Comment bien protéger une marque?

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1 -Plats de consistance- Comment bien protéger une marque? M e Emmanuel Mouchtouris est avocat spécialisé en droit des affaires. Membre de la Chaire de régulation du droit de la Propriété Intellectuelle, il co-dirige le cabinet Saint-Cyr Avocats). Il enseigne aussi le droit des contrats et le marketing juridique à l Ecole Européenne de Management. Ses conseils sont utiles à tout responsable d entreprise désireux de mieux protéger ses marques et ses modèles, au moment où la créativité, le savoir-faire et la matière grise sont plus que jamais les meilleures armes anti-crise et les meilleurs atouts face à la concurrence. Y compris en cuisine 1/ Culture Cuisine

2 Culture Cuisine : Qu entend-t-on par marque et de fait que peut-on déposer à ce titre? M e Emmanuel Mouchtouris : À mes yeux, la marque est un être hybride: elle est à la fois le nom et l'âme d'un produit ou d'un objet ; sa signification ; et, pour certaines, le vecteur d'un rêve. On peut ainsi s'autoriser une vision poétique de la marque, dont elle est d'ailleurs parfois pourvue. D un point de vue juridique, dans une acception qui n est pas différente de celle du langage commun, la marque est un signe : mot, image, graphisme, qui sert à distinguer les produits ou services d une entreprise ou d une personne. Généralement visible, mais pas uniquement, puisqu il est possible sous certaines conditions de déposer une odeur à titre de marque, elle peut être verbale, figurative, unidimensionnelle, bi ou tridimensionnelle, noire ou blanches, en couleurs, être constitué d un seul mot ou bien d un slogan, d un logo, ou de tout autre signe de ralliement qui va caractériser ce signe distinctif qui appartient à l entreprise ou à la personne qui l exploite, et lui procurer un avantage concurrentiel. J aime beaucoup ce terme d «avantage concurrentiel», très explicite de ce qu est et à quoi sert une marque de fabrique de commerce ou de service. Pour simplifier, on peut déposer à titre de marque, tout signe susceptible de représentation graphique qui soit apte à distinguer les produits ou services d une entreprise de ceux d un concurrent. Ainsi, sont déposables, les signes de fantaisies, mais également les termes courants : le terme choisi n a pas à être original ou nouveau dès lors qu il caractérise suffisamment l objet auquel il est appliqué (Savon Le Chat, Culotte Petit Bateau, ).. On peut déposer un monogramme, un chiffre (N 5 de Chanel), des lettres : IBM ou SVP. Ou bien encore un signe sonore pour autant qu il soit susceptible de représentation graphique sur une portée musicale : l annonce de la SNCF. On peut également déposer son propre patronyme ou un nom géographique à condition qu il ne soit pas déceptif ou susceptible de créer une confusion avec une appellation d origine ou une indication de provenance : Le terme«broadway» peut valablement désigner une marque de vêtements, sans nécessairement supposé que les produits soient fabriqués sur le territoire américain. C.C : Quelles sont les règles de base à observer lorsque qu on dépose une marque? M e E.M : Il faut s assurer que la marque est disponible, c'est-à-dire qu elle ne soit pas utilisé par une personne physique ou morale dans la même catégorie de produits et services que celle dans laquelle ou lesquelles vous souhaiteriez l utiliser vous aussi. Evidemment, il y a lieu de veiller à la conformité de la marque envisagée avec ce qu il est habituel d appeler l Ordre Public est les bonnes mœurs. Sur ces principes purement moraux, a été rejeté l enregistrement de la marque CANNABIA pour des produits alimentaires. Je ne vous apprends pas, 2/ Culture Cuisine

3 en revanche, que la marque«opium» a connu et connait encore quelque succès On s attachera à ne pas déposer une marque pouvant être considérée comme trompeuse : est déceptive, ou trompeuse, la marque qui porte des indications propres à tromper le public sur la nature, les qualités ou l origine du produit ou service. La marque est déceptive si elle comporte, pour un consommateur moyen un risque de tromperie. «EVIAN FRUITÉ» a été considéré comme laissant faussement croire à une origine géographique dès lors que la boisson qui y était associée ne contenait pas d eau minérale d Evian. Les bonbons «ORIENT» n ont pas subi d interdiction, tant il est entendu que des bonbons à la menthe ne proviennent pas nécessairement de la région considérée. Il existe enfin des interdictions spéciales, en vertu d un texte de loi précis, portant, par exemple, sur l emblème et la devise olympique, les décorations françaises et étrangères, l emblème de la Croix Rouge. C.C : Avec la multiplication des marques et une certaine «judiciarisation» de notre société, est-il de devenu plus difficile de créer et de déposer une marque qu il y a 5 ou 10 ans? M e E.M : Non, je ne le pense pas, l imagination humaine est sans limites! En outre, la possibilité de juxtaposer les signes, les formes, les couleurs, les sons et même, dans une certaine mesure les odeurs, engendre autant de combinaisons possibles. Sans doute y a-t-il plus de contentieux en matière de marque qu il y a quelques années, mais ce n est pas tant la judiciarisation de la société, pas plus inflationniste dans le contentieux de la propriété intellectuelle que dans les autres domaines du droit, qui en est responsable, mais plutôt l explosion de modes de communications et d informations qui génère davantage de créations et notamment de dépôt de marque. Il semble néanmoins que les actions en déchéance de marque destinée à«récupérer» une marque supposée redevenue disponible connaisse une certaine augmentation. Le législateur français a opportunément circonscrit et structuré la gestion des procès en confiant le contentieux en matière de marque à des formations spécialisées, à 10 tribunaux seulement. Sur le plan communautaire, il est également envisagé de confier à une seule juridiction, on parle de l établir à LONDRES, et en dépit d une opposition de Madrid et Rome, le contentieux des marques en Europe. C.C : Puis-je déposer une marque en cuisine équipée ou en électroménager, si elle existe déjà en France dans d autres secteurs d activité? M e E.M : Oui, sans difficulté, Prenez la marque AVIVA par exemple, palindrome utilisé depuis de très nombreuses années par une Compagnie d assurances et à présent pour une marque de cuisine équipée. C est possible, Oui, sans difficulté, pour autant qu effectivement la dénomination envisagée ne soit pas déposée pour une activité connexe à celle du secteur spécialisé et qu existe objectivement un risque de confusion. La classification de Nice qui décrit les types de produits et services dans lesquelles il est possible de déposer une marque permet de savoir, sans se tromper, si une marque a été ou non déposée. Il existe néanmoins des marques jouissant d une telle notoriété qu il est impossible ou improbable de déposer des termes ou formes identiques même pour d autres activités. Je suppose que les cuisines «Yves Saint Laurent» auraient quelque peine à maintenir une telle dénomination. 3/ Culture Cuisine

4 C.C : Comment est t on sûr qu une marque est disponible? M e E.M : A défaut de recherches sommaires, nul ne peut être certain de déposer une marque originale. Contrairement à ce qu il existe en matière de brevets, il n existe pas, pour les marques de recherche d antériorités. C est assez logique dans la mesure où le nombre de demande de dépôt des marques en plus d être très important, supposerait que soit exercé sur ces demandes de dépôt, une appréciation subjective de la part du service de l Institut National de la Propriété Industrielle. Depuis quelques années, l INPI propose toutefois de consulter sa base de données. Cette consultation ne vaut en aucun cas un conseil juridique adapté sur la disponibilité de la marque et pas davantage ne vous garantit de la réaction du titulaire d une marque dans une classe proche de celle dans laquelle vous souhaiteriez déposer votre propre marque. C est notamment le cas en matière de juxtaposition de termes que le problème risque de se poser. Si le terme «PLATINIUM» est déjà déposé, il est a priori possible de déposer «PLATINIUM NUTRITION»,si il n existe pas de risque de confusion avec des classes de produits déposés sous la marque «PLATINIUM». En matière de cuisine équipée, il existe un site qui répertorie les marques existantes : cuisirama.com. Consulter cette base de données et d autres n est pas inutile et constitue de toutes façons, une première approche intéressante. A compter du dépôt de la publication de la demande d enregistrement de la marque à l INPI, les éventuels opposants disposent d un délai de deux mois pour faire valoir leurs objections à l enregistrement définitif de la marque. C.C : Une marque déposée mais non utilisée commercialement est-elle encore protégée? M e E.M : Non, elle risque l action en déchéance de marque dès lors qu elle reste inexploitée pendant une durée ininterrompue de 5 ans à compter de la publication de son enregistrement. Il appartient au titulaire de la marque d établir qu il exploite réellement celle-ci. En droit, c est une situation particulière puisque c est celui qui est attaqué qui doit prouver qu il n est pas défaillant et non à celui qui engage l action d apporter la preuve de ce qu il avance. Egalement, le titulaire de la marque lui-même peut renoncer à son droit sur la marque. Il existe également une hypothèse particulière c est celle du perte du droit sur une marque devenue usuelle pour désigner le produit ou l objet qu elle désigne, «Frigidaire» par exemple. C est ce qu on appelle dégénérescence de la marque : Cette situation est la conséquence du succès de la marque auprès du public qui l a adoptée au point d en faire le nom commun du produit. La marque acquiert ainsi un caractère générique qui lui fait perdre son droit d être une marque : La rançon de la gloire en quelque sorte! 4/ Culture Cuisine

5 C.C : Existe-t-il d autres types de protection? M e E.M : Il y a d abord la possibilité de ne pas enregistrer sa marque. Sérieusement : en marge du fait que le droit sur la marque est né à l origine, avec le premier usage de celle-ci, et non attaché aux formalités de dépôt, il peut être stratégique de ne pas déposer une marque. Le système français privilégie le dépôt mais il attribue une valeur juridique, limitée certes, mais réelle à une marque non déposée. Ne pas déposer la marque pallie à une éventuelle faiblesse formelle (descriptivité, emploi d un terme générique, d un son particulier, etc.) et peut éviter un rejet de la marque. Il existe des marques très fortes sur le plan marketing, mais peu structurée sur le plan juridique : par exemple le dépôt de «92 cuisine» pourrait être refusé par l INPI, mais rien ne vous empêche de l utiliser de manière informelle en région parisienne sans risquer une objection en raison du dépôt de la marque «33 cuisines» à Bordeaux. Le dépôt d un nom de domaine, moins couteux, plus facilement modifiable, plutôt que celui d une marque peut apparaître plus adapté. Enfin, toutes les œuvres de l esprit, en ce compris les marques non déposées, bénéficient d une protection particulière sur la base du droit d auteur. C est d ailleurs toujours sur ce fondement que j agis, par priorité, dans les procès en contrefaçon de manière à contrer et évaluer les éventuelles oppositions formelles. C.C : Que faire si on est victime de contrefaçon de sa marque? M e E.M : On consulte un avocat! Plus schématiquement, on commencera par alerter par courrier recommandé le supposé contrefacteur de son«erreur». Il est toujours préférable de connaitre la position et l argumentaire de son potentiel adversaire avant d engager les hostilités. Une action judiciaire en contrefaçon peut se solder par une annulation de la marque. Les procès de cette nature sont toujours extrêmement sensibles et potentiellement susceptibles de se retourner contre LEUR initiateur. Et puis, en dépit du fait que la loi française, en la matière, ne reconnaisse pas la bonne foi et l erreur éventuelle du contrefacteur, il est préférable de négocier afin d éviter un procès long et couteux. J ai lu récemment qu un blockbuster américain avait, en citant la marque, utilisé un faux sac VUITTON dans son film et que LVMH s en ETAIT bien légitimement formalisé. Il est toujours intéressant de déterminer si il s agit d un usage maladroit (savait t on qu il s agissait d un faux), et donc faire cesser la contrefaçon ou d une atteinte caractérisée à la marque. C.C : Comment peut-on étendre et protéger sa marque à l étranger? M e E.M : C est pour l heure encore un peu complexe et fastidieux puisqu en marge d un système de priorité pour les dépôts effectués dans le cadre de la convention de Paris, il est nécessaire de réitérer les dépôts dits «réflexes» dans les autres pays que celui du dépôt initial dans les six mois de celui-ci et dans chacune des langues des pays concernés. En cas de difficulté administrative, la marque peut être fragilisée. Le système est en passe d être simplifié au niveau communautaire où un dépôt dans un pays de l union sera automatiquement étendu aux autres pays de l Union. Propos recueillis par J.A 5/ Culture Cuisine