mt cardio 2006 ; 2 (3) : 367-71 Chirurgie cardiaque mini-invasive assistée par vidéothoracoscopie : où en sommes-nous? Jean-François Obadia Inserm E 0226, Université Claude-Bernard, 69008 Lyon et Service de chirurgie cardiothoracique et transplantation, Hôpital Cardiothoracique Louis-Pradel, 28 avenue du Doyen-Lépine, 69677 Lyon-Bron <jf.o@chu-lyon.fr> Résumé. La vidéoscopie a été un apport majeur dans presque toutes les disciplines chirurgicales. Cet article fait le point sur ses applications actuelles en chirurgie cardiaque adulte. La vidéo n est pas adaptée à la chirurgie de l aorte ascendante qui est anatomiquement rétrosternale. En chirurgie coronaire, l apport de la vidéo se limite aux prélèvements mammaires. En revanche, l utilisation de la vidéoscopie est parfaitement logique lors de l abord des oreillettes. Les exérèses de myxomes ainsi que les remplacements valvulaires sont très facilement accessibles par cette voie. Les réparations, même complexes, deviennent également possibles par cette approche avec l expérience croissante des équipes et l amélioration des matériels. L évolution des indications qui nous pousse aujourd hui à opérer des patients plus jeunes, souvent pas ou peu symptomatiques, chez qui une chirurgie vécue comme moins agressive peut être plus facilement proposée. Cette technique devrait s imposer comme une technique de référence en chirurgie mitrale à l instar de ce que fut l adoption de la vidéo en chirurgie digestive il y a quelques années. Mots clés : chirurgie cardiaque, mitrale, vidéothoracoscopie Abstract. Videothoracoscopic approach in cardiac surgery. Where are we? Videoscopy has been widely used in many surgical applications. This paper discuses the possible applications of videoscopy in cardiac surgery. Videoscopy is not adapted to the retro-sternal ascending aorta. In coronary surgery the video applications are limited to those taken off the mammary arteries. Conversely, the videothoracoscopic is perfectly adapted to the approach of both atria. Myxoma exereses and mitral valve replacement are easily performed through this approach. Mitral valve repairs, including the complex cases, are carried out more and more with this technique with the growing experience of teams and with the improvement of the materials. New trends lead us to operate on less symptomatic patients who accept less invasive surgery better. Videoscopy should soon be accepted in mitral surgery as a reference technique like in general surgery a few years ago. Key words: cardiac surgery, mitral, videothoracoscopic surgery mtc Tirés à part : J.F. Obadia La vidéoscopie est aujourd hui largement adoptée dans presque toutes les disciplines chirurgicales. L objectif de cet article est de faire le point sur l état de la question dans le domaine de la chirurgie cardiaque adulte où l outil vidéoscopique reste encore peu répandu. Chirurgies non cardiaques L apport des approches chirurgicales mini-invasives assistées par vidéo a été considérable avec des applications abouties ou en développement dans pratiquement toutes les disciplines chirurgicales, qu il s agisse de gynécologie, d urologie, d orthopédie, de chirurgie thoracique ou même de neurochirurgie ou de chirurgie vasculaire. Certaines procédures ont eu un tel succès qu elles ont complètement supplanté l approche traditionnelle et ont été adoptées par la quasi-totalité des chirurgiens de la discipline (cholécystectomie, ménisectomie, chirurgie du pneumothorax, sympathectomie thoracique). D autres gestes plus techniques ou nécessitant une infrastructure plus lourde restent réservés à certaines équipes avec un taux d acceptation variable au sein de la discipline (exérèses tumorale pulmonaire, rénale, gynécologique). La chirurgie cardiaque a longtemps été un des derniers bastions 367
Chirurgie cardiaque mini-invasive assistée par vidéothoracoscopie résistant à cette approche assistée par vidéo et on peut se demander ce qui justifie le retard et l absence de diffusion de cette technique à une plus large échelle. Les pionniers en chirurgie cardiaque Vanermen [1], véritable pionnier, a défini les bases techniques de cette approche mitrale mini-invasive. Moor [1, 2] et Chitwood [3] ont également apporté une contribution précoce. Les obstacles techniques initialement lourds, en particulier en raison de l utilisation de l endoclamp aortique (ballon introduit par voie fémorale et gonflé dans l aorte ascendante) avec son risque de dissection aortique, sont aujourd hui mieux maîtrisés. L évolution des matériels et la définition de procédures à la fois simplifiées et moins onéreuses permettent aujourd hui d étendre progressivement ces indications. Facteurs clés de succès de la chirurgie assistée par vidéo Tout d abord, il faut noter qu aucune technique ne s est imposée facilement et qu elles ont toutes été initialement portées par quelques pionniers au prix d une morbimortalité parfois significative. Elles ont donc été initialement critiquées, souvent sévèrement, y compris pour les techniques qui sont aujourd hui unanimement acceptées. Le bénéfice attendu en termes de confort, limitation des douleurs, esthétique, diminution des transfusions et des durées de séjour a toujours été atteint mais dans un second temps au-delà de la phase pionnière. Dans un objectif d analyse critique les techniques utilisant la vidéo peuvent être classées en trois catégories : les gestes d exérèse simple qui ont été acceptés les premiers car ils sont techniquement faciles et reproductibles (vésicule, ménisque, ovaire et annexes, prostate endoscopique) ; les gestes d exérèse plus lourde qui sont techniquement plus délicats et qui restent moins diffusés (néphrectomie, colectomie, exérèse pulmonaire...) ; les procédures qui comprennent un geste de reconstruction simple (syndrome de la jonction pyélo-urétérale, reflux gastro-œsophagien...) ou plus complexe (prostatectomie radicale, chirurgie cardiaque...) qui ne sont aujourd hui développées que par quelques équipes. Spécificités de l approche vidéo en chirurgie cardiaque Problème de la circulation extracorporelle La circulation extracorporelle (CEC) nécessaire à la majorité des gestes de chirurgie cardiaque induit un encombrement du champ opératoire lié aux canules veineuses et artérielles, ce qui impose une large incision pariétale (sternotomie ou thoracotomie). Assez logiquement, c est en se débarrassant de la CEC que les premières approches dites «mini-invasives» utilisant la vidéo ont trouvé une application en chirurgie coronaire à cœur battant. La mammaire est prélevée sous vidéo, ce geste est relativement simple avec un peu d entraînement puis l anastomose est réalisée à cœur battant à travers une courte incision, ce qui est moins confortable mais parfaitement maîtrisable avec l expérience et grâce au développement de stabilisateurs cardiaques de plus en plus efficaces. Cette technique n a pas connu de développement significatif essentiellement en raison d une compétition inégale face à l angioplastie des monopontages. Plus récemment, les progrès des matériels ont permis l installation périphérique de la CEC par ponction veineuse jugulaire et un abord superficiel de la veine et de l artère fémorale. Aujourd hui, la CEC périphérique est totalement maîtrisée et ne représente plus un obstacle à la diffusion des techniques mini-invasives. Problème du clampage aortique et de l induction cardioplégique L endoclamp (Heart-port, Esteck...) utilise un ballon gonflé dans l aorte ascendante pour occlure l aorte. Il offre l avantage d autoriser les réinterventions sans avoir à disséquer les accolements péri-aortiques mais il est extrêmement onéreux (surcoût > 30005 par procédure) et d utilisation complexe, avec un risque traumatique rare mais dramatique de dissection aortique. Pour toutes ces raisons, son utilisation reste marginale et il est vraisemblable qu il a un avenir limité. Il est à ce titre significatif que l équipe de Galloway [4] ait renoncé à cette procédure après une expérience pourtant importante de plus de 300 opérés, l argument financier déterminant étant allégué par cette équipe pour expliquer cette adaptation. Le clamp transthoracique, peu onéreux car restérilisable, permet un clampage plus conventionnel de l aorte. Il impose toutefois une ponction séparée de l aorte ascendante pour l induction de cardioplégie et n est pas facilement utilisable lors des réinterventions avec accolements péri-aortiques. Il reste néanmoins une solution simple reproductible et applicable dans l immense majorité des cas (figures 1 et 2). Indications de chirurgie cardiaque réalisable sous vidéoscopie Dans aucune discipline chirurgicale la vidéo ne s est imposée lorsque des sutures délicates étaient nécessaires, ce qui explique les difficultés d adaptation de la vidéo à la chirurgie coronaire. Seul le prélèvement mammaire est donc réalisable sous vidéo. L avenir est ici peut-être au robot qui offre des articulations avec plusieurs degrés de mobilité permettant les sutures vasculaires. Il représente 368
P D1 D2 E In. Figure 1. Écarteur souple en tissu autorisant la traversée du 4 e espace intercostal à travers une incision cutanée de 3 à 5 cm sans écarter les côtes. aujourd hui plus une voie de recherche qu une solution aboutie avec des indications qui restent confidentielles. Quant aux revascularisations coronaires sans CEC, elles sont réalisées classiquement par sternotomie et le bénéficie attendu n est pas lié à l approche mini-invasive. La chirurgie valvulaire aortique dite «mini-invasive» est possible à travers une courte incision cutanée présternale mais ne dispense pas d une incision sternale au moins partielle (figure 7). Cette approche aortique mini-invasive est donc finalement peu différente de la sternotomie traditionnelle et ne peut espérer apporter des bénéfices substantiels. Anatomiquement, l aorte est immédiatement rétrosternale offrant un excellent jour direct Figure 3. Vue postopératoire le lendemain de l intervention. P : orifice de ponction jugulaire pour la canulation de la CEC ; D1 et D2 : orifices des drains thoraciques postopératoires qui correspondent aux orifices d introduction peropératoire du clamp aortique et de l optique de la vidéo ; In : incision de 4 cm en regard du 4 e espace intercostal ; E : orifice de sortie des électrodes épicardiques temporaires postopératoires qui correspond à l orifice d introduction peropératoire du manche de l écarteur mitral. sur la valvule aortique et la vidéoscopie n a ici pas de justification (figure 3). La chirurgie des oreillettes, valvulaire mitrale ou tricuspide, tumeurs intracardiaques (myxomes, thrombus), ablation de sondes endocardiques, cure de communication interauriculaire, peut être réalisée à travers une courte incision de 3à5cmdans le sillon sous-mammaire. Cette technique impose l acquisition d une gestuelle différente avec un matériel ancillaire adapté pour travailler à travers la paroi à l intérieur des cavités cardiaques pendant que le Figure 2. Introduction des instruments adaptés à travers la courte incision intercostale pendant que le regard contrôle le geste sur l écran de la colonne vidéo. Figure 4. Lors d une réparation, l anneau mitral descend en direction de l incision, il va traverser le 4 e espace intercostal, puis il glissera jusqu à l anneau sous contrôle vidéo le long des fils de sutures bien visibles sur l écran. 369
Chirurgie cardiaque mini-invasive assistée par vidéothoracoscopie Figure 5. Rupture de cordage. L image de cette mitrale occupe tout l écran de contrôle, soit une dimension de plus de 30 cm de diagonale. Figure 6. Test à l eau attestant de la qualité de la réparation valvulaire. Figure 7. L incision cutanée disparaît complètement dans le sillon sous mammaire. chirurgien suit les gestes sur un écran de contrôle (figure 4). L angle d approche est direct et anatomiquement beaucoup plus logique qu à travers une classique sternotomie. La magnification de l image fait que la valvule mitrale peut occuper l ensemble de l écran vidéo (figures 5 et 6) avec des dimensions multipliées par 5 ou 10. Les gestes gagnent en précision et, à terme, avec l amélioration des matériels et l expérience croissante des chirurgiens, on est en droit d attendre une qualité de geste au moins égale et probablement supérieure à celle des voies d abord traditionnelles telles que la sternotomie ou la large thoracotomie droite. La qualité du débullage est nettement supérieure avec l utilisation du CO 2 dans cette cavité thoracique presque fermée. Cela est attesté par les échocardiographies transœsophagiennes peropératoires de contrôle ou les microbulles sont pratiquement absentes, contrairement à ce que l on note après sternotomie. Une meilleure préservation des fonctions cognitives post-cec est donc attendue, ce qui mériterait d être confirmé ultérieurement. Notre expérience Elle a été progressivement et rapidement croissante avec aujourd hui plus de 200 patients opérés par vidéoscopie qui est aujourd hui notre technique de référence pour pratiquement la totalité des gestes de chirurgie des oreillettes. Il n y a pas de limite en âge (15 à 88 ans) et en poids (38 à 114 kg). Notre série comprend 77 % de réparations mitrales, 12 % de remplacements prothétiques mitrals, 4 % de tumeurs auriculaires, 4 % d endocardites du cœur droit et 3 % de communications interauriculaires. La prudence nous a conduits à privilégier les réparations simples au début de notre expérience mais, aujourd hui, la vidéoscopie s adresse à tous les types de lésions dystrophiques. La mortalité postopératoire était de 1 % (une patiente avec endocardite infectieuse du cœur droit sur sonde Pacemaker avec abcès pulmonaires, un patient cachectique âgé de 77 ans). Les résultats valvulaires ont été comparables à ceux que l on obtient par sternotomie avec un bénéfice net en termes de résultat esthétique, diminution des saignements, transfusions, douleurs et épisodes d arythmie auriculaire. Aucune complication pariétale thoracique n a été notée. Le bénéfice en termes de durée de séjour a été moins régulier car les habitudes tenaces de prise en charge sont difficiles à infléchir. Conclusion En chirurgie cardiaque adulte, l essentiel des applications de la vidéoscopie semble devoir se limiter à la 370
chirurgie mitrale. En effet, la vidéo n aurait pas d intérêt en chirurgie de l aorte. L apport en chirurgie coronaire se limite au prélèvement mammaire sous vidéo. En revanche, l utilisation de la vidéoscopie est parfaitement adaptée à la chirurgie des massifs auriculaires. Les exérèses de myxomes ainsi que les remplacements valvulaires sont très facilement réalisables par cette technique. Les réparations même complexes deviennent également accessibles par cette approche avec l expérience croissante des équipes et l amélioration des matériels. L évolution des indications qui nous pousse aujourd hui à opérer des patients plus jeunes, souvent pas ou peu symptomatiques, chez qui une chirurgie vécue comme moins agressive peut être plus facilement proposée. Nous avons maintenant acquis la conviction que cette technique s imposera comme une référence en chirurgie mitrale à l instar de ce que fut l adoption de la vidéo en chirurgie digestive il y a quelques années. Références 1. Schroeyers P, Wellens F, De Geest R, et al. Minimally invasive video-assisted mitral valve surgery : our lessons after a 4-year experience. Ann Thorac Surg 2001 ; 72 : S1050-S1054. 2. Onnasch JF, Schneider F, Falk V, Mierzwa M, Bucerius J, Mohr FW. Five years of less invasive mitral valve surgery : from experimental to routine approach. Heart Surg Forum 2002 ; 5 : 132-5. 3. Felger JE, Reade CC, Nifong LW, Chitwood Jr. WR. Robot-assisted sutureless minimally invasive mitral valve repair. Surg Technol Int 2004 ; 12 : 185-7. 4. Saunders PC, Grossi EA, Sharony R, et al. Minimally invasive technology for mitral valve surgery via left thoracotomy : experience with forty cases. J Thorac Cardiovasc Surg 2004 ; 127 : 1026-31 ; (discussion 1031-2). 371