NÉPHROPATHIES DIABÉTIQUES



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CHAPITRE 11 NÉPHROPATHIES DIABÉTIQUES OBJECTIFS Connaître l épidémiologie de la néphropathie diabétique. Connaître et savoir diagnostiquer les différents stades de la néphropathie diabétique. Argumenter les principes du traitement préventif de la néphropathie diabétique. Savoir adapter la surveillance et la prise en charge diététique et médicamenteuse du diabétique au stade de la néphropathie. Comprendre l importance de la prise en charge multidisciplinaire de la néphropathie diabétique et savoir l expliquer au patient. Connaître les objectifs thérapeutiques consensuels de la néphropathie diabétique. Expliquer les mécanismes physiopathologiques de la néphropathie diabétique et de ses facteurs de progression. I. ÉPIDÉMIOLOGIE La néphropathie diabétique (ND) est la première cause d insuffisance rénale terminale dans les pays occidentaux ; elle rend compte de près de 24 % des cas d'insuffisance rénale terminale en France en 2007. Plus de 90 % des diabétiques ont un diabète de type 2. L incidence de l insuffisance rénale terminale liée au diabète augmente également en raison de l allongement de la survie cardio-vasculaire dû à l amélioration de la prise en charge et au vieillissement de la population. Des facteurs génétiques et d environnement concourent à la survenue et l aggravation de la néphropathie diabétique : il existe une agrégation familiale de néphropathie diabétique (un diabétique ayant dans sa famille un diabétique atteint de néphropathie, a un risque très important de développer lui-même une complication rénale) ; certains groupes ethniques (sujets noirs américains, sujets d origine hispanique ou asiatique) semblent particulièrement prédisposés à la fois au diabète et à la néphropathie diabétique ; dans les zones francophones, ce risque est plus élevé aux Antilles, à l île Maurice, chez les Indiens de Pondichéry, en Polynésie et en Nouvelle Calédonie. II. HISTOIRE NATURELLE L atteinte rénale du diabète de type 1 et de type 2 ont beaucoup d aspects

communs mais diffèrent par quelques points. A. Diabète de type 1 Stade initial : à la suite de la polyurie initiale et de l acidocétose qui inaugurent la maladie diabétique de type 1, la fonction rénale est habituellement normale ; à ce stade précoce, il existe une augmentation du débit de filtration glomérulaire (appelée «hyperfiltration glomérulaire») avec augmentation parallèle de la taille des reins. Cette hyperfiltration glomérulaire dépend en grande partie du degré de contrôle glycémique. Stade intermédiaire : après une dizaine d années, 25 % des patients ont une augmentation de l excrétion urinaire d albumine supérieure à 30 mg/24 h («microalbuminurie», voir encadré n 1) ; en l absence de traitement efficace, l albuminurie s aggrave progressivement jusqu à une protéinurie détectable à la bandelette réactive urinaire (albumine > 300 mg/j) et une hypertension artérielle (HTA) s installe ; le délai entre l apparition de la microalbuminurie et celle de la protéinurie peut être compris entre 2 et 5 ans ; l intensification des traitements antidiabétique par insuline et antihypertenseur par inhibiteurs de l enzyme de conversion (IEC) ou antagonistes des récepteurs de l angiotensine II (ARA2) permet de prolonger significativement cet intervalle et retarde l apparition des phases ultérieures de l atteinte rénale. Stade avancé : au stade de la protéinurie et de l HTA, la filtration glomérulaire diminue rapidement en l absence de traitement ; une insuffisance rénale terminale peut dans ces conditions s installer en moins de 5 ans. Les différents stades évolutifs sont résumés dans le tableau 1. Tableau 1. Les différents stades évolutifs de la néphropathie diabétique (ND) 1 Diagnostic Hypertrophie (gros reins) Hyperfonction (hyperfiltration glomérulaire) 2 2-5 ans Silencieux 3 5-10 ans Néphropathie débutante Microalbuminurie (30 à 300 mg/24 h) Pression artérielle normale-haute 4 10-20 ans Néphropathie avérée Protéinurie (albuminurie > 300 mg/24 h) HTA chez 75 % des patients Syndrome néphrotique (SN) dans 10% des cas Progression de l insuffisance rénale 5 20 + ans Insuffisance rénale terminale

Nécessité de dialyse et/ou transplantation rénale (+/ pancréatique) B. Diabète de type 2 L ancienneté du diabète de type 2 n est souvent pas connue ; au moment du diagnostic, de nombreux patients ont une HTA et une microalbuminurie. La microalbuminurie du diabétique de type 2 est une puissant marqueur de risque cardio-vasculaire; elle traduit aussi un risque de développer une néphropathie progressive. Les diabétiques de type 2 tendent également à avoir une élévation du débit de filtration glomérulaire dans la période initiale après le diagnostic du diabète. Le degré d augmentation de la filtration glomérulaire n est cependant pas aussi important. La progression des complications rénales dans le diabète de type 2 suit globalement la même course évolutive qu au cours du diabète de type 1. L évolution naturelle de la néphropathie diabétique de type 2 est représentée dans la figure 1. Encadré n 1 Dépistage et surveillance de l atteinte rénale d un patient diabétique

Microalbuminurie Il existe physiologiquement une très faible excrétion urinaire d albumine détectable uniquement par radio-immunoassay ou immunonéphélométrie. Son augmentation supérieure à 30 mg/24 h est appelée «microalbuminurie» et précède le développement ultérieur d une protéinurie (> 300 mg/jour) détectable par des bandelettes réactives. Dans le diabète de type 1, la microalbuminurie prédit la progression vers la néphropathie diabétique. Dans le diabète de type 2 la microalbuminurie représente le plus important facteur prédictif de mortalité cardio-vasculaire. Le dépistage de la microalbuminurie s effectue par la mesure du rapport albumine/créatinine (A/C) sur un échantillon des urines du matin. Une A/C de 2,5 mg/mmol (ou 30 mg/g) correspond à un risque très élevé de microalbuminurie (> 30 mg/j) et doit faire pratiquer une mesure d albuminurie sur 24 heures. La microalbuminurie doit être confirmée par 2 prélèvements successifs. Surveillance initiale puis annuelle : mesure soigneuse de la pression artérielle ; dosage de la créatinine plasmatique et estimation du DFG selon la formule de Cockcroft ou de MDRD ; recherche-quantification d une microalbuminurie : chez tous les diabétiques de type 1 à partir de la 5 e année de diabète puis 1 fois par an, et chez tous les diabétiques de type 2 au moment du diagnostic de diabète puis ensuite 1 fois par an (recommandations de l ANAES). III. MANIFESTATIONS CLINIQUES A. Signes précoces Les manifestations cliniques les plus précoces de la néphropathie diabétique sont l HTA et la protéinurie associée à des œdèmes. B. Signes plus tardifs La rétinopathie diabétique est pratiquement constante chez les patients diabétiques de type 1 avec atteinte rénale. En revanche, dans le type 2, une protéinurie sans rétinopathie incite à rechercher une autre cause de néphropathie glomérulaire ou vasculaire.

Les complications cardio-vasculaires touchant les artères de gros calibre («macroangiopathie») sont fréquentes dans les deux types de diabète, mais sont plus précoces dans le type 2. La protéinurie et l insuffisance rénale sont des facteurs de risques majeurs de macroangiopathie (infarctus myocardique, accidents vasculaires cérébraux et insuffisance vasculaire périphérique nécessitant souvent des amputations). La sténose de l artère rénale (SAR) est particulièrement fréquente chez le sujet diabétique de type 2. Sa prévalence varie de 10 à 50 % et est plus importante chez les hommes, les fumeurs, les patients avec une protéinurie et/ou une réduction de la fonction rénale (Cockcroft < 60 ml/min). L hyperkaliémie secondaire à l hypoaldostéronisme-hyporéninénisme est fréquente et peut survenir même en présence d une réduction modérée de la fonction rénale (créatinine plasmatique à 150 µmol/l) et à la suite d une prescription pourtant recommandée de médicaments néphroprotecteurs (IEC et AA2). Elle pourra le plus souvent être contrôlée par un régime et la prescription de Kayexalate. Au stade d IRC préterminale, plusieurs complications du diabète peuvent exacerber les symptômes urémiques ou être similaires à ceux-ci : nausées et vomissements aggravent ou simulent une neuropathie diabétique végétative avec des anomalies de vidange gastrique liées à la gastroparésie ; la neuropathie diabétique périphérique simule la neuropathie urémique : les symptômes neuropathiques douloureux et hyperesthésiques sont plus volontiers attribuables au diabète de longue durée qu à l urémie ; la neuropathie végétative diabétique explique la survenue fréquente d une hypotension orthostatique exacerbée par certains médicaments. IV. Histologie et corrélations anatomo-cliniques A. Description Stades 1 et 2 : hypertrophie glomérulaire sans modifications morphologiques. Stade 3 : au stade de micro-albuminurie il y a un début d expansion mésangiale diffuse. Stade 4 : plusieurs lésions : poursuite de l expansion mésangiale et constitution de nodules extracellulaire dits de Kimmelstiel-Wilson (voir planche couleur). Les lésions nodulaires se distinguent de celles de l amylose et des dépôts de chaînes légères qui sont identifiés par des colorations spécifiques ; épaississement des membranes basales et diminution des surfaces capillaires ; hyalinose artériolaire. Stade 5 : sclérose glomérulaire et interstitielle avec destruction progres-

sive des glomérules et des tubules. B. Cas du diabète de type 2 Dans le diabète de type 1, une protéinurie en présence d une rétinopathie traduit presque toujours une glomérulosclérose diabétique. En revanche, l atteinte rénale du diabète de type 2 est beaucoup plus hétérogène : Un tiers seulement des patients développent isolément des lésions caractéristiques de glomérulosclérose diabétique. Un tiers des patients ont des lésions vasculaires prédominantes de type néphroangiosclérose ou sténose de l artère rénale. Un tiers n a pas d atteinte diabétique mais une néphropathie d autre nature survenant de façon coïncidente ou surajoutée avec le diabète justifiant la réalisation d une biopsie rénale. C Indications de la biopsie rénale Le diagnostic de néphropathie diabétique est habituellement présomptif. Une biopsie rénale peut être proposée lorsque le diagnostic de glomérulopathie diabétique isolée est peu plausible : diabète récent (moins de 5 ans), hématurie, protéinurie ou insuffisance rénale rapidement progressives, absence de rétinopathie, présence de signes extrarénaux non liés au diabète. Encadré n 2 Physiopathologie de la néphropathie diabétique Un contrôle glycémique optimal (hémoglobine glyquée (HbA1c) < 6,5 %) diminue l apparition et ralentit l évolution de la néphropathie diabétique. Le glucose interagit avec les groupements amines des protéines pour former des produits de glycation (par exemple l hémoglobine glyquée). Les produits de glycation simple sont réversibles lorsque le contrôle glycémique est amélioré. En présence d une hyperglycémie prolongée, on aboutit de façon irréversible à des produits terminaux de glycation avancée (AGE pour «Advanced Glycation Endproducts»). La glycation irréversible des protéines altère leurs fonctions et leur fait acquérir des propriétés proinflammatoires. D autre part, l hyperglycémie entraîne précocement une vasodilatation rénale favorisant l augmentation du débit de filtration glomérulaire. Cette hyperfiltration est associée à une augmentation de la pression capillaire glomérulaire et avec les dérivés glyqués, elle induit des modifications morphologiques (prolifération mésangiale, expansion matricielle et épaississement de la membrane basale). Comme au cours de toutes les néphropathies glomérulaires, l HTA et la protéinurie jouent un rôle important dans la progression de l atteinte rénale. La vasodilatation hyperglycémie-dépendante et les altérations structurales (hyalinose artériolaire afférente) perturbent l autorégulation de la pression capillaire glomérulaire induisant une hypertension intraglomérulaire. Les traitements qui permettent de réduire la pression capillaire glomérulaire (IEC et ARA2) atténuent la progression des lésions rénales.

V. TRAITEMENT A. Prévention de la néphropathie diabétique La prévention primaire du diabète type 1 passerait par un traitement immunosuppresseur car c est une maladie auto-immune. Concernant le diabète de type 2, il faut lutter contre les facteurs de risque (surcharge pondérale et sédentarité). La prévention primaire et secondaire de la néphropathie diabétique consiste en : un contrôle glycémique optimal par des injections multiples d insuline ou par pompe, qui diminue le risque de néphropathie chez des patients diabétiques de type 1. L intérêt d un contrôle rigoureux de la glycémie est probable dans le diabète de type 2. L objectif métabolique recommandé est une HbA1c < 6,5 % ; le traitement antihypertenseur qui prévient la néphropathie diabétique ou ralentit sa progression. Chez le diabétique de type 2, les antagonistes du récepteur de l angiotensine II (ARA2) diminuent le risque d apparition d une macroprotéinurie et de l insuffisance rénale. Chez le diabétique de type 1, un traitement par inhibiteur de l enzyme de conversion (IEC), en l absence de toute HTA, a probablement un effet identique ; l arrêt du tabac, souvent négligé, diminuerait de 30 % le risque de survenue et d aggravation de la microalbuminurie dans les 2 formes de diabète. B. Néphropathie diabétique confirmée Chez les diabétiques de type 1 les IEC sont indiqués (y compris chez les 25 % de sujets normotendus) car ils ont fait la preuve de leur efficacité pour ralentir la progression de la néphropathie diabétique de type 1 (ANAES 2004). Dans la néphropathie du diabète de type 2, les ARA2 (losartan et irbesartan) réduisent la vitesse de progression de la néphropathie et sont recommandés en premier (ANAES 2004). Des précautions doivent être prises au cours de la prescription d IEC ou d ARA2 : recherche d une sténose de l artère rénale chez les diabétiques de type 2 ; surveillance biologique régulière et rapprochée de la kaliémie et de la créatininémie ; un avis néphrologique est souhaitable en cas d anomalie de l un de ces paramètres. La cible tensionnelle optimale est de 130/80 mmhg ou plus basse si possible avec une réduction de la protéinurie au moins au-dessous de 0,5 g/24 h, avec un IEC ou un ARA2. L obtention d un tel niveau tensionnel nécessite des associations comportant 2, 3 voire 4 antihypertenseurs. Les associations préférentielles

avec les l IEC/ARA2 sont les antagonistes calciques (dihydropyridines) et les diurétiques thiazidiques. Une restriction sodée modérée (6 g/j) est souhaitable pour tirer un bénéfice du traitement antihypertenseur. Un excès de protéines alimentaires a un effet délétère sur la protéinurie et l évolution de la fonction rénale. Un apport d environ 0,8 g protéines/kg par jour semble souhaitable. Il existe un risque de dénutrition en l absence de suivi diététique. L ensemble des autres facteurs de risque vasculaire doit être pris en charge. Le recours aux agents hypolipémiants (statines) et de l aspirine (75 mg/j) est justifié en raison de l incidence élevée des complications cardio-vasculaires dans ce groupe de patients. L arrêt du tabagisme est impératif. C. Insuffisance rénale terminale L indication de l épuration extrarénale est souvent plus précoce (Cockcroft à environ 15 ml/mn) que chez les patients non diabétiques. En raison de la progression rapide de la néphropathie et des complications vasculaires périphériques (calcifications artérielles), un accès vasculaire (fistule artérioveineuse de préférence) doit être mis en place plus précocement (Cockcroft à 20-25 ml/min). D une façon générale, les patients diabétiques traités par épuration extrarénale ou par transplantation rénale ont un pronostic moins bon que les patients non diabétiques, essentiellement en raison des complications cardio-vasculaires associées. La prévention de ces complications en dialyse et en transplantation intervient essentiellement au stade pré-dialytique par la correction précoce et systématique de l ensemble des facteurs de risque notamment l hypertension, la surcharge hydrosodée, l anémie, les calcifications vasculaires et l hyperlipidémie. Encadré n 3 Approche multidisciplinaire du patient diabétique La prise en charge optimale du sujet diabétique fait appel à une collaboration multidisciplinaire : diabétologue, néphrologue, cardiologue et chirurgien cardiovasculaire, ophtalmologue, podologue. L intervention du néphrologue doit être précoce, dès le stade de microalbuminurie et/ou de diminution de la fonction rénale. Le néphrologue est impliqué notamment dans : choix, ajustement et surveillance du traitement antihypertenseur et néphroprotecteur ; élimination d une néphropathie ; traitement symptomatique de l insuffisance rénale chronique ;

recherche d une sténose de l artère rénale et indication de revascularisation ; préparation au traitement de suppléance (hémodialyse, dialyse péritonéale, transplantation rénale ou rein-pancréas).

Pour en savoir plus Diagnostics différentiels et pièges Devant des nodules mésangiaux. La découverte de nodules mésangiaux sur une biopsie rénale n est pas toujours synonyme de néphropathie diabétique. Le diagnostic à écarter est celui de dépôts d amylose (affirmé dans le cas présenté par coloration au rouge Congo, puis rappo tés à des dépôts de protéine AA visibles en IF); plus rarement il s agit d un syndrome de Randall (les dépôts de chaînes légères sont identifiés par les anti-sérums lambda ou kappa), ou d une glomérulonéphrite membrano-proliférative lobulaire. Devant un syndrome néphrotique La biopsie rénale (souvent motivé par un syndrome néphrotique profond et/ou une hématurie microscopique) révèle de volumineux dépôts extramembraneux d IgG et de C3, faisant conclure à une glomérulonéphrite extramembraneuse. Cette néphropathie n est pas rare chez les diabétiques ; le rôle favorisant du diabète a été évoqué. Chez les diabétiques de type 1, un lupus associé doit être recherché ; chez les diabétiques de type 2 âgés, une néoplasie sous-jacente doit être évoquée. Devant des kystes rénaux Le syndrome «kystes reins diabète» ou syndrome RCAD («Renal Cysts and Diabetes syndrome») ou est du à une mutation du gène TCF2, qui code pour le facteur de transcription HNF1ß. Cette néphropathie autosomique dominante, identifiée récemment, semble très fréquente. Ce diagnostic doit être évoqué à tout âge devant des kystes rénaux (typiquement périphériques) avec insuffisance rénale chronique, un diabète de type MODY 5, et des anomalies plus rares (hypertransaminasémie fluctuante, hyperuricémie, hypomagnésémie, anomalies génitales). Devant une HTA résistante. Il faut rechercher une maladie rénovasculaire unilatérale. L'échographie rénale avec doppler est l'examen le plus prescrit. Chez un diabétique insuffisant rénal hypertendu, cet examen permet de déceler la sténose, d apprécier son retentissement hémodynamique, et d estimer le bénéfice tensionnel prévisible en cas de revascularisation (taille du rein > 8 cm et index de résistance < 0.8). L obésité majeure limite souvent les performances de cet examen Devant une insuffisance rénale progressive Une maladie rénovasculaire bilatérale peut être la cause d une insuffisance rénale chronique «ischémique», et parfois être responsable d œdèmes pulmonaires «flash», invitant à une revascularisation rapide. Malgré quelques faux positifs ou

surestimations, l angio-irm est un bon examen de dépistage des sténoses artérielles rénales, notamment en cas d échec technique de l échodoppler. Une obstruction urinaire doit être recherchée par échographie. Chez les diabétiques anciens multicompliqués, l atteinte neurologique vésicale est fréquente. Elle peut être caractérisée par une étude urodynamique. L échographie vésicale recherche un résidu vésical post-mictionnel. Dans les cas extrêmes, un retentissement sur le haut appareil avec insuffisance rénale obstructive est possible.

Fiche Flash I. Épidémiologie 1. Incidence : première cause d insuffisance rénale terminale dans le monde. 2. Plus de 90 % des diabétiques ont un diabète de type 2. 3. Importance des facteurs génétiques et environnementaux. II. Histoire naturelle Les progressions des néphropathies du diabète de type 1 et 2 sont superposables A. DIABÈTE DE TYPE 1 Stade initial : hypertrophie rénale et hyperfiltration glomérulaire. Stade 2 (2-5 ans) : cliniquement silencieux. Stade 3 (5-10 ans) : néphropathie débutante (microalbuminurie). Stade 4 (10-20 ans) néphropathie avérée (protéinurie, syndrome néphrotique, HTA, IRC). Stade 5 (> 20 ans) : insuffisance rénale terminale. B. DIABÈTE DE TYPE 2 Histoire naturelle moins bien décrite car l ancienneté du diabète est moins précise HTA et microalbuminurie souvent présentes d emblée. La microalbuminurie est ici avant tout un puissant marqueur de risque cardiovasculaire. Même progression évolutive qu au cours du diabète de type 1. III. Manifestations cliniques A. signes précoces 1. HTA. 2. Protéinurie (microlbuminurie) et œdèmes. B. SIGNES PLUS TARDIFS 1. Rétinopathie constante au cours du diabète de type 1 avec atteinte rénale. 2. Rétinopathie inconstante au cours du diabète de type 2. En cas de protéinurie sans rétinopathie, chercher une autre cause d atteinte rénale. 3. Sténose de l artère rénale fréquente au cours du diabète de type 2. 4. Signes d atteinte vasculaire (macroangiopathie). 5. Hyperkaliémie fréquente en l absence d IRC et après prescription d un IEC/ARAII (hyporéninisme-hypoaldostéronisme). 6. IRC avec en plus des signes habituels des signes liés à la neuropathie végétative (hypotension orthostatique, vomissements) et à la neuropathie diabétique. IV. Signes histologiques Diabète de type 1 : pas d indication à une biopsie rénale : stades 1et 2 : hypertrophie glomérulaire ; stade 3 : expansion mésangiale ;

stade 4 : nodules de Kimmestiel-Wilson, hyalinose artériolaire ; stade 5 : sclérose glomérulaire et interstitielle. Diabète de type 2 : lésions souvent mixtes néphropathie diabétique ; ou néphropathie vasculaire ; parfois, lésions surajoutées témoignant d une néphropathie d autre nature V. Traitement A. TRAITEMENT PREVENTIF Contrôle glycémique : HbA1c < 6,5 %. Traitement anti-hypertenseur : IEC/ ARA II. Contrôle des facteurs de risque cardiovasculaire B. NEPHROPATHIE DIABETIQUE CONFIRMEE Traitement néphroprotecteur : diabétiques type 1 : IEC ; diabétiques type 2 : ARA II (ou IEC). Surveillance créatininémie et kaliémie. Recherche d une sténose de l artère rénale avant prescription d IEC/ARA II (diabète T2). Cible tensionnelle : PA < 130/80 mm Hg. Contrôle des facteurs de RCV : : agents hypolipémiants (statine), aspirine, arrêt du tabagisme Autres mesures symptomatiques de prise en charge de l IRC (contrôle P-Ca, anémie ). C. INSUFFISANCE RENALE TERMINALE Préparatifs à la dialyse (hémodialyse ou dialyse péritonéale) et début de la technique à envisager un peut plus tôt que chez les non-diabétiques (Cockcroft <15 ml/min) Mortalité cardio-vasculaire élevée. Bénéfice de survie après transplantation rénale isolée (diabète de type 2) ou transplantation rein + pancréas (diabétique de type 1).