Les conseils d administration et la gouvernance du risque Allocution prononcée par Julie Dickson, surintendante des institutions financières, Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF), devant le Toronto Board of Trade Toronto (Ontario) Le 5 avril 2012 LE TEXTE PRONONCÉ FAIT FOI Pour de plus amples renseignements : Brock Kruger Communications et consultations brock.kruger@osfi-bsif.gc.ca www.osfi-bsif.gc.ca
Allocution prononcée par Julie Dickson, surintendante des institutions financières, Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF), devant le Toronto Board of Trade Toronto (Ontario) Le 5 avril 2012 Introduction Les conseils d administration et la gouvernance du risque Je suis heureuse d être parmi vous ce matin, et je remercie le Toronto Board of Trade de son invitation. Comme nous le savons tous, la conjoncture actuelle est difficile. Si nous observons des signes d amélioration aux États-Unis et au Canada, évidemment, les problèmes en Europe ne se sont pas dissipés. Les économies avancées ont amorcé un long processus de désendettement. Les cotes de crédit de nombreux pays et de leurs banques ont été abaissées. Les taux d intérêt se maintiennent à des planchers historiques, ce qui engendre des problèmes pour les sociétés d assurances et les régimes de retraite. Pour sa part, le Canada est aux prises avec un facteur de vulnérabilité particulier, c est-à-dire l endettement record des consommateurs. Il va de soi que pareil environnement comporte de nombreux défis pour les responsables de la gestion et de la supervision du risque, comme les dirigeants d institutions financières, les conseils d administration et les organismes de réglementation. À ce propos, je traiterai aujourd hui du rôle joué par les conseils d administration des institutions financières dans la gouvernance du risque, et je ferai le lien avec leur fonction de supervision du risque que présente le crédit hypothécaire. La gouvernance exercée par le conseil d administration Les conseils d administration des institutions financières ont maintes responsabilités. Le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) met l accent sur un volet précis de la gouvernance : la supervision par le conseil d administration de la gestion du risque et du système de contrôle interne. Il s agit d une fonction névralgique. À cet égard, le conseil d administration doit notamment approuver les stratégies de l entreprise, la rémunération des dirigeants, les plans de fonds propres et de liquidités, le budget de la fonction de gestion du risque, et les dépenses importantes consacrées aux technologies de l information. 1
De longue date, le BSIF communique systématiquement aux institutions financières son point de vue sur les fonctions de contrôle de la qualité, la suffisance des fonds propres et des liquidités, et la robustesse des pratiques comme la simulation de crise et l agrégation des données. Nous nous sommes attachés également à évaluer la qualité de la gouvernance. En 2010, le BSIF s est doté d un service spécialisé en gouvernance d entreprise qui, l année suivante, a procédé à un examen comparatif des pratiques en la matière d un certain nombre d institutions. Nous nous fondons sur les résultats de cet examen pour mettre à jour notre ligne directrice sur la gouvernance d entreprise, qui date de 2003. Bien que ces consignes aient résisté au passage du temps, certains de leurs éléments importants seront modifiés pour tenir compte des pratiques exemplaires de l heure. Nous prévoyons que la version révisée de la ligne directrice sera soumise aux commentaires des parties intéressées avant l été. J aimerais traiter brièvement de certains points sur lesquels le BSIF prévoit insister davantage dans la ligne directrice révisée et auxquels les conseils d administration voudront s intéresser de plus près. La composition du conseil d administration et le besoin de spécialistes du secteur financier Parlons d abord de la composition du conseil d administration. Il est entendu que les conseils d administration requièrent un large éventail de compétences. Depuis quelque temps, on encourage une représentation plus équilibrée des femmes et des hommes aux conseils d administration en général afin d éviter la polarisation des opinions. Mais le BSIF cible aussi une autre question, celle-là propre aux services financiers, soit la présence d une certaine expertise pertinente dans le domaine financier en plus d un éventail de compétences autres. Bon nombre de conseils d administration ont pris des mesures pour accroître leur expérience du secteur financier. Cela est réjouissant, car les institutions financières diffèrent des autres sociétés. Par exemple, elles misent nettement plus sur l effet de levier. De plus, comme on l a vu lors de la crise financière mondiale, la fragilité et l effondrement des banques ont un impact énorme sur la croissance économique et peuvent avoir d importantes répercussions négatives sur la situation financière d un pays. En outre, les banques peuvent détenir des actifs et les sociétés d assurances, des passifs qui sont extrêmement difficiles à évaluer. La nature de leurs activités fait qu elles peuvent être plus opaques que d autres sociétés. Et, comme on l a constaté, les clients confient à ces institutions leurs économies de toute une vie. Autrement dit, les institutions financières sont très différentes des fabricants de bidules. Toutes ces raisons font qu elles sont réglementées. Qui plus est, dans l optique de la gouvernance, ces mêmes raisons expliquent pourquoi chaque 2
institution financière a besoin d une personne chevronnée qui se concentrera sur la gestion et sur les activités de l entreprise, surtout dans la perspective du risque. Une expertise dans le secteur financier permet aussi de combler les éventuelles lacunes dans les connaissances des administrateurs et des dirigeants. De nombreux conseils d administration réclament aux dirigeants des renseignements d un type nouveau et très différent, et ils cherchent à parfaire leurs connaissances, ce que le BSIF considère comme un fait des plus positifs. À mesure que la composition des conseils évolue, je crois savoir que le dialogue entre les administrateurs et les dirigeants s intensifie, ce qui ne peut être que bénéfique pour la santé de l institution. L examen par des tiers Au moment où débutent les séries éliminatoires, je me souviens que l un des anciens entraîneurs des Maple Leafs, Roger Neilson, était réputé être l un des premiers à l échelle de la LNH à reconnaître que, même si un bon entraîneur doit absolument pouvoir se fier à son instinct, cela ne suffit pas. C est pourquoi il a commencé à utiliser les reprises vidéo afin de peaufiner les performances de l équipe sur la glace, ce qui lui a valu le sobriquet «Capitaine Vidéo». Cela m amène au deuxième grand volet de la ligne directrice sur la gouvernance d entreprise dont la modification est prévue. Il s agit d instaurer le principe selon lequel les conseils d administration ne doivent pas s en tenir à leur instinct pour évaluer les dirigeants. Je m empresse d ajouter qu à mon avis, l instinct est une bonne chose; il traduit l ampleur de l expérience et du jugement de la plupart des administrateurs. Toutefois, pour évaluer les dirigeants, les administrateurs ont besoin d information sur les pratiques exemplaires. L examen périodique par des tiers, selon la fréquence établie par le conseil d administration, des fonctions de supervision aidera les administrateurs à jauger les pratiques et les méthodes de gestion du risque de l institution financière. Le rôle que jouera le BSIF dans ce domaine ne sera pas prescriptif. Nous n entendons pas dire aux conseils d administration à qui ils devraient confier ces examens et quelle devrait en être la portée ou la fréquence. Nous chercherons plutôt à faire approuver le principe lui-même par le secteur. Nous considérons ces examens comparatifs comme des occasions pour les conseils d administration d être proactifs et d accroître leur capacité de cerner les lacunes ou les points à améliorer et de s y attaquer avant que l organisme de réglementation ne s en charge. 3
L indépendance du comité de gestion du risque et du comité d audit Au nombre des changements, nous recommanderons aussi la séparation du comité de gestion du risque et du comité d audit des institutions complexes. Bon nombre de conseils d administration ont déjà procédé à la scission, reconnaissant que la charge de travail s est accrue et que cette séparation permet de cibler davantage le risque et l audit. Par exemple, lorsqu il s agit d évaluer des instruments complexes, le comité d audit cherche davantage à déterminer si les valeurs se situent à l intérieur d une fourchette donnée, tandis que le comité de gestion du risque peut se concentrer plutôt sur l étendue de la fourchette et sur les conséquences d éventuels événements de queue. De même, le comité d audit peut envisager la communication d information financière sous un angle bien différent de celui du comité de gestion du risque. La séparation est une pratique exemplaire, tout comme l établissement d un certain lien entre les deux comités pour que rien ne passe entre les mailles du filet. La propension à prendre des risques Le BSIF compte aussi intégrer à la ligne directrice sur la gouvernance d entreprise un nouveau concept lié à l approbation par le conseil d administration de la définition par l institution de sa propension à prendre des risques, une question épineuse. Même si elle peut sembler aller de soi pour le commun des mortels (quels risques suis-je prêt à prendre dans le cadre de mon entreprise et quel niveau de perte suis-je prêt à accepter?), elle est nettement plus délicate lorsqu il s agit d une grande organisation complexe. Il ne s agit pas seulement de formuler une déclaration de leur degré d ouverture au risque, il faut aussi que les institutions financières se dotent de techniques nombreuses et variées pour soupeser la probabilité que survienne une situation qui les inciterait à dépasser la limite des pertes qu elles se sont fixée, et qu elles écartent, ce faisant, l idée que «ça n arrivera jamais». La définition de sa propension à prendre des risques comporte de multiples facettes. Il faut donner le ton à tous les échelons de l organisation pour recenser les risques, les accepter, les gérer, en discuter et les surveiller, en plus de construire des scénarios qui, bien que très invraisemblables, causeraient d importantes pertes. Il arrive parfois que les mauvaises nouvelles ou les propos francs concernant les risques ne gravissent pas les échelons de l organisation. Pourtant, il le faut. Et les conseils d administration doivent insister pour qu il en soit ainsi. 4
Trop de responsabilités? Certains spécialistes se demandent si l insistance sur l activité du conseil d administration n est pas en train de brouiller la distinction entre dirigeants et administrateurs. D autres craignent que, si on confie trop de responsabilités aux administrateurs en exigeant qu ils approuvent diverses politiques et d autres questions, ils négligeront leurs autres fonctions névralgiques. Le BSIF est sensible au danger de surcharger les conseils d administration. Nous voulons qu ils fassent leur travail, et qu ils le fassent bien, et nous savons que, si nous multiplions les responsabilités à l excès, cela pourrait les empêcher de réaliser leurs objectifs. Nous sommes en train d évaluer tout ce que nous demandons aux conseils d administration de faire pour déterminer si certaines exigences ne sont pas excessives. Nous savons bien, par exemple, que les administrateurs interprètent différemment l obligation de soumettre les politiques à l «approbation» du conseil : certains y voient un exercice de conformité qui consiste à accorder leur assentiment à la demande de la direction; d autres se doivent d examiner les politiques et de discuter avec la direction de leur importance et des raisons qui incitent le BSIF à vouloir faire participer le conseil à la démarche. Par exemple, nous demandons actuellement aux conseils d administration d «approuver» les politiques sur les liquidités et les fonds propres. Il est vrai que ces dossiers sont parfois complexes, mais ils sont au cœur de la gestion des risques qui pèsent sur une institution financière. Nous voulons encourager les conseils d administration et les dirigeants à discuter des risques fondamentaux que court l institution et des mesures prises pour les gérer. La direction doit pouvoir expliquer en des termes simples l essence du risque et la façon dont les politiques le limitent. À notre avis, ces exigences habilitent les conseils d administration et leur permettent de générer encore plus de valeur. La souscription des prêts hypothécaire au Canada Passons maintenant au marché immobilier. Les institutions financières canadiennes sont en position de force : elles disposent de niveaux intéressants de fonds propres et de liquidités, elles ont effectué des simulations de crise rigoureuses, et elles adoptent les nouvelles exigences internationales. Cela dit, le Canada est aux prises avec un contexte international incertain de même qu avec le facteur de vulnérabilité occasionné par l endettement élevé des ménages. Dans ces conditions, le rôle des conseils d administration est capital. Cela m amène à expliquer pourquoi la version provisoire de la ligne directrice sur les pratiques et les procédures de souscription de prêts hypothécaires résidentiels (B-20), que le BSIF a publiée le 19 mars, stipule d entrée de jeu que les conseils d administration doivent établir des politiques de souscription de 5
prêts hypothécaires. En fait, la plupart des conseils d administration ont déjà établi de telles politiques. Il est logique qu ils aient agi ainsi, car l immobilier résidentiel est la plus importante catégorie d actifs à laquelle les banques sont exposées, intervenant pour près de 42 % de leur actif total. Les politiques devront être mises à jour pour tenir compte des nouvelles consignes et, en outre, la haute direction devra désormais déclarer au conseil d administration que l institution financière se conforme à la ligne directrice du BSIF. Nous avons opté pour des dispositions en ce sens après avoir constaté que les politiques approuvées par le conseil n étaient pas toujours respectées. L un des principaux facteurs de risque qui menacent la stabilité financière du Canada est causé par les pressions financières qui pèsent sur les ménages canadiens, et il se conjugue notamment au risque provoqué par de faibles taux d intérêt persistants, susceptibles d inciter à la prise de risques imprudents. Or, le crédit adossé à des biens immobiliers est lié à ces deux facteurs de risque. Pour cette raison, le BSIF tient formellement à ce que le conseil d administration s intéresse au crédit hypothécaire, surtout dans la conjoncture actuelle. La ligne directrice énonce les attentes du BSIF en matière de souscription prudente de prêts hypothécaires résidentiels. Elle prend appui sur nos travaux de surveillance au Canada et sur le document préliminaire de portée internationale du Conseil de stabilité financière intitulé Principles for Sound Residential Mortgage Underwriting Practices, paru à l automne 2011. L autre élément nouveau de la ligne directrice tient à l établissement de cibles claires que toutes les institutions devront atteindre. Plus précisément, le ratio prêt-valeur des marges de crédit adossées à un bien immobilier ne pourra dépasser 65 %, et toutes les institutions devront appliquer des critères minimaux aux emprunteurs admissibles tout en faisant preuve de discernement pour tenir compte des conséquences que les emprunteurs pourraient subir lorsque les taux augmenteront par rapport aux planchers historiques actuels. Nous avons diffusé la version provisoire de la ligne directrice afin de permettre aux acteurs du secteur et à d autres intéressés de commenter les pratiques exemplaires de crédit hypothécaire. À noter que la ligne directrice n a pas d incidence sur les règles visant les prêts hypothécaires assurés, qui sont établies par le gouvernement. Conclusion En résumé, dans un monde où il peut être difficile de conclure des accords internationaux, tous les pays s entendent sur une chose : il incombe, au bout du compte, aux conseils d administration de superviser la gestion et la gouvernance d ensemble des facteurs de risque des institutions financières. La tâche des 6
conseils d administration est riche en défis, surtout dans le contexte actuel, qui complique fortement la prise de décisions avisées sur le niveau de risque acceptable. Dans ces conditions, le rôle que jouent les conseils d administration prend toute son importance, et des consignes réglementaires claires sont indispensables. Je suis maintenant disposée à répondre à vos questions. 7