Quand rechercher une endocardite en cas de bactériémie à Staphylococcus aureus? Vincent Le Moing, CHU de Montpellier pour le groupe d étude VIRSTA



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Transcription:

Quand rechercher une endocardite en cas de bactériémie à Staphylococcus aureus? Vincent Le Moing, CHU de Montpellier pour le groupe d étude VIRSTA

Contexte Staphylococcus aureus est devenu le 1 er microorganisme responsable d endocardite infectieuse (EI) dans les pays riches (Fowler JAMA 2005, Selton-Suty CID 2012) Les causes et les mécanismes de la greffe à l endocarde en cas de bactériémie à S. aureus restent encore méconnus pour de nombreux patients les facteurs cardiaques (valvulopathie, matériel) ou comportementaux (usage de drogues injectées) n expliquent qu une partie des EI à S.aureus les données de génétique bactérienne sont contradictoires et probablement biaisées (Nienaber JID 2011; Tristan Plos One 2013) pas de données de génétique de l hôte Pas d étude épidémiologique prospective de grande ampleur dans la littérature récente (Chang, Medicine 2003)

Objectifs de l étude VIRSTA Identifier les facteurs associés à l existence d une EI en cas de bactériémie à S. aureus en intégrant les facteurs épidémio-cliniques, la génétique de l hôte et celle de l agent infectieux

Méthodes L étude VIRSTA Huit CHU: Besançon, Dijon, Lyon, Nancy, Nîmes, Montpellier, Bichat-Claude Bernard (Paris), Rennes Suivi prospectif de toutes les bactériémies à S. aureus (> 1 hémocultures positives) de l adulte diagnostiquées entre avril 2009 et décembre 2011 colonisation de cathéter exclues femmes enceintes et majeurs sous tutelle non inclus Données cliniques et thérapeutiques Incitation à la réalisation d une échographie cardiaque, de préférence par voie transœsophagienne Classification de chaque cas par un comité local de validation en EI certaine, possible ou exclue selon la classification de Duke-Li Etude cas-témoin nichée: séquençage du génome entier de l hôte et de l agent infectieux

Analyses statistiques Sélection des patients n ayant pas été transférés dans les centres participants pour la prise en charge d une EI Etude des facteurs associés à l existence d une EI certaine variables épidémio-cliniques mesurées lors du diagnostic de bactériémie régression logistique multivariée

Population 2091 patients inclus dont 2008 non transférés pour EI Hommes: 65%, âge médian 70 ans (IQR: 58-81) Comorbidités: Pronostic vital engagé 51% Diabète sucré 28% Hémodialyse 11% Cancer 30% Immunodépression 37% Prédisposition cardiaque connue Prothèse valvulaire 8% Autre valvulopathie 18% Matériel endocavitaire 11% (défibrillateur et PM) Usage de drogues injectées: 3% Prothèse articulaire: 8%

Bactériémies Porte d entrée présumée: Non identifiée 20% Usage de drogues injectées 2% Abord vasculaire 28% Chirurgie 15% Peau 19% Autres 16% Lieu présumé de la contamination Nosocomial 53% Lié au soin non nosocomial 17% Communautaire 27% Indéterminé 3% Méticillino-résistance 19% Sepsis grave 25% Choc septique 18% Décès intra-hospitalier 26%

Endocardites 1200 patients (60%) ont eu une échographie cardiaque dont la moitié une ETO EI certaines: 221 (11%) critères pathologiques: 24 critères cliniques: 197 2 majeurs: 138 1 majeur, 3 mineur: 57 5 mineurs: 2 Mortalité intra-hospitalière: 35% (p = 0,003 pour la comparaison avec les bactériémies sans EI)

Principales complications Complications % ensemble des patients n = 2091 % si EI n = 296 Sepsis grave 30 60 < 0.001 Choc septique 16 34 < 0.001 AVC 2 25 < 0.001 Abcès du cerveau 0 6 < 0.001 Méningite 1 5 < 0.001 Ostéoarthrite 16 22 0.009 Infection de prothèse articulaire Handicap à S12 chez les survivants 4 3 NS 55 58 NS p

Facteurs initiaux associés à l EI modèle multivarié final Variable Modalité % EI OR ajusté (IC 95%) Diabète oui non 7,8 12,3 0,57 (0,4-0,8) 1 Usage de drogue IV oui non 38,1 10,1 5,79 (3,1-10,7) 1 Cardiopathie prédisposante aucune prothèse valvulaire autre 7,0 32,9 19,7 1 9,95 (6,3-15,7) 4,38 (3,1-6,3) Lieu présumé de la contamination communautaire lié au soin nosocomial 20,5 11,9 6,4 3,92 (2,7-5,7) 2,39 (1,5-3,7) 1 Délai entre symptômes et 1 ère hémoculture < 1 jour > 1 jour 7,8 14,4 1 1,49 (1,1-2,1) C-réactive protéine < 190 mg/l > 190 mg/l 7,6 15,2 1 2,19 (1,6-3,0)

Facteurs associés à l EI (2) Ce modèle n explique que 24% de la variabilité Autres facteurs étudiés non associés à l EI: âge, sexe, score de MacCabe, immunodépression, sensibilité à la pénicilline et à la méticilline Autres facteurs associés à l EI mais non inclus dans le modèle final: porte d entrée non identifiée (EI: 14,9%) ou fistule artério-veineuse (EI: 22,5%) matériel endocavitaire (EI: 18,4%) Analyses de robustesse : résultats similaires EI certaines vs EI exclues Analyse restreinte aux sujets ayant eu une échographie (n = 1200 dont 11,8% d EI certaines avec signes échographiques) Parmi les 723 patients ayant une bactériémie nosocomiale et aucun facteur prédisposant à l EI, 23 (3,2%) ont eu un diagnostic d EI

Analyses en cours Ajouter au modèle les facteurs évolutifs (complications précoces, durée de bactériémie, adéquation du traitement antibiotique) et tenter de construire un score permettant de guider la réalisation de l échocardiographie Etudes génétiques de l hôte et de l agent infectieux

Discussion - Conclusions L EI est une complication grave et, hormis les prédispositions cardiaques et comportementales bien connues, imprévisible des bactériémies à S. aureus Les sujets les moins à risque a priori (infection nosocomiale et absence de prédisposition) ont une proportion non négligeable d EI (3%) Ces premiers résultats tentent à conforter la recommandation controversée qu il faut rechercher une EI chez tout sujet atteint de bactériémie à S. aureus le diagnostic précoce pourrait améliorer le pronostic toujours grave de cette maladie Les bactériémies à S. aureus sont une complication grave des soins dont il faudrait améliorer la prévention place de la décontamination systématique des malades recevant des soins agressifs?

Groupe d étude VIRSTA Centres: Besançon: Catherine Chirouze, Elodie Curlier, Cécile Descottes-Genon, Bruno Hoen, Isabelle Patry, Lucie Vettoretti. Dijon: Pascal Chavanet, Jean- Christophe Eicher, Marie-Christine Greusard, Catherine Neuwirth, André Péchinot, Lionel Piroth. Lyon: Marie Célard, Catherine Cornu, François Delahaye, Malika Hadid, Pascale Rausch. Montpellier: Audrey Coma, Florence Galtier, Philippe Géraud, Hélène Jean-Pierre, Vincent Le Moing, Catherine Sportouch, Jacques Reynes. Nancy: Nejla Aissa, Thanh Doco-Lecompte, François Goehringer, Nathalie Keil, Lorraine Letranchant, Hepher Malela, Thierry May, Christine Selton-Suty. Nîmes: Nathalie Bedos, Jean-Philippe Lavigne, Catherine Lechiche, Albert Sotto. Paris: Xavier Duval, Emila Ilic Habensus, Bernard Iung, Catherine Leport, Pascale Longuet, Raymond Ruimy. Rennes: Eric Bellissant, Pierre-Yves Donnio, Fabienne Le Gac, Christian Michelet, Matthieu Revest, Pierre Tattevin, Elise Thebault. Coordination et analyses statistiques: François Alla, Pierre Braquet, Marie-Line Erpelding, Laetitia Minary. Centre National de Référence des staphylocoques: Michèle Bès, Jérôme Etienne, Anne Tristan, François Vandenesch. Erasmus University Rotterdam: Alex Van Belkum, Willem Vanwamel. Promoteur CHU de Montpellier: Sandrine Barbas, Christine Delonca, Virginie Sussmuth, Anne Verchère. Etude financée par le Programme Hospitalier de Recherche Clinique, Ministère des Affaires Sociales et de la Santé, France.