E n avril 1914, le général Gallieni, commandant la V e Armée, est atteint

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1 Gallieni et la Marne Le général Gallieni est l homme dont la prompte décision a donné la victoire de la Marne Georges CLEMENCEAU E n avril 1914, le général Gallieni, commandant la V e Armée, est atteint par la limite d'âge. Au Conseil des Ministres, M. Noulens qui détient le portefeuille de la Guerre, propose de le maintenir en activité, horscadres, pour services exceptionnels. Cette suggestion n'est pas entièrement retenue et le Gouvernement décide de ne laisser à Gallieni que la présidence du Comité de Défense des Colonies. Le 4 juillet, le général quitte Paris pour La Gabelle, petite propriété qu'il possède près de Saint-Raphaël où, avec sa femme, il espère terminer ses jours, en mettant au point les notes et les réflexions qu'il n'a cessé de jeter sur ses carnets au cours de sa carrière. Le 28 juillet, Mme Gallieni meurt. Cette brusque disparition affecte cruellement le grand soldat qui, trois jours plus tard, est rappelé d'extrême urgence par le Gouvernement. A son arrivée à Paris, Gallieni rend visite au général Joffre qui lui apprend qu'il l'a demandé comme son remplaçant éventuel à la tête des Armées de l'est. Le Ministre de la Guerre lui fait tenir une lettre de commandement rédigée dans ce sens, datée du 31 juillet, signée Poincaré et contresignée par Messimy. Bien que généralissime adjoint, Gallieni est maintenu à Paris. Joffre sachant que son second ne partage pas entièrement son point de vue sur la manœuvre offensive ennemie fait savoir au Ministre de la Guerre que "son adjoint n'avait pas sa place indiquée à ses côtés" (1). Dès mars 1914, au cours d'un kriegspiel au Centre des Hautes Etudes Militaires, Gallieni avait tenté de faire admettre comme possibilité ennemie la plus dangereuse et la plus probable, l'attaque allemande par la Belgique. Il ne fut pas écouté (2). Le Commandement s'en tenait à l'offensive, espérant enfoncer "à travers Meuse, Ardennes, Semois et Chiers, le centre des forces allemandes pour se rabattre ensuite sur leur aile droite et les rejeter à la mer" (1). (1) D'après Messimy, Ministre de la Guerre. " Revue de Paris" du 15 septembre ( 2 ) D'après " Réputations ", du capitaine B.N. Liddell Hart. FNAOM-ACTDM / CNT-TDM 1

2 La machine allemande est en marche. Malgré son héroïque résistance, la Belgique est envahie, et l'aile gauche francoanglaise débordée. Du 21 au 24 août, une série de revers se rattachant à la défaite de Charleroi, consacrent l'échec de l'offensive française. Paris est directement menacé. Le Gouvernement craint pour la capitale. Le camp retranché n'est tenu que par une infime garnison (1). Ses ouvrages ni ses stocks ne sont en état de recevoir le choc ennemi. Le 25 août, le Ministre de la Guerre convoque Gallieni pour lui faire connaître qu'il veut lui donner le commandement des armées de Paris. Dans la nuit du 24 au 25 août, il rédige un ordre général prescrivant au G. Q.G. d'envoyer une Armée, composée de trois corps actifs, pour assurer la garde de la capitale. Cet ordre, signé à cinq heures du matin, est porté au général Joffre dans la matinée par le colonel Magnien. Au G.Q.G. l'échec de l'offensive est admis. On met sur pied l'ordre général du 25 août. Celui-ci prévoit d'une part le repli jusqu'à la rive gauche de la Somme qui devra être atteinte le 1 er septembre et, d'autre part, la composition, sur l'aile gauche des armées, d'une masse de manœuvre comprenant l'armée anglaise et les IV e V e et VI e Armées françaises, destinées à reprendre l'offensive. A la date du 1 er septembre, les Allemands se trouveront trop près de la Somme pour que cette masse de manœuvre puisse trouver son espace de déploiement, et la retraite continuera vers le Sud (2). Le 26 août, à dix heures, le Ministre de la Guerre annonce à Gallieni qu'il est nommé Commandant du Camp retranché et des Armées de Paris. A dix-sept heures, le nouveau Gouverneur, remplaçant le général Michel, réunit ses chefs de service. Il ne leur cache rien de la gravité de la situation : les Allemands seront sous peu devant Paris, dont la défense a été jusqu'à présent négligée. Il reste encore quelques jours. Chacun doit se mettre à l'œuvre avec la dernière énergie et fournir un énorme effort. Des sanctions immédiates seront prises contre les défaillances. Ce langage sec, net, autoritaire, galvanise les énergies. Le 29, Gallieni écrit à Joffre " pour lui exposer la situation du camp retranché et sa manière de voir sur le rôle et sur la défense de la Place ". Il lui demande d'urgence une Armée de renfort. En exécution de l'ordre du 25 août, le G.Q.G. a créé le 27, la VI e Armée (3), placée sous le commandement du général Maunoury. Suivant le repli général du front, cette unité se dirige vers Clermont, dans l'oise. Gallieni, qui a obtenu un renfort de marins, ne commande pas encore directement cette armée qui ne sera mise à sa disposition que le 1 er septembre (4). Cependant, il en prévoit déjà l'emploi (5). La Place devant la Mairie de Gagny d où sont partis les Taxis de la Marne (1) Quatre divisions de réserve. ( 2 ) D'après le général Bonnal dans " La Renaissance ". (3) VII e C.A. moins la 13 e D.I., 5 e D.I. de réserve. Le 1 er septembre, le IV e C.A. venant de Verdun et la 45 e D.I. venant d'algérie seront intégrés à la VI e Armée. (4) Ordre verbal du Ministre de la Guerre et ordre téléphonique du G.Q.G. ( 5 ) Carnets de Gallieni. FNAOM-ACTDM / CNT-TDM 2

3 Reproduction et traduction des ordres d opérations allemands de la 7 Division de réserve, trouvés déchirés après la bataille de la Marne et reconstitués morceaux par morceaux (Col. Mme Gallieni) FNAOM-ACTDM / CNT-TDM 3

4 Le 30, la retraite continue. Le Président de la République convoque le Gouverneur de Paris et lui demande combien de temps la capitale peut tenir, et quand le Gouvernement doit partir. Gallieni répond " Paris ne peut pas tenir et le Gouvernement doit partir tout de suite! ". Au Conseil des Ministres, il expose la situation: batteries non armées, munitions pas en place, ouvrages d'infanterie à peine ébauchés, garnison trop faible puisque l'armée d'activé qu'il a demandée ne lui est toujours pas donnée. Le 31 août, les avantpostes du Camp retranché prennent liaison avec les armées en retraite. Le 1 er septembre, le rétablissement sur la Somme prévu par le G.Q.G. est impossible. " Le général en chef renonce à son projet de la reprise de l'offensive vers le Nord, et fixe comme ligne de rétablissement Bray-sur-Seine, Nogentsur-Seine, Arcis-sur-Aube, Vitry-le-François et la région nord de Bar-le-Duc. Le 2 septembre, il fait connaître que son but était de soustraire les armées à la pression de l'ennemi en les amenant à se réorganiser et à se fortifier dans la zone en fin de repli, limitée par la ligne Pontsur-Yonne, Nogent-sur-Seine, Arcis-sur-Aube, Bienne-le- Château et Joinville " (1). Paris n'est pas inclus dans cette manœuvre. Cependant, le 1 er septembre, Gallieni téléphone à Joffre et le met au courant de l'état précaire du camp retranché, Foffre lui donne l'armée Maunoury, mais ne peut faire plus. Gallieni réunit ses chefs de service, exige un nouvel effort, fait réquisitionner les taxisautos et écrit dans ses carnets : " Je crois qu'on sera prêt à tirer demain ou aprèsdemain ; on a fourni un effort gigantesque ". Le 2, l'armée Maunoury continue son mouvement vers le nord du Camp retranché tandis que l'armée anglaise s'est retirée à l'est, dans la région de Dammartin-en-Goële et Lizy-sur-Ourcq. L'aile droite allemande atteint Creil et Senlis. Le Gouvernement doit partir le lendemain. Gallieni lui soumet la fameuse proclamation du 3 septembre qui sera affichée, dès que le Gouverneur restera seul responsable de la capitale. Maunoury parvient à retraiter en ordre sans se laisser couper de Paris. On se prépare à l'assaut. La ville doit être défendue à outrance. Le 3 septembre, vers midi, les renseignements fournis par la cavalerie et par l'aviation du camp retranché de Paris confirment à Gallieni que la 1 ère Armée Allemande s'infléchit vers le Sud-Est. Ce mouvement de l'armée Von Klück avait déjà été signalé la veille par un ordre ennemi découvert par le capitaine Fagalde sur un officier allemand tué. Gallieni demande aux aviateurs du capitaine Faucompré de vérifier cet infléchissement, dès l'aube du 4 septembre. Cependant, à Paris, l'ambassadeur des Etats-Unis, Myron T. Herrick, pour lequel l'entrée des Allemands à Paris est indubitable, et qui a été averti par le G. Q.G. allemand " qu'il serait préférable pour lui de quitter Paris ", reste sur place, avec l'ambassadeur d'espagne, pour constater les atrocités éventuelles et pour protéger les citoyens américains. A midi, Gallieni adresse aux troupes du Camp retranché ces renseignements : " Un corps d'armée allemand, vraisemblablement le II e, s'est porté de Senlis vers le Sud, mais n'a pas poursuivi sa marche sur Paris. D'une manière générale, les forces allemandes qui se trouvaient face à la VI e Armée paraissent s'être orientées vers le Sud-Est ". Dans la soirée, Gallieni pense à lancer Maunoury dans le flanc de lîa 1 ère Armée Allemande. Au G.Q.G., Joffre décide que l'armée Anglaise participera à la défense de Paris. Cette directive parvient au camp retranché le 4 au matin. Ce même jour, à neuf heures, Gallieni envoie à Maunoury cet ordre particulier : " En raison du mouvement des armées allemandes qui paraissent glisser en avant de noire front dans la direction du Sud- Est, j'ai l'intention de porter votre armée en avant, dans leur flanc, c'est-à-dire dans la direction de l'est, en liaison avec les troupes anglaises. Je vous indiquerai votre direction de marche dès que je connaîtrai celle de l'armée Anglaise; mais prenez dès maintenant vos dispositions pour que vos troupes soient prêtes à marcher cet après-midi, et à entamer, demain 5 septembre, un mouvement général dans l'est du camp retranché. Je mets la 45 e Division, dès maintenant, sous vos ordres ". Il y a là une occasion. Gallieni veut la saisir. Se référant à la note datée du 2 septembre, émanant du G.Q.G., il est en droit de penser que le repli au sud de la Seine n'est qu'un pis aller pour le Général Commandant en Chef, qui espère reprendre l'offensive dès que possible. Il le tient au courant du mouvement Von Klück. Sans aucun doute pour lui, celui-ci, peut avancer le moment de l'offensive. Dans la journée du 4 septembre, par trois fois, les deux généraux se concertent. Pour profiter de la situation, il convient de faire vite en mettant le maximum de chances de son côté. A l'etat Major du général Joffre certains sont partisans de l'attaque dès le 6, d'autres plus réticents. L'Armée Anglaise manque pour le moment d'esprit offensif, alors que sa marche en avant est indispensable à la réussite de la manœuvre. Enfin, le soir, Joffre a pesé la situation et, ayant gagné l'accord de French, se rallie aux intentions de Gallieni et de son 3 e Bureau. A 20h30, dès l'accord obtenu, le Commandant de Paris envoie l'o.g. n 5 qui, le lendemain, orientera Maunoury vers l'ourcq. " La bataille de la Marne était gagnée dès la fin de la conversation de Joffre et de Gallieni " (2). Le 5 septembre, à midi, Maunoury se met en marche vers le flanc de l'armée allemande. Les 55 e et 56 e Divisions et la Brigade Marocaine tirent les premiers coups de feu de la victoire. (1) "Général Bonnal", ouvrage cité (2) Winston Churchill dans " La Mission du colonel Hentsch ". FNAOM-ACTDM / CNT-TDM 4

5 Le lendemain, conformément aux ordres donnés le 4 au soir par le généralissime,!a bataille de la Marne se déclenche tout le long de la ligne. L'action est victorieusement engagée par Maunoury. L'armée anglaise ne reprenant pas l'offensive avec assez d'ardeur. Von Klück diminue les effectifs qui lui sont opposés pour les lancer contre Maunoury. Le 6 au soir, au su de ces renseignements, Gallieni fait renforcer au maximum la VI e Armée. Dans la nuit du 7 au 8, six mille hommes de la 7 e D.I. sont transportés par taxis-autos, moyen nouveau qui a tant frappé l'imagination populaire. Le 8 septembre, le général Joffre reprend la VI e Armée sous ses ordres directs. Le rôle actif de Gallieni pour la bataille de la Marne, s'arrête à cette date. Telle a été l'action de Gallieni. C'est lui qui, tenu éloigné du combat, maintenu à Paris, reçoit la terrible mission de défendre la capitale ; lui qui par son action, son rayonnement, son prestige, sa haute connaissance des hommes et des choses militaires, rétablit rapidement la fâcheuse situation qui lui est confiée. Dès que l'armée Maunoury est placée sous ses ordres, il accentue encore la préparation de la défense. Le mouvement de Von Klück voulant encercler l'aile gauche française lui paraît une occasion inespérée. Son coup d'œil et son esprit de décision la lui font saisir. Le général Joffre se rallie à cette solution dès qu'il en a pesé ses conséquences. L'ordre est lancé. La victoire est certaine. Gallieni la vit totalement. Il donne à Maunoury tous les moyens dont il dispose. Paris est sauvé. Après la victoire, d'aucuns ont tenté de minimiser le rôle de Gallieni ; d'autres celui de Joffre. Ces deux grandes figures de notre Armée ont dans ce formidable redressement, chacun à leur échelon, une part de la victoire. Nous ne nous permettrons pas d'entrer dans cette querelle vaine et inutile, car nous sommes persuadés que les vainqueurs de la Marne ce sont les soldats de France, et que Joffre, comme Gallieni, étaient de véritables soldats de France. Capitaine J. COGNIET. Dessin original d Abel Cann (Col. Mme Gallieni) Paru dans la revue TROPIQUES n 366 octobre 1954 FNAOM-ACTDM / CNT-TDM 5