La biomasse forestière au Québec : portrait actuel, enjeux et perspectives

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1 La biomasse forestière au Québec : portrait actuel, enjeux et perspectives par Michel Lachance directeur Bioproduits industriels et technologies vertes, CQVB La biomasse forestière offre une opportunité majeure pour la redynamisation de l industrie du bois et pour le déploiement économique de nombreuses régions du Québec. Elle constitue aussi un facteur crucial pouvant accélérer le virage vers la bioéconomie et vers une plus grande autonomie énergétique. Cet article esquissera l état actuel de cette biomasse, explicitera certains défis à son utilisation et les bénéfices que cet or vert peut procurer à l économie du Québec. Portrait actuel au Québec La biomasse forestière considérée pour valorisation se réfère principalement à la biomasse des troncs, des cimes et des branches mise à disposition lors des opérations de coupe forestière et d espèces non utilisées. Le volume annuel total de biomasse forestière disponible au Québec est estimé à environ 6,5 millions de tonnes métriques anhydres (tma) dont les deux-tiers proviennent des feuillus. La biomasse forestière constitue donc l une des principales sources de biomasse au Québec. Par comparaison, le volume annuel de biomasse agricole disponible serait de 3 à 4 millions de tma (estimation partielle) et celui de biomasse urbain d environ 7 millions de tma. En matière d énergie totale consommée, la biomasse forestière représente environ 10% du bilan énergétique québécois. La biomasse forestière constitue l une des principales sources de biomasse au Québec. Le Québec s est doté d une politique favorisant la récolte de biomasse forestière à des fins énergétiques. Le Plan d action pour la valorisation de la biomasse a été lancé en juin 2008, avec les objectifs suivants : - créer et soutenir de nouvelles possibilités de développement économique; - réduire la dépendance du Québec envers les matières fossiles; - faciliter la réalisation des stratégies d aménagement forestier; - favoriser la réhabilitation des forêts de feuillus. Une trentaine d ententes ont été signées depuis 2008 par le MRNQ avec diverses régions pour l utilisation de la biomasse sur des terres publiques. Ces ententes touchent environ 1 million de tma mais seulement tma auraient été récoltées 1, d où aucune pression indue, pour l instant, sur la disponibilité annuelle. De plus, 1

2 les modalités de récolte et d attribution, ainsi que le choix des sites admissibles à la récolte, sont l objet d un encadrement précis et strict 2, ce qui rassure dans l éventualité d une demande qui pourrait s accélérer. Enjeux et défis Le développement des bioénergies et des bioproduits industriels est un enjeu majeur pour le Québec car celui-ci regorge de biomasse sous exploitée ou mal utilisée. De plus, il permet le remplacement des produits pétroliers et la réduction des impacts environnementaux, tout en favorisant les économies locales et régionales. Dans cet article, seuls les enjeux économiques et environnementaux seront abordés. Pour les enjeux techniques, voir l article de Nicolas Lacroix : «Valorisation énergétique de la biomasse : La bonne technologie au bon endroit». Le développement des bioénergies et des bioproduits industriels est un enjeu majeur pour le Québec car celui-ci regorge de biomasse sous exploitée ou mal utilisée. Enjeux économiques Le premier point à considérer dans tout projet de valorisation de la biomasse forestière est la disponibilité et la qualité de la biomasse offerte, afin d assurer des garanties d approvisionnement moyen/long termes. Ces facteurs, plus le prix de cette biomasse, ont un impact déterminant sur le processus décisionnel. La variabilité de la biomasse, incluant la présence de composés organiques halogénés ou de métaux lourds, peut compliquer (selon les technologies employées) sa conversion. Les multiples prétraitements (tri, séchage, fragmentation, densification) que requiert la biomasse brute vont influencer fortement l efficacité et la rentabilité d un projet. La faisabilité d un projet exige évidemment des volumes critiques et des coûts raisonnables. Les coûts de récolte ont un impact significatif sur la rentabilité et doivent être concurrentiels avec les sources d énergie que l on espère remplacer. Le faible coût de l électricité au Québec rend tout projet de cogénération à la biomasse très difficile à rentabiliser, sans profiter de tarifs spéciaux d Hydro-Québec et de disposer d un usage pour la vapeur résiduelle et les cendres. Un programme spécifique d achat de blocs d énergie électrique produite par cogénération à partir de biomasse forestière est actuellement en année terminale chez Hydro-Québec mais son renouvellement ne semble pas confirmé. Pour rentabiliser l utilisation de la biomasse, une meilleure intégration de la chaîne de valeur et une valorisation plus intense de la biomasse sont requis (voir Schéma 1). Sans une intégration suffisante de la chaîne de valeur, disponibilité et qualité de la biomasse offerte seront incertains. De nombreux projets isolés existent mais n aboutissent pas, parfois par manque de soutien public mais beaucoup par absence de partenariats et d alliances. Une compréhension mutuelle et une coopération étroite sont nécessaires entre les producteurs de biomasse (privés et publics), les premiers transformateurs (scieries, entreprises de pâte et papier et de panneaux), les seconds transformateurs (producteurs de biocombustibles et utilisateurs d extractibles forestiers) et les utilisateurs. Les coopératives forestières jouent un rôle majeur dans la mobilisation des propriétaires forestiers à participer à ce développement. 2 Guide d information à l intention du promoteur. MRNF, novembre 2009.

3 Pour rentabiliser l utilisation de la biomasse, une meilleure intégration de la chaîne de valeur et une valorisation plus intense de la biomasse sont requis De plus, utiliser la biomasse uniquement pour fin de combustion n est souvent pas une approche efficace, ni rentable. Par exemple, l extraction de molécules bioactives de l écorce ou des nœuds, avant la cogénération, permettra une utilisation plus complète de la biomasse et peut favoriser la rentabilité par la vente de certains extractibles recherchés. De même, la valorisation des cendres volantes et d autres coproduits facilitera l efficacité et la rentabilité. Cette approche multiproduits (combustion et autres produits valorisés) va dans le sens du bioraffinage. Récolte Prétraitements tri séchage broyage densification Transport Entreprosage Conditionnement Distribution Transformation incluant les équipementiers Combustion et cogénération Biocombustibles granules, plaquettes, bûches, biocarburants Valorisation de coproduits Gestion des cendres Secteur résidentiel individuel collectif Secteur industtiel 1e transfo bois 2e transfo bois agriculture ind. chimique tertiaire Schéma 1 : Chaîne de valorisation de la biomasse forestière intégrant une approche de bioraffinage Le prix du pétrole constitue un autre facteur important. Même s il s est contracté depuis la crise économique de 2008, sa hauteur rend les projets d énergie renouvelable moins concurrentiels par rapport aux combustibles fossiles. De plus, avec le développement de l industrie des gaz de schiste, le prix du gaz naturel est particulièrement bas et le restera vraisemblablement sur un horizon moyen terme. Concernant les incitatifs financiers et les contraintes réglementaires, le Québec fait piètre figure face à l Europe qui jouit d incitatifs importants et de contraintes législatives majeures permettant de stimuler substantiellement l utilisation de la biomasse forestière. Malgré des efforts ponctuels du MRNQ (ex. : encouragement à la substitution des systèmes de chauffage au mazout par des systèmes à biomasse forestière), la stratégie énergétique du Québec est assez timide quant à l accent mis sur l énergie de biomasse forestière en comparaison à ce qu on peut voir ailleurs dans le monde. Une approche plus proactive et plus intégrée serait sûrement bénéfique à l industrie. À court terme, la valorisation de la biomasse forestière sera probablement limitée à des créneaux circonscrits d utilisation directe d énergie de chaleur et de valorisation de certains coproduits. Le programme de conversion de chaudières à la biomasse forestière mis sur pied en 2010 par le Bureau de l efficacité et de l innovation énergétiques du Québec apparaissait prometteur. Son impact sur la valorisation de la biomasse forestière semble cependant modeste. Enjeux environnementaux «Le développement des énergies renouvelables n est pas le seul moyen de limiter les émissions de gaz à effet de serre (GES), mais sans leur contribution les autres solutions s avèrent plus coûteuses» et la

4 bioénergie est la principale source d énergie renouvelable 3. La carbo-neutralité de la biomasse énergie ne fait cependant plus l unanimité parmi les intervenants (par ex. : Service canadien des forêts, rapport Mackenzie 4 ), notamment si l on inclut dans l analyse de cycle de vie (ACV) les puits et les émissions des coproduits. En outre, les utilisations de la biomasse énergie n ont pas toutes le même potentiel de réduction de GES. La conversion de la biomasse influe sur la qualité de l environnement. Son potentiel global d'impact exige un suivi. L argument de la réduction des GES, souvent évoqué pour justifier un projet de bioénergie, devrait toujours être appuyé par une ACV sérieuse validée par un vérificateur externe. La production électrique à partir de biomasse est souvent contestée par certains groupes environnementalistes. Les projets de chauffage à la biomasse et de cogénération offrent un avantage significatif par rapport à ceux de production d énergie électrique ou de biocarburants. Par ailleurs, l utilisation de résidus forestiers amène une réduction des émissions à plus court terme que ne le ferait celle d arbres sur pied. Les résidus d usine constituent une option encore plus intéressante. Pour terminer, mentionnons un point crucial pour un développement sain et efficace de la bioénergie. La gestion et l exploitation durables de notre ressource forestière (récolte durable, maintien de la biodiversité, productivité du sol et des peuplements) sont essentielles pour assurer un approvisionnement fiable et de qualité en biomasse. Cela implique une sylviculture et une récolte durables. Une dimension particulière de cet enjeu est soulevée par Nature Québec qui propose un ensemble de bonnes pratiques visant à favoriser un développement durable de la filière du chauffage à la biomasse forestière. Perspectives et débouchés L utilisation de la biomasse forestière continuera sûrement à gagner de nouveaux marchés. À court terme, il est peu probable qu elle occupe une place nettement plus importante dans le portefeuille énergétique québécois. Cela s explique principalement par le faible coût de l électricité et du gaz naturel. Cependant, l innovation technologique et les améliorations prévisibles dans l efficacité des procédés rendront sûrement plus intéressantes les approches misant sur la biomasse. Une valorisation plus intense de la biomasse forestière (approche multi-produits de bioraffinage) apparaît une voie prometteuse (sinon incontournable) pour faciliter la rentabilité et l efficacité des projets de valorisation. Une planification adéquate et une implication des divers intervenants de la chaîne (fournisseurs de biomasse, premiers et seconds transformateurs, utilisateurs, équipementiers, etc.) dès le début d un projet s avèrent cruciales pour un succès. La fabrication de carburants (éthanol cellulosique, huile pyrolytique, biodiésel ou autres biocarburants) recourt à des technologies dont plusieurs sont encore en processus de maturation industrielle. Miser à grande échelle sur la biomasse forestière pour la fabrication de biocarburants apparaîtrait peu judicieux si les sources de biomasse urbaine résiduelle ne sont pas raisonnablement mises en valeur. Les projets de conversion locale de biomasse à des fins de chauffage résidentiel ou institutionnel constituent une option prometteuse des points de vue écologique, économique et social. Le Québec compte déjà plusieurs dizaines de projets qui ont connu du succès 5. En forêt privée, la bioénergie pourrait constituer un 3 Perspectives sur la bioénergie forestière dans le monde et au Canada : leçons du rapport du G.I.E.C. sur les énergies renouvelables. D. Paré, (présentation électronique), Forest Bioenergy or Forest Carbon? Assessing Trade-Offs in Greenhouse Gas Mitigation. McKechnie, J.S. Colombo, J.Chen,W.Mabee, et H.L. et MacLean Récolte de biomasse forestière et chauffage. Aperçu de la situation au Québec (présentation électronique)

5 marché valable pour le propriétaire, en l absence d un autre marché pour la pâte, le bois de sciage ou les produits à valeur ajoutée. Par ailleurs, à certaines conditions, la récolte de feuillus, même sains, à des fins énergétiques pourrait offrir un débouché intéressant pour remettre en production des peuplements de feuillus dégradés et laissés à l abandon. La biomasse forestière devrait être reconnue au même titre que les autres énergies renouvelables En matière de support public, l absence de vision à long terme et de nombreuses incohérences entre divers paliers de gouvernements et différents ministères ne favorisent pas l'émergence de projets. La biomasse forestière devrait être reconnue au même titre que les autres énergies renouvelables dans les programmes gouvernementaux. Le financement des immobilisations ainsi que du financement non remboursable pour les projets de conversion à la bioénergie stimuleraient la valorisation. Un critère d évaluation des projets par rapport aux retombées locales, ainsi que le droit à cette ressource visant à faciliter des ententes d intégration de récolte sont des enjeux majeurs. Vecteur Environnement, septembre