Note TDTE N 44. Philippe Foulquier, Directeur du pôle «Analyse Financière et Comptabilité» de l EDHEC.



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Transcription:

Note TDTE N 44 La gestion de l épargneretraite à long-terme : Attention au cadre prudentiel réglementaire! Auteur Philippe Foulquier, Directeur du pôle «Analyse Financière et Comptabilité» de l EDHEC. Ces travaux ont bénéficié du soutien de la Caisse des Dépôts 10 avril 2014 1

SOMMAIRE Introduction I. L exigence de capital des engagements à long terme est prohibitive sous Solvabilité II : les nouvelles propositions du régulateur et leurs enjeux II. Étude de sensibilité du capital requis prudentiel Solvabilité II dans un environnement obligataire III. La mesure de risque LTGA retenue par Solvabilité II pour le risque obligataire est-elle pertinente (SCR versus VaR historique et volatilité)? IV. Allocation d actifs des sociétés d assurance selon la rentabilité prudentielle Conclusion 2

Introduction Que l on étudie le type de régime de retraite et/ou d épargne retraite, la gestion actif-passif ou l allocation d actifs optimale à mettre en œuvre pour les années à venir dans le cadre spécifique de la retraite, il est essentiel de considérer le cadre prudentiel réglementaire. En effet, ce dernier peut non seulement avoir des conséquences directes sur la rentabilité effective de l épargne retraite mais aussi, des impacts sur le financement des Etats et des entreprises, et plus généralement remettre en cause l équilibre de la stabilité financière. Même s il est encore trop tôt pour imaginer ce que pourrait-être le cadre prudentiel des régimes de retraite (à l heure où Solvabilité II se met en place pour les assureurs, où de nombreux fonds de pension luttent pour échapper à la généralisation de Solvabilité II, alors que dans le même temps la plupart des fonds de pension scandinaves ont déjà décidé d appliquer en avance Solvabilité II), nous proposons d étudier 1 les conséquences sur la gestion obligataire de long terme, de l étude d impact LTGA (Long-Term Guarantees Assessment) 2 proposée en 2013 par le régulateur prudentiel européen EIOPA (European Insurance and Occupational Pensions Authority). Plus précisément, une gestion actif-passif adéquate d engagements d épargne de long terme repose notamment sur la détention d instruments obligataires de moyen et long terme détenus pour une large part jusqu à maturité. En 2010, l analyse de l étude d impact QIS 5 (Quantitative Impact Study n 5) de Solvabilité II a montré que les mécanismes de gestion actif-passif n ont pas été pris en compte par le régulateur prudentiel européen, ce qui engendrait une volatilité accrue des bilans prudentiels des sociétés d assurance et par conséquent des exigences de capital réglementaire parfois surestimées. Plus précisément, quand les spreads obligataires augmentaient, la valeur de marché des actifs obligataires baissait, mais la valeur des passifs n était pas affectée. En mars 2012, ont débuté les discussions du trilogue (Parlement européen, Conseil et Commission européenne) pour l approbation de la Directive Omnibus II 3. Les débats sont restés dans une impasse pendant plus de six mois retardant ainsi la mise en œuvre de Solvabilité II à janvier 2016. Les principaux points de discorde concernaient la méthode d extrapolation des taux longs, la mise en œuvre d une mesure contra-cyclique, d une prime d adossement (matching adjustment) et des mesures de transition. Face à l absence d un 1 Arouri M.H, L. Arias, P. Foulquier, «LTGA Impact Assessment and Bond Management: Has Solvency reached a Deadlock, EDHEC Publication sponsorisée par Russell Investments, October 2013. 2 La nouvelle étude d impact concerne uniquement un panel d acteurs du marché européen, choisi par les superviseurs de chaque pays (35 assureurs en France par exemple). Les assureurs avaient jusqu au 31 mars 2013 pour participer à cette étude et les résultats ont été publiés par l EIOPA le 14 juin 2013. 3 La Directive Omnibus II a pour objectif d amender la Directive de Solvabilité II et de définir des dispositions transitoires pour la mise en application de ces règles prudentielles. 3

consensus, le trilogue a sollicité le régulateur européen (EIOPA) pour réaliser une étude d impact sur les mesures des garanties de long terme (LTGA, Long-Term Guarantees Assessment) afin de ne pas porter atteinte au financement des Etats et des entreprises. Concrètement, pour mieux refléter les stratégies de gestion actif-passif, des mesures relatives à la valorisation des passifs de long terme ont été proposées dans l étude d impact LTGA : - L extrapolation de la courbe des taux au-delà de 20 ans : deux périodes de convergence ont été testées (10 ans et 40 ans) comme hypothèses sous jacentes ; - La prime contra-cyclique : mécanisme déclenché par l EIOPA en cas de marchés très volatiles. Trois niveaux de prime ont été testés (50, 100 et 250 points de base). Un module de risque de prime contra-cyclique a été introduit dans la formule standard (choc à la baisse de 100% de la prime). - La prime d adossement (matching adjustment) : elle a pour objectif de corriger le taux d actualisation des passifs afin que les variations de spreads affectant la valeur des actifs soient reflétées côté passif. Elle se décline en cinq versions selon différentes contraintes plus ou moins strictes. L étude d impact LTGA a testé également de nouvelles calibrations de risque, notamment le risque de spread sur lequel cette étude concentre ses recherches. Les propositions d intégration de la gestion actif-passif sur la base des mesures de risque indiquées ci-dessus ne concernent que les branches longues et ce, uniquement sous certaines conditions très restrictives. Nous avons donc choisi de nous focaliser sur l effet de la nouvelle calibration du risque de spread sur la gestion obligataire pour les activités non éligibles aux mesures LTGA relatives à la valorisation des passifs de long terme. En outre, cette analyse a été menée comparativement à la calibration proposée dans QIS5, afin de mesurer les éventuels apports de l étude LTGA, notamment la qualité de la mesure de risque SCR (Solvency Capital Requirement) obligataire et son impact sur les choix d investissements obligataires. Nous présentons dans une première partie, les propositions testées par l étude d impact LTGA : extrapolation de la courbe de taux, prime contra-cyclique, prime d adossement (matching adjustment), mesures de transition et nouveaux modules de risques, notamment le risque de spread. Dans une deuxième partie, nous analysons l impact de la nouvelle définition du module de risque de spread selon LTGA, afin d identifier les instruments qui bénéficieraient d une économie de capital réglementaire et ceux qui au contraire seraient pénalisés. Nous étudions également si la nouvelle calibration du capital réglementaire exigé au titre du spread (SCR spread) modifie, par rapport à QIS 5, la sensibilité du SCR obligataire aux différentes caractéristiques des instruments obligataires. 4

Dans une troisième partie, nous montrons comment l étude LTGA affecte la qualité de la mesure de risque SCR obligataire, notamment à travers l analyse des taux de dépassement des pertes historiques par rapport à la VaR historique à 99,5%. Nous complétons cette analyse par l étude de la relation entre le SCR obligataire LTGA et la volatilité. Enfin, dans une dernière partie, nous étudions si la nouvelle calibration du risque de spread entraîne par rapport à QIS 5 des modifications au niveau de la hiérarchie des instruments obligataires, mesurée selon le couple rendement-scr obligataire. En d autres termes, nous cherchons à identifier quels sont les instruments obligataires les plus attractifs selon la nouvelle calibration du risque de spread LTGA. I. L exigence de capital des engagements à long terme est prohibitive sous Solvabilité II : les nouvelles propositions du régulateur et leurs enjeux Avec Solvabilité II, les risques de marché se traduisent par un coût de capital additionnel qui doit nécessairement être intégré dans l analyse des choix d allocation d actifs. La calibration actuelle de Solvabilité II pénalise les placements obligataires de longue maturité des sociétés d assurance. Or, ces investissements sont précisément choisis afin que la gestion actif-passif soit en adéquation avec les passifs longs (retraite, assurance vie, responsabilité civile, etc.). Par ailleurs, l augmentation de la volatilité artificielle du bilan et les impacts sur la stratégie d investissements obligataires des assureurs engendrés par Solvabilité II, est de nature à remettre en cause la stabilité financière et le financement des économies européennes. Le secteur de l assurance est un des acteurs majeurs du financement de l économie en Europe avec 3,5 trilliards d euros investis en obligations. Face à ces controverses, nous avions publié en décembre 20124 une étude qui analyse l impact de la calibration de QIS 5 sur la gestion obligataire des assureurs. Afin de traiter la problématique du mismatch prudentiel, une première tentative avait été proposée par le régulateur prudentiel dans l étude d impact QIS5, en intégrant une prime d illiquidité dans le taux d actualisation des passifs prévisibles et de long terme. Cet ajustement permettait que la variation de la valeur des actifs détenus à long terme jusqu à maturité liée au risque de liquidité (par opposition au risque de défaut ou de dégradation du risque de crédit) soit compensée par la variation des passifs. Cette prime d illiquidité, qui 4 Arias L., Foulquier P., Le Maistre A. «L impact de Solvabilité II sur la gestion obligataire». Publication EDHEC. Décembre 2012. 5

finalement ne s est traduite que par une réduction de 1% des provisions techniques, a été très controversée et finalement abandonnée. Face à l absence de consensus sur le traitement du mismatch prudentiel des branches longues, notamment lors des discussions du Trilogue, il a été décidé de retarder la mise en application de Solvabilité II, afin de réaliser une nouvelle étude d impact sur les garanties de long terme (LTGA). L objectif de cette étude LTGA était de tester les différents mécanismes reflétant les stratégies de gestion actif-passif des sociétés d assurance sus mentionnés, afin de réduire la volatilité artificielle des bilans prudentiels et donc l exigence de capital prudentiel. En outre, l étude d impact LTGA proposait de tester également de nouvelles calibrations des modules de risques, en particulier celui du risque de spread. Plus précisément, l étude d impact LTGA définit le SCR spread à partir de la valeur de marché de l instrument et d un facteur de risque FUp, fonction non seulement de la notation, comme c était le cas dans QIS 5, mais aussi désormais de la duration des obligations. Il s agit ainsi d appliquer un choc dit «de base» à chaque intervalle de duration ([0 ; 5], [5 ; 10], ), auquel s ajoute un choc ajusté du différentiel de duration. Par ailleurs, l EIOPA a proposé également de tester la suppression des seuils minimaux et maximaux de duration qui limitaient la charge de capital au titre du risque de spread sous QIS 5. Dans notre étude publiée en décembre 2012, nous avions étudié l impact de la calibration de QIS 5 sur la gestion obligataire des assureurs. Nous avions cherché à répondre à quatre questions : quelles sont les caractéristiques des instruments obligataires à taux fixe déterminantes du niveau de SCR? Quelle est la pertinence du SCR en tant que mesure de risque? Comment Solvabilité II pourrait modifier l approche de gestion de risque basée sur le triplet rendement, volatilité et Value-at-Risk? Et finalement, Solvency II engendre-t-elle une nouvelle hiérarchie rendement-risque et des opportunités d arbitrage entre les différents types d obligations à taux fixe? Ici, l objectif est de répondre également à ces quatre questions, tout en tenant compte des modifications apportées par l étude LTGA au niveau du risque de spread et en comparant les résultats ainsi obtenus à ceux de QIS 5. Cela nous permettra de mettre ainsi en exergue quels pourraient être les effets de cette nouvelle calibration sur les activités des sociétés d assurance. Pour ce faire, nous analyserons, dans un premier temps, la sensibilité du capital prudentiel SCR aux caractéristiques des instruments obligataires. Dans un deuxième temps, nous 6

comparerons les exigences de capital obligataires à la Value-at-Risk historique, afin de déterminer la fréquence de dépassements par rapport au seuil de 0,5% défini par le régulateur et d évaluer les sous et surestimations du SCR obligataire. Nous analyserons également la relation entre le SCR obligataire et les deux mesures traditionnelles des risques volatilité et VaR. Et finalement, nous étudierons comment la hiérarchie des choix des instruments obligataires sera impactée suite aux modifications du calcul du risque de spread selon LTGA. II. Etude de sensibilité du capital requis prudentiel Solvabilité II dans un environnement obligataire Pour apprécier l impact de la nouvelle calibration du risque de spread proposée par l étude d impact LTGA par rapport à celle retenue dans QIS 5, nous avons dans un premier temps appliqué la formule (approche «théorique») pour chaque couple notation-maturité, les deux calibrations et comparé le niveau de capital requis prudentiel selon les deux référentiels. La majorité des couples notation-maturité voit «en théorie» leur SCR spread se réduire dans la nouvelle proposition LTGA. Plus précisément, les résultats montrent que : les obligations dont la duration est inférieure à 1 et ce, quelle que soit la notation, ont une exigence de capital moins importante sous LTGA que sous QIS 5 ; les obligations notées investment grade ont une exigence de capital moins importante sous LTGA que sous QIS 5, en particulier celles notées A (jusqu à 48% d économie de coût de capital pour une duration de 23) ; les obligations non-investment grade de duration moyenne (de 6 à 16 pour les obligations BB, de 6 à 12 pour les obligations notées B et inférieur) et les non notées (duration de 0 à 20) ont une exigence de capital moins importante sous LTGA que sous QIS 5 ; les obligations non-investment grade de longue duration (supérieure à 15) et les BBB dont la duration est supérieure à 25 ont une exigence de capital plus importante sous LTGA que sous QIS 5. Dans un second temps, nous avons testé les formules de spread selon les deux référentiels QIS 5 et LTGA sur un échantillon de 4 279 obligations à taux fixe ou zéro coupon, émises dans quatorze pays différents (France, Allemagne, Royaume-Uni, Etats-Unis, PIIGS et BRICS) ayant coté sur la période de janvier 1999 à mi-octobre 2011. Cette approche «empirique» 7

montre que l application à notre échantillon (et probablement à tout portefeuille d obligations de sociétés d assurance) se traduit par une dilution de l effet des exigences réglementaires SCR obligataire mis en exergue dans un premier temps (comparaison des formules par couple notation-maturité que nous avons qualifiée d approche «théorique») en raison de : La faible concentration des obligations possédant une notation élevée (AAA, AA, A) et de duration supérieure à 10 pour lesquelles la réduction du SCR spread est la plus forte (supérieure à 20% selon LTGA par rapport à QIS 5) ; La forte concentration des obligations avec une notation élevée et de duration inférieure à 9 pour lesquelles la réduction du SCR spread est moindre (inférieure à 20% voire nulle) ; La faible concentration des obligations avec une notation faible et duration longue pour lesquelles les exigences de capital augmentent ; L effet de dilution lié au poids du SCR spread dans le SCR obligataire auquel s ajoute l effet de diversification engendré par l agrégation du risque de taux d intérêt et du risque de spread. On observe que les obligations qui bénéficient d une réduction sensible du SCR de spread sont aussi celles dont le poids du SCR spread dans le SCR obligataire est le plus faible. Pour approfondir cette problématique, nous reprenons dans la présente étude les quatre questions sus mentionnées que nous avions traitées dans notre publication de décembre 2012. Pour répondre à la première interrogation relative aux caractéristiques explicatives des instruments obligataires du niveau de SCR, nous avons considéré le même échantillon que celui retenu dans notre étude de 2012 et avons étudié les corrélations entre les différentes caractéristiques des obligations5 et le capital réglementaire obligataire requis selon les deux référentiels LTGA et QIS 5. Les tests réalisés avec la nouvelle calibration LTGA du risque de spread conduisent à des conclusions et résultats similaires à ceux formulés dans le cadre de la calibration de QIS 5 : la duration demeure la variable la plus corrélée au SCR obligataire (74,07% CdP et 80,48% CdS6), suivie de la maturité résiduelle (62,46%CdP et 80,07% CdS) et de la notation (56,74% CdP et 54,81% CdS). Une faible corrélation a été observée entre le SCR et le spread (CdP de 6,38% et CdS de 5,99%), ce qui peut s expliquer par le traitement du risque de spread dans la formule standard de Solvabilité II, qui en dépit d une calibration plus fine selon LTGA, demeure forfaitaire au sein d une même notation. 5 Les caractéristiques des instruments obligataires que nous avons retenues sont : fréquence des coupons, taux de coupon, spread, duration, maturité résiduelle, notation, [valeur de remboursement/valeur nominale], [prix pied de coupon/valeur de remboursement], [prix coupon couru/valeur de remboursement]. 6 CdS : corrélation de rang de Spearman et CdP : correlation de Pearson. 8

Au regard de ces résultats, nous avons approfondi notre étude en analysant la sensibilité du SCR obligataire à la notation et à la maturité. Il en résulte que plus la maturité est longue, plus les exigences en capital SCR sont élevées et ceci, quelle que soit la notation de crédit considérée. Solvabilité II pourrait ainsi engendrer une pression inflationniste sur les taux longs si l exigence de capital réglementaire pour les obligations de longue maturité est jugée prohibitive. Par rapport à la notation, l étude montre que les obligations notées AAA, AA et A consomment sensiblement moins de capital que celles ayant des notations inférieures. Ces dernières pourraient être délaissées, si le coût marginal engendré par Solvabilité II est jugé excessif. Ainsi, ces deux résultats sont de nature à montrer que la calibration du module de risque de spread selon l étude d impact LTGA, n engendre guère de changement par rapport à celle de QIS 5 pour les obligations adossées à des passifs non éligibles au matching adjustment. Au regard de la duration et de la notation, la calibration du risque obligataire selon LTGA comme pour QIS 5 est donc de nature à peser sur le financement des Etats et des entreprises. III. La mesure de risque LTGA retenue par Solvabilité II pour le risque obligataire est-elle pertinente (SCR versus VaR historique et volatilité)? Avec Solvabilité II, une quatrième dimension (le capital réglementaire) vient s ajouter au traditionnel triplet (rendement, volatilité et VaR) considéré dans la construction de l allocation d actifs des gérants obligataires. Dès lors, il paraît fondamental d étudier la pertinence de la mesure de risque SCR retenue par le régulateur par rapport à la VaR et à la volatilité historique. Pour ce faire, nous avons calculé les taux de dépassement, définis par la fréquence à partir de laquelle les pertes historiques observées dépassent le capital réglementaire qu aurait exigé le régulateur prudentiel (SCR obligataire). Appliqué à notre échantillon, il ressort que les pertes historiques ont dépassé les exigences de capital définies selon LTGA pour 1,37% des observations (versus 1,23% pour QIS 5). Cette augmentation des dépassements de 11,7% peut s expliquer par le fait que, comme nous l avons conclu précédemment, la nouvelle calibration du risque de spread LTGA réduit les exigences de capital au titre du risque de spread, en dépit des effets dilutifs sus mentionnés. 9

Afin d affiner l analyse de ce taux de dépassement de 1,37%, soit 2,74 fois plus que l objectif du régulateur de 0,5% (VaR à 99,5%), nous avons mené une étude par période (pour isoler les périodes de crise), par zone géographique, par notation et par maturité. L analyse des taux de dépassement par période permet de conclure, à l instar de la calibration retenue par QIS 5 même si les taux selon LTGA sont plus élevés, que durant les périodes de crise (2007-2009 et 2009-2011), les exigences de capital réglementaire sont sous-estimées. A contrario, en l absence de crise (1999-2006), les taux de dépassement sont inférieurs à 0,5%, ce qui signifie que la mesure de risque est surestimée. Une analyse par zone géographique conduit également aux mêmes conclusions que celles formulées avec QIS 5, en termes de hiérarchie des zones, même si les taux de dépassement sont généralement plus élevés. La zone France, Allemagne et Royaume-Uni présente le plus faible taux de dépassement (0,572% versus 0,513% selon QIS 5) et est proche de celui fixé par le régulateur. Durant la période 2007-2009, où la crise a engendré des pertes substantielles, le taux de dépassement est de 1,234% (versus 1,07% selon QIS 5). La zone PIIGS présente un taux de dépassement de 1,169% (versus 1,007% avec QIS 5), soit 2,3 fois le seuil exigé par le régulateur. Dans cette zone, les pays qui présentent les taux de dépassement les plus élevés sont la Grèce (7,925%), l Espagne (5,688%), et l Irlande (5,110%), à l instar de ce que nous avions démontré sous QIS 5. Les Etats-Unis présentent un taux de dépassement de cinq fois plus que le seuil exigé par le régulateur (2,627% versus 2,346% selon QIS 5). Ce dépassement est la conséquence d une sous-estimation de la mesure de risque sur les périodes de crise 2001-2003 et 2007-2009 (taux de dépassement respectivement de 2,52% et 7,836%). En l absence de crise, la mesure de risque est plutôt bien calibrée par rapport à la VaR historique de 99,5%. La zone des BRICS présente le taux de dépassement le plus important (3,139% versus 3,091% selon QIS5, soit 6,3 fois plus important que l objectif du régulateur). L analyse des taux de dépassement selon la notation montre à l instar de QIS 5 (avec toutefois des taux de dépassement plus importants) que ces derniers augmentent avec la dégradation de la notation de crédit (de 0,533% pour les AAA à 6,533% pour les CCC ou inférieur). Seules les obligations notées AAA et les non notées satisfont la VaR à 99,5%. L analyse des taux de dépassement par maturité montre qu ils se réduisent lorsque la maturité augmente. Cela s explique par le fait que les émissions sur de longues maturités sont principalement composées d obligations dont la notation est élevée, pour lesquelles les 10

exigences de capital sont en général mieux estimées. Nous avons constaté aussi que les taux de dépassement qui ont le plus augmenté par rapport à QIS 5 concernent les maturités supérieures à 15 ans, ce qui est cohérent avec la méthodologie retenue pour évaluer le risque de spread de l étude LTGA et la composition de notre échantillon. Afin de compléter ces études sur la pertinence de la mesure de risque SCR réalisées à partir des taux de dépassement, nous avons analysé les couples VaR historique à 99,5%-SCR obligataire selon les deux référentiels QIS 5 et LTGA. Nos résultats montrent qu à l instar de QIS 5, les obligations à faible risque (SCR compris entre 0% et 8%) bénéficient d une mesure de risque conforme à la VaR historique à 99,5%. Ceci est cohérent avec le fait que la formule issue de LTGA ne conduit pas à des modifications pour les courtes durations (de 1 à 5) par rapport à QIS 5. Au-delà d un SCR de 10%, sur la période 1999-2011, les pertes mesurées par la VaR sont plus importantes que le capital exigé par le régulateur, ce qui confirme la sousestimation observée lors de l analyse des taux de dépassement pour la totalité de l échantillon sur l ensemble de la période. L analyse sur la période 1999-2007 confirme que cette sousestimation n est qu apparente et n est le fait que du poids substantiel de la crise. En effet, sur la période 1999-2007, l exigence de capital prudentiel est surestimée et ce, d autant plus, que le risque mesuré par le SCR augmente. Enfin, l analyse de la relation entre le SCR obligataire et la volatilité historique des rendements montre que la formule standard de Solvabilité II intègre correctement la volatilité des rendements obligataires, même si au-delà d un SCR de 40% la qualité du modèle se dégrade. Le coefficient de détermination du modèle de régression est de 97,79% (versus 98,38% selon QIS 5) et le coefficient de corrélation de 93,36%. En conclusion, le SCR est une mesure de risque plutôt globalement pertinente et la forte corrélation de l exigence de capital réglementaire au titre du risque obligataire avec la VaR et la volatilité montre que Solvabilité II devrait ne pas ajouter une quatrième dimension à la gestion obligataire qui repose aujourd hui sur le triplet rendement-volatilité-var. Au contraire, il serait possible de gérer les instruments obligataires à taux fixe à partir du seul couple rendement-scr. 11

IV. Allocation d actifs des sociétés d assurance selon la rentabilité prudentielle Dans cette dernière partie, nous avons analysé si la nouvelle calibration du risque de spread proposée dans l étude d impact LTGA engendrait des changements dans la hiérarchie des choix obligataires et offrait des opportunités d arbitrage en termes de rentabilité prudentielle (rendement par rapport à l exigence de capital prudentielle SCR). Pour ce faire, nous avons étudié les couples rendement-scr obligataire afin de déterminer si toute prise de risque est rémunérée ou pas et ce, par notation. Les courbes de rendement en fonction du SCR obligataire conservent leur forme quasi-concave identifiée avec QIS 5. Les rendements sont croissants lorsque le SCR est compris entre 0% et 10% puis au-delà stagnent voire diminuent. La prise de risque n est donc rémunérée que jusqu à un certain niveau de SCR, fonction de la notation de crédit. Plus précisément, pour des niveaux de risques faibles (SCR compris entre 0% et 8%), les obligations notées A, offrent sur la période 1999-2011, les meilleurs rendements, à l instar de la calibration QIS 5. Ces niveaux de SCR correspondent à des obligations de duration inférieure à 5, pour lesquelles d ailleurs le SCR est identique à celui de QIS 5. Pour un SCR compris entre 8% et 9%, les obligations les plus performantes sont celles notées BB. De 9% à 20%, se sont les obligations CCC qui offrent le meilleur rendement. Au-delà de 25% de SCR, la dépendance entre le rendement et le SCR est assez faible. Ce niveau de risque est généralement atteint par les obligations investment grade de duration moyenne de 19,62, des obligations à haut rendement (high yield) de duration moyenne de 7 et des obligations non notées de duration moyenne de 16. Dans l étude LTGA comme dans QIS 5, le régulateur a adopté une approche commune à toutes les catégories d obligations, sans considérer leurs spécificités. Aussi, les obligations investment grade de longue maturité dédiées à la gestion actif-passif sont pénalisées. A contrario, les obligations à haut rendement de courte duration sont favorisées. Pour mieux calibrer le risque de ces obligations spécifiques, une solution serait d adopter une approche similaire à celle utilisée pour les actions adossées à des passifs de retraite cantonnés pour les obligations investment grade de longue maturité, et un modèle où le risque de défaut est prépondérant comme pour les obligations high yield. 12

Nous avons par ailleurs mené une analyse de l efficacité de la prise de risque selon le ratio rendement/scr obligataire. Les résultats montrent que l efficacité maximale est atteinte pour des durations faibles (entre 1 et 3), correspondant à des niveaux de risque compris entre 3% et 15% selon la notation. Les changements introduits par LTGA au niveau des chocs de spread n affectent pas les résultats relatifs à l efficacité maximale par notation puisque les exigences de capital pour les faibles durations (entre 1 et 5) restent inchangées par rapport à QIS 5. Ainsi, la calibration proposée par LTGA continue à favoriser les obligations de courte duration (entre 1 et 3). Conclusion Le SCR obligataire selon l étude d impact LTGA (comme pour QIS 5) est une mesure de risque globalement pertinente pour les obligations à taux d intérêt fixe mais elle peut toutefois être améliorée en considérant : La mise en œuvre d un Dampener obligataire, afin d intégrer les effets des cycles économiques et éventuellement un ajustement en fonction du profil de la zone géographique où les obligations ont été émises. Une refonte de la mesure des obligations investment grade de longue maturité dédiées à la gestion actif-passif compte tenu de leur forte pénalisation sous Solvabilité II. Elles pourraient être traitées selon une approche similaire à celle utilisée pour les actions adossées à des passifs de retraite cantonnés. Une reformulation de l approche du risque des obligations à haut rendement (high yield). En effet, ces obligations, choisies par les assureurs dans le but d obtenir un supplément de performance présentent des sensibilités aux facteurs de risque différents de celles des autres obligations. Leur valorisation étant très sensible à l estimation de la perte en cas de défaut, un modèle où le risque de défaut est prépondérant devrait être retenu par le régulateur européen. L une des raisons du blocage du vote de la directive Omnibus II, qui s est traduit par le décalage de l entrée en vigueur de Solvabilité II était la calibration du risque obligataire de QIS 5, de nature à remettre en cause l équilibre de la stabilité financière et le financement des entreprise et des Etats. Notre analyse de la nouvelle calibration du risque obligataire définie par l étude d impact LTGA ne permet pas de conclure à une amélioration de la calibration LTGA par rapport à QIS 5. 13