LES DOULEURS RÉCURRENTES D EFFORT DE JAMBE CHEZ LE COUREUR A PIED : du joggeur du dimanche au compétiteur marathonien

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Transcription:

LES DOULEURS RÉCURRENTES D EFFORT DE JAMBE CHEZ LE COUREUR A PIED : du joggeur du dimanche au compétiteur marathonien Docteurs J. Lecocq et M.E. Isner-Horobeti, Service de Physiologie et Explorations fonctionnelles, NHC DÉFINITION La douleur d effort (DE) se caractérise par sa survenue lors d activités physiques et par sa régression plus ou mois rapide à l arrêt de l effort et par son absence au repos. Cette DE a donc un caractère récurrent à chaque effort de même type et peut donc souvent devenir chronique, ce qui n exclut pas parfois une évolution aiguë. Ces douleurs ne sont pas dues à un macrotraumatisme (entorse, déchirure musculaire, ) mais sont liées à des lésions microtraumatiques par sur-utilisation répétée (overuse syndrome) du fait des contraintes mécaniques, ici la course à pied d endurance. En effet la jambe est le segment de membre le plus souvent concerné par ces DE en milieu sportif. LIMITES DE CES DOULEURS D EFFORT Ces DE sont localisées uniquement à la jambe. Ainsi, les DE articulaires et péri-articulaires immédiates ne sont pas concernées car même si elles s accompagnent souvent d irradiations à la jambe, la localisation principale de la douleur se situe à l articulation (genou, cheville). Cependant l examen clinique par esprit systématique devra quand même explorer le genou, la cheville et le pied car la topographie décrite par le patient n est pas toujours très précise et il peut y avoir des intrications ou des exceptions. Par exemple la douleur de la tendinopathie corporéale d Achille peut irradier au dessus de l extrémité distale de la jambe. Un kyste

poplité peut ne se traduire que par un syndrome compressif nerveux et/ou vasculaire qui va s exprimer à la jambe et au pied. Figure 1 : kyste poplité FRÉQUENCE Le nombre de «joggeurs» est évalué en France à environ 8 millions dont 500.000/an participent à une compétition fédérale ou non comme par exemple les Courses de Strasbourg ou la Strasbourgeoise (15.000 en 2014). Le nombre de villes organisant un marathon est exponentiel de même que le nombre de leurs participants autorisés, de l ordre de plusieurs dizaines de milliers pour les plus connues (nombre limité à 45.000 pour Paris). Ainsi ces DE sont fréquentes et peuvent toucher comme le sous-titre de cet exposé le souligne, toutes les catégories de pratiquants, du coureur occasionnel, du coureur «sport-santé» à l amateur régulier se préparant à une ou plusieurs épreuves, au sportif professionnel ou de haut niveau et aux professions nécessitant des entraînements réguliers (militaires, pompiers, policiers). De nombreux médecins peuvent donc être concernés par ces patients douloureux même s ils n ont pas une pratique prédominante en médecine du sport. ÉTIOLOGIES Les étiologies possibles sont nombreuses, les microtraumatismes pouvant concerner tous les tissus. Ces étiologies sont les mêmes pour tous ces patients, quel que se soit le niveau et le type de pratique de course à pied d endurance. Les 4 affections les plus fréquentes dont les lésions sont localisées à la jambe sont les fractures de fatigue, la périostite tibiale, le syndrome de loge d effort et les syndromes d artère poplitée piégée. Elles seules seront décrites ainsi que leur prise en charge. Cependant il ne faut pas oublier que des processus ou affections générales ou locorégionales non micro-traumatiques peuvent parfois provoquer à l effort une DE de jambe et même se révéler ainsi. Localement il peut s agir de lésions inflammatoires, infectieuses, tumorales, bénignes ou malignes, qui pourront concerner tous les tissus.

Figure 2 : sarcome d Ewing du péroné infiltrant les parties molles (T2) Sur le plan général, des troubles métaboliques (hypophosphorémie, hypokaliémie, ), des affections endocriniennes en particulier thyroïdiennes, l hypovitaminose D peuvent être en cause ainsi que des maladies musculaires métaboliques telles que des glycogénoses qui peuvent ne se traduire que par une intolérance musculaire à l effort et de ce fait par des myalgies d effort. Par ailleurs Les effets adverses de nombreux médicaments peuvent être à l origine de douleurs musculaires ou ostéo-articulaires plus apparentes à l effort, telles que par exemple les hypocholestérolémiants (fibrates et statines) et les rétinoïdes, ce qui justifiera dans la mesure du possible une fenêtre thérapeutique. En pratique, bien que toutes ces circonstances soient peu fréquentes, il est essentiel de procéder malgré le contexte sportif a priori rassurant, à un interrogatoire rigoureux et un examen clinique complet, un bilan biologique sanguin ainsi que des radiographies standard et une échographie du segment de la jambe, ce qui permettra aussi d avancer sur le diagnostic des affections microtraumatiques citées précédemment et parfois de mettre en évidence une séquelle de macrotraumatisme ancien oublié du sportif. Il faudra aussi ne pas méconnaitre les affections pouvant ne se traduire qu à l effort mais situées à distance de la jambe, essentiellement le canal lombaire étroit, asymptomatique au repos (et sans lombalgie) mais à l origine d une ou plusieurs radiculalgies d effort ou claudication radiculaire L4, L5 et/ou S1. Le contexte diagnostique est plus facile pour le canal lombaire rétréci par des lésions arthrosiques car il existe souvent des lombalgies. un TDM lombaire sera demandé. Il peut aussi être demandé systématiquement en fin de bilan de DE si ce dernier n a pas apporté d explication. Figure 3 : canal lombaire étroit

Une artériopathie oblitérante débutante aux différents niveaux du bassin et de la cuisse par athéromatose, asymptomatique dans les activités de la vie quotidienne, peut se révéler à la course à pieds. Un Echo-doppler sera de toute manière demandé dans le cadre du bilan étiologique comme précisé plus loin. DEUX CIRCONSTANCES DE CONSULTATION SONT SCHÉMATIQUEMENT POSSIBLES (tableau 1 : arbre décisionnel) : 1. consultation «précoce» de quelques jours à quelques semaines après la 1ère séance sportive douloureuse. Il faudra rechercher prioritairement à la fracture de fatigue ce qui nécessite une conduite à tenir (CAT) particulière, la poursuite de la course à pied étant contre-indiquée. La périostite tibiale est à envisager ensuite avant les autres étiologies cidessous. 2. consultation «tardive» de quelques mois (de l ordre de 2-3mois) à parfois plusieurs années après les premiers symptômes. Un syndrome de loge d effort et un syndrome d artère poplitée piégée seront à rechercher principalement. Tableau 1 : arbre décisionnel des DE de jambe du coureur à pied

EXAMEN CLINIQUE Ces DE de jambe ont une traduction clinique objective souvent pauvre et même inexistante au repos. En outre les étiologies peuvent s intriquer. L interrogatoire est donc un moment clé, qui, hormis les éléments précédemment développés va se cibler sur les caractéristiques de la douleur pendant et après la course à pieds. La topographie de la douleur, diffuse, focalisée ou sur l une des 4 faces de la jambe est un élément d orientation utile, de même que le caractère uni ou bilatéral et d éventuelles irradiations en général distales. Les caractéristiques temporelles (durée d évolution, délai et mode de survenue à l effort surtout, nécessité ou non d arrêt de l effort, durée post-effort qui est un critère important, boiterie post-effort, persistance d un fond douloureux modéré) sont essentielles. L intensité de la douleur est moins discriminante et sera évaluée par son retentissement fonctionnel sur la course à pieds et d autres sports ainsi qu au cours de la profession et des activités de la vie quotidienne. L évolution est à préciser (aggravation ou état sable). On recherchera d autres douleurs (lombalgies, avant-bras, cuisse), d autres symptômes à l effort ou non (paresthésies distales, crampes, «fatigue» des membres inférieurs ou généralisée, steppage), la constations par le patient lui-même de signes immédiatement à l arrêt de l effort (induration musculaire ou hernie musculaire, modification de coloration cutanée, œdème, steppage, ), l efficacité à la reprise de la course d un éventuel arrêt transitoire du sport presque toujours essayé par le patient, l efficacité d un changement de chaussures de course à pieds et/ou d un essai de semelles amortissantes ou non, de kinésithérapie ou de physiothérapie, d auto-médication. BILAN ET TRAITEMENT La pauvreté de l examen clinique au repos nécessite d entreprendre un bilan paraclinique. Un temps intermédiaire est de pouvoir examiner le sportif immédiatement après une séance de course à pieds sauf si le contexte fait craindre une fracture de fatigue, ce qui nécessite une organisation de la consultation. Ce bilan sera hiérarchisé en fonction de l orientation donnée par l interrogatoire et l examen physique mais aussi en fonction du patient (niveau sportif, intensité de la pratique, souhait du patient, contraintes de temps en vue de compétitions ou d activités professionnelles, ), certaines explorations d accès difficile ou coûteuses pouvant dans certains cas être remplacées ou repoussées par un test de repos sportif encadré par un suivi clinique rapproché. Le traitement est particulier à chaque étiologie et certaines peuvent nécessiter une intervention chirurgicale, ce qui justifie d avoir un diagnostic étiologique précis. Un avis spécialisé peut être requis.

LES FRACTURES DE FATIGUE (FF) ET DE JAMBE Le tibia est la localisation la plus fréquente de toutes les FF, jusqu à 50 % des FF. Il s agit essentiellement de la diaphyse. L atteinte de la fibula représente environ 15 % des FF. La FF traduit une perturbation du remodelage osseux de l os sain qui n est pas capable de s adapter rapidement à des augmentations brutales et répétées de contraintes mécaniques qui majorent la résorption osseuse. Le déséquilibre entre formation et résorption aboutit à une réaction de stress ou stade pré-fracturaire comportant des microfissures qui vont confluer jusqu au stade fracturaire, ces 2 stades étant objectivés en IRM. Plusieurs facteurs favorisants extrinsèques et intrinsèques, principalement les modifications de l entraînement sportif peuvent intervenir (notamment la «triade de la femme sportive» qui comporte une aménorrhée, des troubles alimentaires et des FF). Les FF se traduisent par une DE stricte, de début insidieux, d aggravation progressive et plus ou moins localisée. Il existe cependant des formes aigues entraînant d emblée des douleurs invalidantes et durable après l effort, amenant à une consultation médicale rapide. L examen clinique est pauvre ; la palpation peut être douloureuse en un point précis avec parfois une petite tuméfaction pour les FF situées dans les zones superficielles du tibia et de la fibula. Le diagnostic ne peut être totalement affirmé que par l imagerie. Les radiographies standard restent normales dans plus de 50 % des cas et les anomalies apparaissent tardivement au bout de 4 à 6 semaines. L Echographie semble intéressante mais n est pas validée. La scintigraphie au technetium 99 met en évidence une hyperfixation bien focalisée dès les premiers jours mais non spécifique. Figure 4 : fracture de fatigue : scintigraphie osseuse.

L IRM est aussi sensible et précoce mais est plus spécifique en montrant un oedème pericortical externe et médullaire (hyposignal T1, hypersignal T2 et [T1+gadolinium], hypersignal en séquences saturation de graisse et STIR). Les aspects IRM ont été classés en 4 grades de gravité, les 2 premiers grades correspondant au stade préfacturaire, le suivant à un stade intermédiaire et le 4ème au stade fracturaire. Ces 4 grades ont une valeur prédictive du délai avant reprise complète du sport. C est dire l importance de pouvoir faire le diagnostic dès le stade pré-fracturaire pour traiter précocement. Eventuellement lorsque les DE sont récentes et modérées chez un sujet sportif occasionnel et ayant une profession sédentaire on peut surseoir à l IRM et même à la scintigraphie, si cliniquement l atteinte ne se situe pas à la face antérieure du tibia et à condition de pouvoir suivre très régulièrement le patient. Figure 5 : IRM stade pré-fracturaire de fatigue Le risque évolutif des FF de la diaphyse tibiale est fonction de la topographie de la lésion : la FF dans la concavité de la diaphyse, donc sur sa face postero-interne est une FF en compression et est classée à bas risques comme celles de la fibula. A l inverse la FF dans la convexité du tibia au niveau de sa face et bord antérieurs qui sont les seuls palpables est en distraction et est classée à haut risque. Pour les FF à bas risque au stade pré-fracturaire, l arrêt ou même la seule réduction de l activité sportive si la douleur régresse complètement est suffisant en association avec le traitement des facteurs favorisants par exemple en modifiant le rythme et le volume des entraînements, en prévoyant des périodes de repos sportif, en changeant de chaussures, en portant des orthèses plantaires, en luttant contre les troubles alimentaires (apport en calcium, vitamine D et protéines) et en traitant les éventuelles perturbations hormonales. La guérison et la reprise complète du sport sont possibles entre 6 et 8 semaines en moyenne. Pour la FF à haut risque de la face antérieure du tibia au stade pré-fracturaire l immobilisation et la décharge partielle du membre inférieur sont préconisées alors qu au stade fracturaire la décharge complète est nécessaire et certains proposent même une ostéosynthèse.

PERIOSTITE TIBIALE La périostite tibiale, fréquente et banale chez le coureur à pied est plutôt un syndrome défini par la DE comme le suggère son appellation anglo-saxonne dont la traduction littérale est «syndrome douloureux médial du tibia ou syndrome de stress tibial médial». Cela traduit bien que sa physiopathologie et son anatomopathologie restent peu claires (enthésopathie des muscles soléaire ou tibial postérieur ou fléchisseur commun des orteils, réaction osseuse de stress se rapprochant du stade pré-fracturaire de la FF, forme particulière de syndrome de loge d effort postérieur profond). L expression clinique est relativement univoque : DE à la face médiale de la jambe plutôt dans sa moitié inférieure pendant la course à pied, souvent bilatérale, pouvant régresser en cours d effort, n obligeant que rarement à l arrêter et pouvant persister quelques heures à 1 journée après l effort ; la palpation du bord postéro-médial du tibia est électivement douloureuse sur 10 à 15 cm dans sa moitié ou 2/3 inférieurs contrairement à la FF dont la douleur éventuelle à la palpation est punctiforme. Les radiographies standard sont normales. Le bilan biologique sanguin est normal comme pour les FF. Le diagnostic de certitude entre FF et périostite repose sur la scintigraphie osseuse en mettant en évidence pour cette dernière une hyperfixation longitudinale et modérée du tibia au temps tardif. Cependant on connaît l existence de rares FF longitudinales donnant ce même aspect scintigraphique. Figure 6 : périostite : hyperfixation scintigraphique étendue bilatérale L IRM et éventuellement l Echographie comportent aussi des anomalies évocatrices (œdème pericortical mais limité). Cependant une apposition périostée visible sur une radiographie standard, fera d abord rechercher une autre affection telles que ostéomyélite, histiocytome,

... La bénignité de l affection autorise s il n y a que peu de doute diagnostique à se passer de scintigraphie quitte à la réaliser en cas d échec thérapeutique. Le traitement s appuie sur le repos sportif concernant les sports en charge pour une durée en général de l ordre du mois, mais pouvant parfois aller jusqu à 2 mois. Le traitement symptomatique fait appel à la physiothérapie, les massages, le stretching, les anti-inflammatoires en application locale et éventuellement par voie orale. Les ondes de choc préconisées par certains n ont pas fait la preuve de leur efficacité. La correction des troubles morphostatiques même minimes des pieds par des semelles est utile, principalement pour limiter ou réduire le valgus calcanéen et la pronation du pied et a aussi un intérêt préventif. LES SYNDROMES DE LOGE D EFFORT (SLE) DE JAMBE Figure 7 : les 4 loges de la jambes Le SLE est caractérisé par un critère clinique, des DE survenant en regard des muscles d une ou plusieurs loges (ou compartiment) et par un critère para-clinique, l élévation de la pression intra-musculaire (PIM) au-delà des normes à l intérieur de ces loges. La localisation à la jambe est de loin la plus fréquente et concerne une ou plusieurs des 4 loges, antérieure, latérale en général associée à la précédente, postérieure profonde et très rarement postérieure superficielle. L atteinte est bilatérale dans 50 à 80 % des cas. Le SLE survient surtout au cours de la couse à pied d endurance. Le SLE peut se voir à tout âge, le maximum se situant entre 20 et 30 ans et sans différence entre hommes et femmes. Il s agit en général de sportifs pratiquant régulièrement et depuis plusieurs années. Il est parfois retrouvé un facteur déclenchant telle qu une modification ou une reprise de l entraînement. Le SLE apparaîtrait plus souvent en début ou en fin de saison d activité sportive ou de compétition. La qualité du sol et des chaussures peut intervenir.

La DE est stéréotypées chez un patient donné pour un effort d intensité et de durée données, revenant pour chaque nouvel effort identique (de quelques minutes à ¼ - ½ d heure, moins souvent au-delà), expliquant son caractère chronique car le SLE ne s aggrave que lentement, en général sur des années mais le SLE peut parfois avoir une évolution aigue si le sportif continue à courir malgré des DE intenses. L intensité de la douleur est variable d un patient à un autre pouvant nécessiter la réduction ou l arrêt de l effort. A l arrêt la douleur diminue en une dizaine de minutes à quelques heures mais jamais de manière instantanée et se poursuit en général par une sensation de simple courbature douloureuse pendant quelques heures à 2 jours. L examen clinique chez le patient au repos se caractérise par sa normalité. Il est parfois constaté une ou plusieurs petites hernies musculaires pour les loges superficielles, signe quasi pathognomonique. Figure 8 : hernie musculaire A l examen clinique immédiatement après l effort déclenchant la douleur, Il est alors souvent constaté une dureté douloureuse de la face antérieure et/ou latérale, parfois l apparition d une hernie musculaire. Les pouls distaux sont toujours perçus. Le délai d évolution avant diagnostic pour des SLE de jambe a été mesuré à 24 mois en moyenne dans une série récente de 276 patients.

La mesure des PIM est le moyen diagnostique de référence et de certitude de SLE. Après une épreuve d effort de course à pied sur tapis roulant ayant déclenché la DE, une aiguille fenêtrée reliée à un manomètre est rapidement implantée dans la loge car la PIM doit être mesurée 1 minute après l arrêt de l exercice. Les critères diagnostiques les plus couramment utilisés sont les PIM une minute après effort supérieur ou égal à 30 mmhg et surtout supérieur ou égal à 20 mmhg à 5 minutes. Cette exploration est réalisée en routine au Service de physiologie et explorations fonctionnelles au NHC des Hôpitaux universitaires de Strasbourg en même temps que des avis spécialisés diagnostiques de thérapeutiques pour les DE des membres chez le sportif. Il n y a pas à l heure actuelle d autres examens complémentaires dont l intérêt diagnostique soit validé (IRM à réaliser dans les premières minutes suivant l exercice, scintigraphie au thallium). Le SLE ne comporte pas d anomalies biologiques sanguines. La physiopathologie et l étiopathogénie du SLE sont encore mal connues contrairement au syndrome de loge traumatique aigu (fracture, hématome, plâtre trop serré) mieux connu et qui est une urgence chirurgicale pour éviter la nécrose des muscles de la loge. Le traitement du SLE est chirurgical. Cependant un traitement médical par injections de toxine botulique de tous les muscles de la ou les loges concernées est utilisé aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg depuis près de 10 ans. Le repos sportif ne peut supprimer que momentanément les DE qui réapparaissent au bout de quelques séances à la reprise sportive. Une alternative thérapeutique pour les sportifs occasionnels de loisir est la réduction de la vitesse et/ou de la durée de la course à pied au-dessous du seuil déclenchant la douleur. Le traitement chirurgical consiste en une fasciotomie ou aponévrotomie sur toute la hauteur de l aponévrose. Plusieurs auteurs proposent depuis peu un abord endoscopique. La reprise sportive est progressive au cours du 2ème mois. Il peut persister des DE modérées et il existe parfois des récidives, surtout pour la loge postérieure profonde d accès chirurgical plus difficile. SYNDROME DE L ARTÈRE POPLITÉE PIÉGÉE (SAPP) Le SAPP provoque des DE au mollet mais qui peuvent aussi moins fréquemment se situer à la face antéro-latérale de la jambe. Le SAPP est bilatéral dans le 1/3 des cas. Il se voit chez des sujets surtout avant 30 ans pratiquant des sports favorisant l hypertrophie des gastrocnémiens ou jumeaux, chefs musculaires du triceps sural, essentiellement la course à pied. Il y a 2 types de SAPP qui ont cependant la même symptomatologie : le SAPP qui comporte un véritable piège anatomique par aberration musculaire, aponévrotique ou vasculaire objectivable en imagerie et le SAPP fonctionnel ou dynamique (type V de la classification en vigueur) appelé «syndrome fonctionnel de compression poplitée», donc sans

anomalie anatomique mais comportant souvent une simple hypertrophie des gastrocnémiens. La DE est importante obligeant à arrêter l effort et régresse alors presque instantanément, en tout cas plus rapidement que pour les autres étiologies de DE. La DE peut s accompagner de paresthésies distales. L examen clinique au repos est normal, en particulier au creux poplité. Au cours des manœuvres dynamiques cherchant à étirer et/ou contracter les gastrocnémiens, le genou étant en extension maximale pour comprimer l artère poplitée, il est difficile de mettre en évidence cliniquement une diminution ou une disparition des pouls distaux ou l apparition d un souffle poplité. Le SAPP, surtout les formes avec anomalies anatomiques, peut évoluer vers une aggravation progressive et des complications à type d ischémie subaigue par thrombose, d anévrysme ou de lésions distales trophiques par embols répétés. L Echo-doppler est normal au repos s il n y a pas de complication. Par contre les manœuvres dynamiques cliniques prennent ici tout leur intérêt en objectivant les modifications du flux de l artère poplitée et/ou des artères jumelles. Figure 9 : syndrome d artère poplitée piégée. Reconstruction TDM Figure 10 : angio-tdm sans manoeuvre

Figure 11 : angio-tdm avec manoeuvre : interruption du flux Les perturbations de la mesure de la tension artérielle systolique aux chevilles (artère tibiale postérieure) après effort de course à pied et de l index de pression systolique aux chevilles (IPSC) calculé en rapportant ces valeurs à celle de la tension artérielle systolique au bras sont un argument en faveur du rôle pathogène des anomalies en écho-doppler dans ces DE. L angio-tdm avec manœuvres cliniques et l angio-irm vont permettre de rechercher une anomalie anatomique musculaire ou vasculaire et de classer le SAPP en 5 types. S il est objectivé une anomalie anatomique le traitement est chirurgical pour supprimer le piège. Par contre les possibilités du traitement du SAPP fonctionnel sont limitées, parfois chirurgie pour libérer l artère si l hypertrophie musculaire est importante, plus souvent rééducation pour assouplir le triceps et réduire son tonus, talonnettes et semelles, physiothérapie antalgique ne donnant que des résultats fonctionnels aléatoires nécessitant l adaptation des gestes sportifs. Des essais en cours d injections de toxine botulique de l extrémité proximale des gastrocnémiens au CHU de Strasbourg sont encourageants. AUTRES AFFECTIONS D autres affections peuvent être recherchées en cas de négativité de l ensemble des explorations précédentes et après s être assuré qu il ne s agit pas d une DE projetée d origine

lombaire : Lesséquelles traumatiques musculaires visualisées en imagerie (Echographie, IRM), tel qu un nodule fibreux cicatriciel, une poche séreuse, une calcification ou ossification, une désinsertion ou une rupture de tout ou partie d un muscle, asymptomatiques dans la vie courante peuvent être douloureuses à l effort. Figure 12 : ossification post-traumatique de la membrane inter-osseuse tibio-fibulaire Les syndromes canalaires à point de départ à la jambe (nerf fibulaire superficiel, nerf sural) se traduisent plutôt par des signes au pied et plus accessoirement à la partie distale de la jambe. Les syndromes compressifs du nerf fibulaire commun au col de la fibula ou du nerf tibial au creux poplité donnent des signes à la jambe et au pied mais sont peu classiques dans ce cadre de DE au cours de la pratique sportive dont la course à pied. Un muscle surnuméraire tel un soléaire accessoire peut donner des DE. Les syndromes myofasciaux de concept encore très discuté paraissent rares à la jambe. Des pathologies veineuses de la jambe ou du creux poplité peuvent rarement être en cause. CONCLUSION Les étiologies des douleurs récurrentes d effort de la jambe pendant la course à pied sont nombreuses et nécessitent pour leur recherche un interrogatoire soigneux et un examen physique programmé systématique passant en revue toutes les structures anatomiques. Dans la plupart des cas cet examen clinique ne permettra pas de faire l économie d un bilan paraclinique mais l orientera au mieux. Ce diagnostic étiologique est nécessaire pour adapter le traitement, parfois chirurgical, qui diffère d une affection à une autre. Cette conduite à tenir est transposable aux DE d autres segments de membres, en particulier l avant-bras. Les principales caractéristiques des 4 affections microtraumatiques localisées à la jambe sont résumées dans le tableau 2 ci-dessous. Tableau 2 : récapitulation schématique des principaux éléments des 4 principales affections microtraumatiques de la jambe à l origine de douleurs récurrentes d effort.