ANESTHESIE CHEZ LE SUJET AGE Dr BLIN Françoise 18.03.2008.
LES CONSEQUENCES ORGANIQUES ET FONCTIONNELLES DU VIEILLISSEMENT I./ Modifications physiologiques induites par le vieillissement 1- Métabolisme basal et thermorégulation 2- Appareil cardio-vasculaire 3- Appareil respiratoire 4- Système nerveux central II./ Modifications induites dans la pharmacocinétique des agents anesthésiques 1- L absorption 2- La distribution 3- L élimination (le foie, le rein)
L ANESTHESIE I./ Le choix d une technique d anesthésie II./ La réalisation pratique A - le bilan pré-opératoire B - la prémédication C - la période per-opératoire 1 l anesthésie générale: a - les narcotiques b - les benzodiazépines c - les halogénés d - les curares e - les morphiniques 2 - l anesthésie loco-régionale 3 - l anesthésie ambulatoire
D La période post-opératoire CONCLUSION 1 Le réveil 2 - L évolution post-opératoire
Actuellement 1/3 de la population > 60 ans en France 3 % de la population > 85 ans. Les sujets âgés constituent une fraction encore population hospitalière. plus importante de la Le but de l équipe chirurgicale est de faire franchir à ces sujets le cap de l acte chirurgical et de leur permettre de retrouver voire d améliorer leur autonomie.
LES CONSEQUENCES ORGANIQUES ET FONCTIONNELLES DU VIEILLISSEMENT Importance de l âge physiologique!! Les processus normaux de la sénescence définissent le «vieillard sain». Tous les organes sont atteints d une involution fonctionnelle progressive. Les complications péri-opératoires sont donc plus fréquentes chez le vieillard pour deux raisons essentielles: 1.) Le phénomène de vieillissement ampute les réserves des grandes fonctions vitales de l organisme. 2.) La prévalence des affections dégénératives et des maladies concomitantes augmente avec l âge.
Quatre processus essentiels entrent en jeu: - l atrophie tissulaire - la surcharge ( athérome ) - l usure (os-cartilage) - involution tissulaire Tous les appareils ne sont pas touchés de façon homogène et synchrone. Ce sont les fonctions de régulation et de contrôle qui sont touchées les premières. L intensité de ces modifications est variable d un sujet à l autre.
I./ Modifications physiologiques induites par le vieillissement 1- Métabolisme basal et thermorégulation Diminution du métabolisme basal de 1% par an à partir de 30 ans : ceci se traduit par une diminution de la thermogénèse. Il y a des troubles de la vascularisation périphérique avec extrémités froides entraînant une augmentation importante des pertes caloriques ( augmentation lors de la vasoplégie pendant l anesthésie) Ceci entraîne : - Une augmentation de la demande en O 2 au réveil alors que l hypoxémie est fréquente. - Un réveil retardé et un retard à la récupération des réflexes protecteurs des voies aériennes - Une hypovolémie souvent démasquée lors du réchauffement - Une augmentation du catabolisme protidique dans les premiers jours post-opératoires
2 - Appareil cardio-vasculaire Il y a une prévalence croissante des maladies cardio-vasculaires avec l âge ( une affection cardio-vasculaire est retrouvée chez 52 % des sujets âgés de plus de 75 ans ). Altération progressive du système circulatoire avec : a) - diminution progressive du nombre de myocytes - diminution du tissu de conduction, ceci augmente la fréquence des arythmies et des troubles de conduction. b) - baisse de la compliance des vaisseaux du myocarde et du péricarde. ( le tissu élastique est remplacé par du tissu fibreux) - les résistances périphériques augmentent, induisant une augmentation de la PA et une hypertrophie du VG ( par augmentation de la résistance à l éjection du VG ) Conséquence: une plus grande variabilité de la PA per-anesthésique.
c ) Altération progressive des baro-réflexes et incapacité relative de répondre aux stimulations adrénergiques, d où la mauvaise adaptabilité à l effort et mauvaise tolérance à l hypovolémie. La FC ne s adapte pas à l effort, le VG se dilate pour augmenter le volume d éjection systolique d où le risque d IVG et d OAP lors d un remplissage rapide. d ) Baisse du Q de repos ( variable selon l individu) donc anesthésie IV plus lente et anesthésie par inhalation plus rapide. des débits sanguins locaux qui majorent les risques de thromboses et les sensibilités à l hypoxie et à l hypovolémie.
Tous ces éléments imposent : - de régler les problèmes cardio-vasculaires avant l intervention prévue - d élargir les indications de monitorage hémodynamique - de corriger les hypovolémies fréquentes ( déshydratation du sujet âgé) rechercher la stabilité hémodynamique( transfusion si besoin, vasopresseurs ) compenser les pertes insensibles à 6 ml/kg/h narcose et analgésie adaptées prise en charge efficace de la douleur
3- Appareil respiratoire Plusieurs facteurs concourent à altérer la fonction respiratoire du sujet âgé - la cage thoracique moins mobile, le rachis déformé, le diaphragme et les intercostaux moins efficaces - l élasticité pulmonaire diminue avec baisse de la compliance thoracique qui se traduit par : * une diminution des volumes pulmonaire et des échanges gazeux alvéolo-capillaires: A l EFR : CRF, CV, Vt, VR, FR, le rapport VR/CPT * des anomalies du rapport ventilation-perfusion avec augmentation du shunt et diminution de la PaO 2
- la réponse ventilatoire à l hypoxie et à l hypercapnie est diminuée de 50% ( donc sensibilité accrue aux médicaments anesthésiques dépresseurs de la ventilation) - sensibilité accrue à l infection avec risque d encombrement per et post-opératoire - respect une ventilation en normoxie - normocapnie
4- Système nerveux central C est l organe cible des agents utilisés en anesthésie. Les principaux effets de l âge sur le SNC sont: - une déplétion globale en neurotransmetteurs: dopamine =Parkinson acétylcholine = Alzheimer - une attribution sélective des neurones corticaux ( pertes de 30 % de la masse cérébrale à 80 ans) - une diminution du DSC très dépendante de la PAM avec sensibilité++ à l hypotension - déficits sensoriels avec troubles fréquents des fonctions supérieures, troubles de l audition et troubles de la vue. Il en découle de grandes difficultés d adaptation aux situations nouvelles avec risque de perte d autonomie et syndrome de glissement.
Au total: le risque opératoire s élève avec la fréquence des tares, l urgence ou la sévérité de l affection à traiter. Or, ces 3 paramètres sont fréquemment rencontrés dans cette population.
II./ Modifications induites dans la pharmacocinétique des agents anesthésiques 1- L absorption L absorption intestinale n est pas affectée par l âge (diffusion passive). Par contre, la biodisponibilité des agents qui subissent un effet de 1 er passage hépatique important (midazolam) peut augmenter de leur clearance hépatique. Cela a pour effet une plus grande efficacité d une même dose ( donc il faut diminuer la posologie de ces drogues ).
2 La distribution Elle est profondément modifiée par le vieillissement. Le paramètre le plus important et la liposolubilité des agents. En effet, le vieillissement s accompagne d une diminution de la masse maigre et de l eau corporelle totale au profit du tissu adipeux. Donc, les agents très liposolubles (diazépam, midazolam ) ont un plus grand volume de distribution, ce qui diminue leur concentration plasmatique et retarde leur élimination. Il y a aussi une diminution du compartiment central qui est le compartiment vasculaire dont le volume diminue de 20 à 30% après 75 ans. Cela se traduit par une concentration plasmatique initiale plus élevée donc un effet pharmacologique plus important pour une même dose ( cas du thiopental et de l étomidate). Tous les agents anesthésiques sont plus ou moins liés aux protéines plasmatiques. La diminution de ces protéines chez le sujet âgé est responsable d un effet pharmacologique plus intense à dose égale ( problème de dénutrition).
3 L élimination -Le métabolisme hépatique Il est plus ou mois modifié. La taille du foie et le débit sanguin hépatique diminuent avec l âge. Ceci modifie la clairance des agents à fort coefficient d extraction hépatique dont la ½ vie d élimination se trouvera prolongée (étomidate, kétamine, morphine, fentanyl, naloxone, Lidocaïne ) - L excrétion rénale Le débit sanguin rénal diminue peu à peu avec l âge: ceci s accompagne d une perte progressive des glomérules fonctionnels. En conséquence, le débit de filtration glomérulaire se réduit et limite la capacité d élimination rénal des médicaments ou de leurs métabolites.
La plupart des agents anesthésiques sont très liposolubles, les molécules sont filtrées par les glomérules, réabsorbées par les tubules et ne sont pas excrétées. Ce sont les métabolites plus hydrosolubles qui sont excrétés par le rein. Certains métabolites sont actifs et leur accumulation peut prolonger l action pharmacologique lorsque la fonction rénale est altérée ( cas de certains myorelaxants comme le pancuronium ).
L ANESTHESIE I./ Le choix d une technique d anesthésie L éventail est très ouvert : - En dehors de contre-indications particulières à une tare donnée, le sujet âgé peut supporter l anesthésie générale dans la mesure où les drogues sont maniées avec prudence, avec des concentrations faibles, des inductions lentes et des réveils rapides. - Les ALR représentent une alternative à l AG. L APD a moins d effets hémodynamiques que la RA. Mais, outre les difficultés techniques liées aux modifications du rachis, la diffusion de l anesthésique est parfois entravée par certains remaniements des espaces péri-vertébraux.
II./ La réalisation pratique A - Le bilan pré-opératoire Il doit être rigoureux et complet, parfois avec l aide de la famille et à distance de l intervention. Il consiste en : - visite pré-anesthésique qui recherche les antécédents, les tares, les traitements ( à adapter au cas par cas), l état psychologiques du malade et son examen somatique. - le bilan para clinique doit être complet et comporte systématiquement ECG, Rx des poumons, bilan biologique le plus complet possible. D autres examens peuvent être demandés en fonction de chaque cas ou un avis spécialisé ( échographie, doppler, épreuve d effort, EFR.). - rechercher des foyers infectieux possibles (dents, poumons, urines) et corriger tout déséquilibre avant le bloc opératoire. C est la préparation à l intervention.
B - La prémédication Elle doit être impérativement éviter les drogues trop dépressives sur le plan respiratoire et circulatoire. - Les BZD à demi-vie longue sont contre-indiquées ( dépression respiratoire, désaturation en oxygène et sédation excessive). Seul le midazolam peut être utilisé à dose réduite. - L hydroxyzine à la dose de 1 mg/kg est un choix acceptable et efficace. - L Atropine doit être utilisée de façon prudente et nécessaire (ALR) car des effets secondaires peuvent apparaître (diplopie, sécheresse buccale, syndrome confusionnel).
C - la période per-opératoire Accueillir, rassurer le patient. - L installation sur la table revêt une importance considérable. De nombreuses complications peuvent être liées à la posture: ceci implique la prévention de la fragilité cutanéo-muqueuse, la prévention de traumatismes ostéo-articulaires ou nerveux. - Nécessite d un monitorage: ECG, PA, SaO 2, capnographe, 2 moniteur de curarisation. - Mise en place d une VVP systématique, si chirurgie hémorragique PVC, plus ou moins pression sanglante. - Ventilation artificielle contrôlée en normocapnie. - Mise en place d un matelas chauffant et une couverture à air pulsé pour prévenir l hypothermie per-opératoire.
1./ Anesthésie générale Les besoins en agents anesthésiques sont réduits chez le sujet âgé, imposant une baisse de 30 à 50% des doses usuelles, tant pour l induction que pour l entretien de l anesthésie. La variabilité de la réponse individuelle justifie la méthode de titration (injections fractionnées). Le recours à des médicaments d action courte et ayant peu d effets secondaires cardio-vasculaires et respiratoire est préférable. a) - les narcotiques - le thiopental : 2 à 3 mg/kg à l induction; la dose d induction est diminuée de 25 à 75 % chez le sujet âgé ( par diminution de volume du compartiment central). La perte de connaissance est retardée par ralentissement du temps de circulation. La ½ vie d élimination est prolongée avec pour conséquence un réveil plus lent après une dose unique.
- Le propofol: Induction: 1.2 à 1.7 mg/kg Entretien : 3 à 6 mg/kg/heure La concentration plasmatique est initialement plus élevée (par diminution du volume centrale) donc nécessite de réduire la dose d induction pour éviter des effets secondaires cardio-vasculaires exagérés. Par contre la ½ vie d élimination est peu modifiée (réveil rapide et de bonne qualité ). - L étomidate : 0.15 à 0.20 mg/kg à l induction 0.20 à 0.8 mg/kg/h en entretien La fraction libre de l étomidate est augmentée et la ½ vie d élimination est augmentée. Le réveil est retardé.
b - les benzodiazépines A utiliser avec beaucoup de prudence et par doses fractionnées du fait du risque de sédation prolongée (le midazolam de préférence du fait d une clearance plasmatique plus importante ). En effet, ces molécules très lipophiles ont un volume de distribution très augmenté et une ½ vie d élimination très allongée. c - les halogénés La MAC des anesthésiques volatiles diminue avec l âge. Baisse des concentrations. La diminution du débit cardiaque et le ralentissement circulatoire favorisent le captage alvéolaire des anesthésiques volatiles. Les agents les plus liposolubles (halothane) sont accumulés dans les tissus et le temps de réveil est allongé. Utiliser de préférence des produits moins liposolubles et dont les effets cardio-vasculaires sont moins importants = cas de l isoflurane, du desflurane et du sévoflurane.
d - les curares La cinétique de la succinylcholine est peu modifiée. Il en est de même pour l atracurium et le mivacurium en raison de leur métabolisme par les estérases plasmatiques. Les autres pachycurares sont des médicaments hydrosolubles et le rein joue un rôle prédominant dans leur élimination (surtout pour le pancuronium). La dose curarisante initiale est la même que chez l adulte jeune mais le délai d installation est souvent allongé par diminution du DC et diminution du débit sanguin musculaire. Les besoins pour l entretien sont diminués et la ½ vie d élimination est allongée d où l intérêt du monitorage de la curarisation. L antagonisme par les anticholinestérases est tout à fait licite en fin d intervention.
e - les morphinomimétiques La sensibilité du SNC à l effet des morphiniques est augmentée, ce qui justifie une réduction des doses de 50 %. En injections fractionnées et espacées, tous les morphiniques peuvent être employés. En règle générale, pour une dose équivalente, la concentration plasmatique est plus élevée chez le vieillard par rapport à l adulte jeune. Le fentanyl et ses dérivés sont des drogues très lipophiles avec forte liaison aux protéines et coefficient d extraction hépatique élevé (d où effet rebond et ½ vie allongée). Ceci n est pas vrai pour la morphine. - fentanyl de 25 à 50 mcg, - alfentanyl de 0.25 à 0.5 mg - sufentanyl de 2,5 à 5 mcg, - rémifentanyl de 0.1 à 0.5 mcg/kg/mn
2 - L anesthésie loco-régionale ( ALR ) On n a pas pu démontrer la supériorité de cette technique par rapport à l AG en terme de récupération des fonctions supérieures à court ou long terme. Il semble que la dégradation péri-opératoire de l état de conscience dépende d avantage de l état physiologique du patient. C est souvent un bon choix pour une chirurgie sous ombilicale, de la face (œil, dents) ou des membres supérieurs. L ALR est moins toxique que l AG, elle permet la continuité de la vie relationnelle, respecte la fonction respiratoire et évite la phase de réveil. Elle tiendra compte des éléments suivants: - présence de contre-indications absolues (refus, incompréhension, troubles de l hémostase, troubles neuros, infections ) - du type d intervention, de sa durée, de la posture, - de l état du patient, - des difficultés techniques : les modifications morphologiques justifient une réduction des doses d AL. La sédation associée n est pas souhaitable.
3 - L anesthésie ambulatoire Est-elle souhaitable chez le vieillard? Oui, dès lors qu elle est possible en limitant la rupture avec les habitudes et l environnement familier du sujet. Néanmoins, les critères de sélection doivent être stricts limitant les interventions à celles qui ne nécessitent pas de soins post-opératoires complexes et n entravent pas l ambulation: excisions cutanées, endoscopies, biopsies, chirurgie de la main, radio interventionnelle La principale limite dans ce contexte est la nécessité d une personne accompagnante, valide, capable de comprendre et appliquer les soins post-opératoires.
D La période post-opératoire 1 - Le réveil Le réveil est plus risqué que chez l adulte jeune, il est souhaitable en SSPI. La dépression respiratoire est 3 fois plus importante chez le sujet âgé ce qui justifie l apport d oxygène systématique et la ventilation assistée si besoin. Antagoniser les curares. Les incidents cardio-vasculaires sont fréquents à type de troubles du rythme: - surveillance obligatoire par monitorage, - maintenir la volémie, transfuser si besoin, - faire un réchauffement actif, - prendre en charge la douleur (titration des antalgiques- pas d antagosnisme ).
2 - L évolution post-opératoire Les complications CV, pulmonaires et neuropsychiques sont les plus fréquentes chez le sujets âgé: - complications CV maximales entre le 1 er et le 3 ème jour, - complications thrombo-emboliques d où l administration d HBPM - complications pulmonaires par inhalation occulte ( baisse du réflexe de déglutition), baisse de l efficacité de la toux et risque d encombrement; antécédents broncho-pulmonaires. La kinésithérapie est peu efficace par mauvaise participation du patient. - Complications urinaires fréquentes chez l homme âgé (RAU par prostatisme) ; - Complications neuro-psychiques. L état confusionnel est fréquent, donc il faut participer à un lever précoce, veiller à l entourage familial. - Complications métaboliques. Elles sont d ordre nutritionnel ( diabète, retard de cicatrisation), trophiques ( escarres, contractures).
CONCLUSION Il est nécessaire de participer activement à la reprise relationnelle du sujet âgé car le syndrome d immobilisation du vieillard s installe souvent à bas bruit.