Sarai DAVID. Ne pas se moquer. Série juive n 1

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Aurélien Nadeau
il y a 7 ans
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1 Sarai DAVID Ne pas se moquer Série juive n 1

3 Comme beaucoup de gens en France, je n ai pas grandi en recevant des repères religieux. On m a toujours dit que Dieu était une invention de l esprit humain. Bien entendu, on ne m a jamais dit que tuer était une bonne chose, mais les préceptes religieux étaient dans ma maison proscrits. Pendant longtemps, je m en suis satisfaite. L éducation athée que j avais reçue me semblait la bonne, était celle qui paraissait me convenir. Puis un jour, j ai découvert le judaisme et m en suis passionnée. 3

4 Ceci n est pas un ouvrage d érudition juive, ni de vulgarisation religieuse mais plutôt un témoignage humain, une sorte de passage entre le monde dans lequel j ai grandi et celui qui s est ouvert à moi par la torah. «Ne pas se moquer» fait partie de ces préceptes religieux qui donnent un sens à notre vie. Mais notre quotidien n est pas aujourd hui fait de respect ; au contraire, se moquer des autres semble être devenu une norme, un «style» qui défie toute concurrence, comme si le rapport entretenu avec les gens relevait d une publicité agressive pour se vendre le mieux possible. La mentalité que nous développons désormais est celle du mépris, de la méchanceté. Qui n a jamais été témoin de cet enfant ou 4

5 adolescent qui est le bouc émissaire de sa classe? Cet être en formation qui s en prend plein la figure parce qu il est différent des autres. Mais s il est un thème philosophique qui plaît souvent aux adolescents, c est justement celui de la différence et de la norme : qu est-ce qui est normal? la normalité existe-t-elle vraiment? Ces questions sont un tremplin qui permettent d approfondir la reflexion sur le rapport aux autres. Un mot aujourd hui désuet est celui-ci : «nos semblables». Nous ne l entendons plus. Nous disons «les gens», «les autres», mais jamais «nos semblables» ou «notre prochain». Pourtant, le terme «prochain» est très riche de sens. On y retrouve le mot «proche». Le 5

6 prochain, c est celui qui nous ressemble, qui nous est proche. Aujourd hui, nous favorisons davantage les dissemblances plutôt que les ressemblances, comme si admettre des points communs avec autrui était une honte. Les autres sont autres que nous-mêmes, mais nous faisons partie de la même espèce ; en cela nous nous ressemblons, nous avons déjà un point commun. La société française est mouvante. Elle comporte plusieurs aspects, plusieurs visages, plusieurs communautés, religions. C est sa richesse. Mais cela peut aussi devenir une faiblesse quand il n y a plus ce respect à l égard de l autre dans sa différence. Ne pas se moquer est un principe moral mais également civil. 6

7 Quelqu un qui se moque ouvertement d une personne handicapée sera punie, dans les faits, juridiquement. La punition peut aussi prendre une forme morale : on peut lui faire remarquer que son attitude est mauvaise, méchante, bête, intolérante, humiliante. Le but est cette reprimande est de susciter une prise de conscience chez le fauteur en espérant qu il s améliore en société. Là encore, dans notre quotidien, nous entendons continuellement «ne pas fais la morale», «on fait ce qu on veut». En effet, la liberté est essentielle. Mais ne perd-elle pas son sens si elle n a plus de limites? Dire à quelqu un «ne te moque pas», c est lui faire la morale, oui. Et alors? 7

8 Ainsi, dénoncer une faute, ou celui qui la commet, devient quasiment une faute. Nous n osons plus dire ce que nous pensons calmement, de manière argumentée et intellectualisée. D où diverses réactions extrêmes en retour. Quand on ne peut pas dénoncer une faute au nom de la liberté de penser, de la liberté d action et d expression, ne brime-t-on pas le droit de parler? Ne développe-t-on pas la liberté de se taire en vivant compressé dans la confusion? Admettons les mœurs d aujourd hui. Nous ne pouvons pas vivre comme il y a 60 ans, c est impossible. Notre environnement a changé, la mentalité aussi. La provocation fait partie de notre 8

9 quotidien. Dénoncer une faute paraît être condamnable dans la mesure où cela rappelle la délation lors de la e guerre mondiale. Nous craignons de répéter la même erreur. En effet, dénoncer quelqu un au nom d une idéologie meurtrière est condamnable, mais justifier une attitude borderline au nom de la liberté est, me semble-t-il, une faute. On pourrait me contrecarrer en disant : «pour qui vous prenez-vous? savez-vous de quoi vous parlez?» êtes vous psychiatre pour parler de personnalité borderline? Je ne suis pas psychiatre et ne tiens pas à le devenir, c est bien trop compliqué! Avez-vous entendu parler de «l effet papillon»? Un battement d ailes d un papillon peut provoquer un tsunami. 9

10 Cela signifie qu un petit mot peut générer de grandes actions, bonnes ou mauvaises. Chacun de nos actes, chacune de nos paroles influencent autrui. X se moque ouvertement dans la rue, sans arrière-pensée mesquine, mais Y passe sur son chemin à ce moment-là et entend une phrase qui le blesse. X ne se rend compte de rien, continuant de se moquer sur le ton de la plaisanterie. Des souffrances non résolues refont surface dans le cœur et l esprit de Y ; le lendemain, Y se suicide. Il s agit d un exemple banal mais qui arrive fréquemment dans la réalité, notamment sur internet où des enfants, des adolescents souffrent beaucoup de certaines insultes et humiliations perpétrées à leur égard 10

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