ÉLOGE FUNÈBRE DE PIERRE MENDEL ( )*

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1 ÉLOGE FUNÈBRE DE PIERRE MENDEL ( )* par M e Henri BÉNA, membre titulaire Le 12 août 1989 mourait à Metz notre ami Pierre Mendel. Son décès nous a tous bouleversés. J'en ai été surpris, car peu de jours auparavant nous avions encore discuté d'ouvrages à proposer à la Commission des Sciences Juridiques et Economiques de notre Compagnie pour la séance solennelle à la fin de l'année. Si vous avez bien voulu me confier la mission de prononcer l'éloge de Pierre Mendel, c'est parce que nous avons été ensemble avocats au barreau de Metz depuis 1930, d'abord comme avocats stagiaires, puis après comme avocats au grand tableau des avocats. Pierre Mendel est né à Metz le 17 octobre 1907 d'un père, également natif de Metz et d'une mère originaire de Chalons-sur-Marne. La famille paternelle de Pierre Mendel était installée dans notre Lorraine Mosellane depuis au moins cinq générations. Selon des actes d'état civil que Pierre Mendel avait pu retrouver, le père de son trisaïeul paternel était en 1769 domicilié à Grosbliederstroff et un autre ascendant était en 1739 installé à Bionville. Son père, qui avait tenu à Metz, 6 rue Sainte-Marie, la boucherie qui appartenait déjà à ses parents, était devenu courtier en bestiaux. Pierre Mendel a commencé à fréquenter à partir de 1913 le lycée allemand de Metz qui est devenu le lycée Fabert. Nous avons fait partie de ces élèves lorrains qui, habitués à l'enseignement allemand, ont été tout d'abord désorientés et désavantagés par rapport à leurs camarades venus de Vieille-France. Pierre Mendel a, de 1919 à 1926, dû travailler, sans se ménager, pour posséder la langue française qui lui avait été ravie à l'école jusqu'en 1918, lisant pendant ses heures de loisirs les auteurs français qu'il avait ignorés. Il faut dire que notre assimilation avec les petits Français venus de l'ouest a été possible grâce aux éminents professeurs venus volontairement au lycée de Metz pour y donner avec zèle leur temps, leur intelligence, leur volonté, afin de faire réapprendre aux jeunes Lorrains notre belle langue. Au cours des classes avec les professeurs Delort, Lichnerowicz, About, Moussât, Nabert, Miroglio, Delafosse, il y avait au lycée de Metz une atmosphère non seulement de travail, mais également de sympathie et de gaieté, qui a donné aux élèves des souvenirs impérissables. * Prononcé à la séance du 5 avril 1990.

2 Pierre Mendel, comme la plupart des jeunes lycéens lorrains, a accompli l'effort d'assimilation qui lui a fait obtenir à la fin des années scolaires des prix, notamment en 1924 les premiers prix d'histoire et de géographie. La même année, il obtenait au concours général des lycées et collèges de France un accessit de géographie. Ses études se sont terminées en 1924 après qu'il ait obtenu le baccalauréat latin-grec puis le baccalauréat philosophie, avec les mentions assez bien. C'est à l'université de Nancy que Pierre Mendel a commencé ses études d'enseignement supérieur, à la faculté des lettres qui lui a délivré le 23 juin 1926 le diplôme de licence en histoire et à la faculté de droit, où il a obtenu le 10 juillet 1926 le diplôme du baccalauréat en droit. S'étant inscrit à la faculté de droit de Paris, il y obtient le 8 novembre 1927 le diplôme de la licence en droit, le 18 mai 1928 le diplôme d'études supérieures d'économie politique et le 20 novembre 1928 le diplôme de droit romain et d'histoire du droit. Ayant également suivi les cours de l'école libre des sciences politiques, Pierre Mendel avait obtenu le 2 juillet 1928 le diplôme de cette école. Pour avoir le titre de docteur en droit, Pierre Mendel devait soutenir une thèse. S'étant rendu compte, lui qui était passionné d'histoire, que rien n'avait été publié sur le pouvoir législatif existant dans le petit état indépendant qu'était devenu au XIII e siècle Metz, une ville libre du Saint Empire Germanique, il a commencé ses recherches qui lui ont fait découvrir que les sources du droit commun à Metz au Moyen-Age résidaient dans les " atours ", terme qui dérive du verbe bas-latin " attornare" qui signifie ce qu'on a disposé. Nous connaissons tous ce mot avec la signification qu'atour est tout ce qui sert à la parure des femmes. Au XIII e siècle l'atour était à Metz un acte édicté en pleine souveraineté par les autorités investies du pouvoir législatif pour le territoire soumis à la juridiction de cette ville. Le professeur Robert Genestal de la faculté de droit de Paris a accepté la demande de Pierre Mendel de soutenir une thèse sur " Les atours de la Ville de Metz - Etudes sur la législation municipale de Metz au Moyen-Age". Pierre Mendel a, avec passion, élaboré cette thèse à partir de Mais Pierre Mendel avait décidé de devenir avocat dans sa ville natale. Après qu'il a terminé le 27 septembre 1930 son service militaire à Besançon au 7 e Corps d'armée, section de commis et ouvriers militaires d'administration, il s'est fait admettre le 26 novembre 1930 par le Bâtonnier René Castin au stage du Barreau de Metz. C'est à partir de cette époque que nous avons eu des relations amicales, moi-même ayant été admis comme avocat-stagiaire le 6 décembre La thèse de doctorat terminée le 28 février 1932 vaudra à Pierre Mendel le 10 mars 1933 le prix Prost de l'académie des Inscriptions et Belles Lettres et le 10 juillet 1933 le prix

3 Dupin de la faculté de droit de Paris. Ce n'est pas seulement à Paris que la thèse de doctorat de Pierre Mendel a suscité l'admiration, mais également à Metz où la Société d'histoire et d'archéologie de la Lorraine a fait publier " Les atours de la Ville de Metz. La législation municipale de Metz pendant le Moyen-Age " dans ses annuaires de 1933 et A Pierre Mendel le travail d'avocat stagiaire à l'étude de M e Myrtil Zachayus ne suffisait pas. En effet il rédige une étude intitulée "Un document messin du XIV e siècle " relatif à la navigation qui est publié en 1932 dans les Cahiers Lorrains qui publient en 1933 l'article "A propos d'une bulle inconnue de Victor IV pour Saint Ladre à Metz". Son stage d'avocat stagiaire terminé, Pierre Mendel a commencé à exercer à partir du 26 novembre 1933 la profession d'avocat postulant à la Cour d'appel de Colmar, une chambre détachée à Metz ayant été créée en Moins de 6 ans après l'ouverture de son cabinet d'avocat, Pierre Mendel, qui avait épousé le 10 juillet 1938 M lle Odette Cahen, devait cesser son activité ayant été mobilisé en septembre 1939 pour être nommé par la suite sous-lieutenant d'administration à compter du 1 er février Après l'entrée en vigueur de l'armistice signé entre les gouvernements français et allemand le 22 juin 1940, Pierre Mendel ne reviendra naturellement pas à Metz. Installé avec sa famille à Lyon, il ne pourra être admis à y exercer la profession d'avocat, en raison de ce que les juifs de nationalité française étaient soumis à un statut spécial par la loi du 30 octobre Soumis au statut des juifs, Pierre Mendel rejoint un "bureau d'études" de la rue Vauban de 1941 à Ce cercle d'études réunissait des universitaires et intellectuels de haut niveau, la plupart venant de Paris, et qui travaillaient sur différents sujets pour conserver une mémoire au judaïsme. Pierre Mendel travaille alors sur les noms des juifs français modernes, fait une étude sur les privilèges accordés en octobre 1422 aux juifs du temporel de l'évêché par Conrad Bayer, évêque de Metz, et une autre étude sur la famille Mantoux, groupe de marchands venus s'installer en Lorraine en 1747, après avoir quitté la ville de Mantoue vers 1601, ces deux dernières études devant rester encore inédites. Avec son beau-père, Ferdinand Cahen, Pierre Mendel fait partie du réseau " Madame Gayet " qui établit de faux papiers d'identité destinés au camouflage à l'égard des Allemands. Ils sont en rapport alors avec le Capitaine Israël du 2 e bureau de Lyon, en vue de l'établissement de faux papiers devant permettre l'évasion des prisonniers de guerre français d'allemagne. Dénoncés par une indicatrice, ils sont arrêtés par les Allemands le 23 décembre 1942 et transférés dans différents camps (dont celui de Beaune-la-Rolande) puis dans les prisons de Fresnes et d'epinal au début du mois d'avril 1943 et sont jugés par le Conseil de Guerre allemand d'epinal qui relaxe Pierre Mendel et Ferdinand Cahen faute de preuves.

4 Mais à cause des lois raciales, ils sont le 7 mai 1943 tous les deux transférés au camp de Drancy. Monsieur Ferdinand Cahen sera déporté au camp d'auschwitz où il sera assassiné dans une chambre à gaz. Pierre Mendel, qui devait également être déporté, aura la vie sauve, les cheminots français ayant, par une grève en juillet-août 1944, empêché le départ des trains vers les camps d'extermination. Pierre Mendel, qui aura pu quelques jours avant la Libération de Paris, sortir du camp de Drancy, reviendra avec sa famille à Metz où en février 1945 il reprend l'exercice de sa profession d'avocat à la Cour d'appel. Considéré par ses confrères et par les magistrats comme un modèle, en raison de sa connaissance du droit et du sérieux des conclusions établies pour ses clients, à trois reprises il sera élu membre du Conseil de l'ordre du au du au et du au Il sera également élu membre du Bureau d'assistance judiciaire près de la Cour d'appel de Metz et membre du comité directeur de l'association régionale des Avocats d'alsace et de Moselle. Il n'a cessé son activité d'avocat que lorsqu'il a donné le 1 er janvier 1986 sa démission. Dès 1951 son confrère, Marcel Rebourset, qui a été le premier Préfet de la Moselle après la libération de la Moselle en 1944, et le Colonel Loizillon l'ont présenté aux suffrages de notre compagnie. Pierre Mendel, sur rapport de Messieurs Jean Schneider et Emile Delort, fut élu en mars 1951 directement membre titulaire. Sa notoriété reconnue comme grand historien et son assiduité à l'académie Nationale de Metz ont fait élire en 1970 Pierre Mendel comme président et son mandat lui a été renouvelé en 1971 et Dans son allocution de président de l'académie lors de la séance solennelle du 5 novembre 1970, Pierre Mendel a exposé ses réflexions sur le rôle historique de la ville de Metz dans notre région avant 1552, rappelant notamment qu'après avoir été Divodurum Mediomatricorum, elle a été la capitale de l'austrasie puis une république appartenant au Saint-Empire Germanique. Lors des séances solennelles qu'il a encore présidées, Pierre Mendel a évoqué le 4 novembre 1971 " La Cour d'appel de Metz" avant 1870 et le 9 novembre 1972 "Le Parlement de Metz". C'est parce qu'il exerçait depuis 1930 la profession d'avocat que Pierre Mendel avait en outre fait à notre compagnie un exposé sur "La fin du barreau près la Cour Impériale de Metz d'après le journal du bâtonnier". Ce bâtonnier était Jacques Philippe Dommanget, né en 1776, lequel, réélu bâtonnier en , était chef de l'ordre lors de la capitulation du Maréchal Bazaine. Le bâtonnier Dommanget nous est cher, car il avait été membre titulaire de l'académie Impériale de Metz et en avait été élu le président le 27 décembre 1866.

5 Ce confrère exemplaire, Maître Mendel, qui n'a cessé de faire preuve de bonté, s'est naturellement vu confier par le Conseil d'administration de notre compagnie la charge de présenter l'éloge de nos confrères Emile Dalbin en 1975, Gilbert Dreyfuss en 1978 et Roger Mazauric en Mais Pierre Mendel, dont tous connaissaient la conviction religieuse, n'a cessé de publier des études sur les Juifs. En 1950 la revue des études juives avait publié un article sur "Les noms des Juifs français modernes". Puis c'est dans l'almanach KKL de Strasbourg qu'en 1958 et 1959 paraissait l'article " Les noms des Juifs d'alsace et de Lorraine " et en 1987 l'article "La Révolution Française et les Juifs de Metz". Le bulletin d'information de la Communauté israëlite de Metz a en juin 1960 publié " Le Millénaire de rabbénou Guershom et la communauté de Metz". En juin 1979 les Annales de l'est publient " Les Juifs à Metz ". Les deux derniers articles de Pierre Mendel sont de juin 1989 dans l'adama - Journal du BBYO " Etre Juif à Metz pendant la Révolution " et dans les Cahiers Lorrains d'octobre 1989 "La marche vers l'égalité. Aspects de l'histoire des Juifs en Lorraine". De son mariage contracté le 10 juillet 1938 avec Mademoiselle Odette Cahen sont nées deux filles, Claudie devenue Madame Bernard Israël et Rosie, devenue Madame François Katz, qui avec leurs enfants vivent tous dans sa ville natale à Metz, à laquelle notre confrère était si passionnément attaché qu'il lui a consacré sa vie d'historien et d'avocat, étant pour tous un exemple et un modèle. Nous partageons leur peine qui, nous le savons, est immense et nous garderons fidèlement la mémoire de Pierre Mendel qui a honoré sa ville natale, le Barreau de Metz et l'académie Nationale de Metz.