CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE VAUDOIS

Documents pareils
Monitoring du SDRA Simple ou compliqué? Jean-Christophe M Richard, MD PhD

Le donneur en vue d une transplantation pulmonaire

La ventilation non invasive aux soins intensifs

PLAN. Intérêt des cellules souches exogènes (hématopoïétiques ou mésenchymateuses) dans la réparation/régénération

Evaluation péri-opératoire de la tolérance à l effort chez le patient cancéreux. Anne FREYNET Masseur-kinésithérapeute CHU Bordeaux

Référentiel CPAM Liste des codes les plus fréquents pour la spécialité :

Physiologie du nouveau-né

Actualité sur la prise en charge de l arrêt cardiaque

Prise en charge du patient porteur d un dispositif implantable. Dr Philippe Gilbert Cardiologue CHU pavillon Enfant-Jésus

Insuffisance cardiaque

Maladies neuromusculaires

INSUFFISANCE CARDIAQUE DROITE Dr Dassier HEGP

Réduction des volumes pulmonaires après chirurgie abdominale et thoracique

Groupe 1 somnovni 12/12/14

Pneumothorax (276) P. Thomas et P. Astoul Novembre 2005

QUI PEUT CONTRACTER LA FA?

MONITORING PÉRI-OPÉRATOIRE DE L'ISCHÉMIE CARDIAQUE. Dary Croft 9 mai 2013

Épidémiologie des maladies interstitielles diffuses

RETOUR AU DOMICILE DES OPERES DU THORAX

Coordinateur scientifique: Prof. Univ. Dr. Emil PLEŞEA. Doctorant: Camelia MICU (DEMETRIAN)

Le cliché thoracique

Les différents types de cancers et leurs stades. Dr Richard V Oncologie MédicaleM RHMS Baudour et Erasme La Hulpe 1/12/07

Observation. Merci à l équipe de pharmaciens FormUtip iatro pour ce cas

PICCO2. PROTOCOLE DE SERVICE Année 2010 MISE À JOUR Hôpital de Bicêtre Département d'anesthésie-réanimation Réanimation Chirurgicale

le réseau des systèmes locaux de déclaration des erreurs

Maladie de Hodgkin ou lymphome de Hodgkin

NAVA pourquoi pas. Stéphane Delisle RRT, PhD, FCCM Mohamed Ait Si M Hamed, inh. BSc.

RÉSUMÉ ABSTRACT. chirurgie thoracique

Trajectoire de la clientèle MPOC Trois-Rivières métro. Dr François Corbeil Pneumologue CSSSTR-CHAUR-CHR

Conseil. en Organisation et Gestion de Bloc Opératoire. tel : +32 (0) fax : +32 (0)

Cancer et dyspnée: comment peut-on soulager? Dr Lise Tremblay 10 mai 2010

sur la valve mitrale À propos de l insuffisance mitrale et du traitement par implantation de clip

Formation à l utilisation du défibrillateur semi-automatique (DSA)

Chirurgie assistée par robot et laparoscopie en 3D à l avantage des patients?

INTRODUCTION GENERALE :

Les différentes maladies du coeur

8/28/2013. L inhalothérapie aux soins critiques. Objectifs. Rôles de l inhalothérapeute. Objectifs

Activité 38 : Découvrir comment certains déchets issus de fonctionnement des organes sont éliminés de l organisme

quelques points essentiels

Actualités s cancérologiques : pneumologie

Tronc Artériel Commun

BPCO * La maladie respiratoire qui tue à petit feu. En France, 3,5 millions de personnes touchées dont 2/3 l ignorent morts chaque année...

Transplantation hépatique à donneur vivant apparenté. Olivier Scatton, Olivier Soubrane, Service de chirurgie Cochin

Informations sur le rivaroxaban (Xarelto md ) et l apixaban (Eliquis md )

Ventilation mécanique à domicile

ALK et cancers broncho-pulmonaires. Laurence Bigay-Gamé Unité d oncologie thoracique Hôpital Larrey, Toulouse

Réparation de la communication interauriculaire (CIA) Informations destinées aux patients

Bien ventiler votre logement. Guide de bonne gestion en 8 questions

Cette intervention aura donc été décidée par votre chirurgien pour une indication bien précise.

Transport des gaz dans le sang

Transport des gaz dans le sang

Pierre OLIVIER - Médecine Nucléaire

Les renseignements suivants sont destinés uniquement aux personnes qui ont reçu un diagnostic de cancer

GUIDE D'ENSEIGNEMENT PRÉOPÉRATOIRE Pour la clientèle admise avant l'opération

Les solutions en Kiné Respiratoire par Portex. Améliorer la qualité de vie THÉRAPIE RESPIRATOIRE

K I N é S I T H é R A P I E & D B C

Pascal Thomas, pour la Société Française de Chirurgie Thoracique et Cardio-Vasculaire.

Programme de réhabilitation respiratoire

La campagne québécoise des soins sécuritaires volet prévention et contrôle des infections

THEME 2 : CORPS HUMAIN ET SANTE : L EXERCICE PHYSIQUE

Lobectomie pulmonaire vidéo-assistée : technique, indications et résultats

E04a - Héparines de bas poids moléculaire

FMC, EPP et Accréditation : adieu! Bonjour le Développement Professionnel Continu

DP 500/ DP 510 Appareils de mesure du point de rosée mobiles avec enregistreur

LA VIE APRES VOTRE INFARCTUS

Contrôle difficile non prévu des voies aériennes: photographie des pratiques

Leucémies de l enfant et de l adolescent

Notions de base Gestion du patient au bloc opératoire

APRES VOTRE CHIRURGIE THORACIQUE OU VOTRE PNEUMOTHORAX

Diagnostic et Monitoring de la pathologie respiratoire du sommeil en Peut-on faire plus simple?

BUREAU CENTRAL DE TARIFICATION - 1 rue Jules Lefebvre Paris Cedex 09 Statuant en matière d'assurance de responsabilité civile médicale

La Broncho-Pneumopathie chronique obstructive (BPCO)

Université de Montréal. Étude multicentrique sur les stratégies de ventilation mécanique employées chez les enfants avec un œdème pulmonaire lésionnel


La Simulation Anesthésique. Intérêt pédagogique au cours de la formation initiale D Infirmier Anesthésiste Diplômé d Etat

QUE SAVOIR SUR LA CHIRURGIE de FISTULE ANALE A LA CLINIQUE SAINT-PIERRE?

Feedbacksystem Monitoring de la marche en appui partiel avec cannes anglaises

CRITERES DE REMPLACEMENT

LISTE DES PRODUITS ET DES PRESTATIONS REMBOURSABLES (LPPR) POUR LE TRAITEMENT DE L INSUFFISANCE RESPIRATOIRE

Le Data WareHouse à l INAMI Exploitation des données

Les anticoagulants. PM Garcia Sam Hamati. sofomec 2008

AUDIT BLOC OPERATOIRE

TITRE : «Information et consentement du patient en réadaptation cardiovasculaire»

La Responsabilité Civile De L anesthésiste

Unité mobile de télémédecine au service de l urgence et du soin chronique M-V. Moreno, P. Chauvet, O. Ly

Urgence de terrain : conduite à tenir Actualisation de la réanimation cardio-pulmonaire

REPOUSSER LES LIMITES DE LA CHIRURGIE BARIATRIQUE DANS LES OBESITES MASSIVES AVEC COMORBIDITES

Le traitement chirurgical du cancer bronchique non à petites cellules

INTERFERON Traitement adjuvant du mélanome à haut risque de récidive. Dr Ingrid KUPFER-BESSAGUET Dermatologue CH de quimper

Les gencives et la santé générale. Qu est-ce qu une maladie des gencives? d autres types de problèmes de santé ou en causer de nouveaux.

recommandations pour les médecins de famille

Le Test d effort. A partir d un certain âge il est conseillé de faire un test tous les 3 ou quatre ans.

Equipe de Direction : -Docteur Christine BOURDEAU Responsable médical. - Annie PAPON Cadre responsable

Recommandations pour la chirurgie de la CATARACTE en ambulatoire

Le Centre Hospitalier Universitaire de Reims

Erreur médicale au cabinet

A. ANDRO 1, C. MESTON 2, N. MORVAN 3

Vyntus SPIRO. Piloté par SentrySuite

Mesure non invasive du débit cardiaque

Consignes de remplissage - Grille de recueil - Thème DAN2

Transcription:

CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE VAUDOIS Dr Lennart Magnusson, PD & MER Médecin associé Service d Anesthésiologie CHUV-BH-10.303 CH - 1011 Lausanne Tél : +41-21 - 314.20.06 Tél. secrét. : +41-21 -314.20.07 Fax : +41-21 - 314.20.04 E-mail : Lennart.Magnusson@chuv.ch Réf. LM/cp Lausanne, le 11 octobre 2007 VENTILATION PROTECTRICE EN ANESTHESIE Définition : ventilation mécanique qui n entraîne pas de lésions pulmonaires ou n aggrave pas de lésions pré-existantes A l heure actuelle, on reconnaît trois types de lésions induites par le ventilateur ou en anglais ventilator induced lung injury abréviation VILI (cf figure 1). "Barotrauma "Volotrauma "Atelectrauma

BAROTRAUMATISME Le barotraumatisme est une notion historique dont la première description remonte à 1745 et qui a été une complication majeure au début de la ventilation mécanique. Le barotraumatisme est lié à une augmentation de la pression transmurale qui va entraîner une diffusion du gaz alvéolaire dans l espace pleural puis va pouvoir diffuser entraînant emphysème sous-cutané, pneumomédiastin, pneumothorax et finalement tamponnade péricardique ou pulmonaire. De nos jours, le barotraumatisme est devenu rare avec la mise en place des systèmes de sécurité performants sur les ventilateurs de soins intensifs ou de salles d opérations. A l heure actuelle, la cause la plus fréquente de cette complication est la jet-ventilation surtout lorsque l on pratique cette technique de manière manuelle. Une étude danoise, qui a récolté pendant 8 ans toutes les plaintes soumises à l Association des assurances danoises, soit 1256 plaintes (4.5 %), qui étaient liées à l anesthésie dont 43 décès. 24 de ces décès étaient directement liés à l anesthésie dont 2 cas de pneumothorax. Les deux autres lésions, volotrauma et atelectrauma, forment plus spécifiquement le ventilator induced lung injury dont la première description remonte à 1988. La surdistension du poumon en fin d inspirium représente le volotrauma et le phénomène d ouverture - fermeture à chaque cycle ventilatoire représente l atelectrauma. VOLOTRAUMA Le volotraumatisme est lié à une surdistension alvéolaire. Cette lésion est très similaire au SDRA avec une augmentation de la perméabilité de la membre alvéolo-capillaire avec apparition d oedème pulmonaire, accumulation de neutrophiles et de protéines dans le parenchyme pulmonaire, perturbation de la production de surfactant et diminution de la compliance. Le principal facteur responsable de ce traumatisme semble être la pression transpulmonaire. En effet, des rats ayant leur cage thoracique entourée d un corset sont protégés du développement de VILI comparés à des rats sans corset pour des mêmes pressions de ventilation. Des pressions de ventilation plus hautes peuvent donc être utilisées dans les situations de diminution de compliance. Suite à ces découvertes, on a cherché à diminuer le volume courant chez des patients ayant déjà des lésions pulmonaires en milieu de soins intensifs. Plusieurs études ont été faites pour évaluer l impact d une diminution du volume courant sur la survie des patients avec un syndrome de détresse respiratoire de l adulte. La plus fameuse a été réalisée par l ARDS Network en 2000 qui a montré une diminution significative de la mortalité avec un volume courant de 6 ml/kg comparé à 10 ml/kg. Malheureusement par la suite, d autres études n ont pas toujours confirmé ce résultat. Récemment Luciano Gattinoni a montré qu il y a des patients qui sont améliorés ou protégés avec une ventilation à 6 ml/kg alors que d autres semblent moins protégés avec ce volume courant (cf figure 2). Il semble que certains patients ont un volume résiduel ventilable tellement faible que même un volume courant de 6 ml/kg de volume courant entraîne une hyper-inflation. Dans cette même étude, il démontre que les patients qui ont des pressions de plateau ventilatoire

inférieurs à 27 cmh 2 O avec un volume courant de 6 ml/kg sont protégés de l hyper-inflation alors que ceux qui ont une pression de plateau supérieure à 27 vont démontrer une hyperinflation, raison pour laquelle des volumes courants plus faibles devraient être utilisés. n = 30 patients 6 ml/kg predicted BW Plus protégés Moins protégés Non aéré Normalement aéré Hyperinflation ATELECTRAUMA L atélectrauma est lié à l apparition de lésions par le phénomène de recrutement/dérecrutement à chaque cycle ventilatoire. En effet, certaines zones pulmonaires sont instables et vont collaber à chaque cycle respiratoire. Les zones frontières entre des zones instables et des zones ouvertes vont subir une force de cisaillement pouvant entraîner une lésion de la membrane alvéolaire ainsi que de la membrane capillaire. On a pu montrer chez les patients présentant ce phénomène de recrutement/dérecrutement un point d inflection sur la courbe pression/volume qui représente la limite entre l augmentation de pression nécessaire uniquement à la réouverture des voies aériennes et une augmentation de pression qui est utile à la ventilation. Lorsqu on applique une PEEP identique à la pression de ce point d inflection, on prévient ce phénomène de recrutement/dérecrutement. A l heure actuelle, il semble y avoir un consensus en milieu de soins intensifs pour ventiler les patients ayant des lésions pulmonaires de type SDRA avec des volumes courants plus faibles et l application d une PEEP.

Qu en est-il des patients sans lésion pulmonaire préalable? Plus particulièrement, qu en est-il des patients à poumons sains, ventilés seulement pendant quelques heures en salle d opération? Un premier élément de réponse est historique. En effet, durant les 40 dernières années, des millions de patients avec des poumons sains ont été ventilés avec des volumes courants de 8 à 15 ml/kg sans PEEP, sans qu aucune lésion pulmonaire ne puisse être décrite. Un article de revue publié cette année dans «Anesthesiology» pose la question : «Quel volume courant faut-il utiliser chez des patients qui n ont pas de lésion pulmonaire?». Les auteurs de cet article constate qu il n y a pas de guideline communément admis sur le Vt à appliquer chez des patients ne présentant pas de SDRA. Cette revue cite quelques articles pour lesquels un volume courant plus faible a été bénéfique pour les patients, soit lors de ventilations mono-pulmonaires, soit pour des patients ayant une chirurgie pouvant favoriser l'apparition d'un SDRA post-opératoire comme la chirurgie cardiaque. Deux études montrent, pour la chirurgie de résection pulmonaire par thoracotomie que les pressions pulmonaires élevées ou un Vt élevé sont un facteur de risque de développement de lésions pulmonaires post-opératoires plus particulièrement après pneumonectomie. En résumé, des bénéfices à l utilisation d un Vt bas sur des patients avec des poumons sains, même pour une courte période, existent. D une part, l utilisation d un volume courant bas pourrait améliorer la tolérance hémodynamique de la ventilation mécanique, sujet qui n a pas été abordé ici, ce qui entraînerait également une diminution des besoins liquidiens nécessaire au rétablissement d'un stabilité hémodynamique. D autre part, il y a la théorie des multiples agressions. Lorsqu un poumon est soumis à une seule agression de type «ventilation agressive», il est probable que ce poumon ne développera pas de lésion en post-opératoire. Par contre, si on associe une deuxième agression (broncho-aspiration, bactériémie, transfusions multiples, contusions pulmonaires par traumatisme ou chirurgical ) on augmente significativement le risque de développer une lésion pulmonaire en post-opératoire. Les atélectasies qui pourraient apparaître plus aisément avec des volumes courants faibles sont aisément prévenues par l application d une PEEP et ne sont donc pas une raison pour maintenir des Vt élevés. Finalement, y-a-t-il une seule raison d utiliser un autre volume courant que celui utilisé par tous les mammifères depuis le plus petit (chauve-souris) au plus grand (baleine) et qui est de 6.3 ml/kg?

Dr Lennart Magnusson Médecin associé