Utilisation des digitaliseurs dans l étude des caractéristiques motrices de l écriture



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Ecriture Dossier Utilisation des digitaliseurs dans l étude des caractéristiques motrices de l écriture Of the use of digitizers in the study of motor characteristics of handwriting Jean Michel ALBARET, Psychomotricien * Michel SANTAMARIA, Psychomotricien RÉSUMÉ L utilisation des digitaliseurs dans le cadre de l étude de l écriture fournit un ensemble de données qui peuvent être regroupées en trois domaines. Il y a tout d abord les caractéristiques de l écriture en terme de mouvement et de contrôle moteur, puis le développement de ces caractéristiques chez l enfant et enfin le cadre des phénomènes pathologiques liés à l écriture et aux difficultés d apprentissage graphique (dysgraphies notamment). Une revue succincte des travaux permet de mesurer l intérêt d une telle approche dans l analyse de l écriture. MOTS CLÉS : écriture, tablettes graphiques, dysgraphies SUMMARY The use of digitizers in the frame of handwriting studies provides a set of data that can be divided into three fields : first of all, the characteristics of handwriting in terms of movement and motor control. Secondly, the development of such characteristics in a child ; and lastly, the frame of pathologic phenomena linked to handwriting and to the graphic learning difficulties (dysgraphia for instance). A brief review of some studies enable us to mesure the interest of such an approach in the nalysis of handwriting. KEY WORDS : handwriting, digitizers, dysgraphia L' * Enseignement de Psychomotricité, Faculté de Médecine Toulouse- Rangueil, 133 route de Narbonne, 31062 Toulouse cedex Laboratoire de Recherches en Activités Physiques et Sportives, Université Paul Sabatier évaluation de la qualité de l écriture, dans ses composantes perceptivomotrices, s est faite de multiples manières depuis plus d un siècle : étude de la trace graphique, enregistrement de l activité des muscles du bras ou mesure des angles des différentes articulations, utilisation de différents instruments comme les plumes d Edison (stylo dont la pointe contient une aiguille qui perfore le papier à une fréquence constante permettant ainsi d avoir une indication de la vitesse du mouvement graphique) ou les kimographes. Les tablettes graphiques Plus récemment, l utilisation des digitaliseurs, ou tablettes graphiques, s est répandue et continue de fournir un ensemble de données intéressantes concernant différents aspects du graphisme et plus particulièrement de l écriture. Il s agit d instruments qui permettent l enregistrement des déplacements d un stylo sur une surface lisse (en plastique le plus souvent). Une feuille de papier peut être placée sur la tablette et comporter des lignes, des modèles à reproduire, etc. L intérêt majeur est de pouvoir conserver, via certaines variables, les caractéristiques du mouvement qui sous-tend l acte d écriture et de pouvoir analyser la trajectoire spatiale. Un procédé électromagnétique permet de repérer la position de la pointe du stylo avec une extrême précision spatiale (de l ordre de 0,2 mm) et une résolution temporelle importante (200 points par seconde), puis de la coder, sur un système d axes orthogonaux en coordonnées X et Y, voire même Z (correspondant à la hauteur à laquelle le stylo est soulevé dans les déplacements, entre deux mots par exemple). 113 115

On peut ainsi s intéresser aux données spatiales (trajectoire, hauteur et largeur des lettres, régularité des courbures), temporelles (temps de réaction, durée de mouvement, durée des pauses), cinématiques (vitesse, caractère continu ou discontinu de la production graphique), dynamiques (accélération). La pression exercée sur l instrument peut également être étudiée. La tablette est reliée à un ordinateur qui peut stocker l ensemble des données enregistrées. L écran de l ordinateur peut être utilisé pour donner des instructions ou afficher un modèle, fournir une connaissance des résultats en cours d expérience ou de thérapie et, enfin, étudier les différentes composantes de la trace et affiner son analyse. L analyse de la trace s effectue en effet sur des éléments relativement réduits comme un ensemble de lettres ou de traits. Chaque trait est généralement constitué d une phase d accélération et d une phase de freinage avec quelquefois passage par une vitesse nulle, voire une pause. L étude des courbes de vitesse fournit des informations sur la fluidité du mouvement graphique et permet, par exemple, de différencier des individus dysgraphiques d une population contrôle (Søvik, 1984). Les données obtenues grâce aux tablettes graphiques peuvent être regroupés en trois domaines d importance inégale : études des caractéristiques de l écriture en terme de mouvement et de contrôle moteur, étude du développement de ces caractéristiques chez l enfant, études des phénomènes pathologiques liés à l écriture et aux difficultés d apprentissage graphique (dysgraphies notamment). Contrôle moteur et mouvements d écriture L écriture se développe sur une longue période, environ une dizaine d années et résulte de l intégration d un ensemble de processus psychomoteurs tels que la discrimination de formes, l orientation, l organisation sériale des traits consécutifs, la coordination de mouvements fins. La production de mouvements graphiques, basés sur des représentations cognitives au niveau du SNC (Van Galen et coll., 1986), peut être considérée, à ce jour, comme le résultat d une succession de modules organisés hiérarchiquement (Van Galen, 1991) fonctionnant en série (pour une même unité) mais aussi en parallèle (deux unités graphiques successives sont, dans le même temps, à des étapes de traitements différentes du fait des phénomènes d anticipation). L étude des temps de réaction et des temps de mouvement, avec l aide des tablettes graphiques, a permis de préciser des questions comme les étapes de la programmation motrice (van Galen et Teulings, 1983) et la nature des programmes moteurs intervenant dans l écriture, ou encore la taille de l unité de base (lettres ou traits constitutifs de la lettre). On a pu ainsi déterminer que les informations spatiales étaient prépondérantes dans les représentations stockées au niveau central (Teulings, 1988, cité in Thomassen et Van Galen, 1992), que l unité de base variait selon le degré de pratique du sujet, la nature de la tâche et sa complexité (Hulstjin et van Galen, 1988). Van Galen et Teulings (1983) ont donné des arguments en faveur d une indépendance des différentes étapes de la programmation motrice. Il y aurait ainsi trois étapes : la détermination de la forme de la lettre qui correspondrait au rappel d un programme moteur stocké en mémoire ; le contrôle de la taille et de la lettre ou paramétrisation ; l adaptation aux exigences de la situation avec la sélection des groupes musculaires impliqués dans la réalisation motrice et la mise en place des synergies entre muscles agonistes et antagonistes. L hypothèse de base est que le temps de réaction (c est-à-dire le temps qui sépare la présentation du stimulus du début de la réponse motrice) est la somme des durées nécessaires pour chaque étape. En faisant varier les consignes de façon à amener une modification de l une ou l autre de ces étapes, on devrait assister à une modification des temps de réaction si ces étapes supposées sont indépendantes et constituent autant de variables expérimentales. Ils demandent donc à des sujets de tracer, sur une tablette graphique, la lettre h avec les variations suivantes : modification du sens de la production ce qui correspond à la première étape de rappel d un programme moteur de complexité similaire mais dont l un est familier et l autre non ; modification de la taille globale de la lettre (normale ou plus grande) qui concerne la paramétrisation ; modification de l orientation de la lettre (0, 90, 180, 270 ), ce qui amène un changement dans la musculature utilisée pour produire le premier trait de la forme. Les résultats indiquent que nous sommes bien en présence de trois variables qui contribuent de manière additive au temps de réaction. Ces données ont été confirmées par Meulenbroek et van Galen (1988a) avec une tâche consistant à produire des traits de taille et d orientation différentes. L étude des invariants de l écriture chez l adulte et au cours du développement de l enfant (isochronie, homothétie temporelle, homothétie spatiale, isogonie) a également grandement bénéficié de l utilisation des digitaliseurs (cf. Zesiger, 1995, pour une excellente revue). Développement de l écriture L étude de l acquisition de l écriture au cours du développement a surtout porté sur l analyse des as- 114 116

pects quantitatifs (vitesse d écriture ou fréquence de production) et qualitatifs des tracés réalisés par l enfant (de Ajuriaguerra et coll., 1971). L étude des processus impliqués, des mécanismes de contrôle moteur intervenant dans l écriture a été enrichi par l utilisation des tablettes graphiques. On a pu ainsi objectiver le fait que l écriture se développe de façon non monotone (Meulenbroek et Van Galen, 1986 ; Vinter et Mounoud, 1991). Le développement est qualifié de non monotone quand une amélioration des performances dans le domaine considéré est interrompu momentanément par une détérioration. Cette caractéristique du développement est liée au fait que le sujet substitue une nouvelle stratégie à l ancienne, nouvelle stratégie qui, avant de s avérer plus efficace à long terme, entraîne une perturbation passagère. On a ainsi, vers 5-6 ans, une prédominance de mouvements balistiques rapides, de courte durée avec des pics de vitesse élevés. Entre 7 et 8 ans, on assiste à une période d instabilité au niveau graphique avec des mouvements décomposés en plusieurs sous-mouvements. A partir de 9-10 ans et jusque vers 15 ans, des mouvements balistiques de vitesse moyenne, correspondant à la maturité des habiletés d écriture apparaissent et se développent. Les mouvements sont alors plus fluides et l on n observe plus, dans les courbes de vitesse, des phases d accélération et de décélération aussi prononcées que dans les étapes précédentes. Par contre, ces modifications de stratégie selon l âge ne s accompagnent pas de différences significatives dans la durée, la longueur et les vitesses des traits constituant les motifs utilisés par Meulenbroek et Van Galen (1986) : cycloïdes, vagues, zigzags. Des résultats similaires sont d ailleurs obtenus lorsque l on étudie la réalisation de lettres à vitesse maximale avec une diminution des performances vers 9 ans (Meulenbroek et Van Galen, 1988b). Dans l étude de Kosterman et coll. (1994), on demande à 69 enfants, âgés de 5 à 12 ans, de copier des séquences de formes identiques ou constituées d une alternance de deux éléments (même forme et taille différentes ou bien formes différentes). La durée des pauses durant la copie et le temps de mouvement sont étudiés. Les résultats indiquent une diminution en fonction de l âge. Mais, alors que la différence entre formes identiques et formes alternées est nette chez les plus jeunes enfants, elle n est plus significative chez les plus âgés ce qui indique que la complexité de la tâche avec changement de paramètres et/ou de programme moteur voit son importance diminuer avec l âge. Dysgraphies et troubles de l écriture Les tablettes digitales sont utilisées pour cerner les particularités des dysgraphiques, ou d enfants dyspraxiques, dans la réalisation de l écriture et les différences par rapport à des sujets du même âge bons scripteurs. Elles permettent également de fournir une aide dans la prise en charge graphomotrice et enfin d évaluer les effets des thérapeutiques mises en place. L intérêt essentiel réside dans la possibilité de préciser les processus mis en œuvre et de mettre en place des procédés spécifiques et originaux destinés à améliorer la qualité de l écriture et sa rapidité. White et coll. (1989) utilisent une tablette graphique reliée à un ordinateur pour fournir à 3 enfants mauvais scripteurs un modèle idéal de la lettre à reproduire d une part et une information en retour accompagné de renforcements à l issue du traçage, d autre part. Dans un premier temps, la lettre se forme sur l écran, puis après observation, l enfant doit la reproduire sur une feuille de papier ligné recouvrant la tablette. A l issue de son essai, l enfant voit sa production (en blanc) se surimposer au modèle (en bleu), tandis que les parties qui excèdent les critères de tolérance définis au préalable apparaissent en rose brillant. De plus, des scores de 0 (très bien) à 200 (très mauvais) relatifs à la précision de la lettre (déviations par rapport à la forme et à la longueur totale du trait) apparaissent sur l écran. Les résultats montrent une amélioration de la qualité de l écriture liée, d après les auteurs, à la connaissance des résultats fournie. Le petit nombre de sujets et le caractère limité de l expérience (travail sur une seul lettre) doivent cependant être soulignés. Brewer et White (1994) utilisent le même dispositif auprès de 6 adultes présentant une déficience intellectuelle sévère et constatent une amélioration nette pour 4 d entre eux. Les différents travaux de l équipe de Søvik (Søvik, 1974 ; Søvik, 1991 ; Søvik et coll., 1986) ont également fournis des informations sur le rôle des rétroactions visuelles dans l écriture ou encore l utilité de fournir des extra-feedbacks par le biais d un thérapeute ou d un écran d ordinateur qui présente un tracé que l enfant doit suivre. Différentes études concernant les enfants dysgraphiques insistent sur la variabilité de leurs performances dans les différents domaines mesurés et la mauvaise régulation du geste au niveau spatial et temporel ainsi que dans le domaine cinématique avec une fréquence élevée d accélération et de pics de vitesse (Wann et Jones, 1986 par exemple). L étude de Van Galen et coll. (1993) insiste sur les caractéristiques des courbes de vitesse de sujets bons et mauvais scripteurs. Ils comparent les productions de 48 sujets âgés de 7 ans 6 mois à 12 ans 6 mois répartis en deux groupes selon la qualité de leurs performances en écriture. Les sujets sont appariés en âge, sexe, classe et niveau scolaire général. Différents motifs graphiques leur sont 115 117

proposés : guirlandes constituées de petites boucles (eeee), d arcades et de pseudo-mots comme eenn et mmee. Chaque motif est reproduit en deux hauteurs de lettres (3 mm et 6 mm) avec deux contraintes de précision différentes matérialisées par des zones ombrées de part et d autre de la ligne (1/3 ou 1/6 de la lettre). Les résultats indiquent que les sujets considérés comme mauvais scripteurs écrivent plus vite et que la taille de leurs productions est plus grande. Mais l élément le plus intéressant réside dans l analyse du spectre des vitesses qui indique que les mauvais scripteurs ont des profils plus bruyant (le bruit correspond aux bandes de fréquences élevées, dans lesquelles se trouve celle du tremblement physiologique). Quand la complexité et la demande de précision augmentent, les mauvais scripteurs se montrent incapables de réduire et d inhiber le bruit neuromoteur ce qui conduit à penser que des problèmes de nature biomécanique peuvent être à l origine de certaines difficultés graphiques. Van Doorn et Keuss (1991) s intéressent aussi au problème de la fluidité du mouvement qui est particulièrement important chez le sujet dysgraphique. Leur étude porte sur dix enfants dysgraphiques de 9 à 11 ans présentant, de plus, une dystonie avec crampes musculaires. La tâche consiste à produire, sur un digitaliseur, des mouvements continus d aller et retour au niveau du poignet d une part et au niveau des doigts d autre part. L épreuve est faite les yeux ouverts puis fermés. Le rythme des mouvements est induit par un métronome. Les résultats indiquent que l effet de la vision est différent selon les tâches. La présence de rétroactions visuelles augmente le caractère discontinu des mouvements du poignet, alors qu elle améliore, au contraire, la fluidité de mouvement des doigts et participe au maintien d une tenue du crayon appropriée. On peut regretter cependant l absence de groupe contrôle qui interdit toute généralisation aux dysgraphiques dans leur ensemble. Les déductions des auteurs concernant la thérapie graphomotrice sont néanmoins intéressantes. Ils insistent sur l intérêt de ménager des exercices sans vision pour augmenter le caractère continu des mouvements d écriture. La connaissance des résultats donnée à l issue de ces exercices peut être de deux types. Tout d abord on peut montrer au sujet la trace produite en insistant sur le caractère balistique des traits constituant la lettre. La deuxième approche consiste à faire visualiser la dynamique de l écriture, ce qui peut être fait par le biais du digitaliseur et des courbes de vitesse en faisant le lien entre le caractère discontinu de l écriture (pause) et les hésitations du sujet au cours de la réalisation. Les démonstrations du thérapeute concernant les aspects balistiques de l écriture peuvent constituer un élément supplémentaire. Une telle étude, aussi imparfaite soit elle, montre le lien qui peut exister entre les données obtenues en laboratoire et la thérapie, même si les hypothèses concernant cette dernière demandent encore confirmation. Le travail de Schoemaker (1993 ; et coll., 1994) porte sur 17 enfants dyspraxiques de 6 à 9 ans et un groupe contrôle, apparié en âge et sexe et s intéresse aux effets d un programme thérapeutique. La thérapie est constituée de séances bihebdomadaires d entraînement sensori-moteur portant sur des exercices de coordination ou de dissociation sur une période de trois mois. L évaluation des effets de la thérapie est faite à l aide d un test de motricité globale et d exercices graphiques réalisés sur une table digitale recouverte d une feuille de papier. Les figures à copier sont des successions de zigzags de complexité croissante (8 au total) alternant des angles droits et des angles aigus (cf figure). Figure 1 : formes aléatoires de Schœmaker Les variables étudiées sont le temps de réaction, le temps de mouvement, la fluidité mesurée par le nombre de changements de vitesse, la durée des pauses et la précision du dessin. Avant traitement les sujets dyspraxiques ont des résultats significativement inférieurs aux contrôles pour le test de motricité globale. Ils sont plus lents dans la réalisation des exercices graphiques, ils dessinent de façon moins fluide font plus de pauses entre les traits et font deux fois plus d erreurs. Après traitement, les résultats au test de motricité globale sont améliorés de même que la vitesse et la fluidité des mouvements graphiques avec une diminution des pauses, par contre la précision n est pas modifiée. Ce type d étude apporte, d une part, des informations sur la façon dont se comporte un enfant dyspraxique devant une tâche graphique et permet une meilleure connaissance des processus impliqués dans ce trouble psychomoteur, mais nous informe, d autre part, sur l efficacité ou l inutilité des techniques employées devant le problème posé. On voit donc que l étude des dysgraphies et l évaluation des thérapies graphomotrices par les seules épreuves papier-crayon gagnerait à être complétée par l analyse du déroulement de l acte graphique. L étude du résultat seul, la trace graphique, apparaît désormais comme insuffisante pour pouvoir caractériser l écriture du sujet dysgraphique, d autant que son intégration dans les dyspraxies de développement (Albaret et coll., 1995) incite à se pencher sur les processus moteurs et psychomoteurs en jeu dans les troubles praxiques. 116 118

Conclusion Les données fournies par les tablettes graphiques ont permis, ces derniers années, de progresser dans l étude et la connaissance des phénomènes graphiques mais aussi des apprentissages moteurs en général. Certaines données ne font que confirmer des éléments déjà connus depuis longtemps, d autres, au contraire, modifient profondément notre conception de l écriture, des méthodes d apprentissage et des procédés thérapeutiques. Les psychomotriciens sont loin d avoir exploité toute la richesse de ces travaux, ce qui laisse espérer des avancées futures dans le domaine thérapeutique et permettra certainement de mieux comprendre l efficacité de certaines techniques actuelles. Les évolutions récentes dans l étude de l écriture et des apprentissages graphiques illustrent, une fois de plus, les liens étroits que doivent désormais entretenir recherche fondamentale et pratique thérapeutique.! 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