Mythes et légendes de la fiscalité



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Transcription:

Mythes et légendes de la fiscalité ou la petite revue de l (in)justice fiscale attac suisse www.suisse.attac.org

La commission fiscalité d ATTAC Suisse vous remercie vivement de votre intérêt et remercie aussi spécialement les personnes suivantes qui ont contribué à la réalisation de cette brochure (par ordre alphabétique) : Eric Champod (ATTAC Vaud), Maurizio Coppola (ATTAC Fribourg), Olivier Dumont (ATTAC Valais), Julia Henke (ATTAC Genève), Andrea Kucera (ATTAC Genève), Roman Kuenzler (ATTAC Genève), Isabelle Lucas (ATTAC Vaud), Irène Meyer (ATTAC Berne), Michel Pellaton (AT- TAC Bienne), Jane Séligmann (ATTAC Genève), Michael Sidman (ATTAC Vaud), Iris Widmer (ATTAC Zurich), Marion Tanner (ATTAC Vaud). Notre campagne fiscalité débute véritablement maintenant. Et vous pouvez y contribuer! Les possibilités suivantes vous sont offertes : Projection de notre film et discussion : Inviteznous dans votre commune et nous nous déplacerons volontiers pour vous présenter le film «Permis d évader» (37 minutes), ainsi que pour débattre de la problématique concernant la fiscalité. Nous vous aidons avec plaisir à organiser une soirée N hésitez pas à nous contacter! Actions de rue : Nous organisons régulièrement des actions symboliques à travers les villes suisses. A l aide de masques, de dépliants ou de palmiers, nous souhaitons sensibiliser la population à cette thématique particulière! Votre créativité, humour et engagement seront très appréciés! Campagne pour un NON! à la réforme de l imposition des entreprises II. Vous et votre organisation, vos connaissances, vos parents, êtes toutes et tous concerné-e-s par la votation populaire du 24 février 2008. Restez en contact avec nous et nous essaierons de coordonner efficacement un groupe pour le NON à cette réforme. ET AVANT TOUT : Devenez membre d ATTAC! Soutenez grâce à vos dons le financement de cette brochure, du film et de notre campagne. CP 17-450778-5 Commandez le matériel suivant (adresse en dernière page de couverture) : - Le film «Permis d évader» (prix indicatif : CHF 10.-) - La brochure (prix indicatif : CHF 5.-) - Le livre «Finances publiques : lutte des caisses, lutte des classes?» (CHF 26.-). - Matériel de campagne contre la réforme de l imposition des entreprises II : autocollants, flyers, dépliants, argumentaires, etc. (contribution libre)

Introduction «Les finances publiques sont le squelette de l Etat dépouillé de toute idéologie trompeuse» - Rudolf Goldscheid, sociologue financier autrichien. Le sujet de la politique fiscale et des finances publiques apparaît, à première vue, terriblement rébarbatif. Ce qui semble souvent technique et uniquement accessible aux spécialistes est pourtant extrêmement politique et, au fond, relativement simple. Dans une réforme fiscale, il y a à la fois des gagnants et des perdants. Un impôt n est jamais socialement neutre. L argent est redistribué ou investi dans des services publics. Nos questions devraient donc se poser ainsi : A qui profite une nouvelle répartition et en quoi celle-ci correspond-elle à notre conception de la justice fiscale? Depuis quelques mois, ATTAC Suisse s est consacrée de manière intensive à la conception d une campagne d information sur la fiscalité. Cette brochure présente un premier résultat de cette entreprise collective. Comme dans notre publication d ATTAC «Finances publiques : lutte des caisses, lutte des classes?», nous essayons de traiter du sujet de la justice fiscale sous toutes ses formes. D une part, nous examinerons le système fiscal suisse en nous demandant qui a profité des réformes de ces vingt dernières années ; d autre part nous analyserons les flux financiers internationaux, et tenterons d expliquer des notions telles que l évasion fiscale, les paradis fiscaux et le secret bancaire. Enfin, nous présenterons des acteurs qui luttent pour la justice fiscale et terminerons par nos propositions pour un système fiscal plus juste. Nous espérons que cette brochure, écrite collectivement, suscite le débat, intéresse et sensibilise un large public. La commission fiscalité d ATTAC Suisse Table des matières 1. Introduction 1 2. Qu est-ce qu une fiscalité juste? 2-3 3. Première partie : la justice fiscale en Suisse 4-16 3.1. Le système fiscal suissei: petit ABC de l impôt 4 3.2. La Suisse écrasée par les impôts et les taxes d Etat? 5-6 3.3. Qui gagne? Qui perd? Un bilan 7-8 3.4. La réforme de l imposition des entreprises II 9-13 3.5. La Suisse et ses réglementations spéciales 14-15 3.6. Un système fiscal juste - Fondement d une démocratie vivante 15-16 4. Deuxième partie : la dimension internationale 17-25 4.1. L argent sale international 17 4.2. L évasion fiscale internationale 18-19 4.3. Les paradis fiscaux 20-21 4.4. Le rôle de la Suisse dans le système fiscal international 22-24 4.5. Un autre regard sur la corruption internationale 25 5. Troisième partie : actions 26-28 5.1. Acteurs qui se battent pour la justice fiscale 26 5.2. Les revendications politiques d ATTAC en matière de fiscalité 27-28 Bibliographie 29 Glossaire 30-32 1

Qu est-ce qu une fiscalité juste? La justice fiscale existe-t-elle? Il existe un débat récurrent pour savoir s il est possible de parler de justice fiscale, ou si l expression représente quelque chose d a priori inexistant, et serait donc fondamentalement trompeuse. En principe, toute richesse est produite par les travailleurs-euses et devrait par conséquent leur être redistribuée ; quand le capital est taxé, c est uniquement une partie de cette richesse dont ils/elles profitent. Même quand le capital est entièrement imposé, le système de production capitaliste reste par essence injuste. Sans perdre de vue ces critiques fondamentales, le but de cette brochure est de montrer de quelle manière le système fiscal actuel pourrait être amélioré afin d être moins injuste. Nous essayons ainsi de formuler des lignes de conduites et des propositions, qui, si elles étaient appliquées, amèneraient le système fiscal vers plus de justice. C est dans cette perspective que nous utiliserons le terme de justice fiscale, sans pour autant écarter une critique plus radicale du système. La justice fiscale se définit très différemment selon les personnes et les bords politiques. Pour certains, cela signifie payer peu ou pas d impôts. Pour d'autres, il serait juste que chacune et chacun contribue de manière équivalente. Mais aucune de ces deux options ne conduirait à un système qui serait considéré comme socialement juste par le plus grand nombre. La justice fiscale est comme un éléphant. On la reconnaît quand on la voit, elle est cependant difficile à décrire. C'est l'une des raisons pour lesquelles de nombreux partenaires de la société civile préfèrent aborder d'autres thèmes plus tangibles. L'article 127 de la Constitution fédérale énonce deux principes pour un système fiscal équitable: 1. Les contribuables (personnes et entreprises) doivent être traités de la même manière: privilèges et discriminations sont interdits. 2. La taxation dépend de la capacité économique de la personne : celle ou celui qui gagne et/ou possède beaucoup paiera plus que quelqu un qui gagne et/ou possède peu. Ces principes simples sont pourtant de plus en plus souvent violés. Le mépris de la justice fiscale en Suisse : - Certains types de revenus comme les successions et les gains en capital ne sont jamais imposés. Exemple: M. X investit 10 millions en actions, les vend après 8 ans pour 20 millions: pas de taxe sur les 10 millions de bénéfices! De tels revenus sont de plus en plus fréquents et, en conséquence, les inéquités toujours plus grandes. - D autres types de revenus (par exemple les dividendes) ne sont plus imposés à 100%, comme les salaires et les pensions, mais seulement à 60%, 50%, voire 40%, 30% ou même 20%. - 3700 très riches étranger-ère-s domicilié-e-s en Suisse sont taxé-e-s forfaitairement et ne payent qu une petite fraction de l'impôt qu une Suisse-esse aussi riche doit payer. - Quelques cantons ont abandonné l imposition selon la capacité économique des contribuables (système progessif), pour s engager au contraire vers un système dégressif : l impôt de celle ou de celui qui gagne plus représente dans ce cas une part plus petite de son revenu. Le Tribunal fédéral a cependant interdit récemment l impôt dégressif, car il a été jugé anticonstitutionnel. En effet l impôt dégressif viole le principe selon lequel plus de revenu et de fortune doivent générer plus de revenus fiscaux en termes relatifs et pas seulement absolus (le taux d imposition doit augmenter et pas seulement le total de l impôt). De plus, notre système fiscal n'est pas aussi progressif que nous le croyons : les primes d'assurance-maladie (ou plutôt l impôt maladie par personne), les redevances toujours plus nombreuses (exemple la vignette autoroutière) et surtout la TVA, comptent parmi les impôts dits «cachés». Par ces impôts, nous payons beaucoup plus que les impôts directs dus sur la base de notre déclaration d impôt. Toutes ces dispositions ont en commun de favoriser uniquement une petite couche de la Les primes d assurance-maladie sont-elles un impôt? Oui. Il ne faut pas se laisser tromper par le fait que les primes soient payées à des organisations privées (une particularité suisse). La loi oblige toute personne domiciliée sur le territoire suisse à contracter une assurance-maladie. Ce qui signifie donc que chacun doit payer une prime de caisse maladie, ce qui en fait un impôt. 2

» Qu est-ce qu une fiscalité juste? société, la plus aisée. Les exonérations fiscales et les allègements fiscaux se chiffrent à plusieurs milliards de francs par an. Les salarié-e-s, les consommateurs et consommatrices et les retraitée-s sont les victimes de cette politique de privilèges contraire à la Constitution. Justice fiscale internationale Il est incontournable d élargir le concept de justice fiscale dans un système financier globalisé. Nous relèverons par conséquent trois niveaux: Les contribuables: Dans un système d'imposition équitable, il faut que les contribuables se conforment aux règles et s en remettent à l'etat pour le montant de l impôt fixé par la loi. Ils ne se livrent pas à l évasion fiscale et n essayent pas non plus de se soustraire aux taxes. L'Etat: l'etat doit créer un système fiscal où chacune et chacun contribue selon ses capacités économiques. Il évite les impôts dégressifs et tout système incohérent qui imposerait différemment des revenus égaux ou offirait des échappatoires à quelques rares privilégiés. En même temps, il veille à la transparence des dépenses et combat la corruption étatique en matière de fiscalité. Réglementations internationales: Les Etats devraient également éviter toute forme de compétition fiscale entre eux et ne pas utiliser leur souveraineté territoriale pour s ériger au niveau international en paradis fiscaux. Ces pratiques frappent particulièrement les pays en voie de développement. Ceux-ci sont ainsi privés de revenus fiscaux essentiels pour leur lutte contre la pauvreté, pour la santé ou l'éducation. Les pages suivantes décrivent plus en détail le système fiscal suisse et l évaluent au regard des critères d équité fiscale décrits ci-dessus. Les trois types d impôts: Les impôts sont des contributions obligatoires pouvant être classifiées selon leurs différents modes de calcul: - les impôts proportionnels ou linéaires: quelque soit le revenu (ou la fortune), le pourcentage d impositino ne change pas. Les cotisations sociales en sont un exemple. Celles pour l AVS s élèvent ainsi à 5,05 pourcent du salaire, quel que soit le montant de ce dernier. - les impôts dégressifs (taux décroissant): plus on gagne, plus le pourcentage effectif d imposition diminue. Un exemple classique est la prime d assurance-maladie susmentionnée, qui est identique pour riches et pauvres. La taxe sur la consommation ou TVA est aussi un impôt dégressif très courant. Là aussi, un milliardaire paie la même taxe sur son croissant que le chômeur. - les impôts progressifs: plus on gagne, plus le pourcentage d imposition augmente. L exemple le plus connu est l impôt sur le revenu. 3

Première partie : La justice fiscale en Suisse Le système fiscal suisse : petit ABC de l'impôt Différents types d impôts? Les impôts sont des contributions en argent prélevées par une autorité locale (Confédération, canton, commune) en vertu de sa souveraineté territoriale, en vue de couvrir les besoins de financements publics. Les impôts sont dus sans conditions, c'est-à-dire qu'ils n apportent aucun bénéfice direct en compensation. On distingue les impôts directs des impôts indirects. Parmi les impôts directs, on compte les impôts sur le revenu, les impôts sur les bénéfices, les impôts sur la fortune et sur le capital, et les impôts sur le rendement (impôts anticipés). Les impôts nous sont familiers par le biais de nos déclarations d'impôts. Parmi les impôts indirects, on compte entre autres la TVA ainsi que les droits de douane, mais également les redevances sur les poids lourds, la vignette d'autoroute et les taxes sur le tabac. Les impôts indirects constituent une source de recettes importante pour le budget de l'etat. Environ 20 % des recettes fiscales suisses proviennent de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). En ce qui concerne les primes des caisses d'assurance maladie, elles ne sont pas - d un point de vue juridique - considérées à proprement parler comme un impôt ; mais dans leur impact factuel, elles ont le même effet que l'impôt. On n'a certes pas à les payer à l'etat, mais l'obligation de contracter une assurance maladie et de payer les primes est contraignante pour chaque habitant. C'est la raison pour laquelle elles sont également considérées comme des impôts. Il en va de même pour les assurances sociales. Parmi ces différents types d'impôts, il convient de faire la différence entre les impôts progressifs, les impôts proportionnels et les impôts régressifs : le montant des impôts progressifs dépend de la situation du contribuable. Le taux augmente pour les revenus et les fortunes plus élevés (p. ex. les impôts fédéraux directs). Les impôts proportionnels se calculent selon un pourcentage qui est le même quels que soient les revenus (p.ex. l AVS). Les impôts régressifs ont souvent un montant fixe. Dans ce cas, moins on gagne, plus la part du revenu imposable augmente, raison pour laquelle ce type de prélèvement d'impôt est des plus injustes. Les primes d'assurances et la TVA constituent des exemples parfaits d'impôts régressifs, dans le sens où leurs montants sont les mêmes pour tous et toutes. Dans son article 127, alinéa 2, la Constitution prescrit que l'impôt doit tenir compte, dans la mesure du possible, des principes fondamentaux généraux de l'équité de l'assujettissement à l'impôt, ainsi que du principe de l'obligation de contribuer selon les capacités économiques. Notre système fiscal dédaigne ces principes fondamentaux, puisque chez nous les impôts progressifs constituent plutôt l exception. L'impôt sur le revenu et l'impôt sur la fortune représentent moins de la moitié des recettes fiscales de la Confédération. Dans des cantons comme ceux de Schaffhouse et d'obwald, les contributions fiscales sont même plafonnées à partir d'un certain revenu et ont par là même un effet régressif. Pour résumer, on peut dire que, d'un point de vue social, notre système fiscal ne correspond pas à une imposition juste, puisqu aux impôts progressifs on préfère les impôts régressifs, et l'assujettissement direct est supprimé graduellement au profit des impôts indirects. Qu'est-ce qu'un impôt? Les impôts sont des paiements obligatoires qui, pour des raisons légales, sont à effectuer sous forme d'argent et pour lesquels aucune contrepartie ne peut être exigée. Nous reversons une partie de nos revenus à l'etat ; cela constitue un impôt. Quand, nous payons notre vignette d'autoroute, cette taxe est officiellement considérée comme une redevance. Nous obtenons en effet en contrepartie la possibilité ou la permission d utiliser un service. En pratique, les redevances fonctionnent comme des impôts. Les cotisations sociales et les primes d'assurances agissent également sur le budget d'un ménage comme des impôts en raison de leur caractère obligatoire. 4

La Suisse écrasée par les impôts et les taxes d Etat? Ou : Quel est, en comparaison, le poids des prélèvements fiscaux? La boîte à idées néolibérales que représente economiesuisse n'est pas la seule à thématiser, depuis ces deux dernières décennies, la prétendue charge fortement croissante de l'impôt en Suisse. Selon elle, les dépenses de l'etat auraient énormément augmenté à cause d une charge trop lourde des systèmes de protection sociale et de santé. On peut en douter puisque, dans d importants pays concurrents, le poids de la fiscalité aurait continuellement baissé. En raison d une telle évolution, la Suisse aurait dû s'affaiblir sur le plan économique et les entreprises se seraient enfuies sous des climats fiscaux plus doux. On peut objecter à cela que les entreprises ne fixent pas leur siège social dans un pays uniquement en raison du régime fiscal. La monnaie forte et stable, la qualité de la formation, la bonne qualité de vie ou le développement des infrastructures sont également des facteurs importants qui rendent la Suisse attrayante pour les entreprises. Notons que nombre de ces facteurs sont mis à disposition par l'etat et qu'ils sont financés par les impôts. Et malgré la taxation prétendument en si forte croissance, 55% des entreprises transnationales ont, pourtant, leur quartier général en Suisse. De plus, l'affirmation, selon laquelle les taux d'imposition en Suisse seraient en constante augmentation, n'est pas tout à fait exacte. En 2001, la quote-part fiscale est effectivement passée de 21 à 22,7%. Entre 2001 et 2004, elle a toutefois de nouveau baissé pour atteindre 22,3%. Si nous comptons les autres cotisations obligatoires (AVS, AI et AC) dans le calcul du quota fiscal, la Suisse se situe largement en dessous de la moyenne des Etats de l'union européenne. La croissance annuelle moyenne du quota fiscal suisse entre 1995 et 2001 est elle aussi restée en deçà de la moyenne des Etats de l'ue. La quote-part de l Etat a baissé de 1% entre 2001 et 2004. Depuis 1985, nombre de transactions financières, d'entreprises et de personnes aux revenus élevés ont été favorisées fiscalement par les contre-réformes de la politique fiscale. Les déficits des caisses publiques ont augmenté à cause de cette baisse du niveau d'imposition. Durant ces 20 dernières années, le transfert de la charge fiscale s est fait indéniablement des hauts revenus vers les bas revenus. Le prochain chapitre aborde cette question en détail. Comparaison internationale de la quotepart fiscale 1990-2006 (en pourcentage du PIB, source Statistique de l OCDE) 50 50.1 40 39.8 36.2 en % du PIB 30 20 29.4 27.4 10 0 Suède Danemark Belgique France Finlande Italie Autriche UE 15 Pays-Bas Royaume-Uni Espagne Nouvelle-Zélande Luxembourg Ø OCDE, total* Allemagne Canada Irlande Suisse États-Unis * 2005 Japon* Département fédéral des finances DFF Administration fédérale des finances AFF Planification financière, budget, compte d'état, péréquation financière 5

» La Suisse écrasée par les impôts et les taxes d Etat? Ou : Quel est, en comparaison, le poids des prélèvements fiscaux? La spirale des baisses d impôts s est accélérée pour les hauts revenus, les entreprises, les fortunes et les successions a une concurrence fiscale entre les cantons. Fin 2005, 18 cantons projetaient des baisses d impôts. 3700 fortunes d origine étrangère bénéficient aujourd hui en Suisse d une imposition forfaitaire et de nombreuses entreprises viennent profiter de privilèges particuliers. Selon l administration fiscale fédérale, l imposition des entreprises a chuté d environ 5% par an dans chaque canton entre 1991 et 2004. Par conséquent, parler de taux d imposition élevés pour les entreprises en Suisse est pour le moins hypocrite, sinon mensonger. Qu est-ce qu une quote-part? La quote-part fiscale est la somme de toutes les recettes de l'etat par rapport au produit intérieur brut (PIB). Alors que la quote-part fiscale mesure la part des recettes au PIB, la quote-part de l'etat indique le montant des dépenses de l Etat par rapport au PIB. La différence des deux quote-part (la quote-part fiscale moins la quote-part de l Etat) nous donne ainsi la quote-part du déficit, c est-à-dire le pourcentage du bénéfice ou de la dette publique par rapport au PIB. La quote-part d impôt indique le pourcentage du rapport entre les impôts prélevés et le PIB d un pays. L e s c a d e a u x f i s c a u x o c t r o y é s d e 1 9 8 6 à 2 0 0 5 Année Description des cadeaux fiscaux Manque à gagner en millions de francs (CHF) 1986 Correction de la progression à froid de l impôt fédéral direct (IFD) (sur une contre-proposition du Parlement en réaction à une initiative du Vorort 800 1989 Programme d urgence de la Confédération : diminution de l IFD 400 1991 Réduction de l IFD en faveur des couples mariés : NC 1993 Révision des droits de timbre 400 1995 Mise en œuvre de la nouvelle loi sur l IFD 375 1995 Accord avec l Organisation Mondiale du Commerce (OMC) sur une réduction des droits de douane 250 1996 Mise en place d un taux de TVA réduit 250 1996 Diminution des droits de timbre sur les émissions 20 1998 Première réforme de l impôt sur les sociétés 460 1998 Décision urgente de la Confédération sur la réduction des droits de timbre 20 1999 Loi fédérale sur la réduction des droits de timbre 310 2001 Nouvelle loi relative à la TVA 250 2005 Loi fédérale sur la réduction des droits de timbre 310 TOTAL 3845 (Source : Kassenkampf, p53) 6

Qui gagne? Qui perd? Un bilan Une comparaison : Le Département des finances a calculé ce que serait devenu, en 2001, l impôt direct d un contribuable gagnant 2083 francs par mois en 1977 (soit l équivalent de 3900 francs par mois en 2001) en suivant l évolution du taux d imposition et du coût de la vie durant cette période. Le même calcul a été réalisé pour une personne ayant un revenu mensuel de 16 666 francs en 1977 (soit 31 000 francs par mois en 2001). Le résultat est clair : Les réductions fiscales consenties au long de ces années, permettent au contribuable percevant 31 000 francs par mois d économiser 11 000 francs d impôt sur une année. Ce gain représente 3% de ses revenus annuels, alors que pour le contribuable qui perçoit 3900 francs par mois, il n est que de 1,66%, soit 775 francs. Le bilan des mises en œuvre des précédentes réformes fiscales est d une effrayante simplicité. Pour résumer, il démontre que la politique fiscale menée ces vingt dernières années a complètement bouleversé la répartition de l impôt. La charge fiscale qui était supportée par les gros revenus et les patrimoines mobiliers, grâce aux impôts directs, a glissé des riches aux pauvres, des grandes sociétés aux petites entreprises et du patrimoine aux salariés, en raison de l accroissement des impôts indirects et dégressifs. Le cercle vicieux : baisser les impôts, économiser, rembourser les dettes, baisser les impôts, économiser, rembourser les dettes Accepter ce glissement dans la répartition des contributions à l impôt, qui se traduit par la mise en place d une «politique des caisses vides», conduit à la situation suivante : une partie importante de la population a pu être convaincue qu en Suisse, l un des pays les plus riches du monde, nous devons économiser. Et simultanément, on répand l idée pas du tout crédible, comme nous l avons déjà montré que le poids des contributions fiscales en Suisse serait, comparativement aux Etats voisins, intolérablement élevé. Ainsi, la réduction de la fiscalité nous est «vendue» comme une contrainte inéluctable pour renforcer notre compétitivité et pour donner une impulsion indispensable à la croissance de notre économie. Les diminutions d impôts ne conduisent toutefois pas à une situation «gagnant-gagnant», qui est souvent évoquée comme le but final de la mondialisation. Les réductions d impôts ne sont pas sans conséquence sur les conditions financières et l accomplissement des devoirs de l Etat pour le bien de toutes et tous. Chaque fois que la croissance a été stimulée par une diminution d impôts, les résultats ont trop souvent été en deçà des promesses. En Allemagne par exemple, les baisses d impôts n ont pas réussi à résorber le taux de chômage élevé. Le manque à gagner dû à la baisse des impôts doit être compensé, du côté de l Etat, par l endettement des pouvoirs publics d une part et par une politique d austérité rigoureuse d autre part. Cela redonne un motif pour diminuer une nouvelle fois les impôts afin de relancer l économie, et ainsi de suite En résumé, pour résoudre ces problèmes, on propose la «méthode» qui les avait justement créés, à savoir la diminution des recettes publiques. L Etat a, dans ces conditions, bien du mal à financer et à assurer des services publics décents : l éducation, la santé, l assurance vieillesse ou invalidité, les transports, les crèches, etc... Les plus touchés sont les salarié-e-s et les personnes économiquement faibles, alors qu ils devraient être les premiers bénéficiaire de ces prestations. Au double handicap des moins nantis l augmentation de leurs impôts et la dégradation des prestations s oppose le double gain pour les revenus en capital et en patrimoine: les bénéficiaires sont fiscalement avantagés et peuvent réinjecter l argent ainsi «économisé» dans les caisses de l Etat en finançant ses emprunts qui génèrent naturellement des intérêts. L Etat reste ainsi un débiteur bien-aimé. La redistribution qui, par les impôts progressifs, devrait aller du haut vers le bas fait désormais le chemin inverse, du bas vers le haut. 7

» Qui gagne? Qui perd? Un bilan Collectivité et individu Derrière la question de la fiscalité apparaît celle de notre conception de la relation entre collectivité et individus ou, plus généralement, celle du «comment vivre ensemble?». A une époque dominée par des politiques (néo)libérales, l individualisme radical et les projets de privatisation l emportent sur toute esquisse de considération sociale et sur toute volonté de représentation collective. Tout pouvoir collectif sur lequel se fonde le processus démocratique est considéré par les (néo)libéraux comme contraire à la liberté individuelle. Pour eux, la liberté s entend comme la recherche du profit individuel sur le marché. La conception d une organisation sociale, financée par l impôt et proposant des prestations ouvertes à toutes et tous, est la bête noire des défenseurs de la pensée néolibérale. L idée défendue par leurs opposant-e-s, d une responsabilité collective pour plus de justice sociale, leur apparaît quant à elle comme un non-sens. Les risques de chômage, de pauvreté, de maladie, d invalidité, etc. sont dès lors imputables à l individu et, en fin de compte, c est lui qui en est le seul responsable. Nous voyons tous les jours les résultats de cette politique : elle conduit à l accroissement des inégalités, de l insécurité, de l exclusion et de la marginalisation. En résumé : Du côté des perdant-e-s de la politique (fiscale) des vingt dernières années se trouve une large majorité de la population et, avec cette politique, c est tout «le vivre ensemble démocratique» qui est remis en question, alors qu il apparaissait jusqu à présent comme le summum de l idée d une collectivité solidaire. Ceci n est pas une fatalité! En Suisse, 70% de la population se partage 5% de la fortune, alors que 9% de la population en accumule 70%. Source: Adm. féd. des contributions 8

La réforme de l imposition des entreprises II «Loi fédérale sur l amélioration des conditions fiscales applicables aux activités entrepreneuriales et aux investissements» De quoi s agit-il? L essentiel en bref : 1. Buts officiels de la réforme selon le Conseil fédéral et le Parlement La réforme de l imposition des entreprises II doit achever la première réforme en la matière et projeter un ensemble «d améliorations économiques» telles que a) soulager fiscalement le capital-risque ; b) créer des incitations pour les investisseurs de l entreprise ; c) soulager fiscalement les petites et moyennes entreprises (PME) ; d) éliminer, ou au moins limiter, les surcharges fiscales injustifiées ; e) par-dessus tout, instaurer des «impulsions de croissance». Le noyau des mesures à mettre en place pour atteindre ces objectifs, c est l «atténuation de la double imposition économique» par une «procédure d'imposition partielle». 2. La double imposition. Qu entend-on par là? En droit suisse, une entreprise de capitaux, ou société anonyme (SA), a une personnalité juridique autonome dotée, au même titre qu une personne physique, de droits et de devoirs. Si la SA encaisse un gain, celui-ci doit être imposé comme un gain à l échelle de l entreprise. L excédent dégagé, après perception de l impôt, est reversé à l actionnaire sous forme de dividendes. A son tour, l actionnaire sera imposé sur ces dividendes comme revenu, d où la qualification de «double imposition», phénomène qui est prévu par la loi. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, cette «double imposition» ne se heurte pas à la Constitution et à ses trois principes de fiscalité juste. Dans ce cas, il ne s agit pas en effet d une double imposition anticonstitutionnelle, car on se trouve dans une double situation qu il convient de bien distinguer : une taxation du bénéfice au niveau de l entreprise et une taxation du revenu au niveau de l actionnaire ou de l entrepreneur. Pour le Conseil fédéral comme pour les bourgeois, cette situation pose cependant problème. Pour contourner cette double imposition, les entreprises ne verseraient plus les dividendes, mais conserveraient leurs gains. Cette pratique provoquerait un «problème de surinvestissement». Ainsi, les entreprises n optimiseraient plus leurs investissements dans d autres entreprises, ce qui nuirait à l économie. C est dans cette optique qu a été conçue cette nouvelle réforme. Un mot sur la double imposition - Quand une entreprise paie des dividendes sur ses bénéfices et que l actionnaire est imposé sur son revenu, l entreprise et l actionnaire sont tous deux scandalisés par une double taxation. Quand l entreprise paie des salaires et que le travailleur est imposé sur le 100% de son revenu, plus personne ne crie à la «double imposition». Quand le travailleur, qui a touché son salaire, va faire ses courses, il paie encore une taxe (sur la valeur ajoutée). C est alors à notre tour de scander cette foisci : triple taxation! - Les actionnaires se plaignent de payer trop d impôts. Parlons donc de l impôt sur les bénéfices du capital. Quand une action prend de la valeur et que son détenteur la cède, il fait un gain net. Celui-ci - spécificité suisse - n est pas imposable! Qu en est-il de l impôt sur la fortune? Il est aussi extrêmement faible en Suisse et il serait question de le supprimer au plus tôt. - Le concept de «double imposition» n existe que dans des modèles économiques fermés. Comme nous le verrons dans la deuxième partie de la brochure, il existe au niveau international des niches fiscales géantes destinées aux gros actionnaires. Elles leur permettent de placer leur fortune dans des paradis fiscaux où elles ne sont qu à peine ou pas taxées. C est ainsi, qu au bout du compte, la fortune n est même plus imposée une seule fois! 9

» La réforme de l imposition des entreprises II législateur fédéral laisse carte blanche aux cantons pour assouplir la double imposition économique. En supposant que tous les cantons adoptent le modèle fédéral (quelque soit leur tau d imposition actuel), il en résultera un manque à gagner de 350 millions de francs. Si l on estime que seuls les cantons qui, à ce jour, appliquent complètement la double imposition, adoptent le modèle fédéral, le manque à gagner qui en résultera atteindra les 450 millions de francs. Enfin, si tous les cantons décident d imputer l impôt sur les bénéfices aux impôts sur le capital, ce serait alors un montant d un milliard de francs suisses qui serait soustrait du revenu fiscal des cantons. 10 Evolution des salaires nominaux et de l indice boursier SMI 3. Mesures proposées La mesure phare qui doit entraîner une réduction fiscale au plan fédéral, doit toucher l imposition des porteurs de dividendes, ce qui signifie concrètement un dégrèvement des actionnaires. Plus précisément, les dividendes ne seront que taxés partiellement, ce qui veut dire qu au lieu de l être à 100 % (taux actuel), ils ne le seront plus qu à 60 %, pour autant que les actions fassent partie d un patrimoine privé et que l actionnaire dispose d au moins 10 % du capital en actions. La logique sous-jacente est que tout-e actionnaire qui est associé-e à une entreprise par une «part non négligeable» de sa fortune doit en tirer profit. La réforme concerne également la loi d harmonisation fiscale des cantons. Pour la détermination de leur taux d imposition, les cantons sont libres. Ils peuvent appliquer la même règle que la Confédération ou bien aller encore plus loin dans l exonération. 4. Conséquences financières L imposition partielle des dividendes a des répercussions sur les revenus fiscaux de la Confédération, des cantons et des communes. D après le modèle choisi par les Chambres fédérales, le manque à gagner pourrait bien atteindre les 50 millions de francs suisses pour la Confédération. On ne peut calculer les répercussions sur les cantons que de façon hypothétique, parce que le 5. Évaluation du projet Déficit fiscal massif nouveaux cadeaux fiscaux aux actionnaires. Le modèle de calcul utilisé par la Confédération est problématique. Ce modèle part du principe que les cantons appliquent le même taux d imposition qu à l échelle fédérale. Ce qui n est pas le cas. Dans les 13 cantons qui ont adopté l imposition partielle, la moyenne se situe même au-dessous de 50 % (70%: ZG, veut rester au-dessus de 50 %; 50%: GR, LU, NW (planifie 30%), OW, SG, SH, TG; 45%: AI ; 40%: AG, UR; 25%: SZ; 20%: GL). Les taux d imposition partielle des cantons pèsent lourdement parce que la pression exercée par la fiscalité des cantons et des communes est environ deux fois supérieure à celle de la Confédération. Si tous les cantons adoptent une imposition partielle des dividendes, les pertes fiscales vont atteindre pour les cantons et les communes Pauvres actionnaires? Pauvres entreprises? Examinons le bénéfice qu un employé permet de dégager à son entreprise. En 2005, les bénéfices de Roche, Nestlé, Holcim et Swatch (pour n en citer que quelques-unes) atteignaient, en moyenne par employé, plus de 30 000 CHF. Ceux de Novartis atteignaient même 89 000 CHF. Les chiffres correspondants pour les banques et les assurances sont encore plus révoltants. Pour l UBS, par exemple, ce chiffre atteint 219 000 CHF, soit plus du double du salaire moyen, toutes charges comprises. En 2006, les bénéfices ont été encore un peu plus élevés. Pauvres entreprises! Pauvres actionnaires!

» La réforme de l imposition des entreprises II PME et grandes entreprises Les défenseurs de la réforme de l'imposition des entreprises II argumentent, encore et toujours, que les petites et moyennes entreprises (PME) pourront bénéficier de cette réforme. Elles tireraient avantage de l atténuation de la «double imposition» puisqu'au travers des gains supplémentaires les investissements seraient favorisés. En effet, il est profitable pour les propriétaires de PME de s enregistrer en tant que société anonyme. Où réside donc le véritable problème? Dans la forme juridique des PME! Il est impossible qu'une entreprise de trois employé-e-s ait le même statut juridique que Novartis ou l UBS avec leurs dizaines de milliers d'employé-es et leurs milliards de francs de profit. Pour satisfaire les critères d équité fiscale, cités ci-dessus, il vaudrait bien mieux envisager d'adapter le droit des sociétés et le droit fiscal aux besoins des PME. au minimum 800 millions de francs par an. A l échelon fédéral, cela représente 60 millions de francs. Au niveau cantonal, on peut parier sur une exacerbation progressive de la concurrence fiscale intercantonale entre l ensemble des cantons, pour avoir les tarifs fiscaux les plus favorables. Une telle dynamique équivaudra, pour le service public, à une dégradation de ses capacités et pour la population, par ricochet, toutes les conséquences d une politique d austérité. Encore faut-il ajouter, à ce point de notre exposé, que l hypothèse selon laquelle la concurrence fiscale devrait avoir un effet bénéfique sur les budgets publics, loin d être tenable, relève plutôt d un esprit antidémocratique. Le niveau et la structure de la pression fiscale devraient être décidés par les électeurs et les électrices et non pas imposés par une contrainte extérieure. La réforme a des répercussions sur le financement des services sociaux (AVS, AI, APG). Question décisive : à quelle hauteur doit se situer le taux d imposition partielle pour qu un entrepreneur ne préfère pas se faire payer en dividendes plutôt qu en salaire? Dans le cas où le payement en dividendes prendrait le dessus, cela entraînerait pour le système d assurances sociales des dégâts considérables, puisque l entrepreneureuse ne payerait pas de retenues sociales sur les dividendes. 40 %, 50 %, 60 %, 70 % ou 80 %, c était le thème du débat au Parlement et, quoi qu on en dise, les pertes sont difficiles à calculer. Là encore, les évaluations du Conseiller fédéral Hans-Rudolf Merz sur les pertes pour l AVS sont minimisées. La moyenne des taux d imposition partiels cantonaux se situe nettement en dessous du point de référence à partir duquel il est préférable de payer des dividendes fiscalement intéressants plutôt que des salaires soumis à l AVS. Il faut compter avec une baisse de contributions AVS de l ordre de 150 millions de francs. Les allègements fiscaux de l imposition des bénéfices de liquidation entraînent des manques à gagner de 170 millions de francs. Enfin, la nouvelle possibilité d imputer les impôts sur les bénéfices aux impôts sur le capital engendrera dans les cantons et communes une baisse de perception d impôts pouvant atteindre le milliard de francs suisses. A plus long terme, la Confédération attend une augmentation de rentrées fiscales de «l impulsion donnée à la croissance» par la réforme. En tout état de cause, la manière dont ce surplus de rentrées fiscales doit se produire n a pas été exposée clairement sur le plan économique. En outre, personne n a encore réussi à démontrer, à ce jour, qu il y a une corrélation entre baisse des impôts et croissance. L a r é f o r m e d e l ' i m p o s i t i o n d e s e n t r e p r i s e s I I : l e s p e r t e s e n c h i f f r e s Imposition partielle des dividendes au niveau national : Imposition partielle des dividendes au niveau cantonal et communal : Contributions pour l'assurance-vieillesse et survivant-e-s (AVS), l'assurance invalidité (AI) et l'allocation pour perte de gain (APG) : Imputation des impôts sur le bénéfice aux impôts sur le capital par les cantons: Moindre imposition des réserves latentes : 60 millions 800 millions 150 millions 1000 millions 65-170 millions 11

» La réforme de l imposition des entreprises II Le mythe de la concurrence fiscale Un des mythes les mieux construits et entretenus dans les débats sur la fiscalité est que la concurrence fiscale entre les Etats profite à la population. 1. On ne peut pas comparer la concurrence fiscale avec d'autres situations de concurrence sur le marché. S'il y a par exemple plusieurs marchands de salades, le/la consommateur-trice peut choisir les salades de meilleure qualité et les moins chères, et profite ainsi de l effet de la concurrence. Concernant les impôts, la situation est cependant complètement différente. La grande majorité des citoyen-ne-s ne choisissent pas leur lieu d'habitation, mais sont lié-e-s à un territoire. Il est également absurde d avancer l idée que les Etats sont dans une situation de concurrence les uns avec les autres, afin de séduire leurs ressortissants (qui deviennent ainsi des clients) en essayant de proposer de meilleures prestations de service que les autres Etats. Cette forme de concurrence malsaine ne profite qu aux éléments et aux personnes mobiles, c'est-à-dire au capital, aux personnes riches et aux grosses entreprises. 2. La concurrence fiscale internationale, aussi bien qu intercantonale, conduit de manière générale à une pression sur l'etat pour baisser les impôts afin de rester compétitif. Ceci conduit à une désolidarisation entre contribuables, à la destruction de l'etat-social et à une perte de démocratie, car les électeurs-trices n'ont plus la possibilité de décider par des moyens démocratiques quelle importance l'etat doit occuper. Finalement, dans cette «course vers le bas» tout le monde (ou presque) y perd. 3. Fondamentalement, les riches en profitent aux dépens des plus pauvres, les grandes entreprises aux dépens des petites et moyennes entreprises, les entreprises établies depuis longtemps aux dépens des entreprises nouvellement fondées, les entreprises des pays riches aux dépens de celles des pays en voie de développement, les pays riches - fortement dotés en capital - et les centres financiers aux dépens des pays plus pauvres et des pays producteurs. Il n'y a rien de plus injuste que la concurrence fiscale!!! Atteintes à la Constitution: traitement inéquitable des sources de revenus des actionnaires et des entreprises. Grâce à l'imposition partielle, le revenu du capital sera favorisé de manière injustifiée au détriment des autres sources de revenu. Les travailleurs et travailleuses, dont le revenu est basé sur le salaire, les retraité-e-s qui touchent l'avs (assurancevieillesse et survivant-e-s) ou une pension, ou encore ceux et celles qui touchent des revenus provenant d obligations, de taux d'intérêt ou de comptes d'épargne, ne peuvent faire ce type de décompte. Ils doivent assujettir la totalité de leur revenu à l'impôt, alors que les riches, une fois de plus, se soustraient à leur responsabilité envers la collectivité. La clause des 10% conduit à une différence de traitement entre actionnaires, sans raisons valables. Cela signifie que les petit-e-s actionnaires sont intégralement imposé-e-s sur leurs dividendes et les gros actionnaires sont ainsi avantagés. L'inquiétude au sujet des conditions de vie des actionnaires n'est assurément pas une priorité pour ATTAC, mais l'affirmation, qui veut que les petites et moyennes entreprises et le marché du travail suisse soient ainsi favorisés, ne tient pas. Les travailleurs-euses indépendante-s et les artisan-e-s, qui n'ont pas converti leur entreprise en société anonyme, ne bénéficieront pas de cette mesure. Ce projet de loi profite surtout au marché financier suisse. Non à la 2e réforme de l imposition des entreprises! Halte aux cadeaux fiscaux pour les gros actionnaires 12

» La réforme de l imposition des entreprises II Un nouveau cas de la «politique des caisses vides» Cette proposition de loi suit la logique d'une politique de démantèlement social. Avec une argumentation qui repose sur des statistiques et des supputations plus ou moins fantaisistes, on essaye de convaincre la population de la nécessité urgente d'alléger les conditions cadres pour les entreprises, pour garantir la compétitivité et créer une impulsion à la croissance. La baisse d'impôt est cependant un pas supplémentaire vers l assèchement des caisses de l'etat. Après coup, elle justifiera l'urgence d'exercer une politique d austérité, et ce particulièrement dans les domaines social, de la santé et de l'éducation dont les bénéficiaires principaux sont les personnes dépendant de leur salaire. A contrario, une comparaison internationale devrait plutôt encourager à augmenter l'imposition des entreprises : les entreprises en Suisse sont actuellement imposées à hauteur de 20% contre plus de 30% dans les grands pays européens. A ce niveau, c est donc la Suisse qui mène le bal et ce sont les autres pays qui doivent faire face à sa concurrence. Si cette loi est adoptée, nous participerons à cette sous-offre fiscale, injustifiée pour la Suisse, qui amènera toujours plus de pauvreté et de précarité. A lire! 13

La Suisse et ses réglementations spéciales 14 Le système fiscal suisse garantit aux firmes étrangères et aux grosses fortunes de nombreuses dérogations qui transgressent de manière flagrante les règles de la justice fiscale. L imposition forfaitaire L imposition d étrangers sans activité lucrative en Suisse depuis au moins dix ans, mais qui y ont leur lieu de résidence, ne s établit pas en fonction de leurs revenus ou de leur fortune, mais sur la base de leurs dépenses courantes. Le fondateur d Ikea, Ingvar Kamprad, bénéficie d un tel forfait, tout comme Michael Schumacher, Tina Turner et 3 700 autres riches étrangers établis en Suisse. 90% d entre eux résident dans les cantons du Valais, de Vaud, de Genève, du Tessin et des Grisons. Le montant de l impôt forfaitaire équivaut normalement à 5 fois la valeur locative ou à 5 fois le loyer annuel du domicile suisse. Selon les médias, Michael Schumacher paie environ 2 millions de francs suisses d impôts, pour un revenu annuel de 75 millions de CHF et un patrimoine estimé entre 600 et 900 millions. Et ce n est un secret pour personne, les patrons de l économie tels que Peter Wuffli, ex-patron de l UBS, et les politiciens bourgeois, tels que Christoph Blocher, souhaitent L exemple d Ingvar Kamprad Il est de notoriété publique depuis de longues années qu Ikea dissimule ses transactions internationales, financières ou commerciales, dans différents paradis fiscaux et qu elle fraude également de diverses manières quand il s agit de payer ses impôts. La façon dont le fondateur de cette multinationale «optimise» ses impôts n est pas moins admirable. Ingvar Kamprad est un personnage particulier. On raconte qu il décolle lui-même les timbres usagés afin de pouvoir réutiliser les enveloppes. L homme est à la tête d une fortune qui est évaluée entre 21 et 36 milliards de CHF. Son revenu annuel est évidemment énorme. Il habite une petite maison du canton de Vaud, dont le loyer annuel est de 40 000 CHF. Il paie ainsi 200 000 francs d impôts par an, soit près de 10 000 fois moins qu un citoyen avec un revenu moyen (si ce dernier était imposé dans les mêmes proportions, il paierait 1 ou 2 francs d impôt!) élargir le principe de l imposition forfaitaire aux étrangers travaillant en Suisse et même aux Suisses fortunés. Les règles particulières de la fiscalité des entreprises En ce qui concerne les taux réguliers d imposition des entreprises, certains cantons suisses ont provoqué une polémique qui risque d embraser tout le pays en défendant bec et ongles l idée de la concurrence fiscale; jouant ainsi dans la même catégorie que les pays à faible fiscalité de l UE (cf. tableau). L exemple classique étant le canton de Zoug : les taux d imposition sur le capital y sont déjà très bas, tandis que les impôts sur les bénéfices des holdings, des sociétés de domicile et des sociétés mixtes connaissent une exonération totale. L impôt sur le capital que les entreprises de Zoug doivent payer est de seulement 0,075. Qu est-ce que? - Les sociétés holdings : ce sont des entreprises qui gèrent des participations dans d autres entreprises et qui n exercent en Suisse aucune activité commerciale propre. - Les sociétés de domicile n exercent en Suisse que des activités de gestion (pas d activités commerciales). Une vraie société de domicile est une expression châtiée pour parler d une société-écran. - Les sociétés mixtes, enfin, sont des entreprises ou des filiales de multinationales étrangères, qui concentrent la plupart de leurs activités à l étranger. En Suisse, elles n exercent que des activités commerciales de second ordre. Pour les holdings, il a même été abaissé à 0,02 le 1 er janvier 2007. Entretemps, Schaffhouse, Appenzell Rhodes extérieures, les Grisons et Schwyz ont également décidé d appliquer des règles concurrentielles particulières du même genre. Ainsi, Zoug est la plaque tournante du commerce mondial du café, ainsi qu un acteur incontournable dans le commerce mondial de certaines autres matières premières comme le cuivre, le zinc, le nickel et le charbon. Inutile de préciser que le commerce de ces matières

» La Suisse et ses réglementations spéciales premières a déjà du sang sur les mains. Dans les négociations au sein d organismes internationaux, la Suisse défend ce régime particulier, le plus souvent en avançant l argument de la protection de sa souveraineté. En réalité, il ne s agit de rien d autre que de défendre des avantages très lucratifs. Ce faisant, la Suisse échappe aux règles de la concurrence de manière déloyale. Il lui faut subir des pressions massives pour, de temps en temps, faire de rares concessions. A terme, elle ne pourra pas résister aux pressions de l Union européenne et des USA, mais aussi de pays comme l Inde et la Chine qui, eux aussi, perdent des milliards dans des paradis fiscaux. La Suisse s accroche ainsi à une losing strategy, dont ne pourra résulter qu une perte d image et de réputation. Classement d après les taux d imposition des entreprises Zoug 14,0 % Dublin 14,0 % Nidwald 15,0 % Bratislava 16,1 % Varsovie 16,4 % Lucerne 17,0 % Schwyz 17,1 % Budapest 17,6 % Berne 18,6 % Zurich 18,8 % Luxemburg 25,8 % La Haye 27,6 % Londres 28,1 % Bruxelles 28,7 % Turin 30,9 % Boston 37,7 % (NZZ, 10.12.2005) Un système fiscal juste - Fondement d une démocratie vivante Dans une société démocratique, les impôts remplissent essentiellement quatre fonctions : 1. La fonction la plus évidente des impôts est de conférer à l Etat les moyens de financer les services publics (santé, éducation, infrastructures et services sociaux). 2. Un deuxième objectif est la redistribution des richesses, dans le but de réduire les inégalités et la pauvreté. 3. Troisièmement, l Etat se sert des impôts pour ajuster certains prix par le biais de taxes supplémentaires ou de subventions; ce faisant, il garantit que ces prix incluent les coûts sociaux réels. Les cigarettes en sont un bon exemple : on prélève sur le tabac une taxe qui doit participer au financement des coûts de la santé. 4. La dernière fonction, sur laquelle nous voudrions spécialement insister, est très souvent négligée : les impôts renforcent et protègent les canaux de la représentation politique. Un système fiscal sain est la condition préalable à une démocratie vivante! Dans le modèle démocratique européen, prélever des impôts permet en premier lieu à l Etat de remplir les devoirs qui lui ont été attribués par la Constitution. Les citoyen-ne-s paient leur écot et en attendent une bonne utilisation. Quand celleci n est pas adéquate, les citoyens demandent des comptes au gouvernement lors des élections suivantes. Le/la contribuable a donc un intérêt à connaître l utilisation que fait l Etat de «son» argent. Ce mécanisme représente l un des piliers d une démocratie vivante. L Etat ne peut pas agir à sa guise parce que les citoyen-ne-s sont partie prenante aux affaires de l Etat et peuvent donner leur point de vue. Néanmoins, ce rapport entre le contribuable et l Etat n est pas garanti de la même façon pour les différents types d impôts. Contrairement à la TVA, payée à chaque achat tout au long de l année, presque sans s en rendre 15

» Un système fiscal juste - Fondement d une démocratie vivante 16 compte, les impôts directs, perçus à travers la déclaration d impôts que les contribuables doivent remplir une fois par an, ne passent pas inaperçus. De ce point de vue, la population de nombreux pays pauvres, dont les recettes proviennent majoritairement de droits de douane ou d aide au développement, ne bénéficie donc pas de cette relation privilégiée avec les devoirs de l Etat. Des études internationales (Cobham, 2007) montrent ainsi dans quelle mesure le système fiscal influence directement la conduite du gouvernement : Meilleur est son système fiscal, c'est-à-dire plus le système fiscal repose sur des impôts directs et progressifs, mieux un pays est gouverné. Avec notamment moins de népotisme et d investissements insensés (ces études ont été menées essentiellement dans des pays en voie de développement). En effet, dans un tel système, les contribuables ont leur gouvernement à l'oeil et paient plus volontiers leurs impôts à un meilleur gouvernement. Autre argument important : la justice sociale. Ceux qui gagnent des sommes équivalentes doivent payer le même impôt; ceux qui gagnent en revanche plus, doivent contribuer plus fortement. Ces concepts essentiels (que certains chercheurs désignent comme le consensus fiscal ) représentent les conditions nécessaires à un climat sain dans un Etat démocratique. Aujourd hui, certains acteurs importants ne respectent pas ces fondamentaux de la justice fiscale. Ce sont avant tout les riches et les grandes entreprises qui ne se conforment pas à leurs obligations fiscales. Ils transfèrent en toute illégalité leurs avoirs dans des paradis fiscaux (cf. 4.3) où ils ne paient pratiquement pas d impôts. Sans oublier que certains cantons ont tenté d'instaurer des impôts dégressifs. Les impôts supprimés doivent être compensés par les salarié-e-s et les consommateur-trice-s. Cette situation injuste est en bonne partie responsable de la mauvaise réputation de l imposition. Pourquoi M. X devrait-il donc payer des impôts alors que Nestlé et M. Ospel se soustraient à leurs devoirs? Ce sentiment d injustice n est pratiquement jamais analysé comme il se doit, mais uniquement du point de vue du système fiscal et de l Etat. Les partis bourgeois utilisent cette mauvaise réputation pour mettre en avant leur idéologie de l "Etat maigre" et enterrer ainsi les fondements Pas de taxation sans représentation! L un des arguments des démocrates des 17e et 18e siècles consistait à ne payer des impôts que s ils étaient proportionnellement représentés dans les cercles de décision politique. Pas de taxation sans représentation! : tel était leur fameux mot d ordre. Aujourd hui, ce sont les multinationales et les élites politiques qui définissent notre politique. Ce sont les mêmes qui sont au premier plan pour profiter des privilèges fiscaux de toutes sortes et qui utilisent les centres financiers internationaux pour frauder habilement leur contribution à la société. C est de la représentation politique et sociale sans taxation juste et convenable, alors que ces acteurs auraient tout à fait les moyens de remplir leurs devoirs sociaux. de la démocratie; pour que plus personne ne s intéresse à la politique et à l Etat. Exiger un Etat social vivant auquel chacun contribue et dont les plus faibles bénéficient, permet de lutter contre ces programmes autoritaires. Il faut donc éviter que seules quelques élites décident de la politique fiscale, ne laissant à la population d autre choix que de les suivre comme des moutons. Une raison supplémentaire de se battre pour la justice fiscale! Action d Attac sur la Place fédérale le 6 mars 2007 à l occasion du vote de la réforme de l imposition des entreprises par le parlement. Le masque représente Jonnhy Halliday qui vient de s acheter un chalet à Gstaad et qui bénéficie d une taxation forfaitaire dérisoire.

Deuxième partie : La dimension internationale L argent sale international Qu est-ce que l argent sale? L argent sale (dirty money) est de l argent gagné ou transféré illégalement, ou encore de l argent utilisé à des fins illégales. On lui attribue cette appellation du moment qu il contrevient à la loi par son origine, par ses mouvements ou bien par son usage. Les données utilisées ci-dessous se fondent sur le travail de Raymond W. Baker dans son livre Capitalism s Achilles Heel. On trouve trois catégories d argent sale transfrontalier : 1. La première catégorie relève d activités criminelles telles que contrebande, trafic d esclaves, trafic de drogue, terrorisme, etc. Le volume annuel de ces activités est estimé à 1,5 billion de dollars, dont 550 milliards d argent sale international. 2. La deuxième, est à rechercher dans la corruption d agents de l Etat, c est-à-dire le vol ou la fraude. Elle atteint un montant de 50 milliards de dollars. Pour une vision plus critique concernant la corruption, voir le chapitre 4.5. 3. De loin la plus importante, puisqu elle représente 70 % de l ensemble de l argent sale, est la catégorie d argent sale qui puise ses origines dans l évasion fiscale et dans d autres pratiques illégales du commerce international. Nous aborderons cette question plus précisément dans les chapitres 4.2 et 4.3. Les plus grands «cleptocrates» de l histoire Chef d Etat Estimation des sommes détournées (en milliards de dollars US) Mohamed Suharto, Indonésie, 1967-98 : 15-35 Ferdinand Marcos, Philippines, 1972-86 : 5-10 Mobutu Sese Seko, Zaïre, 1965-97 : 5 Sani Abacha, Nigeria, 1993-98 : 2-5 Slobodan Milosevic, Yougoslavie, 1989-2000 : 1 Source: Transparency International, Global Corruption Report, 2004 Combien d argent sale en circulation? Aucune statistique internationale ne fournit les montants totaux de l argent sale, de l évasion fiscale ou du blanchiment d argent. La plupart de ces flux financiers illégaux sont soit dissimulés, soit invisibles. Les spécialistes du domaine, comme le chercheur américain Raymond W. Baker, estiment que depuis des années, 1 à 2 billions (un 1 avec 12 zéros!) de dollars US d argent sale circulent dans le monde. En avril 2007, le Fonds monétaire international s est livré pour la première fois à une estimation officielle de ce phénomène. Elle s élevait à 1,7 billion de dollars US. «Les politiciens pensent national. Les criminels pensent global. Ils gagnent. Nous perdons.» Un banquier français Qui sont les perdants? Près de la moitié de l argent illégal, mais au minimum 500 milliards de dollars US, afflue des pays en voie de développement vers les métropoles financières du Nord. C est de la spoliation systématique. Ces 500 milliards représentent en effet cinq fois le montant que les pays riches transfèrent aux pays pauvres pour l aide au développement, ou encore, le triple de la somme que l ONU estime nécessaire pour atteindre les objectifs du millénaire (réduction de moitié de la pauvreté, etc.). L'exemple Sani Abacha Dans le magazine anglais The Economist, on a pu lire ce qui suit: A la fin des années 1990 au Nigeria, quand Sani Abacha gouvernait le pays, la banque centrale locale devait virer quotidiennement 15 millions de dollar sur des comptes bancaires suisses du dictateur. Plus de 100 banques ont participé à la gestion de cet argent, dont le Crédit Suisse, Citigroup, HSBC, BNP, Paribas, Standard Chartered et Deutsche Morgan Grenfell. 17

L évasion fiscale internationale L injustice fiscale ne naît pas par hasard. En général, elle résulte d une planification aussi déterminée que méticuleuse, qui est avant tout le produit d une industrie de l évasion fiscale. Ses acteurs principaux, ceux qui encouragent l injustice fiscale, sont entre autres : Les conseillers fiscaux Pour pouvoir établir la comptabilité de leurs clients, les grands groupes internationaux, en fonction des prescriptions des différents pays industrialisés, de nombreux experts-comptables se sont regroupés en grands cabinets de conseil fiscal ou cabinet d audit. Les quatre plus grands sont PricewaterhouseCoopers (PwC), Deloitte Touche Tohmatsu, KPMG et Ernst & Young. De par leur taille et leur influence, ces entreprises ont notablement contribué à l essor de la culture de l évasion fiscale et à l utilisation de paradis fiscaux. Les banques transnationales Sans elles, le monde offshore ne pourrait pas exister, car les personnes qui déposent de l argent dans des banques en zone offshore le font parce que le nom desdites banques leur inspire confiance. Elles jouent également un rôle important dans l évasion fiscale agressive et dans la fraude fiscale. C est ainsi, par exemple, que certaines grandes banques ont été mises en cause dans la débâcle d Enron, entre autres pour avoir financé des manœuvres de la firme, notamment la création de sociétés boîtes aux lettres pour canaliser le flux d argent offshore. Les firmes transnationales Elles contribuent expressément au développement de l injustice fiscale : Elles sont les plus importantes contribuables ou, du moins, devraient l être. Entre tou-te-s les contribuables, ce sont celles qui ont le plus de facilités pour contourner le système fiscal mondial dans le cadre de prescriptions légales. Leurs modes de contournement des prescriptions ont des effets particulièrement graves et des retombées néfastes pour un grand nombre de personnes. Voici comment cela fonctionne : quelques astuces pour réussir une fraude fiscale : - Mispricing: Lors d une négociation entre deux partenaires, le prix des biens peut être arrangé pour frauder les impôts ou bien pour dissimuler des pots-de-vin. Voici un exemple : un étranger vend une voiture à un Suisse. La voiture est estimée à 50 000 CHF. Il fait une facture à hauteur de 30 000 CHF. Il transfère les 20 000 restants sur son compte bancaire en Suisse. Ce faisant, il se soustrait, pour cette opération, à la fiscalité de sons pays. Cette stratégie de l underpricing (une valeur volontairement dépréciée) a fait aussi la fortune de Mobutu Sese Seko : il a bradé les richesses, notamment les matières premières du Zaïre de l époque, à l Ouest, à un prix (officiel) dérisoire et s est fait verser la différence sur son propre compte en banque. A la fin, sa fortune était supérieure à la dette extérieure de son pays, tandis que le peuple zaïrois mourait de faim. Mobutu ne faisait là que ce qu ont fait beaucoup d autres : il transférait la charge fiscale aux plus pauvres et les noyait dans la dette pour des générations. - Transfer Pricing: Près de 60 000 entreprises ont des activités internationales. 50 à 60 % du commerce international relève de l échange au sein d une même entreprise internationale. La filiale d une entreprise commerce avec la maison-mère ou l une de ses filiales. Les prix payés dans de telles transactions ne sont pas les prix du marché ; c est un conseiller fiscal qui détermine les prix de telle sorte que le gain de la multinationale ressorte précisément à l endroit où il est le moins imposé. D où l utilisation intensive dans les paradis fiscaux de sociétés boîte aux lettres qui fournissent des services fictifs. Ceux-ci sont payés avec l argent qui aurait dû être versé à titre d impôt dans un autre pays. Ces pratiques sont d ordre structurel pour pratiquement toutes les multinationales. 18 Les multinationales sont des machines à maximiser le profit, qui veulent à tout prix réduire leurs coûts, y compris les impôts que la loi leur prescrit.