Critique littéraire de Marius- Daniel Popescu. Les couleurs de l hirondelle

Transcription

1 Eléonore B. Marius Daniel Popescu nous livre un patchwork de fragments d une vie disséminée en tous sens, où chaque passage raconte une histoire, où chaque partie a sa propre couleur., comme l indique si bien le titre, nous fait survoler la vie de l auteur au travers d anecdotes, de tickets de supermarché ou encore de poésie tout en proposant une réflexion sur les mots, leurs restrictions et leur pouvoir, ou non, de retranscrire le réel. Sous l apparence simple d un conducteur de bus se cache un véritable écrivain. Marius Daniel Popescu, né en Roumanie le 10 juin 1963, y fonde l hebdomadaire Replica avant de partir pour la Suisse en 1990 où il crée un journal littéraire pour jeunes talents en Après deux recueils de poèmes, Marius Daniel Popescu publie la Symphonie du loup en 2007 qui remporte deux prix l année suivante : le Prix Robert Walser 2008 et le Prix culturel vaudois Vient ensuite en 2012 qui se voit rapidement décerner trois prix : le Grand Prix Littéraire du Web 2012, le Prix de l Inaperçu 2012 et enfin de Prix fédéral de littérature Ce livre, en dépits de ses trois distinctions, reste accessible à tous et peut être apprécié autant par les grands que les petits, à des niveaux différents. M. Popescu, homme à deux vies, a choisi de nous en faire part dans ce nouveau livre, Les Couleurs de l Hirondelle : Sa première vie se déroule en Roumanie. Au travers de jeux d enfants, une vie de familiale chaotique, l auteur nous livre une partie de sa vie sous la dictature du régime totalitaire de Ceausescu. Le petit garçon qui fabrique ses propres cannes à pêche grandit pour finalement devenir un homme s engageant dans l armée des révolutionnaires à la chute du régime. Après avoir rejoint la Suisse, il ne retournera que deux fois dans son pays natal : une première pour l enterrement de sa mère resté sur place et une seconde avec sa fille. La deuxième vie de Popescu est celle d un colleur d affiches à Lausanne. Marié, il aide sa femme à accoucher d une petite fille qui compte beaucoup pour lui. Il nous relate les jeux de rôles ou de mimes qu elle lui invente et auxquels il accepte de se prêter.

2 Eléonore B. Parallèlement, il nous fait part de ses rencontres insolites dans des cafés, il nous esquisse des personnes qu il observe assis à la table d un bistrot une écolière, une femme distribuant des bons au magasin, Il s intéresse également aux objets de la vie courante, comme un ticket de tribolo ou une lettre de son employeur, qu il insère dans son roman comme l artiste qui façonne un ready- made. Enfin, Marius incorpore une série de poèmes où il engage un combat avec les mots. Il y pose une réflexion sur leur pouvoir et jusqu où ils peuvent retranscrire le réel. Cette recherche et son vécu de la dictature façonnent le roman de par son contenu et son style. Ils l influencent dans sa façon d appréhender les événements ainsi que l écriture, apportant un questionnement sur la liberté de l écriture et des mots qu elle emploie. La retranscription d une pensée, du réel, est- elle possible? Ce que vous êtes en train de lire est- il vraiment ce que l auteur de l article voulait vous transmettre? Daniel Popescu en parle sous le terme de «la dictature des mots». «Les tribunaux des mots fonctionnent comme tous les autres tribunaux du monde, on devient coupable de littérature ( ) en fonction de la rareté du délit de mots» C est également à cette recherche du réel que le livre doit sa forme et son style fragmentés. En effet, le récit des deux vies de l auteur ont été comme découpés et replacés dans le livre de sorte à être entrecoupés d autres récits ou de petites anecdotes de la vie courante. Ceci dans un esprit de laisser au livre une spontanéité mentale, plus proche de la réalité qu un récit emprisonné dans un ordre chronologique. L emploi des pronoms «je ; tu ; il» ainsi que celui répétitif du terme «il y a» va également dans ce but du rapprochement du réel. C est dans la thématique de la dictature qui, comme la poussière dans l air, est omniprésente tout le long du livre, que vont s incorporer le thème de l enfance vu sous deux aspects : celui de l enfant en question l enfance de Daniel Popescu- et celui d un papa vivant avec sa fille ; ainsi que le thème du deuil, abordé dans l enterrement de la mère de l auteur. L éclatement de la structure temporelle chronologique et le style de ce roman le distingue de ses congénères. Le récit de l enterrement de la mère ainsi que l enfance en Roumanie offre le fil rouge dont ont besoin tous les romans, avec cette particularité d être entrecoupé par de petits récits de la vie quotidienne dans lesquels il nous arrive de nous reconnaître. Il permet de s ouvrir à un autre style de roman sans que cela soit toutefois trop draconien. Si le récit ne contient aucune intrigue, il présente néanmoins l avantage pour des personnes qui lisent peu d en lire quelques pages et de le reprendre une semaine plus tard sans être trop perdues. Le vocabulaire soigneusement choisi ne représente pas de grandes difficultés, rendant le livre accessible à tous. Lecteurs chevronnés ou amateurs, lancez- vous donc. Déconseillé aux personnes n aimant que les livres d action.

3 Michèle Pugin 201 Les couleurs de l'hirondelle : C'est avec les couleurs de l'hirondelle que Marius Daniel Popescu d'origine roumaine, nous raconte une histoire en noir et blanc comme les télévisions d'il y a une vingtaine d'années. Le noir symbolisant également la douleur, la tristesse et la mort, alors que le blanc signifie la vie, l'enfance et le jeu. Un homme, revenu en Roumanie pour enterrer sa défunte mère, nous fait partager ses réflexions, ses rêves et ses souvenirs.nous sommes tout de suite plongés dans l'univers de ce personnage qui effectue des constants allers-retours entre Bucarest et Lausanne. Sont présents de multiples contrastes entre son enfance l'école, ses jeux sous le parti unique - et celle de sa fille qui a grandi en Suisse et avec qui il entretient une relation touchante, mêlée de jeux de rôles. Nous nous laissons facilement porter par ce style étonnant, nouveau et original. Marius Daniel Popescu essaye de rapporter la vie quotidienne de son personnage, de manière fidèle et très détaillée, en sacralisant les éléments banals. Il nous pousse aussi à ne plus faire attention à la signification des mots, mais à les écouter, à les redécouvrir, en nous faisant participer à "leur récréation". Le changement de pronoms et l'omniprésence du "tu" pour parler du personnage principal, rend ce roman encore plus particulier. Il s'agit d'un ouvrage atypique et donc assez exigeant, mais intrigant et idéal pour les passionnés de nouveautés littéraires.

4 Timothée S. Marius- Daniel Popescu nous offre un génial OVNI écrit dans le style original qui lui est propre., c est un roman découpé, où les scènes de la vie quotidienne se mêlent aux souvenirs des jeux d enfance. C est avant tout une description quasi cinématographique avec ses zooms, ralentis, flash- backs et autres accélérés du monde de l auteur. Marius Daniel Popescu, originaire de Roumanie, a vécu la dictature communiste. Il s attache donc dans son ouvrage bariolé à libérer les mots de toutes formes de dictature que nous leur imposons. Suite de La symphonie du loup, paru chez José Corti et gagnant du prix Walser, ce roman quasi autobiographique nous plonge dans un univers du «il y a» où la précision de l écriture de Popescu, qui passerait presque pour banale, arrive à nous transmettre des émotions très fortes. Ce roman est constitué de plusieurs strates temporelles se déroulant en des lieux différents, organisées en une centaine de mini- chapitres traitant de sujets très diversifiés (ses filles, les activités ménagères, des portraits de passants). Le roman s ouvre sur une situation dure, presque cruelle : le narrateur va chercher le corps de sa mère dans une morgue roumaine au personnel corrompu. Cet enterrement sera un des fils rouges de l histoire. Peu après dans le texte, il nous conte la naissance de sa fille, ses jeux avec elle et sa petite sœur, ses souvenirs d enfance, la vie sous le régime communiste. C est grâce à tous ces passages, dispersés stratégiquement tels les coups d un jeu de bataille navale, qu à la fin on comprend la psychologie de ce narrateur à la 2 ème personne du singulier, un homme qui s efforce de décrire ce qu il voit avec le plus de précision possible, qui utilise les mots avec prudence. Ils peuvent en effet tromper le lecteur, fausser le texte, selon ce narrateur attentif à tout, pour lequel même un billet de loterie est un document digne de figurer dans un livre. C est un homme qui a vécu la censure et la propagande communiste et qui travaille, ironie du sort, comme colleur d affiches. Popescu nous fait part de tous ses points de vue sur notre société (l argent, le travail, le lien à la nature, la corruption, la mort, ) dans des passages qui ont parfois l air tout à fait banals. Il arrive à nous émouvoir sur des personnes que nous pourrions croiser à tout moment, il fait suivre des passages ayant une grande valeur émotionnelle avec une description d un billet de tribolo. Ce qui

5 peut paraître étrange au premier abord, mais qui, si l on s y intéresse un peu plus profondément, est parfois aussi porteur d émotions que le passage précédent. Ce roman est comme un film en noir et blanc, qui pourrait paraître gris et terne, mais qui foisonne d émotions sous entendues. Popescu reste ainsi fidèle à son état d esprit selon lequel tout est métaphore : donc pas besoin d en écrire en bonne et due forme. Comme il se méfie des mots, il préfère évoquer les émotions en décrivant précisément les actions des gens, quitte à affirmer que la prose et la poésie n existent pas, qu elles ne font qu un. Ainsi, ses poèmes où il libère les mots et les lettres de la langue française peuvent paraître au premier abord sans queue ni tête, mais en présentant indirectement le vécu ou les impressions de l auteur, ils contribuent autant qu un texte construit aux multiples trames narratives de cet ouvrage. Cette œuvre qui semble être un monde en soi est en fait une ouverture sur deux mondes : le monde intérieur de l auteur et notre monde à tous, fait de bonnes et de moins bonnes choses où tout vaut la peine d être vécu ou observé. «Le parti unique livrait parfois du poisson congelé dans les magasins du parti unique, les gens n aimaient pas le poisson congelé, les gens disaient que ce poisson congelé ne provenait pas des lacs et des rivières du pays, ce poisson congelé arrivait des mers et de océans du monde, les gens aimaient le poisson frais.» Ce roman et ses subtilités, malgré son écriture simple, ne sont pas à la portée de tout un chacun ; en effet, on se lance, lors de la lecture, dans une partie de pêche aux chapitres, mots et interprétations. Et comme à la pêche (que pratique Popescu), pour pouvoir saisir leur sens, il faut être expérimenté. Mais malgré tout, à la fin de la lecture de ce livre, on a le sentiment d avoir réalisé de bonnes prises, d écriture fraîche et goûteuse, et non pas d écriture froide, conditionnée à l avance et sans relief ni apport pour l esprit.