Complications cardio-vasculaires du syndrome d apnées du sommeil : effets de la pression positive continue

Documents pareils
Ischémie myocardique silencieuse (IMS) et Diabète.

S o m m a i r e 1. Sémiologie 2. Thérapeutique

Épreuve d effort électrocardiographique

Urgent- information de sécurité

Notions de base Gestion du patient au bloc opératoire

LIRE UN E.C.G. Formation sur le langage et la lecture d un ECG destinée aux techniciens ambulanciers de la région Chaudière-Appalaches

QUI PEUT CONTRACTER LA FA?

La pompe cardiaque, le débit cardiaque et son contrôle

Les différentes maladies du coeur

Prise en charge de l embolie pulmonaire

QUEL PROTOCOLE DE REENTRAINEMENT PROPOSER AUX PATIENTS INSUFFISANTS CARDIAQUES?

Evaluation du risque Cardio-vasculaire MOHAMMED TAHMI

PRINTEMPS MEDICAL DE BOURGOGNE ASSOCIATIONS ANTIAGREGANTS ET ANTICOAGULANTS : INDICATIONS ET CONTRE INDICATIONS

Orthèse Narval O.R.M. L orthèse innovante et confortable dans le traitement du SAOS


UN PATIENT QUI REVIENT DE LOIN. Abdelmalek AZZOUZ GRCI 29/11/2012 Service de Cardiologie A2 CHU Mustapha. Alger Centre. Algérie

REPOUSSER LES LIMITES DE LA CHIRURGIE BARIATRIQUE DANS LES OBESITES MASSIVES AVEC COMORBIDITES

Quelle évaluation préthérapeutique d un patient avec SAHOS nouvellement diagnostiqué?

Les Jeudis de l'europe

Comment évaluer. la fonction contractile?

PRINCIPE ET FONCTIONNEMENT DES DÉFIBRILLATEURS AUTOMATIQUES IMPLANTABLES (DAI)

Prise en charge du patient porteur d un dispositif implantable. Dr Philippe Gilbert Cardiologue CHU pavillon Enfant-Jésus

La Dysplasie Ventriculaire Droite Arythmogène

Thérapeutique anti-vhc et travail maritime. O. Farret HIA Bégin

Traitement des troubles respiratoires du sommeil en cas d insuffisance cardiaque

Colette Franssen Département d Anesthésie Réanimation CHU Sart Tilman LIEGE

TITRE : «Information et consentement du patient en réadaptation cardiovasculaire»

compaction ventriculaire gauche sur la fonction ventriculaire chez l adulte

Pathologies respiratoires du sommeil

Cas clinique n 1. Y-a-t-il plusieurs diagnostics possibles? Son HTA a t elle favorisé ce problème?

ÉVALUATION DE LA PERSONNE ATTEINTE D HYPERTENSION ARTÉRIELLE

Télé-expertise et surveillance médicale à domicile au service de la médecine générale :

GUIDE - AFFECTION DE LONGUE DURÉE. Troubles du rythme ventriculaire graves chroniques

La mesure de la réserve coronaire

Les nouveaux anticoagulants oraux, FA et AVC. Docteur Thalie TRAISSAC Hôpital Saint André CAPCV 15 février 2014

Le traitement de l'insuffisance cardiaque chez le chien

Syndrome d'apnées du Sommeil

La ventilation non invasive aux soins intensifs

ALTO : des outils d information sur les pathologies thromboemboliques veineuses ou artérielles et leur traitement

TRONC COMMUN SOINS CRITIQUES : Cardiologie - Document du participant Module 2 DIRECTION DES SOINS INFIRMIERS ET DES REGROUPEMENTS CLIENTÈLES

Le VIH et votre cœur

B06 - CAT devant une ischémie aiguë des membres inférieurs

fréquence - Stimulateur chambre ventriculaire Indications retenues : est normale Service Attendu (SA) : Comparateu retenu : Amélioration Nom de marque

Les nouveaux anticoagulants oraux (NAC)

Tronc Artériel Commun

Table des matières. Relation entre le syndrome d'apnées du sommeil et les maladies. But de l'étude, hypothèses de recherche et objectifs 46

La prise en charge de votre insuffisance cardiaque

ÉDITORIAL 3 SYNDROME D APNÉES OBSTRUCTIVES DU SOMMEIL (SAOS) ET MORBI-MORTALITÉ CARDIOVASCULAIRE 4

Votre guide des définitions des maladies graves de l Assurance maladies graves express

Évaluation du risque cardiovasculaire dans le contexte de l hypertension artérielle et de son traitement

THEME 2 : CORPS HUMAIN ET SANTE : L EXERCICE PHYSIQUE

Farzin Beygui Institut de Cardiologie CHU Pitié-Salpêtrière Paris, France. Probability of cardiovascular events. Mortalité CV

Nouveaux anticoagulants oraux : aspects pratiques

Troubles de la vigilance au travail. Tests d aide à la décision d aptitude et structures de dépistage du syndrome d apnées du sommeil à Grenoble

Groupe 1 somnovni 12/12/14

L E.C.G. pour les nuls

Actualité sur la prise en charge de l arrêt cardiaque

Dr Pierre-François Lesault Hôpital Privé de l Estuaire Le Havre

La fibrillation auriculaire : au cœur du problème

INSUFFISANCE CARDIAQUE DROITE Dr Dassier HEGP

Ville : Province : Code postal : Date de naissance : jour mois année Date de naissance : jour mois année

SOMMAIRE RECOMMANDATIONS DE LA SFC I. ÉVALUATION DU RISQUE D ÉVÉNEMENTS APRÈS IDM 698 II. THÉRAPEUTIQUES MÉDICAMENTEUSES 705

APPLICATION THOMSON HEALTHCARE GUIDE D UTILISATION

Qui et quand opérer. au cours du traitement de l EI?

Effets sur la pression artérielle rielle des traitements non-médicamenteux

MONITORING PÉRI-OPÉRATOIRE DE L'ISCHÉMIE CARDIAQUE. Dary Croft 9 mai 2013

Evidence-based medicine en français

Le RIVAROXABAN (XARELTO ) dans l embolie pulmonaire

Cas clinique: Mr A.M A.M A.M. 1940;Resynchro avant-après. Resynchronisation avant et après 12 mois: RX thorax.

prise en charge médicale dans une unité de soins

PATHOLOGIE CARDIO VASCULAIRE DES VOYAGEURS D. HOROVITZ

236 - FIBRILLATION AURICULAIRE JM Fauvel 2009

Cardiopathies ischémiques

PRISE EN CHARGE DES PRE ECLAMPSIES. Jérôme KOUTSOULIS. IADE DAR CHU Kremlin-Bicêtre. 94 Gérard CORSIA. PH DAR CHU Pitié-Salpétrière.

Synthèse. O. Hanon. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2013 ; 11 (2) :

Le traitement des patients insuffisants cardiaques

Le chemin d un prompt rétablissement

La prise en charge de l AVC ischémique à l urgence

Automesure de la tension artérielle

La prise en charge de votre artérite des membres inférieurs

Item : Souffle cardiaque chez l'enfant

Les maladies vasculaires cérébrales

Reprise du travail après un événement cardiaque

Marseille 21 > 23. Novembre

NAVA pourquoi pas. Stéphane Delisle RRT, PhD, FCCM Mohamed Ait Si M Hamed, inh. BSc.

CATALOGUE ÉLECTRONIQUE D INDICATEURS DE QUALITÉ DE LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DE CARDIOLOGIE INDICATEURS DE QUALITÉ POUR L INSUFFISANCE CARDIAQUE

Séminaire 1 «Sommeil Normal» Coordination J Adrien / MF Vecchierini Lieu : Faculté de Bichat Amphithéâtre A1, Niveau 1, 16 Rue Henry Huchard Paris 18

PROGRESSEZ EN SPORT ET EN SANTÉ. Mieux vivre avec ma maladie chronique, Me soigner par l activité physique Programmes Santé

Place et conditions de réalisation de la polysomnographie et de la polygraphie respiratoire dans les troubles du sommeil

Session Diagnostic. organisme gestionnaire du développement professionnel continu.

J. Goupil (1), A. Fohlen (1), V. Le Pennec (1), O. Lepage (2), M. Hamon (2), M. Hamon-Kérautret (1)

Insuffisance cardiaque

23. Interprétation clinique des mesures de l effet traitement

MIEUX COMPRENDRE CE QU EST UN ACCIDENT VASCULAIRE CÉRÉBRAL AVC

PREMIERE CAUSE DE MORTALITE: /an

LES NOUVEAUX ANTICOAGULANTS

Quand doit-on passer d une PPC à une VNI???

Marche à suivre pour importer votre base de données Guide santé CV MC ) (Réservé à l usage de Clinemetrica)

Vieillissement cardiovasculaire

Guide SPLF à l usage des patients et de leur entourage. Tout ce que vous voulez savoir sur le syndrome d apnées du sommeil

Transcription:

Interactions cœur-poumon et thérapeutiques Complications cardio-vasculaires du syndrome d apnées du sommeil : effets de la pression positive continue J.-P. Laaban Le syndrome d apnées du sommeil (SAS) est une maladie très fréquente, touchant environ 9 % des hommes et 4 % des femmes d âge moyen. L existence d un SAS sévère et non traité efficacement est associée à une surmortalité qui est probablement d origine cardio-vasculaire. Les apnées obstructives peuvent entraîner de nombreuses complications cardio-vasculaires, non seulement nocturnes, mais également diurnes [1]. La mise en évidence d anomalies cardio-vasculaires chez un patient atteint de SAS n implique pas obligatoirement une relation de cause à effet, car le SAS est souvent associé à d autres affections, en particulier l obésité, qui peuvent entraîner des complications cardio-vasculaires comparables. L hypertension artérielle pulmonaire qui fait l objet d un autre article de ce numéro ne sera pas traitée ici. Service de Pneumologie, Hôtel-Dieu, Paris. Correspondance : Jean-Pierre Labaan, Service de Pneumologie, Hôpital-Dieu, 1, place du Parvis-Notre-Dame, 75181 Paris Cedex 4. Tél. : 01 42 34 84 39, Fax : 01 42 34 81 99, E-mail : j-pierre.labaan@htd.ap-hop-paris.fr SAS et hypertension artérielle systémique Les apnées obstructives entraînent une augmentation de la pression artérielle (PA), maximale lors de la reprise inspiratoire. Il en résulte souvent une suppression de la diminution physiologique de la PA pendant le sommeil (profil tensionnel de «non dipper») et/ou une hypertension artérielle (HTA) nocturne systolique et diastolique. Le mécanisme essentiel de l HTA nocturne induite par les apnées est une vasoconstriction systémique, secondaire à une activation du système nerveux sympathique qui résulte des hypoxémies et des micro-éveils répétés. L existence d un lien entre syndrome d apnées du sommeil (SAS) et HTA permanente est discutée depuis de nombreuses années. La prévalence de l HTA est élevée chez les patients ayant un SAS et, inversement, la prévalence du SAS est élevée dans une population d hypertendus. Le problème majeur est que le SAS et l HTA ont des facteurs de risque communs, en particulier l obésité. Des données expérimentales et 8S55

J.-P. Laaban épidémiologiques publiées au cours des dernières années ont formellement démontré qu il existe une relation directe entre SAS et HTA permanente. Dans un modèle expérimental d apnées obstructives chez le chien, la réalisation d obstructions trachéales répétées pendant huit heures par jour entraîne l apparition d une HTA permanente après un mois [2]. Cette HTA régresse en une à trois semaines après la suppression des apnées. Plusieurs études épidémiologiques, de type transversal et incluant un très grand nombre de patients, ont démontré, en utilisant une analyse par régression logistique multiple, que le SAS est un facteur de risque d HTA permanente, indépendamment de l indice de masse corporelle, du tour de cou, du rapport entre le tour de taille et le tour de hanches, du tabagisme, de l alcoolisme, de l âge, du sexe, de la race, du statut ménopausique et de la prise d un traitement hormonal substitutif pour la ménopause [3-5]. Il existe une relation «dose-effet», puisque le risque d HTA augmente avec la sévérité du SAS. Dans l étude de Lavie et coll. [3], la prévalence de l HTA augmente avec l index d apnées-hypopnées (IAH) : 23 % (IAH < 10/h), 36 % (IAH : 10-30), 46 % (IAH : 30-50) et 54 % (IAH > 50). Le lien entre SAS et HTA est démontré chez les hommes et les femmes, en présence d une obésité même sévère et en l absence d obésité. Cependant, l intensité de cette relation entre SAS et HTA est relativement modérée : le risque relatif d HTA ajusté aux facteurs de confusion est de 1,4 (IAH > 30/h vs < 1,5) dans l étude de Nieto et coll. [4] et de 3,1 (IAH = 30/h vs 0) dans l étude de Young et coll. [5]. La relation entre SAS et HTA est plus forte chez les sujets de moins de 50 à 60 ans et chez les sujets de poids normal. Une association entre SAS et HTA est également démontrée dans des SAS très modérés avec un IAH entre 0,1 et 5/heure. Une étude longitudinale a montré que l existence d un SAS augmente le risque de développer une HTA dans les 4 ans chez des patient initialement normotendus. Les mécanismes conduisant au développement d une HTA permanente dans le SAS sont mal connus : rôle probablement essentiel de l hyperactivité du système sympathique, altérations de la fonction de l endothélium vasculaire (diminution de la vasodilatation dépendante du monoxyde d azote, augmentation de la synthèse d endothéline). Les effets de la ventilation nasale en pression positive continue (PPC) sur la pression artérielle sont variables : aucun effet, diminution isolée de la PA nocturne ou diminution de la PA nocturne et diurne. De nombreux facteurs peuvent intervenir dans l évaluation des effets de la PPC sur la pression artérielle : observance de la ventilation nasale, sévérité du SAS, prise ou non de médicaments antihypertenseurs, ancienneté du SAS et de l HTA, variation concomitante du poids corporel, prévalence des HTA «essentielles» non liées au SAS. La suppression des apnées nocturnes par la PPC entraîne souvent une diminution de la PA nocturne et peut restaurer un profil nycthéméral normal de la PA, avec réapparition d une diminution de la PA pendant la nuit, transformant ainsi des «nondippers» en «dippers». Les effets de la PPC sur la PA diurne sont moins bien connus. Une étude randomisée (PPC vs placebo oral) publiée par Faccenda et coll. [6] a montré que la ventilation nasale en PPC entraîne, après un mois d utilisation, une diminution très modeste de la PA diastolique des 24 heures ( 1,5 mmhg) qui n est significative qu entre 2 heures et 10 heures du matin ; mais le problème majeur de cette étude, qui a exclu les patients recevant des médicaments antihypertenseurs, est qu aucun patient n a d HTA permanente. Dans une étude randomisée publiée récemment, Pepperell et coll. [7] ont comparé les modifications de PA observées après un mois de PPC efficace (8 à 12 cm H 2 O) ou de PPC placebo (< 1 cm H 2 O) chez 118 hommes atteints de SAS modéré ou sévère. La PPC efficace entraîne une diminution significative de la PA moyenne des 24 heures ( 2,5 mmhg), avec un effet plus marqué ( 5,1 mmhg) en cas de SAS sévère défini par un index de désaturation supérieure à 33/heure. La diminution de la PA est observée à l état de sommeil et d éveil, et porte sur la PA systolique et diastolique. Cependant, la plupart des patients inclus dans cette étude n ont pas d HTA. Chez 11 patients ayant un SAS et une HTA résistante au traitement médicamenteux, Logan et coll. [8] ont observé, après deux mois d utilisation de la PPC, une diminution significative de la PA systolique diurne ( 9,3 mmhg), de la PA systolique nocturne ( 14,4 mmhg) et de la PA diastolique nocturne ( 7,8 mmhg). Chez un patient ayant un SAS nécessitant la PPC et une HTA modérée et non traitée, on peut débuter la PPC sans associer de médicaments antihypertenseurs. Si la suppression des apnées nocturnes n entraîne pas, après plusieurs semaines, une normalisation de la PA, il faut recourir à un traitement antihypertenseur. En cas d HTA sévère et non traitée, il est plus prudent d associer d emblée des médicaments antihypertenseurs à la PPC. Les bêta-bloquants ont une efficacité supérieure à celle des autres antihypertenseurs dans l HTA des patients apnéiques, ce qui est en accord avec le rôle essentiel de l hyperactivité sympathique. SAS et arythmies cardiaques Une augmentation de la variabilité nocturne de la fréquence cardiaque est souvent observée dans le SAS. La courbe de la fréquence cardiaque nocturne a un aspect cyclique tout à fait caractéristique avec une alternance de bradycardies et de tachycardies, la fréquence cardiaque passant souvent de moins de 50 à plus de 100/minute. La suppression des apnées par la PPC entraîne généralement une diminution de la variabilité nocturne de la fréquence cardiaque. Les troubles de la conduction cardiaque sont les arythmies les plus fréquentes au cours du SAS. Becker et coll. [9] ont montré, grâce au Holter-ECG, que la prévalence des 8S56

Complications cardiaques des apnées du sommeil troubles de conduction est de 7 % (17/239). Il s agit essentiellement de pauses sinusales supérieures à 2 secondes (n = 14), mais également de blocs auriculo-ventriculaires du deuxième degré (n = 6) ou du troisième degré (n = 3). Ces troubles de conduction surviennent la nuit et très rarement dans la journée à l occasion d un endormissement. Ils ne sont pas associés à des syncopes. La ventilation nasale en PPC entraîne une régression de ces troubles de conduction chez 88 % (15/17) des patients. Harbison et coll. [10] ont montré, chez des patients ayant un SAS sévère avec un IAH moyen de 50/heure, que la prévalence des troubles de conduction est de 18 % (8/45), avec des pauses sinusales supérieures à 2 secondes chez sept patients et un bloc auriculo-ventriculaire du deuxième degré chez un patient. Ces troubles de conduction ont régressé après ventilation nasale en PPC chez sept patients sur huit. Les facteurs favorisant la survenue de troubles de conduction dans le SAS sont essentiellement un IAH élevé et une hypoxémie nocturne sévère. Ces troubles de conduction surviennent souvent pendant les phases de sommeil paradoxal et sont peut-être favorisés par une hypertonie vagale sous-jacente. Les études électro-physiologiques ne montrent pas habituellement d anomalies de la conduction cardiaque à l état d éveil. Cependant, la mise en place d un stimulateur cardiaque est parfois indiquée en cas de persistance des troubles de conduction malgré la PPC, et surtout en cas de mauvaise observance de la PPC chez un patient ayant des pauses sinusales très longues ou des épisodes de bloc auriculo-ventriculaire du deuxième ou du troisième degré. Les troubles de l excitabilité cardiaque sont plus rares dans le SAS. La survenue d extrasystoles ventriculaires fréquentes, polymorphes, voire de salves de tachycardie ventriculaire, est observée essentiellement dans les SAS sévères avec des désaturations nocturnes importantes. La prévalence des arythmies ventriculaires est très faible chez les patients ayant un SAS moyennement sévère et indemnes de pathologie cardiaque associée. Les arythmies supra-ventriculaires (extrasystoles, flutter, fibrillation et tachycardie auriculaires) sont très rares chez les patients atteints de SAS. Les effets de la PPC sur l hyperexcitabilité cardiaque sont mal documentés dans la littérature. SAS et dysfonction ventriculaire gauche Les apnées obstructives sont responsables d une augmentation aiguë de la post-charge ventriculaire gauche qui peut entraîner une dysfonction ventriculaire gauche systolique. L augmentation de la post-charge ventriculaire gauche résulte essentiellement de la vasoconstriction systémique liée à l activation du système nerveux sympathique secondaire à l hypoxémie et à l éveil post-apnée et, à un moindre degré, de la réduction de la pression intra-thoracique. Des résultats contradictoires ont été publiés concernant les effets des apnées obstructives sur la fonction ventriculaire gauche diurne. Plusieurs études transversales ont montré que la fraction d éjection ventriculaire gauche (FEVG) est normale chez les patients ayant un SAS, avec des valeurs comparables dans le groupe des patients apnéiques et dans le groupe des sujets contrôle non apnéiques. Cependant, dans un modèle canin d apnées obstructives, une diminution significative de la FEVG a été démontrée par échocardiographie après une période de un à trois mois. Laaban et coll. [11] ont réalisé de façon systématique une angiographie isotopique chez 169 patients ayant un SAS de type obstructif nécessitant la PPC et indemnes de pathologie cardiaque, et ont mis en évidence, chez 7,7 % des patients, une dysfonction ventriculaire gauche systolique (FEVG < 50 %) qui est modérée (FEVG moyenne = 42 ± 6%, FEVG minimale = 32 %). L âge, l indice de masse corporelle, l IAH, l importance de la désaturation nocturne et la prévalence de l HTA ne diffèrent pas significativement entre les patients avec et sans dysfonction ventriculaire gauche. Une normalisation de la FEVG est observée après suppression des apnées nocturnes par la PPC, en l absence de diminution du poids corporel et de modification des médicaments antihypertenseurs. Le SAS peut donc être une étiologie de dysfonction ventriculaire gauche réversible. Le SAS peut également avoir des effets délétères sur la fonction ventriculaire gauche chez des patients ayant une cardiomyopathie grave. Kaneko et coll. [12] ont montré, dans une étude randomisée (PPC vs groupe contrôle) incluant 24 patients ayant un SAS obstructif sévère et une insuffisance cardiaque gauche sévère secondaire à une cardiomyopathie dilatée d origine ischémique ou non ischémique, que la FEVG mesurée par échocardiographie augmente significativement après un mois de PPC (25 ± 3 vs 34 ± 2 %). Des altérations de la fonction diastolique du ventricule gauche ont été démontrées par échocardiographie-doppler chez des patients ayant un SAS, alors que ces altérations n étaient pas retrouvées dans un groupe de sujets contrôle appariés pour l âge, le sexe et l indice de masse corporelle [13]. Après douze à quatorze semaines de ventilation nasale en PPC, une amélioration de la fonction diastolique du ventricule gauche a été observée. Cependant Niroumand et coll. [14] ont montré, dans une étude incluant 353 patients atteints de SAS et 180 sujets contrôle, que la fonction diastolique du ventricule gauche, évaluée par échocardiographie, est comparable chez les patients apnéiques et non apnéiques, et qu elle est inversement corrélée à l âge. L existence d un lien direct entre apnées obstructives et hypertrophie ventriculaire gauche n est pas démontrée. Dans l étude de Niroumand et coll. [14], la masse ventriculaire gauche, évaluée par échocardiographie, est plus importante chez les patients apnéiques que chez les sujets non apnéiques, mais cette différence est liée à une obésité plus importante, un âge plus élevé et une prévalence plus forte de l HTA chez les patients apnéiques. 8S57

J.-P. Laaban SAS et maladie coronarienne Plusieurs études épidémiologiques suggèrent que la prévalence de la maladie coronarienne est plus élevée chez les patients ayant un SAS. Inversement, la prévalence du SAS est élevée, comprise entre 30 et 35 %, chez les patients ayant une maladie coronarienne affirmée par coronarographie. Chez les patients ayant une maladie coronarienne, les apnées nocturnes peuvent être la cause d une ischémie myocardique silencieuse, démontrée par des modifications du segment ST de l ECG, voire une cause d angor nocturne. Les apnées obstructives entraînent, d une part, une augmentation des besoins en oxygène du myocarde qui résulte de la tachycardie et de l augmentation de la pression artérielle et de la post-charge ventriculaire gauche et, d autre part, une diminution des apports d oxygène au myocarde qui résulte de l hypoxémie. La survenue d épisodes d ischémie myocardique induite par les apnées est plus fréquente pendant les phases de sommeil paradoxal et ne dépend pas de la sévérité des lésions coronariennes, en particulier du nombre d artères coronaires atteintes. Chez les patients ayant à la fois un SAS et une maladie coronarienne, les signes ECG d ischémie myocardique nocturne diminuent après régression des apnées obtenue par la PPC. Peled et coll. [15] ont réalisé un Holter-ECG de 24 heures chez 51 patients ayant un SAS et une maladie coronarienne, alors que les traitements antiangineux avaient été arrêtés pendant la durée de l enregistrement. Une ischémie myocardique nocturne, définie par un sous-décalage du segment ST mesurant plus d un millimètre et durant au moins une minute, est présente chez 20 % des patients (10/51) et est associée à une désaturation nocturne plus profonde et une PA systolique nocturne plus élevée. La PPC, utilisée chez 9 patients, entraîne une diminution significative du temps d ischémie myocardique nocturne de 78 à 33 minutes. Dans le groupe contrôle de 17 patients ayant un SAS de sévérité comparable et indemnes de maladie coronarienne, aucun épisode d ischémie myocardique n a été enregistré. Les apnées obstructives peuvent être responsables d un angor nocturne chez des patients ayant une maladie coronarienne. Il s agit en général de SAS sévères avec une désaturation nocturne importante. La PPC entraîne habituellement une disparition des crises d angor nocturne liées aux apnées. Chez les patients n ayant pas de maladie coronarienne, l existence d un lien direct entre apnées obstructives et ischémie myocardique est beaucoup plus discutée. Une relation directe entre apnées obstructives et maladie coronarienne paraît probable, mais des études sont nécessaires pour démontrer formellement que le SAS est un facteur de risque de maladie coronarienne, indépendant des autres facteurs de risque vasculaire reconnus, et pour évaluer les effets du SAS sur la morbidité et la mortalité de la maladie coronarienne. On peut espérer que la PPC améliore le pronostic à long terme de la maladie coronarienne chez les patients ayant un SAS, mais ceci reste à démontrer. SAS et accident vasculaire cérébral Dans la Sleep Heart Health Study, la présence d un SAS est associée à une prévalence plus élevée d antécédent d accident vasculaire cérébral (AVC), avec un risque relatif de 1,58 [1]. La prévalence du SAS est très élevée chez les patients hospitalisés pour un AVC, mais l AVC peut entraîner des altérations du contrôle respiratoire et donc des apnées, en particulier centrales. Plusieurs mécanismes pourraient expliquer le lien entre SAS et AVC : diminution de la perfusion cérébrale, altérations de la paroi des vaisseaux cérébraux secondaires aux élévations nocturnes de la PA, augmentation de l activation plaquettaire. L existence d un SAS semble avoir une valeur pronostique péjorative chez les patients ayant un AVC en termes de mortalité et de séquelles. Des études épidémiologiques sont nécessaires pour affirmer que le SAS est un facteur de risque indépendant d AVC, et pour évaluer les effets de la PPC sur le pronostic et la prévention des AVC chez les patients ayant un SAS. Conclusion Il apparaît clairement que le SAS est un facteur de risque d hypertension artérielle systémique, de troubles nocturnes de la conduction cardiaque, de dysfonction ventriculaire gauche systolique et d ischémie myocardique nocturne. La PPC a des effets favorables sur ces complications cardiovasculaires. Le SAS est probablement un facteur de risque de maladie coronarienne et d accident vasculaire cérébral. Des études sont nécessaires pour évaluer les effets à long terme de la PPC sur la mortalité et la morbidité cardio-vasculaires du SAS. Références 1 Leung RST, Bradley TD : Sleep apnea and cardiovascular disease. Am J Respir Crit Care Med 2001 ; 164 : 2147-65. 2 Brooks D, Horner RL, Kozar LF, Render-Teixeira CL, Phillipson EA : Obstructive sleep apnea as a cause of systemic hypertension: evidence from a canine model. J Clin Invest 1997 : 99 : 106-9. 3 Lavie P, Herer P, Hoffstein V : Obstructive sleep apnoea syndrome as a risk factor for hypertension: population study. BMJ 2000 ; 320 : 479-82. 4 Nieto FJ, Young TB, Lind BK, Shahar E, Samet JM, Redline S, D Agostino RB, Newman AB, Lebowitz MD, Pickering TG : Association of 8S58

Complications cardiaques des apnées du sommeil sleep-disordered breathing, sleep apnea, and hypertension in a large community-based study. JAMA 2000 ; 283 : 1829-36. 5 Young T, Peppard P, Palta M, Hla KM, Finn L, Morgan B, Skatrud J : Population-based study of sleep-disordered breathing as a risk factor for hypertension. Arch Intern Med 1997 ; 157 : 1746-52. 6 Faccenda JF, Mackay TW, Boon NA, Douglas NJ : Randomized placebo-controlled trial of continuous positive airway pressure on blood pressure in the sleep apnea-hypopnea syndrome. Am J Respir Crit Care Med 2001 ; 163 : 344-8. 7 Pepperell JC, Ramdassingh-Dow S, Crosthwaite N, Mullins R, Jenkinson C, Stradling JR, Davies RJ : Ambulatory blood pressure after therapeutic and subtherapeutic nasal continuous positive airway pressure for obstructive sleep apnea : a randomised parallel trial. Lancet 2002 ; 359 : 204-10. 8 Logan AG, Tkacova R, Perlikowski SM, Leung RS, Tisler A, Floras JS, Bradley TD : Refractory hypertension and sleep apnea: effect of CPAP on blood pressure and baroreflex. Eur Respir J 2003 ; 21 : 241-7. 9 Becker H, Brandenburg U, Peter JH, von Wichert P : Reversal of sinus arrest and atrioventricular conduction block in patients with sleep apnea during nasal continuous positive airway pressure. Am J Respir Crit Care Med 1995 ; 151 : 215-8. 10 Harbison J, O reilly P, Mc Nicholas WT : Cardiac rhythm disturbances in the obstructive sleep apnea syndrome. Effects of nasal continuous positive airway pressure therapy. Chest 2000 ; 118 : 591-5. 11 Laaban JP, Pascal-Sebaoun S, Bloch E, Orvoen-Frija E, Oppert JM, Huchon G : Left ventricular systolic dysfunction in patients with obstructive sleep apnea syndrome. Chest 2002 ; 122 : 1133-8. 12 Kaneko Y, Floras JS, Usui K, Plante J, Tkacova R, Kubo T, Ando S, Bradley TD : Cardiovascular effects of continuous positive airway pressure in patients with heart failure and obstructive sleep apnea. N Engl J Med 2003 ; 348 : 1233-41. 13 Alchanatis M, Paradellis G, Pini H, Tourkohoriti G, Jordanoglou J : Left ventricular function in patients with obstructive sleep apnea syndrome before and after treatment with nasal continuous positive airway pressure. Respiration 2000 ; 67 : 367-71. 14 Niroumand M, Kuperstein R, Sasson Z, Hanly PJ : Impact of obstructive sleep apnea on left ventricular mass and diastolic function. Am J Respir Crit Care Med 2001 ; 163 : 1632-6. 15 Peled N, Abinader EG, Pillar G, Sharif D, Lavie P : Nocturnal ischemic events in patients with obstructive sleep apnea syndrome and ischemic heart disease. Effects of continuous positive air pressure treatment. J Am Coll Cardiol 1999 ; 34 : 1744-9. 8S59