ARTICLE AUTOMATISATION : UNE EVOLUTION TECHNOLOGIQUE ET DES PRATIQUES AU SERVICE DU PATIENT Résumé La diversité des pathologies, l accroissement de la durée de vie, les diverses structures de prise en charge, le parcours de soins et ses différents acteurs ont un impact certain sur la iatrogénie médicamenteuse devenue une priorité nationale. La réglementation relative au circuit du médicament a donc évolué, exigeant une coordination entre les professionnels concernés, une meilleure traçabilité des actes et une facilité d accès aux soins avec une qualité et une sécurité de prise en charge individuelle et nominative renforcées des patients. Afin de répondre à ces exigences, l automatisation vient dorénavant s intégrer au circuit du médicament au sein de nombreux établissements de santé. Au Centre Hospitalier Spécialisé George Sand à Bourges, la PDA (Préparation des Doses à Administrer) pour les formes orales sèches a été déployée en 2013 avec la mise en place de deux automates. Un investissement qui remporte, aujourd hui, un réel intérêt tant pour le personnel soignant que pharmaceutique même si le processus nécessite encore d évoluer techniquement et réglementairement. Introduction : Contexte Général - Pourquoi l automatisation? La prise en charge médicamenteuse (PCM) est un processus complexe de par : - La diversité des pathologies, le degré d urgence, la gravité couplée à la diversité des thérapeutiques et le terrain des patients - L intervention de différents acteurs de santé : le médecin, le pharmacien, le préparateur en pharmacie, l infirmier, mais aussi le patient qu il faut informer sur le traitement - De nombreuses étapes en des lieux différents - La nécessité de diffuser l information adaptée De cette complexité et de la répétition des actes résultent des mésusages et de nombreux événements indésirables médicamenteux comme en témoignent 1
les chiffres de l ENEIS 2009. En effet, au niveau national, 374 Évènements Indésirables Graves (EIG) dont 123 sont liés aux médicaments. Parmi ces derniers, 191 auraient pu être évités et 203 ont motivé une hospitalisation. (Chiffres issus de l ENEIS 2009). De même, les résultats de la procédure de certification par la Haute Autorité de Santé des établissements de santé (version V2010) montrent que la thématique de la prise en charge médicamenteuse (PCM) est le critère le plus impacté par les décisions de recommandations, réserves, et réserves majeures. Règlementairement, l arrêté du 31 mars 1999, qui précise les conditions de prescription, de dispensation, d administration des médicaments et prévoit l informatisation des prescriptions, est modifié par l arrêté du 6 avril 2011 qui impose un renforcement du management de la qualité de la prise en charge médicamenteuse, notamment au niveau de l identification et de la traçabilité des doses jusqu à l administration au patient, ainsi que par une analyse des risques à priori et à posteriori. La loi HPST (Hôpital, Patient, Santé, Territoire) du 21 juillet 2009 relative à la politique de santé publique inscrit la prévention et la réduction de la iatrogénie médicamenteuse comme une priorité de santé publique. En outre, le décret du 12 novembre 2010 relatif à la lutte contre les évènements indésirables associés aux soins impose aux établissements de santé la mise en place d organisations spécifiques, concernant en particulier le circuit du médicament. Le Plan hôpital 2012 prévoit que plus de 70% des projets concernent l informatisation du circuit du médicament. L automatisation de la préparation des doses à administrer (PDA) vient s intégrer au circuit du médicament afin de le sécuriser. Applicable en ville comme à l hôpital, elle garantit à la fois une traçabilité thérapeutique, la communication de l information sur le traitement et une prise en charge individuelle nominative. Elle permet aujourd hui de diminuer de 30 à 80% les EIM (évènements indésirables médicamenteux). Sans oublier qu un patient bien informé intercepte à lui seul 2% des erreurs. 2
Suite aux réserves formulées lors de la visite de certification en 2012, le Centre Hospitalier Georges Sand a élaboré en 2013 un projet d automatisation du circuit du médicament, nécessitant l acquisition de deux automates de préparation des doses de médicaments formes orales sèches (société Baxter ). Cette installation a été rendue complexe du fait de la répartition des services de soins sur 3 sites avec un service d Accueil d Urgence et d Orientation Départementale (CAOD) ainsi qu une structure atypique d Accueil Familial Thérapeutique (AFT). Pour la mise en place des automates dans l institution, une partie de l équipe pharmaceutique a reçu une formation de 3 jours en Hollande. Le reste de l équipe a été formé sur place lors de l installation par les techniciens de Baxter. Des services «pilotes» ont été choisis pour la mise en œuvre, en fonction de leur activité et de leur implication dans le projet (facilite l adhésion). Un guide de présentation a été élaboré par l équipe pharmaceutique puis présenté en réunion préparatoire pluridisciplinaire afin d expliquer le fonctionnement et rappeler les objectifs de l automatisation sur l établissement. Le déploiement a eu lieu de janvier 2013 à septembre 2014 pour l ensemble des sites, pour un total de 907 patients (443 patients sur le site de Dun sur Auron, 239 pour le site de Bourges et 225 pour le site de Chezal Benoît). L automatisation en pratique, c est quoi? En pratique, l automatisation se décline en différentes étapes. Tout d abord, les prescriptions informatisées sont analysées et validées par les pharmaciens. La liste des formes orales sèches (FOS) qui feront l objet de la préparation des doses à administrer est établi par l équipe pharmaceutique en lien avec le livret thérapeutique. La PDA comporte 2 grandes étapes : le déconditionnement et le reconditionnement. 3
Pour être incorporées à l automate, les spécialités sont déconditionnées. Pour cela, le PPH cueille les spécialités d un même lot en fonction des consommations. Il remplit une fiche de déconditionnement correspondant à chaque spécialité cueillie. Ces dernières sont ensuite contrôlées par un 2eme PPH qui va procéder à leur déconditionnement. Cette opération consiste à retirer la spécialité de son conditionnement primaire tout en conservant le lot et la date de péremption afin de garantir la traçabilité lors de l introduction dans les cassettes de l automate. La production des doses nominatives de médicaments est pré programmée en fonction des besoins des services. Les doses sont produites selon un rythme défini avec le service de soins : soit de façon journalière, soit hebdomadaire ou bi hebdomadaire. Les médicaments sont répartis dans des sachets individuels nominatifs mono doses (une spécialité par sachet), ou multi doses (plusieurs spécialités par sachet) suivant la demande des services. L ensemble de la production est contrôlé qualitativement et quantitativement à la sortie de l automate par le PPH et validé par le Pharmacien avant son acheminement dans les services. Tous les six mois, une maintenance préventive des automates est réalisée par le fournisseur. Des nettoyages journaliers sont effectués par les PPH, et des contrôles microbiologiques sont effectués chaque trimestre par le responsable hygiène. Le service logistique livre les productions au sein des services de soins. Lors de la réception, les infirmiers contrôlent les sachets produits au regard de la liste des patients hospitalisés. Cette liste est imprimée par l équipe pharmaceutique lors de la production. Au moment de l administration, les mentions figurant sur les sachets permettent à l infirmier de vérifier que les médicaments sont administrés au bon patient, en conformité avec la prescription en cours. En cas de modification des prescriptions, les infirmiers doivent intervenir manuellement grâce à la dotation détenue dans le service de soins ou en retirer les spécialités. Les infirmiers doivent signaler les non- 4
conformités et les «mouvements patients» à la pharmacie pour permettre une bonne coordination et une meilleure réactivité pharmaceutique lors de la production. La PDA est évoquée uniquement dans l Article R 4235-48 du CSP comme faisant partie intégrante de l acte de dispensation. Ce seul texte applicable quel que soit le lieu de dispensation Etablissement de Santé (ES), officine ou EHPAD nécessite la mise en place d un système documentaire qualité concernant l ensemble des étapes du circuit du médicament. Avantages de l automatisation : Bénéfices directs : L automatisation permet de respecter les règles d hygiène (protection grâce aux sachets, tenues spécifiques des opérateurs lors de la production et du déconditionnement). La traçabilité est intégrale pour chaque spécialité, par patient, du déconditionnement à l administration. Les conseils de bon usage et autres informations sur le traitement sont garantis par leur inscription sur les sachets. La conformité des doses prescrites est améliorée par la diminution des opérations manuelles répétitives et potentiellement à risque. Les nonconformités passent de 0,1% en sorties d automate et à moins de 0,01% avant administration, contre 5 à 10% avec la préparation manuelle des doses à administrer. Les Doses Prêtes à Administrer (DPA) représentent une avancée significative dans la sécurisation du circuit du médicament. Bénéfices indirects : Un gain de temps pour les infirmiers, car l automatisation de la préparation des médicaments économise en moyenne 1h à 1h30 par jour et par unité de soins, ce qui permet aux infirmiers de se consacrer à d autres soins. Les informations portées sur les DPA sont aussi une aide à la transmission d informations favorisant la prise optimale du médicament, ainsi que l éducation du patient et ou de son entourage. La qualité de prise en charge des patients en est à la fois améliorée et individualisée. Néanmoins, l automatisation est un processus où l étape de déconditionnement reste très chronophage (ex : 2 ETP sur la PUI du CH George Sand) du fait d un manque de commercialisation par les laboratoires des spécialités en vrac. De même, toutes les spécialités ne peuvent pas être gérées par l automate : les antibiotiques pour cause d allergie, les cytotoxiques pour leur toxicité, et les spécialités dont la stabilité n est pas compatible avec ce mode de préparation. L automatisation nécessite également une 5
programmation et une coordination avec les services de soins au plus proche de la prescription afin de prendre en compte toutes les modifications de traitement. Conclusion : En interne, une enquête de satisfaction a été réalisée après 1 an de fonctionnement. 241 questionnaires ont été distribués, 161 ont été rendus avec un retour positif des professionnels : 70% des infirmiers sont satisfaits de la PDA des formes orales sèches. Les principaux apports de la PDA sur l activité quotidienne des IDE est l hygiène (62%), la sécurité lors de l administration (59%), le gain de temps (55%), la diminution du risque d erreur (49%) et une baisse des commandes auprès de la pharmacie (40%). La présentation et l information des étiquettes portées sur les sachets obtiennent 90% de satisfaction. L automatisation facilite aussi les transferts internes pour 71% des infirmiers et les transferts externes pour 54%. La principale difficulté rencontrée par les infirmiers au cours de leur exercice semble être la gestion des permissions et les modifications de traitements ainsi qu une fragilité des sachets qui peuvent parfois se déchirer. Les infirmiers mentionnent toutefois dans les observations du questionnaire qu ils sont en attente de l automatisation des formes buvables et de la mobilité informatique qui devrait permettre une validation de l administration en temps réel. Cette évolution montre dans l ensemble que l automatisation de la préparation des médicaments permet de dégager du temps au service du patient tout en permettant d assurer la qualité et la sécurité de la prise en charge médicamenteuse des patients. Enfin, en juillet 2013, les conclusions de la visite de certification de la Haute Autorité de Santé (HAS), mettent en évidence une amélioration des décisions prises sur le circuit du médicament au sein de l établissement. En France, la PDA est réalisée suivant 2 méthodes de préparation des doses individualisées et personnalisées : soit la méthode par déconditionnement/ reconditionnement, ce qui impose de prendre en compte des problèmes de conservation et d incompatibilité ; soit la méthode par sur-conditionnement consistant au découpage des blisters, ce qui impose de prendre en compte des risques en matière de traçabilité, de perte d information sur l identification des spécialités. Un nouveau challenge économique et sanitaire s ouvre à l industrie française qui se doit d accompagner les établissements de santé comme en 6
Allemagne et en Suisse par la commercialisation de formes semi vrac pour répondre aux impératifs de personnalisation et de sécurisation des traitements des patients. Le manque de cadre législatif engageant la responsabilité pharmaceutique est aussi un élément important à prendre en considération afin de définir des pratiques homogènes explicites et de les sécuriser. A ce sujet, des réflexions sont menées par les établissements concernés, au sein d un Club des Utilisateurs d Automates (le CUAP). Ce groupe est destiné à s agrandir au vu du développement rapide de cette pratique. La sécurisation de la prise en charge médicamenteuse des patients se doit d être garantie tout au long du parcours de soins des patients à la fois à l hôpital et en ville. Dans ce contexte, l automatisation de la préparation des médicaments semble vouée à intégrer très rapidement, dans son processus, la conciliation médicamenteuse. Article rédigé par Mme Marie-Hélène Nevers-Verdière PPH CH George Sand, Correspondante ANPPH région Centre. Corrigé par Mme Anne-Marie Nedelec pharmacien et Mme Moreau Stéphanie pharmacien chef de service pharmacie. 7