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Transcription:

ÉCONOMIE RECHERCHE ÉCONOMIQUE janvier 1 N 8 Peut-on identifier le vrai objectif de la BCE? La réunion du Conseil de la BCE du 1 janvier 1 confirme nos analyses précédentes : la BCE va mener une politique monétaire de plus en plus expansionniste avec l objectif affiché de redresser l inflation de la zone euro ; mais nous savons et nous voyons déjà que le Quantitative Easing et les taux d intérêt négatifs ont très peu d effets sur l inflation de la zone euro : le crédit redémarre peu malgré la baisse des taux d intérêt, les effets de richesse sont très faibles dans la zone euro, la dépréciation de l euro n a que des effets transitoires sur l inflation, la liquidité est déjà très abondante, l environnement (prix du pétrole, dégradation des marchés du crédit, faiblesse de l économie mondiale) est de plus défavorable ; la BCE ne peut pas ignorer ce très faible effet de la politique monétaire expansionniste sur l inflation ; que recherche-t-elle alors : une stimulation keynésienne par la dépréciation du change? La mutualisation du risque souverain dans la zone euro? mais elle prend un risque majeur : l excès croissant de liquidité conduit à une volatilité forte des prix des actifs (cours boursiers, taux d intérêt à long terme, spreads de crédit) et cette volatilité forte peut décourager les investissements des entreprises et finalement la politique monétaire très expansionniste peut freiner la croissance au lieu de la soutenir tout en n ayant pas d effets sur l inflation. Rédacteur : Patrick ARTUS

Peut-on croire que le vrai objectif de la BCE soit de redresser l inflation de la zone euro? L inflation de la zone euro reste très faible (graphique 1a), ce qui n est pas une surprise avec la poursuite du ralentissement des coûts salariaux (graphique 1b) et est aggravé par un environnement favorable à une inflation basse : prix bas du pétrole (graphique a) ; faiblesse de l économie mondiale (graphique b), surtout visible si on ne prend pas en compte le chiffre officiel de croissance de la Chine ; dégradation du marché du crédit (de la dette des entreprises, graphique c), surtout due à la dégradation du risque de crédit aux Etats- Unis. Graphique 1a Zone euro : inflation (GA en %) Inflation (CPI) (*) hors énergie et alimentation Inflation sous-jacente (Core* CPI) 7 Graphique 1b Zone euro : salaire nominal par tête et coût salarial unitaire (GA en %) Salaire nominal par tête Coût salarial unitaire 7 1 1 1 1 Sources : Datastream, Eurostat, NATIXIS -1 7 8 9 1 11 1 1 1 1 1-1 -1 Sources : Datastream, Eurostat, NATIXIS - 7 8 9 1 11 1 1 1 1 1-1 - Graphique a Prix du pétrole (Brent, $/baril) Graphique b Monde : croissance du PIB (volume, GA en %) 1 1 1 1 8 Monde Monde hors Chine 8 1 1 8 1 1 8 7 8 9 1 11 1 1 1 1 1 - - 7 8 9 1 11 1 1 1 1 1 17 - - Flash 1 8 -

17 1 1 1 7 Graphique c Zone euro : spreads de crédit (asset swaps, en pb) BBB High Yield Sources : Datastream, IBOXX, NATIXIS 17 1 1 1 7 7 8 9 1 11 1 1 1 1 1 Les actions et déclarations de la BCE (par exemple celles de M. Draghi à l occasion du Conseil de la BCE du 1 janvier 1) montrent qu elle semble déterminée à mener une politique monétaire de plus en plus expansionniste tant que l inflation ne se rapproche pas de %. Mais on voit bien que la politique monétaire expansionniste de la BCE a très peu d effets sur l inflation de la zone euro : malgré la baisse des taux d intérêt (graphique a), le crédit redémarre faiblement (graphique b), sans doute en raison du niveau encore élevé du taux d endettement du secteur privé (graphique c) ; les effets de richesse sont très faibles dans la zone euro, et, de plus, les prix des actifs créant des effets de richesse ont très peu augmenté (graphique ) ; le Quantitative Easing peut provoquer une dépréciation de l euro, comme en 1, mais la dépréciation de l euro n a qu un effet transitoire sur l inflation par l inflation importée (graphique ) ; la liquidité est déjà très abondante (graphique ), et l accroître encore a, de ce fait, peu d effets. Graphique a Zone euro : taux d'intérêt sur les crédits à taux fixe aux ménages et aux entreprises (en %) Graphique b Zone euro : crédits au secteur privé* (GA en %) Ménages Entreprises 1 1 8 (*) ménages + entreprises 1 1 8 - - 7 8 9 1 11 1 1 1 1 1 - - 7 8 9 1 11 1 1 1 1 1 - - Flash 1 8 -

17 1 Graphique c Zone euro : dette du secteur privé* (en % du PIB valeur) 17 1 1 1 Graphique Zone euro : indice boursier et prix des maisons (1 en :1) Eurostoxx Prix des maisons 1 1 1 (*) Ménages + entreprises 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 8 8 1 1 1 7 8 9 1 11 1 1 1 1 1 1 Sources : Datastream, Eurostat, NATIXIS 7 8 9 1 11 1 1 1 1 1 Graphique Zone euro : taux de change par rapport au dollar et prix des importations hors énergie Graphique Zone euro : base monétaire (en Mds d' ) Taux de change 1 = $ (G) 18 18 Prix importations hors énergie (GA en %, D) 1 1 1, 1, 1, 1 1 1 1 1 1 1,,8, - 1 8 1 8,,, 7 8 9 1 11 1 1 1 1 1-1 -1-7 8 9 1 11 1 1 1 1 1 On ne doit donc pas s attendre à un effet visible de la politique monétaire très expansionniste sur l inflation, la politique monétaire expansionniste de la BCE ayant peu d effets sur l activité réelle, donc ne pouvant pas changer le sens d évolution des coûts salariaux (graphique 1b), et encore moins celui des prix des matières premières (graphique a). La BCE connait certainement ce très faible lien entre politique monétaire expansionniste et inflation. Pourquoi déclare-telle alors vouloir amplifier cette politique tant que l inflation n est pas remontée au voisinage de %? Quel est le véritable objectif de la BCE? Si on ne croit pas que le véritable objectif de la BCE est de redresser l inflation, puisque la politique monétaire est inefficace pour réaliser cet objectif, quel est le véritable objectif de la BCE? une stimulation de l économie par la dépréciation de l euro? C est possible, mais cette stimulation a été peu efficace comme le montre la faible réponse des exportations à la dépréciation de l euro (graphique 7) ; la mutualisation des dettes de la zone euro grâce au Quantitative Easing (graphique plus haut). Lorsqu une dette est achetée par la BCE, le risque de perte est partagé entre tous les pays de la zone euro, la dégradation de la qualité de crédit de l émetteur de la dette est donc transformée en une dégradation de la qualité de crédit de tous les pays de la zone euro, ce qui veut dire que cette dette est transformée en un Eurobond, ce qui peut représenter un objectif «fédéraliste» pour la BCE. Flash 1 8 -

Graphique 7 Zone euro : exportations hors intra (volume, GA en %) 1 1-1 -1 - - - 7 8 9 1 11 1 1 1 1 1 - Quel que soit le véritable objectif de la BCE, on a donc du mal à imaginer qu il s agisse de redresser l inflation, la BCE connaissant l inefficacité de la politique monétaire expansionniste pour redresser l inflation dans les circonstances présentes. Le risque de cette politique La politique très expansionniste de la BCE, et qui, si on suit les commentaires de M. Draghi lors de la conférence de presse du 1 janvier 1, devenir encore plus expansionniste dans le futur fait courir un risque grave à l économie de la zone euro au travers de son effet sur la volatilité des prix des actifs. La masse croissante de liquidités en circulation pouvant se déplacer d une classe d actifs à une autre, la volatilité des prix des actifs augmente fortement. Ceci se voit par exemple en ce qui concerne les cours boursiers (graphiques 8a/8b), les taux d intérêt à long terme (graphiques 9a/9b), les spreads de crédit (graphiques 1a/1b). 1 Graphique 8a Indice boursier Eurostoxx (1 en 1:1) 1 1, Graphique 8b Indice boursier Eurostoxx : moyenne sur jours de la variation journalière en % mis en valeur absolue 1, 1 1 1, 1, 11 11 1, 1, 11 11 1, 1, 1 1,8,8 1 1,, 9 9 janv.1 mai1 sept.1 janv.1 mai1 sept.1 janv.1 9 9,, janv.1 mai1 sept.1 janv.1 mai1 sept.1 janv.1,, Flash 1 8 -

, Graphique 9a Allemagne : taux d'intérêt à 1 ans sur les emprunts d'etat,, Graphique 9b Allemagne : moyenne sur jours de la variation journalière mis en valeur absolue du taux d'intérêt à 1 ans sur les emprunts d'etat, 1, 1,,, 1, 1,,,,,,,,,, janv./1 mai/1 sept./1 janv./1 mai/1 sept./1 janv./1,,1 janv./1 mai/1 sept./1 janv./1 mai/1 sept./1 janv./1,1 Graphique 1a Zone euro : spread de crédit High Yield (asset swaps, en pb), Graphique 1b Zone euro: moyenne sur jours de la variation journalière mis en valeur absolue du spread de crédit High Yield,,,,,,,,,,, Sources : Datastream, Merrill Lynch, NATIXIS janv./1 mai/1 sept./1 janv./1 mai/1 sept./1 janv./1, Sources : Datastream, Merrill Lynch, NATIXIS, janv./1 mai/1 sept./1 janv./1 mai/1 sept./1 janv./1,, La variabilité des prix des actifs financiers a un effet négatif sur l économie réelle : comme elle crée une variabilité du coût de financement des entreprises, elle décourage les investissements, les décisions de long terme. La faible reprise de l investissement des entreprises de la zone euro (graphique 11) peut donc être au moins en partie attribuée à la forte variabilité des prix des actifs financiers, liée à l excès croissant de liquidité. Graphique 11 Zone euro : investissement productif (volume) 1 en :1 (G) GA en % (D) 1 1 1 11 11 1 1 9 9 Sources : Datastream, Eurostat, NATIXIS 8 7 8 9 1 11 1 1 1 1 1 1 1 - -1-1 Flash 1 8 -

Synthèse : la BCE est difficile à comprendre Officiellement, la BCE agit, par une politique monétaire de plus en plus expansionniste, pour ramener l inflation de la zone euro vers l objectif de %. Mais on réalise assez facilement que l effet de la politique monétaire expansionniste sur l inflation de la zone euro est aujourd hui très faible sinon presque nul. La BCE doit le savoir. Pourquoi prend-elle alors le risque de déstabilisation de l économie de la zone euro en raison de la volatilité des prix des actifs financiers liée à l excès de liquidité? Pourquoi prend-elle le risque de freiner au contraire la croissance de la zone euro en raison de cet excès de volatilité des prix des actifs? A-t-elle un objectif caché (soutenir la croissance par la dépréciation de l euro, mutualiser les dettes publiques de la zone euro)? Flash 1 8-7

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