans I, mais qui n est pas continue. La situation représentée dans la Figure 4 montre cependant qu il peut exister un point fixe si l une des hypothèses (en l occurrence, la continuité de g) n est pas vérifiée. Ce qui vient d être suggéré pour une fonction d une variable peut être généralisé au cas de r fonctions à r variables. Dans la Figure 5, nous illustrons le cas de deux fonctions (linéaires) à deux variables g 1 (x 1,x 2 )=(1 x 2 )/2 et g 2 (x 1,x 2 )=(1 x 1 )/2, définies pour x 1 I et x 2 I. Ces deux fonctions sont continues et appliquent des points appartenant à I 2 = I I dans I 2. Il est facile de voir qu il existe un point fixe x = (x 1,x 2) I 2 tel que x 1 =(1 x 2)/2 etx 2 =(1 x 1)/2, avec x =(1/3, 1/3). 1 Je remercie Renato Flores et Jean Gabszewicz pour des commentaires sur une version préliminaire. 2 Notons qu il peut exister plus d un point fixe, si, dans la Figure 1, g croise la diagonale plus d une fois. 1

Le théorème de point fixe de Brouwer Ces considérations intuitives ont été formalisées et démontrées sous forme d un théorème par le mathématicien hollandais Brouwer, en 1910. Théorème (Brouwer). Considérons un ensemble A R r et une fonction g = (g 1,g 2,..., g r ). Si les deux hypothèses suivantes sont satisfaites: (a) l ensemble A est non vide, compact et convexe, et (b) g est une application continue de A dans A, alors g(.) possède un fixe x A tel que x = g(x ). L ensemble I 2 de l exemple qui précède est un cas particulier de l ensemble A. Dans les applications économiques, il arrivera souvent que les coordonnées des points de l ensemble A soient non-négatives et somment sur 1. Si tel est le cas, on dira que A est un simplexe de dimension r, noté S r et défini comme suit: Définition (Simplexe). L ensemble S r = {x 1,x 2,..., x r : x 1 0,x 2 0,..., x r 0, r k=1 x i =1} est appelé simplexe de dimension r 1. Le théorème de Brouwer peut dès lors aussi s énoncer comme suit: Une application continue g de S r dans S r possède un point fixe. Avant de considérer des applications du théorème de Brouwer, il est utile de noter l équivalence entre les deux affirmations suivantes: (a) la fonction g possède un point fixe x et (b) le système d équations x g(x) =f(x) =0 possède une solution x. Trois exemples d utilisation du théorème de Brouwer Une chaîne de Markov. Considérons une matrice A de r lignes et r colonnes, dans laquelle l élément a ij donne la probabilité qu un système possède de passer de l état j àl état i entre les instants t et t +1(une transition). Par définition, r i=1 a ij =1,j =1, 2,..., r. Silevecteur x t =(x 1t,x 2t,..., x rt ) représente les probabilités que le système ad être dans chacun des r états à l instant t (et que dès lors x t S r ), alors l état du système à l instant t +1 est décrit par les équations x t+1 = Ax t. Il est aisé devoir que le vecteur x t+1 appartient aussi à S r. La fonction continue Ax applique des points de S r dans S r et possède par conséquent un point fixe x tel que x = Ax. 2

En ce point fixe, les probabilités (x 1,x 2,..., x r)nesemodifient plus lors des transitions suivantes. Un jeu non coopératif. Considérons une situation dans laquelle r agents repérés par l indice j =1, 2,..., r (les joueurs) interagissent sur un marché. Chacun d eux choisit dans son ensemble de stratégies Y j R (par exemple l ensemble de ses possibilités de production) une action y j (sa production) de manière à maximiser son profit. Le profit de l agent j, Π j (y j,y j ), dépend bien entendu de sa propre action y j, mais aussi des actions y j = (y 1,y 2,...y j 1,y j+1,..., y r ) prises par ses concurrents. Si le choix de j est unique pour chaque y j,ilest donné par la fonction (appelée fonction de réaction de j), g j (y j )=argmax yj Y j Π j (y j,y j ), qui prend nécessairement ses valeurs dans Y j. Un équilibre de Nash de ce jeu est un vecteur y = (y1,y 2,..., yj,..., yr), tel que pour chaque producteur j, yj = argmax Π j (y j,y j). Un tel vecteur, s il existe, doit donc être solution du système de r équations à r inconnues yj = g j (y j). Définissons la fonction g(y) = (g 1 (y 1 ),g 2 (y 2 ),..., g j (y j ),..., g r (y r )), qui applique des points de Y = Y 1 Y 2... Y j... Y r dans Y.SiY est non vide, compact et convexe (ce qui est assuré sichacun des ensembles de production Y j est non vide, compact et convexe) et que la fonction g(y) est continue (ce qui est le cas si Π j (y j,y j ) est une fonction continue et strictement (quasi) concave), le théorème de Brouwer implique que g(y) possède un point fixe y tel que y = g(y ); ce point fixe est bien un équilibre de Nash. Voir par exemple Friedman (1986) pour les détails. Dans les deux exemples que nous venons de considérer, le modèle pour lequel il faut prouver l existence d un point fixe se présente de façon naturelle sous la forme d une application g(x) pour laquelle les conditions d application du théorème de Brouwer sont satisfaites, ce qui permet de conclure à l existence d un point fixe. Il n en est pas toujours ainsi. En particulier, dans le modèle d équilibre concurrentiel, on doit prouver qu il existe un vecteur de prix p 0 tel que la demande soit inférieure ou égale à l offre sur chaque marché, ou encore que la demande excédentaire z(p ) (obtenue en retranchant l offre de la demande) soit non-positive. Ici, il faudra, dans une première étape, construire une fonction (artificielle) qui satisfasse les hypothèses requises pour invoquer le théorème de Brouwer; il s agira, ensuite, de démontrer qu au point fixe p, l on obtient bien le résultat voulu, 3

en l occurence, z(p ) 0. 4

Le modèle concurrentiel d échange. Dans une économie d échange il y a m consommateurs, repérés par un indice i = 1, 2,..., m qui procèdent à des échanges de biens sur r marchés, repérés par un indice k =1, 2,..., r. Soit ω i le vecteur à r éléments qui représente la dotation initiale du consommateur i et x i le vecteur à r éléments qui représente un choix possible de sa consommation. Chaque consommateur fait, à prix donnés p 0,unchoix optimal obtenu en maximisant son utilité u i (x i ) sous sa contrainte budgétaire p 0 x i p 0 ω i, où p 0 x i et p 0 ω i représentent respectivement sa dépense et son revenu. Sous des hypothèses appropriées (essentiellement, que u i (x i ) est une fonction continue, croissante, strictement (quasi) concave 3 ), la contrainte budgétaire est satisfaite avec égalité etlechoix optimal est unique pour chaque vecteur de prix p 0 ;lademande optimale est alors une fonction continue 4 des prix, notée x i (p). La demande excédentaire z(p) est alors simplement obtenue en soustrayant l offre agrégée r i=1 ω i de la demande agrégée r i=1 x i (p): z(p) = r i=1 x i (p) r i=1 ω i. Cette fonction est continue. Nous montrons maintenant que z(p) possède deux propriétés supplémentaires. D une part, le choix optimal ne se modifie pas lorsque les prix sont multipliés par un nombre positif (en effet, une telle opération ne modifie en rien la contrainte budgétaire); par conséquent, z(p) est une fonction homogène de degré 0enp et il est permis, sans perte de généralité, de normaliser les prix en les contraignant à appartenir au simplexe S r = {p : p 0, r k=1 p k =1}. Par ailleurs, comme, en chaque optimum, les contraintes budgétaires sont satisfaites avec égalité, on peut, en les additionnant membre à membre, voir que p( m i=1 x i (p) m i=1 ω i )=pz(p) =0,pour tout p 0 (la loi de Walras). Pour démontrer l existence d un vecteur de prix p 0 tel que z(p ) 0, on procède en suivant les deux étapes décrites plus haut: (a) Construction d une fonction artificielle qui satisfait les hypothèses du théorème de Brouwer. Cette fonction est p k + max{0,z k (p)} g k (p) = rj=1 p j + r,k =1, 2,..., r. j=1 max{0,z j (p)} Par construction, la fonction g(p) =(g 1 (p),g 2 (p),..., g r (p)) est continue et applique de points du simplexe des prix S r dans le simplexe S r = {g(p) : 3 Ces hypothèses peuvent être légèrement relachées. 4 La continuité nécessite des hypothèses techniques pour assurer que la demande reste finie lorsqu un ou plusieurs prix p k sont nuls. 5

g(p) 0, k g k (p) =1}. Envertu du théorème de Brouwer, elle possède un point fixe p S r tel que p = g(p ). (b) Ce point fixe est un équilibre. En effet, en p,onabien: r p k j=1 max{0,z j (p )} = max{0,z k (p )},k =1, 2,..., r. En multipliant les deux membres par z k et en additionnant toutes les égalités ainsi obtenues membre à membre, on trouve: r r r p kz k (p ) max{0,z j (p )} = z k (p )max{0,z k (p )}. k=1 j=1 k=1 Puisque, par la loi de Walras, r k=1 p kz k (p )=0,onaaussi r z k (p )max{0,z k (p )} =0. k=1 Cette égalité est vérifiée si et seulement si z k (p ) 0pour tout k, cequi montre que p S r est bien un vecteur de prix qui assure que la demande est inférieure ou égale à l offre. Le théorème de point fixe de Kakutani Le théorème de Brouwer est utilisé pour montrer qu une fonction g continue possède un point fixe. Rappelons qu une fonction (ou application) associe à tout élément x A un et un seul élément y B (ou A lui-même, comme dans les cas considérés plus haut). En économie, l on est souvent amené à considérer des correspondances; une correspondance g associe à tout élément x A un sous-ensemble non vide Y B: Y peut donc contenir plusieurs éléments appartenant à B. Ceci sera, par exemple, le cas dans un programme linéaire (Figure 6) dans lequel un producteur doit choisir les niveaux de production x 1 et x 2 qui maximisent son profit c 1 x 1 +4x 2 à contribution c 1 donnée, sous les contraintes technologiques 2x 1 +4x 2 8,x 1 0,x 2 0. Supposons que la question soit de décrire la (ou les) solution(s) optimale(s) lorsque c 1 varie entre 0 et 3. Il est facile de vérifier que pour c 1 2,lasolution optimale est unique (elle vaut x 1 =4,x 2 =0sic 1 > 2etx 1 =0,x 2 =2sic 1 < 2). Lorsque c 1 =2, 6

toutes les solutions x 1 telles que 2 x 1 4 sont optimales. La Figure 7 illustre la correspondance x 1 = f(c 1 ). Celle-ci possède plusieurs propriétés que nous définissons maintenant. Définition (Correspondance hemi-continue supérieure). Une correspondance f qui associe à tout élément x A un sous ensemble non vide et compact Y B est hemi-continue supérieure (hcs) si et seulement si son graphe, c està-dire l ensemble {(x, y) A B : y f(x)} est fermé. Il est clair que la correspondance de la Figure 6 satisfait aux conditions de la définition: à tout c 1, est associé unensemble non vide et compact (qui peut ne contenir qu un seul élément) et le graphe est fermé. Dans la Figure 8, on trouvera une correspondance dont le graphe est fermé, mais pour laquelle B n est pas compact; la Figure 9 illustre un autre cas d une correspondance hcs (x [0, 1]); cependant, si l on exclut le point Q, legraphe n est plus fermé et la correspondance n est pas hcs. Une comparaison des Figures 6 et 9, qui représentent deux correspondances hcs, fait apparaître une différence importante: dans la Figure 6, les valeurs x 1 f(2) engendrent un ensemble convexe, ce qui n est pas le cas pour la correspondance de la Figure 8, au point x 0. Le théorème suivant, démontré par Kakutani en 1941, généralise le théorème de Brouwer en faisant appel à des correspondances hcs, à valeurs convexes: Théorème (Kakutani). Considérons un ensemble B R r et une correspondance g =(g 1,g 2,..., g r ). Si les hypothèses suivantes sont satisfaites: (a) l ensemble B est non vide, compact et convexe, (b) g est une correspondence hcs de B dans B, et(c) l ensemble g(x) B est non vide et convexe pour tout x B, alors g(.) possède un point fixe x B tel que x g(x ). La Figure 10 illustre le théorème dans une situation similaire à celle considérée dans la Figure 1, dans le cas où g(x) n est pas une fonction continue, mais une correspondance hcs àvaleurs convexes. Il est facile de voir que si l une de hypothèses n est pas satisfaites (par exemple, l absence de convexité), il peut ne pas exister de point fixe. 7

Utilisations du théorème de Kakutani Un jeu non coopératif. Revenons au jeu décrit précédemment, mais dans lequel le choix optimal calculé par les agents n est pas unique. Ceci sera le cas si la fonction de profit de j, Π j (y j,y j ) est (quasi) concave en y j au lieu d être strictement (quasi) concave. Les choix optimaux pour y j fixé pourront néanmoins être représentés par une correspondance hcs àvaleurs convexes et le théorème de Kakutani permettra d assurer qu il existe une solution au jeu. Le modèle d équilibre général avec producteurs. Il est possible de généraliser le modèle d équilibre concurrentiel considéré plus haut en y incorporant des producteurs, dont chacun maximise, à prix donnés, son profit sous des contraintes décrivant son ensemble de production. Si les rendements de chaque producteur sont décroissants (les contraintes de l ensemble de production forment un ensemble strictement convexe), alors son choix optimal est unique et l on peut définir un modèle dans lequel la fonction de demande excédentaire continuera de jouir des mêmes propriétés que celles qui ont été décrites précédemment. Par contre, si les ensembles de production sont convexes, comme dans la Figure 6, les producteurs pourront faire face à des solutions optimales multiples: la demande excédentaire ne sera plus une fonction, mais une correspondance hcs àvaleurs convexes. 5 Ici aussi, l utilisation du théorème de Kakutani permettra de démontrer l existence de prix qui assurent l équilibre sur tous les marchés. Une première démonstration de ce résultat a été donnée par Wald en 1935-36; Arrow, Debreu et McKenzie ont largement contribué à ces résultats d existence durant les années 1950. Voir Debreu (1966) pour un traitement exhaustif. Voir aussi Ekeland (1979) ou Mas-Colell et al. (1995). Le calcul de points fixes Les deux théorèmes de point fixe décrits dans ce qui précède permettent de conclure à l existence de solutions pour un grand nombre de modèles économiques, mais ne donnent aucune indication sur la manière de les cal- 5 Il suffit qu un des ensembles de production soit convexe. Ceci sera également le cas dans le modèle d échanges sans producteurs, si la fonction d utilité d un des consommateurs est (quasi) concave et non plus strictement (quasi) concave. 8

culer. L on connaissait depuis longtemps des méthodes numériques permettant de résoudre des systèmes d équations non-linéaires f(x) = 0(voir, par exemple, Ortega and Rheinboldt (1970)) et donc également des problèmes de point fixe (on peut trouver un point fixe de g(x) enrésolvant le système f(x) = g(x) x = 0). Cependant, aucune des méthodes ne garantissait la convergence des calculs vers une solution. En 1967, Scarf découvre un algorithme permettant de calculer un point fixe approximatif d une fonction et pour lequel la convergence est garantie. Cet algorithme a d ailleurs conduit à une nouvelle preuve du théorème de Brouwer (et, un peu plus tard, du théorème de Kakutani, toujours par Scarf). La découverte a également ouvert le champ à de nombreuses recherches algorithmiques ainsi qu au calcul numérique de solutions de modèles d équilibre général, encore que l on se soit rendu compte, peu de temps après, que des algorithmes plus simples et plus rapides, mais sans garantie de convergence, pouvaient être utilisés de façon plus efficace. Voir Scarf (1973) pour les premiers algorithmes de point fixe et Kehoe (1991) pour les approches plus récentes. Voir aussi Ginsburgh and Keyzer (1997) pour les modèles d équilibre général calculables. Références Debreu, G. (1966), Théorie de la Valeur, Paris: Dunod. Ekeland, I. (1979), Eléments d Economie Mathématique, Paris: Hermann. Friedman, J. (1986), Game Theory with Applications to Economics, Oxford: Oxford University Press. Ginsburgh, V. and M. Keyzer (1997), The Structure of Applied General Equilibrium Models, Cambridge, MA: MIT Press. Kehoe, T. (1991), Computation and multiplicity of equilibria, in W. Hildenbrand and H. Sonnenschein, eds., Handbook of Mathematical Economics, vol.4, Amsterdam: North Holland. Mas-Colell, A., M. D. Whinston and J. R. Green (1995), Microeconomic Theory, Oxford: Oxford University Press. Ortega, J. M. and W. C. Rheinboldt (1970), Iterative Solutions of Nonlinear Equations in Several Variables, New York: Academic Press. 9

Scarf, H., with the collaboration of T. Hansen (1973), The Computation of Economic Equilibria, New Haven: Yale University Press. Smart, D. R. (1974), Fixed Point Theorems, Cambridge: Cambridge University Press. 10