Discours de Monsieur Gérard COLLOMB Sénateur-Maire de Lyon. Borne de Verdun Place Carnot, Lyon 2 e. Samedi 19 février 2011 ** *

Transcription

1 Discours de Monsieur Gérard COLLOMB Sénateur-Maire de Lyon A l occasion du 95 ème anniversaire de la bataille de Verdun Borne de Verdun Place Carnot, Lyon 2 e Samedi 19 février 2011 ** * 1

2 Monsieur le Président de l Association «Ceux de Verdun», cher Robert Batailly, Monsieur le Président de la FARAC, Monsieur le Directeur Départemental de l Office National des Anciens Combattants, Représentant Monsieur le Préfet de la Région Rhône-Alpes, Préfet du Rhône, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Monsieur le Représentant du Conseil Régional Rhône-Alpes, Monsieur le Représentant du Conseil Général du Rhône, Mesdames et Messieurs les membres du Corps Consulaire, Monsieur le Représentant du Gouverneur Militaire de Lyon, Monsieur le Représentant du Commandant de la région de Gendarmerie, Madame l Adjointe déléguée à la Mémoire et aux Anciens Combattants, Monsieur le Maire du 2 e, Mesdames et Messieurs les Elus, Mesdames et Messieurs les Présidents d Associations et Amicales d Anciens Combattants, Résistants, Déportés et Victimes de Guerre, Mesdames et Messieurs, 2

3 Lundi 21 février 1916 : l Europe entrait dans son dix-huitième mois de guerre. Dans le secteur du Bois des Caures, sous un improbable soleil d hiver, le lieutenant-colonel Emile Driant venait de faire part de son inquiétude à ses hommes. D une implacable lucidité, il redoutait une attaque éclair de l artillerie allemande. Au petit matin, un déluge de feu s abattit sur les soldats des 56 ème et 59 ème Bataillons de Chasseurs à Pied. Neuf heures durant, deux millions d obus décimèrent les collines meusiennes et les rangs de nos armées dans une atmosphère apocalyptique. C était cela Verdun : l histoire d être humains engagés dans une guerre totale. Pour le commandement allemand, cette percée de la rive droite de la Meuse devait créer les conditions d une victoire rapide. L épilogue, nous le connaissons. Il sera tout autre : 300 jours et 300 nuits d affrontements féroces et ce bilan dont les chiffres dépassent tout entendement : morts, un demi-million d hommes mutilés, blessés, marqués dans leur chair à jamais. C est que les hommes allaient vivre des scènes inhumaines. Relatant une attaque allemande sur la rive gauche, le soldat Barriau livre son témoignage : «Nous montons au bois de la Caillette. ( ) Je ne serais pas capable de dire quelle unité nous avons relevée, car je n'ai vu d'hommes vivants que ceux de ma compagnie.» Oui, à Verdun, c est les morts que l on relevait. 3

4 Dans la lutte pour la conquête du Mort-Homme, le soldat Louis Corti du 30 e Régiment d Infanterie, raconte, lui : «On meurt de la boue comme des balles. Nous vivons sous la boue, nous voyons de la boue partout, et des cadavres, des cadavres, et encore de la boue, et encore des cadavres. On a appris à vivre dans la terre avant de mourir.» C était il y a 95 ans et cette bataille effroyable par sa durée, sa violence, par l incroyable mobilisation qu elle entrainait est devenue très tôt comme le symbole d une génération sacrifiée, sacrifiée dans son sang comme dans son âme. C était il y a 95 ans le point d orgue de 4 années de conflit qui foulèrent au pied les valeurs humaines sur lesquelles on avait cru pouvoir construire le XX e siècle. Verdun, bataille suprême, Verdun, enfer suprême sur lequel se relayèrent près des trois-quarts des combattants français. A elle seule, la Route Départementale reliant Bar-le-Duc à Verdun vit défiler chaque semaine hommes, plus de tonnes de matériel et de munitions. Cette voie sacrée, ces 75 kilomètres de terre battue, devinrent l un des symboles les plus marquants de cette conflagration, la plus meurtrière que le monde n ait jamais connue. Pour reprendre le mot de l historien Antoine Prost, cette bande de terre si durement disputée était devenue plus qu une bataille pour la défense ou la préservation d un territoire, mais un «lieu résumant et symbolisant, à lui seul, toute la guerre de 1914.» C est pour tout cela que l association Ceux de Verdun, leurs Descendants et leurs Amis commémore cette bataille, «la plus meurtrière de toute l histoire de France» comme vous le rappelez chaque année. 4

5 Cher Robert Batailly, Permettez-moi, au nom de tous les Lyonnais, au nom de la Ville de Lyon dans son ensemble, de saluer le remarquable travail que vous accomplissez, au quotidien, pour la mémoire de ces milliers de Combattants morts pour notre pays. Commémorer la Première Guerre Mondiale, commémorer Verdun, c est plus qu important, c est fondamentalement nécessaire pour rappeler ce que peut produire la folie des hommes. Jamais une guerre n avait tué autant d hommes, blessé autant de Combattants, endeuillé autant de foyers. Dix millions de morts, deux fois plus de blessés dont trois millions rien que pour la France : c est cet effroyable bilan qui sonna le glas d une partie de l histoire de l Europe. Il y eut un «avant» et un «après» Verdun. Parmi les rescapés, nul n en sortit indemne. Aux blessures des corps s ajoutait le traumatisme des esprits. Pour la plupart des Poilus, l amour de la patrie, si puissant se mua progressivement en un «amour de l humanité». La der des ders : ces Poilus voulaient croire en idéal de fraternité, de liberté, de paix. Ils le voulaient pour les peuples d Europe. Ils le voulaient pour que plus jamais pareille catastrophe ne se répète. Ils le voulaient pour les enfants, pour l avenir de nos pays. 5

6 Pourtant, on le sait, cette aspiration resta largement sans suite, sans écho. Certes, des hommes comme Aristide Briand avaient nourri pour l Europe un grand destin fédéraliste. Certes, il y eut la Société des Nations dont les balbutiements pouvaient laisser croire que cette guerre serait bel et bien la «Der des Ders». Certes, il y eut, ça et là, de part et d autre du Rhin des cérémonies pour célébrer le rapprochement, l entente, voire même l amitié franco-allemande! C était vingt ans après Verdun, le 12 juillet 1936, devant l ossuaire de Douaumont, des combattants français et allemands saluant, main dans la main, la mémoire de leurs camarades tombés au champ d honneur. Ce jour-là, ensemble, ils firent le serment de tout mettre en œuvre pour assurer «une paix indivisible dans l union fraternelle d une humanité libérée». Et pourtant, ils ne purent assister, impuissants dans les années qui suivirent à l inexorable montée des nationalismes qui s empara une fois de plus de l Europe. Indicible consternation pour cette génération qui savait tout des horreurs de la guerre et dont l espoir se trouvait annihilé. Au fond, la France et ses alliés avaient gagné la guerre, ils n avaient pas su gagner la paix dans un Traité de Versailles perçu par les uns comme un «Diktat», par les autres comme une «victoire mutilée». Il fallut donc encore une autre guerre, et encore plus de barbarie pour que leur rêve puisse finalement prendre forme. 6

7 Il aura fallu, comme le disait mon ami Robert Badinter «traverser au son du tragique carillon du 20 e siècle» l horreur absolue, non plus d une lutte d hommes contre les hommes mais la barbarie des crimes contre l humanité pour qu enfin on comprenne l ardente nécessité d unir les peuples de l Europe. Nous avons depuis construit l Europe de la paix, une Europe humaniste mais nous voyons jour après jour que l Europe n est pas un acquis éternel, que c est un défi de tous les jours! Cette Europe, nous en percevons toutes les carences, toutes les fragilités et nous savons qu il faut chaque jour en protéger la flamme. Cette flamme, nous devons la protéger. Cette Europe, nous devons la faire nôtre. Nous le devons pour tous les morts et toutes les victimes de ces conflits sanglants du XX e siècle. Nous le devons pour ceux de Verdun, nous le devons pour les générations d aujourd hui et de demain afin qu elles puissent vivre libre dans une Europe débarrassée des oripeaux du passé. L Europe, oui, nous le devons à notre histoire. Nous le devons au présent. Nous le devons pour l avenir! 7