Nombre de points des surfaces de Deligne-Lusztig 1 Géométrie algébrique/algebraic geometry Nombre de points des surfaces de Deligne-Lusztig François Rodier Résumé On présente des exemples de surfaces qui ont beaucoup de points relativement à leurs nombres de Betti et qui ont un groupe d automorphismes important. Ces exemples sont construits à partir des variétés de Deligne-Lusztig. Number of points of Deligne-Lusztig surfaces Abstract We present examples of surfaces with many points with respect to their Betti numbers and with a large automorphism group. These examples are constructed from Deligne-Lusztig varieties. 1. Introduction Goppa a montré comment construire des codes à partir de courbes sur un corps fini [4]. Les meilleurs codes proviennent de courbes ayant beaucoup de points relativement à leur genre. Le fait qu elles aient un groupe d automorphismes important permet au code d avoir beaucoup de propriétés de symétries. Plus généralement, Manin a montré comment construire des codes à partir de variétés de dimension quelconque (cf. [9]). Cela amène donc à la recherche de variétés ayant beaucoup de points par rapport à leurs nombres de Betti (voir [12]) et de nombreux automorphismes. Les courbes de Deligne-Lusztig ont été étudiées par J-P Serre [11] qui a montré qu elles ont un nombre de points maximum par rapport à leur genre, puis par J.P. Hansen [5]. On se propose ici d étudier quelques surfaces provenant des variétés de Deligne-Lusztig. 2. Définition des variétés de Deligne-Lusztig Soit p un nombre premier et soit k une clôture algébrique du corps fini F p. Soit G un groupe algébrique réductif connexe défini sur k, B l ensemble des sous-groupes de Borel de G, W le groupe de Weyl de G et S l ensemble de ses générateurs canoniques. Le groupe W est naturellement en bijection avec le quotient G\(B B) (cf. [3]). Si un couple (B 1, B 2 ) de B B correspond à w, on dira que B 1 et B 2 sont en position relative w. Dans tous les cas étudiés ici (sauf 2 F 4, cf. 7) F sera un endomorphisme de Frobenius de G relatif à une structure rationnelle sur un sous-corps fini F q de k. On notera G F le groupe fini des éléments de G fixés par F.
Nombre de points des surfaces de Deligne-Lusztig 2 Définition (cf. [3]). Soit w un élément de W. Le schéma de Deligne-Lusztig X(w) est le sous-schéma localement fermé de B formé des sous-groupes de Borel B tels que B et F B soient en position relative w. Soit s 1... s n une expression minimale d un élément de W. On définit X(s 1,..., s n ) comme étant l espace des suites de sous-groupes de Borel (B 0,..., B n ) telles que B n = F (B 0 ) et que B i 1 et B i soient en position relative s i ou e. Alors X(s 1,..., s n ) est une compactification lisse de X(s 1... s n ) sur laquelle G F agit ([3], 9.11). L endomorphisme F agit sur le groupe W et envoie S sur lui-même. Nous nous intéresserons ici aux cas où S a deux orbites par F. Si s 1 et s 2 sont des représentants de chacune de ces deux orbites, on pose w = s 1 s 2. Alors X(w) est une variété lisse, irréductible, de dimension 2, stable par G F, définie sur F q δ où δ est le plus petit entier tel que F δ fixe S. (cf. [3] 1.4, [7] (1.6) et (4,8)). Dans ce cas-là, l application de X(s 1, s 2 ) dans B qui envoie (B 0, B 1, B 2 ) sur B 0 est un morphisme bijectif de X(s 1, s 2 ) sur X(s 1 s 2 ) X(s 1 ) X(s 2 ) X(e). En utilisant le calcul des valeurs propres de F dans la cohomologie l-adique à supports compacts des X(w) fait par Lusztig ([7]), on peut calculer la fonction zêta des variétés X(s 1, s 2 ). 3. Nombre des points d une surface projective Soit X une surface projective, lisse et connexe sur le corps F q. On note N n le nombre d éléments de X(F q n). Grothendieck (cf. [2]) a démontré la formule de Lefschetz exprimant N n sous la forme : N n = 1 + q 2n (q n/2 + q 3n/2 ) b 1 ω n 1,j + q n b 2 ω2,j n ( ) 1 1 où les b i = dim Ql H i (X Fq k, Q l ) sont les nombres de Betti l-adiques de X vérifiant b 0 = b 4 = 1 et b 1 = b 3. Les ω i,j sont des nombres complexes et Deligne a montré qu ils sont de valeur absolue égale à 1 ([1], (1.6)). D où l inégalité de Weil-Deligne : N 1 1 + q 2 + b 1 (q 1/2 + q 3/2 ) + b 2 q. On dit que la surface X atteint la borne de Weil- Deligne s il y a égalité, c est-à-dire si, pour tout i et j, ω i,j = ( 1) i.
Nombre de points des surfaces de Deligne-Lusztig 3 4. Les groupes Sp(4) Le groupe G F est de type C 2. La variété X(s 1, s 2 ) est obtenue à partir de la sousvariété Y de P 3 d équation : x q 1 x 3 x 1 x q 3 + xq 2 x 4 x 2 x q 4 = 0 par éclatement des points de Y P 3 (F q ). La variété Y est une surface hermitienne tordue. Elle est lisse, irréductible et stable par Sp(4, F q ) opérant sur P 3. Lusztig a calculé ([8], Lemme 31) le nombre de points et la cohomologie de la variété Y. Proposition 1. La fonction zêta de la surface Y sur F q est donnée par Z(t) = (1 t) 1 (1 qt) (q3 +q+2)/2 (1 + qt) q (q 1)2/2 (1 q 2 t) 1. Les nombres de Betti sont donnés par b 1 = 0, b 2 = q 3 q 2 + q + 1. La surface Y a q 3 + q 2 + q + 1 points définis sur F q. La variété Y n atteint donc pas la borne de Weil-Deligne. 5. Le groupe SU(4) Le groupe G F est de type 2 A 3. Soit la sous-variété Y de P 3 définie par l équation x q+1 1 + x q+1 2 + x q+1 3 + x q+1 4 = 0. La variété X(s 1, s 2 ) est obtenue à partir de Y par éclatement des points de Y P 3 (F q 2). La variété Y est une surface hermitienne. Elle est donc lisse, irréductible et stable par SU(4, F q 2) et elle atteint la borne de Weil-Deligne (cf. [12]). 6. Le groupe SU(5) Le groupe G F est de type 2 A 4. On montre les propositions suivante. Proposition 2. La fonction zêta de la surface X = X(s 1, s 2 ) sur F q 2 est Z(t) = (1 + qt) b 1 (1 + q 3 t) b 3 (1 t)(1 q 2 t) b 2 (1 q4 t). On a b 1 = b 3 = q(q 1)(q 2 + 1), b 2 = q 8 + q 6 + q 4 + q 2 + 2. La variété X a (q 2 + 1)(q 3 + 1)(q 5 + 1) points définis sur F q 2. Elle atteint la borne de Weil-Deligne. Proposition 3. La surface X est minimale. C est une surface de type général dans la classification des surfaces (cf. [10]).
Nombre de points des surfaces de Deligne-Lusztig 4 Une surface est minimale si elle ne peut pas se déduire d une autre surface lisse par éclatements. On démontre ceci en utilisant le calcul du diviseur canonique K de X. Soit la variété Y définie par l intersection de deux hypersurfaces de P 4 données par les équations 5 i=1 x q+1 i = 0 et 5 i=1 x q3 +1 i = 0. La surface Y est singulière et son lieu singulier est donné par Y F 2 = Y P 4 (F q 2). Si B est un sous groupe de Borel de G et si P est le sous-groupe parabolique de G stabilisant un point de P 4 et contenant B, l application composée B B B pr 1 B G/B G/P P 4 induit un morphisme de X dans Y qui est bijectif, sauf au dessus des points de Y F 2. En ces points la fibre est une courbe hermitienne. 7. Le groupe 2 F 4 Supposons p = 2. Soit G un groupe semi-simple dont le système de racine est de type F 4. Soit F un endomorphisme de G qui conserve les sous-groupes B et T et qui, dans l ensemble des caractères de T, transforme une racine simple courte en un multiple d une racine simple longue. Le carré de F est alors un endomorphisme de Frobenius relatif à une structure rationnelle de G sur le corps F q 2 avec q 2 = 2 2m+1. Le groupe G F est un groupe fini simple de type 2 F 4. Proposition 4. La fonction zêta de X = X(s 1, s 2 ) sur F q 2 est donnée par Z(t) = (1 + 2 q t + q 2 t 2 ) n 1 (1 + 2 q 3 t + q 6 t 2 ) n 3 (1 t)(1 q 2 t) m 1 (1 + q 2 t) m 2 (1 + q 4 t 2 ) m 3 (1 q 2 t + q 4 t 2 ) m 4 (1 q 4 t) avec n 1 = n 3 = 1 2 q ( q 4 1 ) ( q 6 + 1 ) et m 1, m 2, m 3 et m 4 sont donnés par des polynômes de degré respectivement 22, 20, 20 et 20 en q. Corollaire. Les nombres de Betti de X sont b 1 = 2q ( q 4 1 ) ( q 6 + 1 ) b 2 = q 22 + 2q 20 + 2q 19 + 2q 18 2 2q 15 + q 14 + 2q 13 + 2q 11 + q 10 2 2q 9 + 2q 6 + 2q 5 + 2q 4 + q 2 + 2. On a X F 2 = (q 12 + 1)(q 6 + 1)(q 4 + 1)(q 2 + 1). Donc la variété X n atteint pas la borne de Weil-Deligne. Mais on peut modifier légèrement la définition de X pour obtenir une variété Σ qui atteigne une certaine borne
Nombre de points des surfaces de Deligne-Lusztig 5 maximale. Soit B un sous-groupe de Borel de G, soit P 1 le sous-groupe parabolique contenant B dont la partie semi-simple soit de type A 1 A 1 et soit B B B pr 1 B G/B G/P 1 l application composée qui envoie X sur une surface Σ. C est un morphisme bijectif sur X, sauf au dessus des points de Σ F 2, où la fibre est isomorphe à la droite P 1. Le nombre de points N n de Σ F 2n est encore donné par une formule du type ( ) où les ω j,i sont de valeur absolue 1 : N n = X F 2n q 2n G F /P F 1 = 1 + q 4n (q n + q 3n ) b 1 j=1 ωj,1 n + q 2n( b 2 Posons S 2,n = b 2 j=1 ωn j,2. On peut montrer, en utilisant les formules explicites de Weil (cf. [6]) la proposition suivante. Proposition 5. La variété Σ a le nombre maximum de points sur F q 2 parmi les variétés vérifiant une formule du type ( ), avec le même nombre b 1 et des sommes S 2,1 et S 2,2 au plus égales à celles de Σ. j=1 ω n j,2 ) 8. Les groupes G 2 et 3 D 4 Les surfaces X(s 1, s 2 ) que l on peut définir à l aide de ces groupes (sur F q, resp. F q 3) n atteignent pas la borne de Weil-Deligne. Cependant, on peut montrer que sur le corps F q 6, ces surfaces atteignent cette borne. Proposition 6. Dans le cas des groupes de type G 2, les nombres de Betti de X(s 1, s 2 ) vérifient b 1 = 0 et b 2 = 3q 5 + q 4 + q 2 + 3q + 2 et le nombre de points de la surface X(s 1, s 2 ) sur F q est X F = (q + 1)(q 5 + q 4 + q 3 + q 2 + q + 1). Proposition 7. Dans le cas des groupes de type 3 D 4, les nombres de Betti de X(s 1, s 2 ) vérifient b 1 = 0 et b 2 = q 11 + q 9 + 2q 8 + q 7 2q 6 + q 5 + 2q 4 + q 3 + q + 2 et le nombre de points de la surface X(s 1, s 2 ) sur F q 3 est X F 3 = (q 3 + 1) 2 (q 8 + q 4 + 1). 9. Références [1] P. Deligne, La conjecture de Weil I, Publ. Math. I.H.E.S. 43, 1974, 273-307. [2] P. Deligne avec J-F. Boutot, A. Grothendieck, L. Illusie et J-L. Verdier, SGA 4 1 2, Cohomologie étale, Lecture Notes in Math. 569, Springer-Verlag, Heidelberg, 1977.
Nombre de points des surfaces de Deligne-Lusztig 6 [3] P. Deligne et G. Lusztig, Representation of reductive groups over finite fields, Annals of Math., 103, 1976, p. 103-161. [4] V.D. Goppa, Codes sur les courbes algébriques, Dokl. Akad. Nauk SSSR, 259, 1981, p. 1289-1290; trad. anglaise Soviet Math. Dokl. 24, 1981, 170-171. [5] J.P. Hansen, Deligne-Lusztig Varietes and Group Codes, in Coding Theory and Algebraic Geometry, p. 63-81; Lecture Notes in Math., n 1518, Springer-Verlag, Berlin, 1992. [6] G. Lachaud et M. Tsfasman, Formules Explicites pour le Nombre de points des variétés sur un corps fini, Prétirages du Labo. de Math. discrète n 95-25, Marseille, 1995. [7] G. Lusztig, Coxeter Orbits and Eigenspaces of Frobenius, Inventiones Math., 38, 1976, p. 101-156. [8] G. Lusztig, On the Green polynomials of classical groups, Proc. London Math. Soc. (3), 33, 1976, p. 443-475. [9] Y. Manin et S. Vladut, Codes linéaire et courbes modulaires, Itogi nauki i techniki, 25, 1984, p. 209-257; trad. anglaise J. Soviet Math., 30, 1985, p. 2611-2643.; trad. française Pub. Univ. Pierre et Marie Curie, n 72, 1985. [10] D. Mumford, Enriques classification of surfaces in char P : I, Global Analysis, Univ. Tokyo Press and Princeton Univ. Press, 1969, p. 325-339. [11] J-P. Serre, Résumé des cours de 1983-1984, Annuaire du Collège de France, Paris, 1984, p. 79-83; = Œuvres, III, n 132, p. 701-705. [12] M. Tsfasman, Nombre de points des surfaces sur un corps fini, Prétirages du Labo. de Math. discrète n 94-27, Marseille, 1994. Equipe Arithmétique et Théorie de l Information C.N.R.S. - Laboratoire de Mathématiques Discrètes 163, Avenue de Luminy - Case 930 F13288 MARSEILLE CEDEX 9 FRANCE Tél. : 91 82 70 02 Fax : 91 82 70 15