Assurabilité et développement de l assurance dépendance. Manuel Plisson Université Paris-Dauphine



Documents pareils
Pourquoi les Français ne souscrivent pas davantage de contrats d assurance dépendance?

TARIFICATION EN ASSURANCE COMPLEMENTAIRE SANTE: il était une fois, un statisticien, un actuaire, un économiste de la santé

Chapitre 3. La répartition

Enjeux - Gestion de patrimoine CFA-Québec 4 février Denis Preston, CPA, CGA, FRM, Pl. fin.

Assurance maladie publique et «Opting out» - Réflexions théoriques

LE ROLE DES INCITATIONS MONETAIRES DANS LA DEMANDE DE SOINS : UNE EVALUATION EMPIRIQUE.

Analyse du comportement individuel et collectif des professionnels. des professionnels forestiers face aux risques

Des solutions pour les seniors à revenus insuffisants

Ressources pour le lycée général et technologique

ESSEC Cours Wealth management

Équivalent patrimonial de la rente et souscription de retraite complémentaire

LES MODES D ADAPTATION ET DE COMPENSATION DU HANDICAP : Les personnes handicapées motrices à domicile (enquête HID 1999)

FICHE PRATIQUE SCPI QU EST-CE QU UNE SCPI? AVANTAGES DE L INVESTISSEMENT IMMOBILIER CONTRAINTES DE LA GESTION «EN DIRECT» LES ATOUTS DES SCPI

Mémoire d actuariat - promotion complexité et limites du modèle actuariel, le rôle majeur des comportements humains.

Faut-il encourager les ménages à épargner?

DANS QUELLE MESURE LA CROISSANCE ECONOMIQUE PERMET-ELLE LE DEVELOPPEMENT?

Assurance et prévention des catastrophes naturelles et technologiques

Optimiser la Gestion des réserves ou des excédents de trésorerie des Entreprises et des Associations

Introduction des. comptes d épargne libre d impôt

Présentation à l Institut canadien de la retraite et des avantages sociaux. Selon Wikipédia

L Assurance. L Assurance

ECONOMIE MANAGÉRIALE NESSRINE OMRANI ECOLE POLYTECHNIQUE

Royaume-Uni. Conditions d ouverture des droits. Indicateurs essentiels. Royaume-Uni : le système de retraite en 2012

ELEMENTS DE COMPTABILITE NATIONALE

BELGIQUE. 1. Principes généraux.

Faire croître votre chiffre d affaires PLACEMENTS PLANIFICATION FINANCIÈRE ASSURANCE

1. Assurance-invalidité : si vous devenez incapable de travailler

PERP. par Élysée Consulting. Votre épargne pour votre retraite PLAN EPARGNE-RETRAITE POLULAIRE

prévoyance Assurance Autonomie CHOISIR AUJOURD HUI COMMENT VIVRE DEMAIN

QUESTIONS-RÉPONSES : SUJETS ASSURANCE

Le risque Idiosyncrasique

Baromètre des courtiers de proximité APRIL/OpinionWay

Monnaie, chômage et capitalisme

8 èmes Rencontres de l Épargne Salariale

Changement du business model des banques : une explication de la crise actuelle 1. François Longin 2

N d anonymat : Remarques générales :

DOSSIER DE PRESSE NOUVELLES GARANTIES PRÉVOYANCE

Les salariés du secteur privé face à la généralisation de la complémentaire santé collective

Agence pour la Protection des Programmes Service dépôt / référencement. Agence pour la Protection des Programmes Service juridique

particuliers professionnels ENTREPRISES Face à face argumenté de vente

CIRCULAIRE CDG90 PROTECTION SOCIALE COMPLEMENTAIRE

VIVIUM Assurance Chiffre d Affaires

Convention entre l Etat et l UESL relative à la Garantie des Risques Locatifs

Oddo & Cie. La Loi Madelin. Avril 2013

Admission (Formalités d ) : Formalités médicales ou non-médicales (questionnaire médical, examens

CHAPITRE VI - LES SOLDES COMPTABLES ET LES INDICATEURS DE REVENU

Fiche conseil DIRIGEANT : Quel statut social choisir? Nos fiches conseils ont pour objectif de vous aider à mieux appréhender les notions :

UN REVENU QUOI QU IL ARRIVE

Aquarius Cours de français en France

Les chiffres essentiels des retraites Mis en ligne en mars 2011

L assurance dans la planification de la retraite

ASSURMAXMC. La force de l assurance vie avec participation

GERANCE MINORITAIRE OU MAJORITAIRE : QUEL EST LE MEILLEUR STATUT?

Démarche en planification financière personnelle L éthique. Éthique. L éthique

Crédit à la consommation, un bon outil pour la rentrée?

Sorties définitives de l emploi. Quels liens avec la santé, le parcours professionnel et les conditions de travail? Nicolas de Riccardis

Oui! des Risques Locatifs! La nouvelle relation de confiance entre propriétaires et locataires

Un nouveau regard de l assurance au féminin : la «Hub Decider Woman» Paris, le 8 juin 2011

Evaluation de la mise en œuvre des formations CRM & FH

Cas 9 - Le rôle de l Etat et de l environnement légal

ETUDES MARKETING ET OPINION CROSS-

Cours Marché du travail et politiques d emploi

ANTISELECTION ET CHOIX D'ASSURANCE : LE CAS DU VOL EN HABITATION UNE APPROCHE DE LA MESURE DU PHENOMENE

(La Société ARISTOPHIL collectionne et détient la plus grande collection Française de lettres et manuscrits de renommée mondiale)

Contrat d assurance-vie Skandia Archipel PEP

Un holding d'investissement dans les PME

SOLUTIONS DE PLACEMENT

COLLOQUE SUR LA RETRAITE ET LES PLACEMENTS AU QUÉBEC L INVESTISSEMENT GUIDÉ PAR LE PASSIF

Étude Pré-salon auprès des investisseurs décideurs actifs

COMMENT INVESTIR EN 2015 AVEC LE TRADING SOCIAL. Une publication

Les jeudis du patrimoine

un environnement économique et politique

Les effets d une contrainte de crédit sur la convergence économique : Le cas des pays de l UEMOA

Cahier des charges du secrétaire municipal et administrateur des finances municipales (les définitions personnelles se rapportent aux deux sexes)

NOTE JURIDIQUE - ASSURANCE

THÈME 1. Ménages et consommation

La retraite de nos enfants Colloque Question-Retraite Centre Mont-Royal, Montréal

Le coût des politiques climatiques. Double dividende ou coûts excessifs?

Construction de bases biométriques pour l assurance dépendance. SCOR inform - Novembre 2012

CONSOLIDER LES DETTES PUBLIQUES ET RÉGÉNÉRER LA CROISSANCE. Michel Aglietta Université Paris Nanterre et Cepii

26 Contrat d assurance-vie

Monnaie, Banque et Marchés Financiers

PERP LIGNAGE PLAN D ÉPARGNE RETRAITE POPULAIRE

Impact du mobile banking sur les comportements d épargne et de transferts à Madagascar. Florence Arestoff Baptiste Venet

Éducation permanente des conseillers

REGIME DE PREVOYANCE CONVENTIONNEL OBLIGATOIRE

L actuariat et les nouveaux horizons de l assurance en Afrique

3. Agrégats, ratios et équilibres macroéconomiques

Comportements d épargne des ménages actifs et retraités: une analyse théorique et empirique sur la période

LES RÉFÉRENTIELS RELATIFS AUX ÉDUCATEURS SPÉCIALISÉS

Demande de calcul d une rente future

À quoi le Québec ressemblera-t-il en 2030?

Réglementation prudentielle. en assurance. Plan. - I - Les principes de la comptabilité générale et leur application à l assurance

Chapitre 2/ La fonction de consommation et la fonction d épargne

Simulation d application des règles CNAV AGIRC ARRCO sur des carrières type de fonctionnaires d Etat

PRÉSENTATION D EXTENDAM

Les durées d emprunts s allongent pour les plus jeunes

Les débats sur l évolution des

Le théorème des deux fonds et la gestion indicielle

Transcription:

Assurabilité et développement de l assurance dépendance Manuel Plisson Université Paris-Dauphine

Les enjeux La dépendance : qui, combien et quand? Qui finance et qui financera? L État, la famille, le marché? L énigme du marché de l assurance dépendance 2

Pourquoi le marché ne se développe-t-il pas plus? Les raisons Partie 1 : L offre? Partie 2 : La demande? Partie 3 : Les asymétries d information à l équilibre? Méthodologie Développements théoriques à partir de la littérature existante Construction de deux bases d entreprises inédites Analyse empirique des déterminants de la demande d assurance dépendance 3

Partie I : L offre d assurance dépendance 4

Assurer le risque dépendance par le marché? Les trois composantes du risque dépendance : survenance, durée, coût de prise en charge Aux Etats-Unis, non assurabilité du coût de prise en charge (Cutler, 1993) => contrat forfaitaire (rente) Méthode de Cutler enrichie et testée sur des données françaises Données Association d aide à domicile «Les Amis», située dans le 17 arrondissement Construction des séries de coût d aide à domicile (retraitement des subventions) 5

Résultats Coût de prise en charge non stationnaire (convergent avec Cutler) Relation de co-intégration avec d autres agrégats économiques (PIB) Possible de prévoir l évolution du coût de prise en charge à l aide d un modèle ARMA Implications économiques Possible de prévoir et donc d assurer en partie la prise en charge à domicile Contrats mixtes (indemnitaires/forfaitaires) possibles en France sur l aide à domicile 6

Partie II : La demande d assurance dépendance 7

Qui souscrit des rentes dépendance en France? Méthode Une analyse empirique à partir de données microéconomiques Modèles Logit et Tobit Données Une base originale : un portefeuille d assurés issu d un bancassureur Données observées et non déclaratives Une variable expliquée fiable Variables de revenu et de patrimoine 8

Résultats sur l échantillon Pas de variable observée parfaitement discriminante Mais des tendances Effet des femmes, des catégories ouvriers, employés Faible élasticité-prix de la demande d assurance Effet en cloche de l âge et du revenu Effet positif du patrimoine Les individus riscophobes s assurent davantage que les autres Effets de sélection observés (reconstitution d une probabilité de sinistre à l aide de la base HID) 9

Pourquoi les agents ne s assurent-ils pas plus? Arguments théoriques Myopie face au risque (Kunreuther, 1978) Effet d éviction par l aide publique (Brown et Finkelstein, 2007) Aléa moral intergénérationnel (Pauly, 1990; Zweifel et Struwe, 1998) Mais les préférences de l individu confronté à ce risque peuvent-elles aussi expliquer la faible demande? Notre cadre conceptuel Un individu maximisant son utilité espérée Un modèle à deux périodes 3 variantes selon le type de contrat et la fonction d utilité 10

Résultats Un agent qui maximise l espérance de son utilité peut rationnellement ne pas souscrire de contrat forfaitaire Le faible développement du marché peut s expliquer par l effet réel ou anticipé de l état de santé sur la perception de la richesse (fonction bivariée) Le prix des soins dépendance à l équilibre dépend : positivement du degré de dépendance négativement de la probabilité de devenir dépendant 11

Partie III : Asymétrie et équilibre de marché 12

Les asymétries d information entravent-elles le bon fonctionnement du marché? Aléa moral peu étudié : Probable sur la dépendance légère Mais difficulté de mesure Les trois types d antisélection étudiés : Antisélection simple (Norton, 1996 ; Courbage et Roudaut, 2008 ; Oster et alii, 2009) Antisélection dynamique (Finkelstein, Garry et Sufi, 2005) Antisélection multidimensionnelle (Finkelstein et McGarry, 2006) 13

Méthode Données : portefeuille d assurés Test d antisélection standard appliqué sur la garantie dépendance élevée Modèles Logit et Probit bivarié Résultats Test standard : une absence d antisélection Deux explications possibles la faible antériorité du portefeuille compensation entre hétérogénéité des risques / des goûts Des indices nous permettent de penser qu une antisélection multidimensionnelle est à l oeuvre? 14

Quels enseignements? 15

Les principaux résultats de cette thèse Il est possible de repousser la frontière de l assurabilité notamment si on couvre la prise en charge à domicile Ce sont les classes moyennes et populaires qui s assurent contre ce type de risque Certains individus ne s assurent pas pour au moins deux raisons : le produit proposé n est pas un produit de pleine assurance l état de santé effectif ou anticipé a un effet très fort sur la valorisation de la richesse Pas d antisélection simple à partir de nos données, mais une probable antisélection multidimensionnelle 16

Les implications économiques Au moins une partie du faible développement du marché de la dépendance n'est pas imputable à une défaillance de marché. Si rien ne prouve que le marché soit inefficace on peut expliquer le faible développement par des raisons plus «institutionnelles» Critères d allocation de l aide publique Fiscalité désavantageuse Aléa moral face aux décisions des pouvoirs publics Distribution du produit dépendance 17

Les prolongements possibles Tester l aléa moral intergénérationnel Approfondir les raisons du taux de résiliation élevé Confirmer les résultats obtenus avec des données sur les préférences Déterminer le contrat optimal Quel partage public/privé sur le risque dépendance? 18

Merci de votre attention 19