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Transcription:

Les sanctions pénales liées au travail illégal dans le cadre des contrats publics La notion de travail illégal regroupe différents types d infractions. La plus répandue en matière de marchés publics est celle de travail dissimulé. Quels sont les éléments constitutifs de cette infraction? Quels peuvent en être les auteurs et quelles peines encourent-ils? Existent-ils des moyens permettant de prévenir la commission d une telle infraction? Le célèbre «plombier polonais» est revenu récemment sur le devant de la scène, lors des discussions relatives au projet de modification de la directive 96/71/ CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d une prestation de services. Les ministres européens du Travail viennent en effet de trouver un accord pour lutter contre les fraudes en matière de détachements de travailleurs en Europe (1), qui aura nécessairement un impact sur les conditions d exécution des marchés publics de travaux (2). C est l occasion de revenir sur les sanctions pénales liées au travail illégal dans le cadre des contrats publics, et plus particulièrement des marchés publics. Il ne s agit ici nullement de réaliser une étude exhaustive du droit pénal du travail illégal, mais de rappeler ce qu est le travail illégal, ainsi que les incidences et les risques liés au travail illégal dans le cadre des contrats publics. À titre liminaire, nous rappellerons que la notion de travail illégal regroupe en fait plusieurs infractions. Aux termes de l article L. 8211-1 du Code du travail : «Sont constitutives de travail illégal, dans les conditions prévues par le présent livre, les infractions suivantes : 1 Travail dissimulé 2 Marchandage ; 3 Prêt illicite de main-d œuvre ; 4 Emploi d étranger sans titre de travail ; 5 Cumul irrégulier d emplois ; Florence Barrault Avocat Directeur Cornet Vincent Segurel Mots clés Complicité Éléments constitutifs Interdiction de soumissionner Obligation de vérification Pénalités Travail dissimulé (1) Accord des ministres du Travail européens, lors du sommet du 9 décembre 2013 (cf. Communiqué de presse du ministère du ). (2) Il est envisagé la responsabilisation b des entreprises donneuses d ordres du secteur du bâtiment et des travaux publics vis-à-vis de leurs sous-traitants ; il sera désormais possible d établir une chaîne de responsabilités pour lutter plus efficacement contre la fraude et plus largement contre les montages frauduleux. 59

Infractions pénales et contrats publics 6 Fraude ou fausse déclaration prévue aux articles L. 5124-1, L. 5135-1 et L. 5429-1». Ce ne sont donc pas moins de six infractions qui constituent la notion de travail illégal. En matière de contrats publics, et plus particulièrement de marchés publics, l infraction la plus souvent constatée est celle de travail dissimulé. Plusieurs mécanismes de contrôle ont d ailleurs été mis en place, afin de lutter contre le travail dissimulé. Notre étude y sera donc consacrée. Pour mémoire, il convient de rappeler que les délits de marchandage et de prêt illicite de main d œuvre peuvent également être commis par des cocontractants dans le cadre de l exécution de contrats publics. Le délit de marchandage est défini par l article L. 8231-1 du Code du travail comme «toute opération à but lucratif de fourniture de main-d œuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu elle concerne ou d éluder l application de dispositions légales ou de stipulations d une convention ou d un accord collectif de travail». Le délit de prêt illicite de main-d œuvre est quant à lui prohibé par l article L. 8241-1 du Code du travail. Les deux infractions sont punies des mêmes peines : deux ans d emprisonnement et une amende de 30 000 euros (3). L infraction de travail dissimulé Eléments constitutifs de l infraction de travail dissimulé L article L. 8221-1 du Code du travail interdit trois comportements : «1 ) Le travail totalement ou partiellement dissimulé, défini et exercé dans les conditions prévues aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 ; 2 La publicité, par quelque moyen que ce soit, tendant à favoriser, en toute connaissance de cause, le travail dissimulé ; 3 Le fait de recourir sciemment, directement ou par personne interposée, aux services de celui qui exerce un travail dissimulé». Ainsi, il y a travail dissimulé, lorsque l employeur décide volontairement de ne pas déclarer auprès des services administratifs compétents soit ses activités (4), soit ses salariés (5). Est également réprimé le fait de recourir aux services de celui qui exerce un travail dissimulé. En matière de contrats publics, c est la dissimulation d emploi salarié qui est le plus souvent commise, ainsi que le recours, notamment par le biais de sous-traitants, aux services de celui qui exerce un travail dissimulé. Travail dissimulé par dissimulation d emploi salarié L article L. 8221-5 du Code du travail définit le travail dissimulé par dissimulation d emploi salarié le fait pour tout employeur : «1 Soit de se soustraire intentionnellement à l accomplissement de la formalité prévue à l article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l embauche ; 2 Soit de se soustraire intentionnellement à l accomplissement de la formalité prévue à l article L. 3243-2, relatif à la délivrance d un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d une convention ou d un accord collectif d aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre I er de la troisième partie ; 3 Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l administration fiscale en vertu des dispositions légales». Il convient de relever que les éléments matériels de l infraction ne sont pas cumulatifs mais alternatifs. Il suffit que l un des trois éléments soit constaté pour que l élément matériel de l infraction soit rempli (6) : absence de déclaration préalable à l embauche, absence ou irrégularité des bulletins de paye, absence de déclaration relative aux salaires ou aux cotisations sociales. L élément intentionnel est clairement rappelé dans le texte de l article L. 8221-5 du Code du travail. Cette précision était superflue, puisqu en application de l article 121-3 alinéa 1 er du Code pénal, tous les délais sont, sauf indication légale contraire, intentionnels. Néanmoins, la rédaction de l article L. 8221-5 du Code du travail a le mérite de la clarté. La Chambre criminelle de la Cour de cassation déduit de la seule constatation de la violation, en connaissance de cause, d une prescription légale ou réglementaire, l intention coupable et institue une forme de présomption d intention. Ainsi, il a pu être jugé qu était coupable de travail dissimulé la gérante d une société qui, en cette qualité, «ne pouvait ignorer la présence de ces ouvriers sur le chantier de réhabilitation de l appartement qu elle devait occuper et que les heures de travail exécutées par ces personnes ont été facturées» (7). (3) Article L.. 8234-1 23-1 du Code C du travail pour le délit de handage ; article L. 8243-1 du Code du travail pour le prêt illicite de main-d œuvre. (4) Code C du travail, art.. L.. 8221-3 221-3 et s.. (5) Code C du travail, art.. L.. 8221-5 221-5 et s.. (6) En ce sens voir notamment Cass. C. crim.,. 20 janvier 2009, 2009 n 08-82.615. (7) Cass. C. crim.,. 20 janvier 2009, 2009 n 0-3.933 08-83.933, Droit D pénal.. 2009, 2009 comm.53. 60

Recours au travail dissimulé Afin de lutter de manière plus efficace contre le travail dissimulé, le législateur réprime également le comportement des bénéficiaires de ce travail dissimulé. Ainsi, comme il a été rappelé ci-dessus, l article L. 8221-1 du Code du travail prohibe le «fait de recourir sciemment, directement ou par personne interposée, aux services de celui qui exerce un travail dissimulé». La preuve de l intention de recourir aux services de celui qui exerce un travail dissimulé est facilitée par l obligation imposée au donneur d ordre de vérifier, au moment de la conclusion du contrat, que son cocontractant s acquitte de ses obligations au titre des articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du Code du travail (8). Avant la signature du contrat et à compter du seuil de 3 000 euros HT (9), le donneur d ordre (personne morale de droit public en cas de contrats publics) est tenu de solliciter la production des pièces établissant que son futur cocontractant s acquitte des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du Code du travail, relatives au travail dissimulé par dissimulation d activité et dissimulation d emploi salarié. Concrètement, la personne publique doit se faire remettre les pièces prévues par les articles D. 8222-4 et D. 8222-5 du Code du travail (cocontractant établi en France) et D. 8222-6 à D. 8222-8 (cocontractant établi à l étranger). Le formulaire NOTI1 Information des candidats retenus est généralement utilisé. Auteurs de l infraction de travail dissimulé À titre liminaire, il convient de préciser que le salarié qui n a pas été déclaré par son employeur ne peut être poursuivi pour l exercice d un travail dissimulé. Sont donc susceptibles d être poursuivis : celui qui exerce une activité dissimulée ; l employeur qui dissimule ses salariés ; celui qui a sciemment recours de manière directe, ou par personne interposée, aux services de celui qui exerce le travail dissimulé. À notre connaissance, un donneur d ordre public n a jamais été condamné pour recours aux services d un employeur qui dissimule ses salariés. Toutefois, très récemment et pour la première fois, un maître d ouvrage privé a été condamné pour complicité de prêt illicite de main-d œuvre et travail dissimulé à verser une amende de 210 000 euros (10). Le maître d ouvrage avait confié le gros œuvre à une société turque, laquelle avait à son tour sous-traité auprès d une entreprise polonaise, qui avait alors détaché ses ouvriers polonais en France. La cour d appel a considéré que les sociétés (8) Code C du travail, art.. L.. 8222-1. 222-1. (9) Code C du travail, art.. R.. 8222-1. 222-1. (10) CA C Chambéry C ambér 7 novembre 2013, 01 Promogim. Promogim turques et polonaises avaient conclu un contrat de soustraitance fictif car la deuxième n apportait aucun savoirfaire particulier sur le chantier. Le délit de prêt illicite de main-d œuvre était donc constitué. La cour d appel a encore considéré que la législation française en matière de salariés détachés n avait pas été respectée (horaires de travail supérieurs à la durée légale, non-paiement des heures supplémentaires) et que le maître de l ouvrage ne pouvait s exonérer des obligations qui lui incombaient en matière de vérification à l égard de ses cocontractants (11). Peines encourues Par les personnes physiques Le délit de travail dissimulé est puni d un emprisonnement de trois ans et d une amende de 45 000 euros (12). En cas de récidive, le maximum des peines encourues est doublé par application des principes de droit commun (13). Les personnes physiques encourent les peines complémentaires suivantes, prévues par l article L. 8224-3 du Code du travail : «1 L interdiction, suivant les modalités prévues par l article 131-27 du code pénal, soit d exercer une fonction publique ou d exercer l activité professionnelle ou sociale dans l exercice ou à l occasion de l exercice de laquelle l infraction a été commise, soit d exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale. Ces interdictions d exercice peuvent être prononcées cumulativement ; 2 L exclusion des marchés publics pour une durée de cinq ans au plus ; 3 La confiscation des objets ayant servi directement ou indirectement à commettre l infraction ou qui ont été utilisés à cette occasion, ainsi que de ceux qui en sont le produit et qui appartiennent au condamné ; 4 L affichage du jugement aux frais de la personne condamnée dans les conditions prévues à l article 131-35 du code pénal et son insertion, intégrale ou par extraits, dans les journaux qu elle désigne. Ces frais ne peuvent excéder le montant maximum de l amende encourue ; 5 L interdiction, suivant les modalités prévues par l article 131-26 du code pénal, des droits civiques, civils et de famille». Pour être complet, il convient encore de préciser que l article L. 8272-1 du Code du travail prévoit en outre des sanctions administratives (refus d accorder, pendant une durée maximale de cinq ans, certaines des aides publiques en matière d emploi, de formation professionnelle et de culture à la personne ayant fait l objet de cette verbalisation, notamment). (11) h..f 139- - -b http://www.lemoniteur.fr/139-entreprises-de-btp/article/ actualite/23000801-travail-detache-un-promoteur-condamne-unepremiere-en-france (12) Code C du travail, art.. L.. 8224-1. 22-1. (13) Code C pénal, art.. 132-10. 61

Infractions pénales et contrats publics Il est également prévu une autre sanction : le mécanisme de la solidarité financière. Ainsi, toute personne condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée, aux services de celui qui exerce un travail dissimulé est tenue solidairement avec ce dernier au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires et autres sommes visées par l article L. 8222-2 du Code du travail. Par les personnes morales L article L. 8224-5 du Code du travail prévoit que : «les personnes morales reconnues pénalement responsables, dans les conditions prévues par l article 121-2 du code pénal, des infractions prévues par les articles L. 8224-1 et L. 8224-2 encourent : 1 L amende, dans les conditions prévues à l article 131-38 du code pénal ; 2 Les peines mentionnées aux 1 à 5, 8 et 9 de l article 131-39 du même code. L interdiction prévue au 2 de l article 131-39 du code pénal porte sur l activité dans l exercice ou à l occasion de l exercice de laquelle l infraction a été commise». Autrement dit, les peines suivantes sont encourues : amende de 225 000 euros pour l emploi dissimulé d un majeur ; dissolution, interdiction à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus d exercer l activité dans l exercice ou à l occasion de l exercice de laquelle l infraction a été commise, placement sous surveillance judiciaire, fermeture temporaire, exclusion des marchés publics, confiscation de la chose ayant servi à commettre l infraction ou qui en est le produit, affichage ou diffusion du jugement de condamnation. S agissant des peines encourues, il convient de relever que tant les personnes physiques que les personnes morales encourent l interdiction de soumissionner à des marchés publics, pendant une durée maximum de cinq ans. C est pourquoi, le Code des marchés Publics impose au pouvoir adjudicateur de vérifier que le candidat n a pas été précédemment condamné pour des infractions de travail dissimulé. Ainsi, les candidats à un marché public doivent notamment produire, à l appui de leur candidature, une «déclaration sur l honneur pour justifier qu ils n entrent dans aucun des cas mentionnés à l article 43», soit, s agissant des infractions de travail illégal, une déclaration sur l honneur qu ils n ont pas fait l objet, depuis moins de cinq ans, d une condamnation inscrite au bulletin n 2 du casier judiciaire pour les infractions mentionnées aux articles L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-5, L. 8231-1, L. 8241-1, L. 8251-1 et L. 8251-2 du Code du travail (14). Les obligations et mécanismes de contrôle dans la passation et l exécution des contrats publics, aux fins de lutter contre le travail dissimulé Le législateur a mis en place plusieurs mécanismes / obligations de contrôle dans les contrats publics. L objectif du législateur est en effet de lutter contre une infraction qui a souvent été considérée comme un «fléau social» et une cause d inégalité entre les concurrents à une procédure de publicité et de mise en concurrence. Ces obligations complètent les dispositifs existants dans le Code des marchés publics, tels que la vérification des offres anormalement basses, qui traduisent parfois le recours à un système de travail illégal. Néanmoins, si l explication fournie par le candidat à l attribution d un marché public quant à la justification de son prix anormalement bas, peut sembler cohérente, la personne publique n a au stade de la passation, aucun moyen de ne pas conclure le marché en cause avec ce candidat (dans l hypothèse où son offre serait l offre économiquement la plus avantageuse et que le candidat aurait bien fourni l ensemble des attestations requises avant la notification du marché). C est pourquoi, les articles L. 8222-1 et L. 8222-6 du Code du travail ont mis en place des obligations de vérification, de vigilance, d alerte et même de sanction du cocontractant non respectueux des dispositions du Code du travail. Obligations de vérification, de vigilance et d alerte du donneur d ordre Comme il a été rappelé ci-dessus, l article L. 8222-1 du Code du travail impose au donneur d ordre de vérifier, avant la conclusion du contrat que son cocontractant s acquitte de ses obligations au titre des articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du Code du travail (15). En matière de marchés publics, le formulaire NOTI 1 est généralement utilisé. Cette vérification doit également être effectuée tous les six mois, pendant la période d exécution du contrat (16). À défaut, le donneur d ordre peut être déclaré responsable solidairement, «avec celui qui a fait l objet d un procès-verbal pour délit de travail dissimulé : 1 Au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale ; 2 Le cas échéant, au remboursement des sommes correspondant au montant des aides publiques dont il a bénéficié ; 3 Au paiement des rémunérations, indemnités et charges dues par lui à raison de l emploi de salariés n ayant pas fait l objet de l une des formalités prévues aux articles (14) Combinaison C b des articles 43 3 et 44 du Code C des marchés h Publics et des articles 38 et 8 de l ordonnance n 2005-649 du 6 juin 2005. (15) Code C du travail, art.. L.. 8222-1. 222-1. (16) Code C du travail, art.. L.. 8222-1. 222-1. 62

L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l embauche et L. 3243-2, relatif à la délivrance du bulletin de paie» (17). Par ailleurs, l article L. 8222-6 du Code du travail prévoit pour les personnes morales de droit public (18), un dispositif d alerte qui fonctionne comme suit, complété par les dispositions de l article R. 8222-3 du Code du travail : information par écrit de la personne morale de droit public, par un agent de contrôle, de la situation irrégulière de son cocontractant au regard des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5, l enjoignant aussitôt de faire cesser cette situation ; mise en demeure de la personne publique à son cocontractant par lettre recommandée avec accusé de réception avec un délai de 15 jours pour répondre ; transmission sans délai par la personne publique à l agent auteur du signalement des éléments de réponse communiqués par l entreprise ou information d une absence de réponse ; à défaut de correction des irrégularités signalées dans un délai fixé en décret en Conseil d État, la personne morale de droit public en informe l agent auteur du signalement et peut appliquer les pénalités prévues par le contrat ou rompre le contrat, sans indemnité, aux frais et risques de l entrepreneur. Il convient encore de rappeler que la personne publique peut être tenue solidairement responsable des sommes dues au titre des 1 et 3 de l article L. 8222-2, dans les conditions prévues à l article L. 8222-3, à défaut de respecter les obligations de mise en demeure, de transmission à l agent auteur du signalement des éléments de réponse et d information de ce dernier de l absence de régularisation par son cocontractant de sa situation. Obligation d insertion d une clause contractuelle de pénalités financières dans les contrats conclus par une personne morale de droit public L article L. 8222-6 du Code du travail, tel que modifié par la loi n 2011-525 du 17 mai 2011, impose que «Tout contrat écrit conclu par une personne morale de droit (17) Code C du travail, art.. L.. 8222-2. 222-2. (18) Dispositions D similaires pour les personnes morales de droit privé prévues par l article L. 8222-5 du Code du travail. public [comporte] une clause stipulant que des pénalités peuvent être infligées au cocontractant s il ne s acquitte pas des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 à L. 8221-5. Le montant des pénalités est, au plus, égal à 10 % du montant du contrat et ne peut excéder celui des amendes encourues en application des articles L. 8224-1, L. 8224-2 et L. 8224-5». Force est de constater que cette obligation d insertion d une clause contractuelle de pénalités financières vise «tout contrat écrit» conclu par une personne morale de droit public. Elle ne vise donc pas exclusivement les marchés publics. Il résulte de ces mécanismes d alerte que le cocontractant de l administration encourt, outre des sanctions pénales, des sanctions au titre de l exécution de son contrat, notamment l application de pénalités et le cas échéant, dans les conditions prévues par l alinéa 4 de l article L. 8222-6 du Code du travail, une résiliation aux frais et risques. Il importe donc aux personnes publiques d être vigilantes dans la passation et l exécution de leurs contrats de droit public, aux fins de lutter efficacement contre le travail illégal. Enfin, pour être complet, il convient de préciser que les députés Gilles Savary, Chantal Guittet et Michel Piron avaient proposé, dans le cadre d un rapport d information déposé le 29 mai 2013 par la commission des affaires européennes, sur la proposition de directive relative à l exécution de la directive sur le détachement des travailleurs, que soit mise en place «une liste noire d entreprises et de prestataires de services indélicats, sur le modèle des listes noires qui existent dans l aviation civile». Ils ont à cet effet proposé que «toute entreprise condamnée à une sanction pour fraude à la législation sur le détachement des travailleurs, ou à tout le moins, les entreprises n ayant pas honoré leurs sanctions soient inscrites sur une liste noire européenne publique, avec pour effet, au moins temporaire : l interdiction de répondre à des appels d offres ; l interdiction de sous-traiter pendant une période donnée ; l interdiction de fournir une prestation de services de main-d œuvre pendant une période donnée». Cette proposition ne semble cependant pas avoir été retenue par les ministres européens du Travail, lors du sommet européen du 9 décembre 2013. 63