Bref social du 22 février 2016 SOMMAIRE ACTUALITE JURIDIQUE ET SOCIALE L avant-projet de loi El Khomri allège les règles sur l inaptitude et la surveillance médicale JURISPRUDENCE Une convention collective ne peut autoriser l employeur à modifier unilatéralement le contrat ACTUALITE JURIDIQUE ET SOCIALE L avant-projet de loi El Khomri allège les règles sur l inaptitude et la surveillance médicale Projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs Amorcée dans la loi Rebsamen nº 2015-994 du 17 août 2015, la réforme de l inaptitude et de la médecine du travail préconisée par le rapport Issindou se poursuit dans l avantprojet de loi El Khomri, transmis le 17 février au Conseil d État. Disparition de la visite médicale d embauche, fin programmée de la visite médicale biennale, inaptitude constatée en une seule visite, le texte acte les propositions chocs émises par le député PS en mai dernier. Par ailleurs, l avant-projet réécrit l article L. 4614-13 du Code du travail sur la prise en charge des frais d expertise du CHSCT, dont certaines dispositions ont été récemment déclarées inconstitutionnelles. Assouplissement de la surveillance médicale des salariés Suppression de la visite médicale d embauche et de la visite biennale, l avant-projet de loi assouplit considérablement la surveillance médicale des salariés.
La visite médicale d embauche remplacée par une visite d information. L avantprojet de loi prévoit de remplacer la visite médicale d embauche par le médecin du travail, qui doit notamment permettre de vérifier l aptitude du salarié, par une simple visite d information et de prévention après l embauche. Celle-ci pourrait être effectuée par le médecin du travail, mais également par un autre membre de l équipe pluridisciplinaire (collaborateur médecin ou infirmier, notamment). Vérification de l aptitude des salariés affectés à des postes à risque. La loi Rebsamen a institué un suivi médical renforcé pour les travailleurs affectés à des postes présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité, celles de leurs collègues ou de tiers. Selon l avant-projet de loi, ce suivi comprendrait notamment un examen médical d aptitude, réalisé avant l embauche et renouvelé périodiquement. Cet examen serait effectué par le médecin du travail, sauf lorsque des dispositions spécifiques le confient à un autre médecin. Fin des visites médicales biennales. Aujourd hui, le salarié bénéficie d examens médicaux périodiques au moins tous les 24 mois (une périodicité supérieure pouvant toutefois être prévue par l agrément du service de santé au travail). L avant-projet de loi prévoit que les modalités et la périodicité du suivi médical du travailleur prendraient en compte les conditions de travail, l état de santé et l âge du travailleur, ainsi que les risques professionnels auxquels il est exposé. Celles-ci seraient définies par décret. L avant-projet ouvre ainsi la voie à des visites médicales périodiques plus espacées qu actuellement. Réforme du régime de l inaptitude L avant-projet de loi révise sur plusieurs points le régime de l inaptitude, en facilitant notamment la constatation de l inaptitude et le licenciement. Constatation de l inaptitude : suppression de la double visite médicale. Les conditions de constatation par le médecin du travail de l inaptitude du salarié à son poste de travail seraient modifiées. Selon l avant-projet de loi, le médecin du travail qui constate qu aucune mesure d aménagement, d adaptation ou de transformation du poste de travail n est possible et que l état de santé du travailleur justifie un changement de poste, déclarerait le travailleur inapte à son poste de travail. Il n aurait plus l obligation de procéder à deux examens médicaux espacés de deux semaines, mais devrait avoir au préalable procédé, ou fait procéder par un membre de l équipe pluridisciplinaire, à uneétude de poste et échangé avec le salarié et l employeur. Assouplissement des conditions du licenciement pour inaptitude. La loi Rebsamen du 17 août 2015 a facilité le licenciement pour inaptitude professionnelle en permettant à l employeur de rompre le contrat, sans devoir rechercher de reclassement, dès lors que l avis du médecin du travail mentionne expressément que tout maintien du salarié dans l entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé. L avant-projet de loi prévoit qu il en serait de même si l avis du médecin du travail mentionne expressément que l état de santé du salarié fait obstacle à tout
reclassement dans l entreprise. Par ailleurs, il étend ce nouveau motif de licenciement à l inaptitude non professionnelle et à l inaptitude professionnelle d un salarié en CDD. Consultation des DP sur le reclassement étendue à l inaptitude non professionnelle. L avant-projet de loi étend l obligation pour l employeur de consulter les délégués du personnel sur les possibilités de reclassement du salarié au cas de l inaptitude ayant pour cause une maladie ou un accident non professionnel. En outre, il prévoit que, dans les entreprises d au moins 50 salariés, le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d une formation destinée à lui proposer un poste adapté. LES MODALITÉS DE PRISE EN CHARGE DES FRAIS D EXPERTISE DU CHSCT CORRIGÉES : En réponse à une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel, par une décision du 27 novembre 2015, a partiellement censuré l article L. 4614-13 du Code du travail qui permettait d exiger de l employeur la prise en charge du coût de l expertise décidée par le CHSCT, y compris lorsque la délibération décidant du recours à l expert avait été annulée par le juge après l accomplissement par l expert désigné de sa mission. En cause : l absence d effet suspensif du recours de l employeur et l absence de délai d examen de ce recours. L avant-projet de loi corrige donc l article L. 4614-13. Le juge statuerait en premier et dernier ressort dans un délai de dix jours, et sa saisine suspendrait l exécution de la décision du CHSCT. De plus, en cas d annulation définitive par le juge de la décision du CHSCT, l expert devrait rembourser à l employeur les sommes perçues, l avant-projet ajoutant que le CE pourrait, à tout moment, décider de les prendre en charge. JURISPRUDENCE Une convention collective ne peut autoriser l employeur à modifier unilatéralement le contrat Cour de cassation, Chambre sociale, Arrêt nº 320 du 10 février 2016, Pourvoi nº 14-26.147 Le principe est acquis de longue date en jurisprudence : toute modification du contrat de travail, et notamment de la rémunération contractuelle, est subordonnée à l accord du salarié. Cet accord doit être exprès et ne peut résulter de la poursuite du contrat aux nouvelles conditions. Une convention collective peut-elle permettre à l employeur de contourner cette exigence, en prévoyant par exemple que le défaut de réponse du salarié à une proposition de modification du salaire vaudra acceptation de sa part?
La Cour de cassation l exclut dans un arrêt du 10 février 2016 : une convention collective ne peut permettre à l employeur de procéder à la modification du contrat de travail sans recueillir l accord exprès du salarié. La solution ne vaut toutefois qu en l absence de disposition légale contraire. Diminution du salaire en application de la charte du football professionnel Il était question dans cette affaire de la charte du football professionnel, à laquelle la Cour de cassation reconnaît la valeur de convention collective sectorielle. Son article 761 prévoit qu en cas de relégation en division inférieure, les clubs ont la faculté de diminuer collectivement la rémunération de leurs joueurs de 20 %. Au-delà de ce pourcentage, la proposition doit être présentée par écrit au joueur, qui a huit jours pour s y opposer, l absence de réponse écrite dans ce délai valant acceptation de la diminution proposée. En l espèce, faute d opposition exprimée dans le délai de huit jours, un club avait appliqué à un joueur professionnel une réduction de 40 % de sa rémunération mensuelle. Ce dernier a saisi la juridiction prud homale d une demande de rappel de salaire. Il a été débouté par la cour d appel qui a donné plein effet aux dispositions de la charte en vertu desquelles l absence de réponse vaut acceptation. L arrêt a été annulé par la Cour de cassation, qui a fait prévaloir sa jurisprudence constante subordonnant toute modification du contrat de travail à l accord exprès du salarié. Exigence d un accord exprès Pour la Haute juridiction, «sauf disposition légale contraire, une convention collective ne peut permettre à un employeur de procéder à la modification du contrat de travail sans recueillir l accord exprès du salarié». Contrairement à ce que pouvaient laisser penser les dispositions conventionnelles litigieuses, l employeur n était donc pas dispensé de rechercher l accord écrit du salarié avant de procéder à la réduction de sa rémunération. La solution est une application combinée de divers principes jurisprudentiels déjà connus : le contrat de travail ne peut être modifié sans l accord du salarié (Cass. soc., 8 octobre 1987, nº 84-41.902) ; cet accord doit être exprès. Il ne peut résulter de la seule poursuite du contrat aux conditions modifiées et donc de l absence d opposition exprimée par le salarié (Cass. soc., 7 février 1990, nº 85-44.638 ; Cass. soc., 29 novembre 2011, nº 10-19.435). Précisons qu une exception est prévue par la loi en cas de proposition de modification économique du contrat de travail puisque celle-ci est réputée acceptée si le salarié n y a pas répondu dans le délai d un mois (C. trav., art. L. 1222-6) ;
la convention collective ne peut pas modifier le contrat de travail (Cass. soc., 25 février 2003, nº 01-40.588 ; Cass. soc., 11 mars 2009, nº 07-44.051). Nous pouvons en déduire qu une convention collective ne peut pas valablement autoriser l employeur à modifier unilatéralement un élément du contrat de travail à l occasion d un événement particulier. La convention collective ne peut pas non plus prévoir que le silence gardé par le salarié face à une proposition de modification vaut acceptation tacite de celle-ci. Face à de telles dispositions, l employeur devra toujours veiller à recueillir le consentement exprès du salarié et à lui faire signer un avenant en bonne et due forme. Sauf exception prévue par la loi Comme le précise la Cour de cassation dans son attendu de principe, seule la loi pourrait autoriser l employeur à modifier le contrat de travail, sans l accord exprès du salarié, en application d un accord collectif. Les accords de mobilité et de maintien dans l emploi, issus de la loi de sécurisation de l emploi du 14 juin 2013, entrent dans ce cadre. Dans les deux cas, si le salarié ne répond pas dans le délai d un mois à la proposition de modification envisagée par l accord collectif, il est réputé avoir accepté l application de l accord à son contrat de travail (C. trav., art. L. 2242-19 et L. 5125-2). Claire MACHURAT Juriste Fédération CFTC Agriculture Tel : 01 40 18 70 96 Fax : 01 40 18 09 42