David Orlikowski, Hélène Prigent, Jean-Claude Raphaël, Tarek Sharshar *

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Réanimation 14 (2005) 118 125 http://france.elsevier.com/direct/reaurg/ L insuffisance respiratoire aiguë du syndrome de Guillain-Barré et de la myasthénie auto-immune. De la détection au sevrage de la ventilation mécanique Acute respiratory failure in Guillain-Barre syndrome and myasthenia gravis David Orlikowski, Hélène Prigent, Jean-Claude Raphaël, Tarek Sharshar * Service de réanimation médicale, CHU de Raymond-Poincaré, 104, boulevard Raymond-Poincaré, 92380 Garches, France Reçu et accepté le 30 octobre 2004 Résumé Le syndrome de Guillain-Barré (SGB) et la myasthénie auto-immune sont les deux principales causes de détresse respiratoire d origine neuromusculaire, dont le pronostic vital a été considérablement amélioré par la ventilation mécanique. Les principaux risques encourus par ces patients sont, par sous-estimation de la sévérité de l insuffisance respiratoire souvent peu symptomatique, l arrêt respiratoire, les pneumopathies d inhalation, les complications inhérentes à la ventilation mécanique et les échecs de sevrage par surestimation des performances respiratoires. Les mécanismes de l insuffisance respiratoire sont un déficit des muscles inspiratoires et/ou expiratoires, qui peut être quantifié par la mesure de la capacité vitale (CV) et des pressions statiques maximales, auquel peuvent se surajouter des troubles de la déglutition. La normalité de la gazométrie artérielle n exclut pas une altération sévère des capacités respiratoires. L existence de symptômes respiratoires, notamment d une orthopnée, d une diminution de la CV en dessous de 60 % de la valeur théorique ou de troubles de la déglutition est une indication à une hospitalisation en réanimation tout comme le caractère évolutif dans le SGB et fluctuant dans la myasthénie du déficit moteur. Les critères d intubation incluent surtout les signes de détresse respiratoire, une hypoxémie, une hypercapnie ou une CV en dessous de 20 % mais éventuellement, afin de réduire le risque d inhalation, les troubles majeurs de la déglutition. Le sevrage de la ventilation mécanique ne sera débuté qu en cas de récupération neurologique et obtention d une CV supérieure à 20 %, suffisante et l extubation envisagée après la réalisation d épreuve de débranchement prolongée. La mesure de la CV s avère indispensable à chaque étape de l évolution du déficit respiratoire d origine neuromusculaire. 2005 Publié par Elsevier SAS pour Société de réanimation de langue française. Abstract Guillain-Barré syndrome (GBS) and myasthenia gravis (MG) are the most common neuromuscular causes of acute respiratory failure. Their prognosis has been considerably improved by the advent of mechanical ventilation. However patients remain at risk of respiratory arrest, because the severity of respiratory failure is often underestimated as patients often have minimal symptoms. Aspiration pneumonia, nonspecific complications of mechanical ventilation and weaning failure may also occur. Respiratory failure may be due to weakness of inspiratory and/or expiratory muscles, which can be assessed by the measurement of vital capacity (VC) and static maximal pressures. Bulbar dysfunction may also be a contributory factor. Patients with respiratory symptoms, especially orthopnoea, a reduction of VC below 60% of the predicted value or bulbar weakness must be referred to intensive care, particularly since GBS follows a progressive course and MG is characterized by fluctuating motor deficit. Criteria for mechanical ventilation include signs of respiratory distress, hypoxemia, hypercapnia or a VC below 20% predicted, but because of the risk of aspiration, major bulbar weakness can also be considered to be an indication. Weaning should only be * Auteur correspondant. Adresse e-mail : tarek.sharshar@rpc.ap-hop-paris.fr (T. Sharshar). 1624-0693/$ - see front matter 2005 Publié par Elsevier SAS pour Société de réanimation de langue française. doi:10.1016/j.reaurg.2004.10.016

D. Orlikowski et al. / Réanimation 14 (2005) 118 125 119 started if there has been neurological improvement and VC is above 20%. Extubation should be preceded by a prolonged trial of spontaneous ventilation. Measurement of VC is essential at each step of the evolution of neuromuscular respiratory failure. 2005 Publié par Elsevier SAS pour Société de réanimation de langue française. Mots clés : Syndrome de Guillain-Barré ; Crise myasthénique ; Insuffisance respiratoire aiguë ; Ventilation mécanique Keywords: Guillain-Barré syndrome; Myasthenia gravis crisis; Acute respiratory failure; Mechanical ventilation 1. Introduction L objet de cette revue est de décrire les mécanismes, la sémiologie et les modalités du traitement symptomatique des deux principales causes d insuffisance respiratoire aiguë d origine neuromusculaire que sont le syndrome de Guillain- Barré (SGB) et la myasthénie auto-immune. Nous avons délibérément exclu le traitement spécifique de ces deux affections pour focaliser notre propos sur l assistance ventilatoire. Ces deux pathologies illustrent les difficultés de la prise en charge ventilatoire, plus particulièrement de l indication de l intubation trachéale et de la conduite du sevrage de la ventilation mécanique au cours des insuffisances respiratoires aiguës d origine neuromusculaire. 2. Le syndrome de Guillain-Barré 2.1. Atteinte respiratoire au cours du syndrome de Guillain-Barré Depuis l éradication de la poliomyélite antérieure aiguë, le SGB est devenu la cause la plus fréquente de paralysie aiguë et extensive dans les pays industrialisés, son incidence variant de 0,4 à 4/100 000 [1]. La prévalence d une insuffisance respiratoire imposant le recours à la ventilation mécanique, qui est en moyenne rapportée dans 20 % des cas (de 6 à 44 % selon les séries) [2,3], demeure la complication la plus grave du SGB. D une part elle témoigne de sa sévérité, puisqu elle est significativement corrélée à la durée d hospitalisation en réanimation et au risque de séquelles fonctionnelles [4 10]. D autre part elle accroît considérablement sa morbidité, par le biais notamment des complications inhérentes à la ventilation mécanique invasive, et est devenue la condition quasi-exclusive de survenue du décès, la mortalité étant actuellement de 5 % chez les patients ventilés [4,5,11]. L atteinte respiratoire au cours du SGB renvoie aux interrogations classiques qui se posent sur la prise en charge de toute insuffisance respiratoire et qui chronologiquement concernent sa détection, l indication de l intubation endotrachéale, les modalités de ventilation, la prévention des complications puis la conduite du sevrage de la ventilation mécanique. Elle revêt des difficultés singulières qui tiennent aux mécanismes physiopathologiques de l insuffisance respiratoire et du caractère insidieux de son installation. 2.2. Mécanismes et sémiologie de l atteinte respiratoire Il s agit d une insuffisance respiratoire restrictive par paralysie des muscles expiratoires et inspiratoires, notamment du diaphragme, qui est secondaire aux lésions axonales ou démyélinisantes de leurs nerfs respectifs. L atteinte du diaphragme est primordiale car il est le principal muscle inspiratoire et une corrélation entre la réduction de l amplitude du potentiel d action musculaire (PAM) diaphragmatique et la chute de la capacité vitale (CV) a été rapportée [12]. Cependant, nous avons récemment mis en évidence qu à l inverse de la CV, ni la latence ni l amplitude du PAM diaphragmatique ne différaient statistiquement entre les patients qui ultérieurement nécessiteraient d être mécaniquement ventilés et ceux qui ne le seraient jamais [13]. Ce résultat suggère que d autres facteurs vont se surajouter à l atteinte diaphragmatique et précipiter la situation respiratoire. Ces facteurs sont l atteinte des muscles expiratoires abdominaux, inspiratoires accessoires et oropharyngés qui, de manière schématique, concourent respectivement à l inefficacité de la toux, au déficit inspiratoire et aux troubles de la déglutition et ensemble, avec l atteinte diaphragmatique, favorisent l encombrement bronchique, les atélectasies et les pneumopathies puis, ultimement, aboutissent à la survenue d une hypoventilation alvéolaire puis d un arrêt respiratoire [14 16]. Une telle évolution est d autant plus probable que le clinicien a sous estimé les symptômes respiratoires et n a ni utilisé les moyens simples de surveillance ni appliqué les critères d indication de la ventilation mécanique. Il est ici capital de souligner l importance de quelques faits et règles : les signes fonctionnels et cliniques qui accompagnent souvent une décompensation respiratoire d origine obstructive manquent au cours de celle du SGB ; le patient atteint de SGB s épuise «à bas bruit» et les signes de lutte passent souvent inaperçus, d autant que le patient se plaint rarement d une dyspnée franche. Le clinicien se doit d être attentif aux symptômes d alerte, souvent discrets, que sont l orthopnée, la sensation d une oppression thoracique, une tachypnée, la réduction de l ampliation thoracique, l hypophonie, une respiration paradoxale abdominale, la mise en jeu des muscles respiratoires accessoires, la perte des capacités d expectoration, les accès spontanés de toux qui trahissent souvent une inhalation salivaire mais également l angoisse qu il ne faut pas négliger. Les signes d encombrement sont également difficilement perceptibles et les troubles de la déglutition difficilement évaluables, l absence de «fausse route» notamment à l ingestion d un verre d eau étant à ce titre nullement gage de l intégrité du contrôle pharyngé et la pose d une sonde gastrique ne prémunissant aucunement des (micro) inhalations salivaires ; la mesure de la CV, éventuellement couplée à celle des pressions inspiratoires et expiratoires maximales (PI max et

120 D. Orlikowski et al. / Réanimation 14 (2005) 118 125 PE max ), est incontournable car elle est indispensable à l identification des patients à risque de décompensation respiratoire et de ceux nécessitant d être immédiatement «intubés». Sa mesure, grâce aux spiromètres portatifs, ne pose aucune difficulté. La mesure des PI max et PE max apporte des informations complémentaires sur les performances des muscles inspiratoires et expiratoires et permet de détecter plus précocement une parésie de ces muscles car leur diminution précède celle de la CV [17].LaCVest liée aux PI max et PE max par une relation curvilinéaire, une des trois mesures pouvant donc être utilisée pour prédire les autres. Ainsi une discordance entre les valeurs des pressions et de la CV indique-t-elle soit un défaut technique soit une pathologie parenchymateuse (atélectasie par exemple) [17] ; les gaz du sang artériels sont de véritables «faux amis» car la survenue d une hypercapnie et d une hypoxie est très, plus exactement trop, tardive. Ils peuvent être normaux alors qu existe une réduction majeure de la CV et leur anomalie doit faire craindre l imminence d un arrêt respiratoire [5,15,18] ; la dégradation respiratoire lors de la phase d ascension du SGB peut être rapide, voire brutale à l occasion d une inhalation ou d une atélectasie, notamment durant la nuit en raison de l aggravation de l encombrement par défaut de kinésithérapie efficace, de la réduction de l activité diaphragmatique et de la majoration des troubles oropharyngés (apnées et inhalations) pendant le sommeil qui aboutissent à l épuisement matinal du patient. Mais celui-ci peut également résulter de la privation de sommeil due à la gêne respiratoire, à l angoisse et aux douleurs. Le clinicien doit savoir anticiper la survenue d une dégradation respiratoire et connaître les critères stricts d indication de l intubation endotrachéale afin que la surveillance soit adaptée et qu un recours trop hâtif ou, pis, trop tardif à la ventilation mécanique soit évité (Tableau 1). 2.3. Prédiction et indication de la ventilation mécanique invasive Nous avons récemment identifié trois facteurs prédictifs indépendants du recours à la ventilation mécanique [19] : un délai entre le début du déficit moteur et l hospitalisation inférieur à sept jours ; l impossibilité à relever la tête du plan du lit ; une CV à l admission inférieure à 60 % de la valeur théorique. La probabilité d être ultérieurement ventilé est de 85 % chez les patients ayant ces trois signes. Il est à signaler que, dans cette étude, ce modèle multivarié n était pas modifié quand la réalisation d échanges plasmatiques était prise en compte. En l absence de mesure de la CV, quatre facteurs doivent être pris en compte : un délai entre le début du déficit moteur et l hospitalisation inférieur à sept jours ; l impossibilité de tenir debout ; Tableau 1 Critères prédictifs de ventilation et critères d indication de la ventilation mécanique au cours du syndrome de Guillain-Barré Facteurs prédictifs de ventilation mécanique à l admission en réanimation Sans mesure de la CV (risque > 85 % si 4 critères présents) 1. Début des signes avant admission < 7 jours 2. Toux inefficace 3. Impossibilité de tenir debout 4. Impossibilité de soulever les coudes 5. Impossibilité de relever la tête 6. Cytolyse hépatique Avec mesure de la CV (risque > 85 %si les 3 critères présents) 1. Début des signes avant admission < 7 jours) 2. Impossibilité de relever la tête 3. CV < 60 % de la théorique Facteurs prédictifs de ventilation mécanique pendant le séjour en réanimation Troubles de déglutition CV < 20 ml/kg Critères d intubation Détresse respiratoire PaCO 2 > 6,4 kpa (48 mmhg) ou PaO 2 < 7,5 kpa (56 mmhg) CV < 15 ml/kg PI max <- 25 cmh 2 O PE max <40cmH 2 O l impossibilité de soulever les coudes ; la présence d une cytolyse hépatique. Ces résultats indiquent l importance de la mesure répétée de la CV, constatation qui rejoint celles émises initialement par Chevrolet et Deléamont qui rapportèrent chez 10 patients qu une réduction de 50 % ou en deçà d 1 l de la CV était associée respectivement après 36 et 18 heures à la mise en route d une ventilation mécanique [15]. Plus récemment, Lawn et al ont montré que la diminution, en cours d hospitalisation, de 30 % ou en deçà de 20 ml/kg de la CV ainsi que des valeurs de PI max et PE max inférieures respectivement à 30 et 40 cm H 2 O étaient des facteurs prédictifs de l intubation [20]. Ces auteurs ont aussi mis en évidence que l existence d un trouble de la déglutition était statistiquement associée à la mise en route d une ventilation mécanique. Fourrier et al. ont proposé de mesurer le rapport entre la ventilation volontaire maximale (mesurée sur 12 secondes) et la ventilation de repos (mesurée sur une minute). Une valeur inférieure à quatre serait prédictive d une décompensation respiratoire chez les patients ayant une pathologie neuromusculaire [21]. Nous recommandons que soit hospitalisé en réanimation pour surveillance tout patient atteint de SGB présentant un des critères prédictifs de recours à la ventilation mécanique rapportés dans les études de Chevrolet et Déleamont [15], de Lawn et al [20] ou la notre (Tableau 1). En dehors de la situation de détresse respiratoire aiguë, la ventilation mécanique invasive est indiquée par la présence d un critère majeur ou de deux mineurs [16,22]. Les premiers regroupent une hypercapnie (PaCO 2 > 6,4 kpa), une hypoxémie (PaO 2 < 7,5 kpa en air ambiant), une CV inférieure à 15 ml/kg ou la combinaison de PI max et PE max inférieures à 25 cm H 2 Oet40cmH 2 O ; les seconds une toux

D. Orlikowski et al. / Réanimation 14 (2005) 118 125 121 inefficace, des troubles majeurs de la déglutition, l existence d une atélectasie. Les critères d intubation décrits ci-dessus sont peut-être trop tardifs comme le suggère une analyse préliminaire d une étude effectuée dans notre service montrant une sur-incidence des pneumopathies d inhalation chez les patients ventilés selon ces critères et un délai entre l admission en réanimation et l intubation significativement plus court chez les patients n ayant pas eu de pneumopathie [3]. Ces résultats traduisent la difficulté à anticiper la survenue d inhalation chez les patients atteints de SGB. Il serait à ce titre utile de développer des outils cliniques simples d évaluation des troubles de la déglutition et de déterminer les facteurs de risque de pneumopathie d inhalation car ils permettraient certainement d indiquer à «meilleur escient» la protection des voies aériennes par une intubation endotrachéale. La prise en charge optimale des patients ne présentant pas les critères d intubation mais étant à haut risque de décompensation respiratoire, c est-à-dire ayant à la fois un délai d admission inférieur à sept jours, une CV inférieure à 60 % de la valeur théorique et une incapacité à relever la tête ou des troubles de la déglutition n est pas clairement établie. Aucune stratégie ventilatoire n a été à ce jour étudiée. Il nous paraît plausible que, chez ces patients, une ventilation plus précoce puisse être bénéfique, notamment en réduisant l incidence des pneumopathies d inhalation. La place de la ventilation mécanique non-invasive (VNI) nous semble dans ce contexte limitée en raison de la fréquence mais également de la difficulté à diagnostiquer un déficit oropharyngé qui, avec la gastroparésie, en est une contreindication formelle [23]. L autre inconvénient majeur de la VNI est qu elle peut procurer à tort au clinicien un sentiment de sécurité alors que l état respiratoire continue de se dégrader ou qu apparaissent des troubles de la déglutition «de manière masquée». L examen électrophysiologique pourrait aider à l individualisation des patients à risque de décompensation respiratoire. Nous avons ainsi mis en évidence que les formes démyélinisantes nécessitent plus fréquemment d être subséquemment ventilés [24]. L étude électrophysiologique des nerfs phréniques pourrait également être utile [12]. Toutefois, nous avons trouvé que ni les latences ni l amplitude du PAM diaphragmatique ne sont différentes entre les patients qui seront et ceux qui ne seront pas ventilés. Il est en outre fort prévisible que les données neurophysiologiques aient un «poids» nettement moindre que la mesure de la CV dans la prédiction du recours à la ventilation mécanique. 2.4. Surveillance et prise en charge de l atteinte respiratoire au cours du SGB D après l étude d une population de 722 cas de SGB réunissant les cohortes de deux essais thérapeutiques randomisés sur les échanges plasmatiques, le délai médian entre l admission et le début de la ventilation mécanique était de deux jours et la durée médiane de celle-ci de 21 jours [19]. Le mode de ventilation mécanique et la prise en charge préventive ou curative de ces complications, notamment des pneumopathies acquises sous ventilation ne diffèrent pas de ceux préconisés dans la population générale des patients de réanimation. Le recours à une trachéotomie est loin d être actuellement systématique et le moment idéal de sa réalisation n est pas connu [25]. Il est difficile, dans le débat entre trachéotomie tardive et précoce de discerner ce qui différencierait les patients atteints de SGB des autres patients de réanimation, hormis la vitesse de récupération du déficit neurologique qui, dans notre pratique, est toutefois un élément déterminant dans l indication d une trachéotomie. Ce geste, qui est habituellement discuté entre la troisième et la quatrième semaine, est retardé ou exclu si s amorce une récupération neurologique. Lawn et al. ont individualisé comme patients à risque de ventilation mécanique prolongée, c est-à-dire excédant trois semaines, ou à risque de sevrage difficile les malades âgés ou ayant une pathologie pulmonaire [26].Ce même auteur a également proposé de calculer le rapport des sommes, mesurées le jour de l intubation et 12 jours plus tard, de la CV (ml/kg), PI max et PE max (cmh 2 O). Un ratio inférieur à un aurait une valeur prédictive positive de ventilation prolongée de 100 % [27]. Les échanges plasmatiques (EP) et les immunoglobulines intraveineuses (IgIV) modifient l évolution du SGB et améliorent le devenir à court et long terme [28,29]. Ils diminuent significativement la proportion de patients ventilés, ainsi que les durées médianes de ventilation et de sevrage [18,30,31]. Il n y a aucun argument en faveur d un bénéfice des IgIV vis-à-vis des EP, notamment en ce qui concerne la ventilation mécanique. Ceci avait été suggéré par le premier essai randomisé comparatif des EP et IgIV [7] mais infirmé par la suite [32]. Le moment optimal du début du sevrage du ventilateur doit être choisi en fonction de la récupération à la fois des capacités respiratoires, des troubles de la déglutition, difficiles à évaluer chez les patients de réanimation, et du déficit moteur. Au contraire des autres patients de réanimation, les patients atteints de SGB doivent être sevrés progressivement, préférentiellement sur pièce en T, l aide inspiratoire n ayant pas été rigoureusement explorée dans cette indication. La persistance de troubles de déglutition peut être une cause d échec tardif de l extubation. Chevrolet et Deléamont ont décrit une méthode de sevrage qui était débutée lorsque la CV atteignait la valeur minimale de 7 ml/kg et consistait en des épreuves de respiration spontanée sur pièces en T de plus en plus prolongée puis une extubation lorsque la CV dépassait 15 ml/kg et la durée de respiration libre 24 heures d affilée [15]. La mesure répétée de la PI max a été proposée comme aide au sevrage de ces patients mais ne semble étonnamment pas être prédictive du succès du sevrage [33,34]. Dans notre pratique, nous procédons à une extubation lorsque la CV est supérieure à 40 % de la valeur théorique et que le patient tolère un débranchement du respirateur pendant plus de huit heures consécutives. Les séquelles à long terme respiratoires n ont

122 D. Orlikowski et al. / Réanimation 14 (2005) 118 125 pas été étudiées, cependant les patients se plaignent exceptionnellement de symptômes respiratoires à un an. 3. La crise myasthénique 3.1. Incidence et facteurs déclenchants de la crise myasthénique L incidence de la myasthénie auto-immune varie de deux à cinq cas par an et par million d habitants et la prévalence entre quatre et six pour 100 000 [35,36]. Cette affection est caractérisée par un dysfonctionnement post-synaptique de la jonction neuromusculaire dû, dans la plupart des cas, à la fixation d anticorps circulants sur les récepteurs post-synaptiques de l acétylcholine [37]. Le déficit moteur résultant de cette anomalie de la transmission neuromusculaire se singularise par sa majoration à l effort (fatigabilité) et sa fluctuation. La maladie peut intéresser électivement les muscles oculomoteurs extrinsèques ou être généralisée et s étendre aux muscles respiratoires et oropharyngés [38]. Son évolution se caractérise par des poussées plus ou moins régressives dont la gravité est liée à l atteinte des muscles respiratoires. La crise myasthénique est ainsi définie par une poussée responsable d une décompensation respiratoire imposant une ventilation assistée [39]. L incidence de la crise myasthénique est de 2,5 % [36]. Elle n est révélatrice de la maladie que dans moins de 5 % des cas [35]. Néanmoins sa survenue prédomine dans les phases précoces de la maladie, période où l évolutivité de la maladie semble plus importante [39,40]. La crise myasthénique peut être déclenchée par une modification du traitement de fond, la prise d un médicament contre-indiqué ou un «stress» psychologique ou physique, tel qu une infection ou une intervention chirurgicale. Elle peut marquer la récidive d un thymome qu il faudra systématiquement rechercher par un scanner thoracique. La crise myasthénique peut être intriquée à une crise cholinergique qui est induite par un surdosage en anti-cholinestérasique (Mestinon et Mytélase ) car le patient a souvent augmenté de lui-même ses prises. Ce surdosage s accompagne classiquement d hypersialorrhée, d hypersudation, de diarrhées ou de crampes. Il est en revanche illusoire mais surtout dangereux de tenter de dissocier une poussée myasthénique d une crise cholinergique par un test à la prostigmine. S il peut transitoirement améliorer l atteinte respiratoire, il ne permettra jamais de la contrôler durablement, pire il majorera l insuffisance respiratoire et l encombrement bronchique. La survenue d une décompensation respiratoire engage le pronostic vital des patients et a de ce fait longtemps conditionné le devenir des patients myasthéniques. L avènement de la ventilation artificielle en pression positive à la fin des années 1950 puis le développement ultérieur de traitements spécifiques ont permis une réduction considérable de la mortalité liée aux crises myasthéniques puisque de 80 % dans les années 1950 [41,42] elle est passée à moins de 10 % depuis les années 1970 [36,39,40,42,43]. L enjeu principal au cours de la prise en charge de la crise myasthénique est de savoir déterminer le moment où le recours à la ventilation mécanique s impose. La prise en charge en milieu de soins intensifs est nécessaire dans tous les cas, la fluctuation rapide de la maladie pouvant provoquer l aggravation brutale des patients. La prise en charge thérapeutique de la crise myasthénique est avant tout symptomatique et consiste essentiellement en l assistance ventilatoire et le traitement des facteurs déclenchants. La rééquilibration du traitement de fond ou la réalisation d EP ou de cures d IgIV ne seront considérées qu ultérieurement. L indication de la ventilation repose sur des critères cliniques et spirométriques. 3.2. Mécanismes de la crise myasthénique et indication de la ventilation mécanique invasive L atteinte respiratoire correspond à une parésie des muscles respiratoires ; son expression clinique est souvent fruste et doit être recherchée minutieusement. Les signes avantcoureurs d une détresse, voire d un arrêt respiratoire, sont une polypnée, une orthopnée, une hypo- ou aphonie, une toux inefficace et un encombrement. Néanmoins, leur absence ne doit nullement rassurer, un syndrome restrictif sévère pouvant être complètement asymptomatique. Les troubles de la déglutition concourent à la dégradation respiratoire en favorisant l encombrement, les efforts d expectoration et les pneumopathies d inhalation. La normalité des gaz du sang ne doit en aucune manière rassurer sur l intensité de l atteinte respiratoire. L hypercapnie est tardive et témoigne de l imminence d un d arrêt respiratoire [35,44,45]. La réduction de la force de l appareil contractile aboutit à une diminution des volumes mobilisables et de la CV. Sa surveillance répétée est indispensable en situation aiguë où sa variation à court terme peut refléter l évolution de la maladie ou la survenue d autres complications aggravant l épuisement du patient [15,46]. Néanmoins dans les syndromes myasthéniques, du fait de l amenuisement progressif de l efficacité de la contraction musculaire qui les caractérisent, une mesure isolée peut être à tort rassurante et la fluctuation rapide de l atteinte des muscles respiratoires peut prendre en défaut cette surveillance [47]. Pour cette raison et comme dans toute insuffisance respiratoire d origine neuromusculaire, une chute majeure de la CV est un critère de gravité et des valeurs inférieures à1l(ou15ml/kg) ou à 30 % de la norme théorique indiquent le recours à la ventilation mécanique invasive [15,44,45]. La diminution des PI max et PE max en deçà de 20 cmh 2 O et +40 cmh 2 O, respectivement, sont également des critères de recours à l intubation [15,44,45]. Par ailleurs, certains auteurs recommandent la surveillance de la ventilation maximale minute pour prédire la survenue d une insuffisance respiratoire aiguë. Sa valeur dépend des résistances des voies aériennes et de la force musculaire inspiratoire. En l absence d augmentation de la résistance des voies aériennes, elle renseigne sur la capacité à maintenir un

D. Orlikowski et al. / Réanimation 14 (2005) 118 125 123 effort ventilatoire. Elle est réalisée en demandant au patient de soutenir une ventilation volontaire maximale pendant 12 secondes en maintenant une fréquence de 50 à 60 cycles par minute. Une diminution de sa valeur serait un bon indicateur de la nécessité d une assistance respiratoire [21,46]. Chez les patients myasthéniques, elle peut permettre de mettre en évidence un épuisement progressif de la force musculaire inspiratoire, équivalent respiratoire du décrément observé à l électromyographie. Après l intubation, l absence d atteinte spécifique du parenchyme pulmonaire n impose aucune modalité particulière de ventilation. La place de la ventilation mécanique non invasive dans la prise en charge de la crise myasthénique n a pas été étudiée et nous n en avons qu une expérience très limitée chez quelques patients ayant eu une atteinte respiratoire stable et sans troubles de la déglutition associés. Nous conseillons que la VNI soit envisagée uniquement dans des unités ayant l expérience à la fois de cette technique et de cette pathologie, sinon de recourir à l intubation endotrachéale. Après l intubation devront être discutées d une part les indications d un traitement dit de «poussée» par EP ou IgIV, d autre part le réajustement ou l introduction d un traitement par corticostéroïdes et immunosuppresseurs [48,49]. On procédera également à un rééquilibrage du traitement anticholinestérasique. 3.3. Sevrage de la ventilation mécanique au cours de la myasthénie Il est pertinent d individualiser la myasthénie des autres causes d insuffisance respiratoire aiguë d origine neuromusculaire du fait du caractère fluctuant du déficit musculaire. En effet, il existe une variabilité de la symptomatologie qui distingue la myasthénie des pathologies où l atteinte respiratoire est fixée (tétraplégie par atteinte médullaire) ou de celles au cours desquelles la récupération du déficit respiratoire se fait de façon harmonieuse sans régression (polyradiculonévrite). Bien que les patients myasthéniques soient habituellement considérés comme à risque de ventilation mécanique prolongée et de difficulté de sevrage, l évolution du déficit respiratoire et moteur au cours de leur sevrage a été très peu explorée et aucune étude contrôlée n a validé une méthode ou un index prédictif du sevrage. Dans un étude portant sur neufs patients (6 myasthéniques, 3 SGB), l évaluation de 74 périodes de respiration libre a mis en évidence que le sevrage des patients s accompagnait d une augmentation significative des pressions transdiaphragmatique (Pdi) et trans-diaphragmatique maximal (Pdi max ) ainsi que du volume courant (VT) alors que concomitamment la fréquence respiratoire, le rapport temps inspiratoire sur temps total (Ti/Ttot) et la capacité vitale forcée restaient stables [50]. L index pression-temps du diaphragme (TTdi) ne changeait pas entre le début des épreuves de respiration libre et le sevrage et il ne franchissait pas le seuil de fatigue diaphragmatique. Une deuxième étude de la même équipe [51] a comparé des épisodes de respiration libre chez quatre myasthéniques et trois SGB. Les épisodes étaient considérés comme des échecs lorsque c était le patient qui demandait à être rebranché et comme un succès lorsque l investigateur décidait du rebranchement. Le seul facteur prédictif de la durée de respiration libre était la Pdi max. Les critères de sevrage proposés dans la littérature reposent sur des données rétrospectives et sur l expérience des équipes habituées à prendre en charge ces patients [35,45]. Dans une étude rétrospective de 67 crises myasthéniques dont les critères de mise sous ventilation mécanique avaient bien été précisés (CV < 15 ml/kg, PI max < 20 cmh 2 O, PEmax < 40 cmh 2 O), il a été observé au moment de l extubation des patients que la CV moyenne était de 27 ml/kg, la PI max de 40 cmh 2 OetlaPE max de 50 cmh 2 O [40]. Se référant à cette étude, Mayer recommande que ne soit débuté le sevrage de la ventilation des patients myasthéniques qu à la condition que s associent, à l absence de complication intercurrente, une amélioration de la force musculaire, une augmentation de la CV au-delà de 10 ml/kg, de la PI max au-delà de 20 cmh 2 O et une normalisation de l hématose [45]. L extubation est préconisée lorsque la valeur de la CV est au minimum de 25 ml/kg et que les PI max et PE max dépassent respectivement les valeurs de 40 et 50 cm H 2 O [40,45]. Les auteurs proposent comme méthode de sevrage la réalisation de périodes prolongées de respiration libre en VS-PEP d au moins 4 heures jusqu à 12 heures. Une seule étude récente de 24 crises myasthéniques chez 18 patients fait état de critères d extubation moins stricts que ceux proposés habituellement puisque outre une normocapnie, les seuils requis pour la CV, la PI max et le VT étaient respectivement de 15 ml/kg, 20 cmh 2 O et 5 ml/kg [43]. Mais il s agit d une étude rétrospective dans laquelle la procédure de sevrage de la ventilation n était pas stipulée [43]. 3.3.1. Modalités ventilatoires du sevrage des patients myasthéniques Bien que pour le sevrage ventilatoire du patient de réanimation, diverses modalités de ventilation artificielle, incluant la ventilation assistée contrôlée intermittente (VACI), les épreuves de respiration libre sur pièce en T et l aide inspiratoire, aient fait l objet d études prospectives multicentriques randomisées contrôlées portant sur de larges cohortes [52,53], aucun travail de ce type ne permet de recommander un mode ventilatoire spécifique pour le sevrage des crises myasthéniques. Le choix repose essentiellement sur l habitude et l expérience des équipes prenant en charge ces patients. Ainsi Mayer préconise-t-il des épreuves de ventilation par CPAP avec un niveau de pression progressivement décroissant [45]. L habitude de notre équipe est de réaliser des épreuves de respiration libre sur pièce en T [35]. Une difficulté du sevrage de la ventilation mécanique ne doit pas être attribuée qu à un retard d efficacité du traitement de fond mais impose la recherche d autres causes, pulmonaires ou non, pouvant être liées au séjour en réanimation, à l état d immunodépression secondaire ou à la myasthénie

124 D. Orlikowski et al. / Réanimation 14 (2005) 118 125 auto-immune. Ceci est illustré par le cas d une patiente myasthénique dont l échec du sevrage s avéra être en rapport avec un ulcère gastrique induit par les corticoïdes et soudainement révélé par un choc hémorragique. Rappelons qu un scanner thoracique est systématique en cas de crise de novo ou d antécédent de thymome. Le traitement d une dysthyroïdie, souvent associée à la myasthénie auto-immune, est à prescrire bien qu il soit cependant rare qu elle ait un impact sur les muscles respiratoires. Un échec de l extubation peut résulter d une fatigue des muscles inspiratoires spontanée ou favorisée par les troubles la déglutition. Une répartition des doses d anticholinestérasiques permet, chez certains patients, d éviter les aggravations nocturnes. Une alcalose métabolique consécutive à l administration de prednisone est une cause classique d hypoventilation alvéolaire. Si les indications de la VNI sont très limitées à la phase aiguë de la crise myasthénique, elle permet parfois de ne pas recourir à la ventilation mécanique invasive chez les patients dont la fonction respiratoire se détériore modérément après l extubation. Les conditions à son instauration sont le respect des règles de sa surveillance et de ses contre-indications. 4. Conclusion La principale difficulté dans la prise en charge des insuffisances respiratoires aiguës du SGB et de la myasthénie autoimmune est de savoir quand il faut procéder à l intubation endotrachéale. Ce choix doit être guidé essentiellement par trois éléments qui sont la rapidité d évolution du déficit respiratoire, la présence de troubles de la déglutition et la mesure de la capacité vitale. Il est indéniablement préférable de procéder à ce geste par excès que de tenter dans cette situation précaire une VNI ou d espérer une régression rapide de l atteinte respiratoire soit par les EP ou les IgIV soit, dans le cas de la myasthénie auto-immune, par l augmentation des doses de corticostéroïdes, d immunosuppresseurs ou d anticholinestérasiques. Enfin et pour conclure, nous rappellerons que l existence de signes respiratoires impose un transfert médicalisé en réanimation et peut avoir une autre origine que neuromusculaire, tels qu une embolie pulmonaire, une pneumopathie, un pneumothorax ou encore une décompensation d une pathologie respiratoire préexistante. Références [1] Hughes RA, Rees JH. Clinical and epidemiologic features of Guillain- Barre syndrome. J Infect Dis 1997;176(Suppl 2):S92 8. [2] Ropper AH. The Guillain-Barre syndrome. N Engl J Med 1992;326: 1130 6. [3] Orlikowski D, Ratrimoson T, Prigent H, Annane D, Raphael JC, Clair B. 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