Mots clés : Brevet - Veille Technologique - Innovation - Processus d innovation - Automobile.



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Transcription:

LE BREVET COMME INSTRUMENT DE VEILLE TECHNOLOGIQUE ET D INNOVATION : UNE APPLICATION AU SECTEUR AUTOMOBILE Sylvain MBONGUI-KIALO (1) ATER à l Université Jules Verne de Picardie Doctorant en Sciences de Gestion ISM - Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines FENÊTRE SUR... Résumé L approche que nous présentons dans cet article vise à montrer comment la prise en compte des brevets des tiers dans une démarche de veille technologique peut être bénéfique pour l entreprise en termes de performance et d innovation. Plusieurs travaux (Lesca, 1989 ; Koenig, 1996 ; Burkhart, 2001), ont permis d apprécier l importance de la veille technologique, mais, à notre connaissance, l utilisation du brevet comme instrument de veille n a pas fait l objet d études approfondies (Jakobiak, 1994 ; Walker, 1995), ou tout au moins n a pas été suffisamment relatée dans les publications académiques. Basée sur une étude de cas, l étude montre que l analyse des brevets peut aider les entreprises dans la résolution des problèmes industriels et concurrentiels auxquels elles sont confrontées. Mots clés : Brevet - Veille Technologique - Innovation - Processus d innovation - Automobile. PATENT AS A TOOL FOR TECHNOLOGY WATCH AND INNOVATION : AN APPLICATION TO THE AUTOMOTIVE INDUSTRY Abstract The approach we present in this paper aims at showing how the integration of third-party patents in a process of technology watch can be beneficial for the company in terms of performance and innovation. Several studies (Lesca, 1989 ; Koenig, 1996 ; Burkhart, 2001), helped to appreciate the importance of technology watch, but to our knowledge, the use of patent as a tool for technology watch has not been extensively studied (Jakobiak, 1994 Walker, 1995), or at least is not enough presented in the literature. Based on a case study, the study shows that patent analysis can help companies in the resolution of industrial and competitive problems. Key wor ds : Patent - Technology watch - Innovation process - Innovation - Automotive. (1) Courriel : mbonguis@yahoo.fr 53

A D E T E M INTRODUCTION Si le brevet a fait l objet d un intérêt croissant des chercheurs en sciences de gestion et, plus précisément, en management stratégique, ce phénomène est relativement récent et très peu développé. C est pourquoi cet article se positionne davantage dans une optique stratégique que marketing pour comprendre un peu mieux l utilisation du brevet comme outil de veille technologique. Car, le renforcement de la concurrence et la rapidité d évolution de l environnement technologique des firmes obligent celles-ci à évoluer dans un contexte d instabilité continuelle, dans lequel ce qui semble acquis est rapidement remis en question. Savoir maîtriser l information scientifique et technique contenue dans les brevets pour acquérir un avantage compétitif, apparaît dès lors comme une nécessité pour assurer de manière durable le développement de l entreprise. Dans ce contexte, la veille technologique trouve une résonnance particulière dans la mesure où elle peut aider à mieux maîtriser son environnement externe. D après Jakobiak (2005, p.125), la veille consiste à exploiter de manière systématique l information collectée via l observation et l analyse des environnements scientifique, technique, technologique et économique d une entreprise, pour déduire les menaces et les opportunités de développement qui la concerne, c est-à-dire pour l aider à prendre des décisions à caractère stratégique. Selon Lesca (1989) et Burkhart (2001), l une des missions de la veille est de favoriser l innovation. Les résultats attendus sont assurément la mise en avant de savoirfaire, l'identification d'usages nouveaux valorisables par le marché ou, encore, l'identification d'informations sources de meilleures performances (Caron- Fasan, 2008). Selon Brockhoff (1992), la veille sur l état de la technique contribue à la recherche des solutions pour créer des améliorations des inventions déjà protégées ou saisir une opportunité technologique. Ceci permet d identifier les acteurs les plus actifs en R&D, d évaluer les positions et les priorités technologiques des concurrents. Ce type de veille peut concerner les publications de brevets qui contiennent des informations de nature technologique et concurrentielle susceptibles d aider à mieux connaître ses concurrents et favoriser l innovation à l intérieur des organisations. L approche que nous présentons dans cet article vise à montrer comment la prise en compte des brevets des tiers dans une démarche de veille technologique peut être bénéfique pour l entreprise en termes de performance et d innovation. Plusieurs travaux (Lesca, 1989 ; Koenig, 1996 ; Burkhart, 2001), ont permis d apprécier l importance de la veille technologique mais, à notre connaissance, l utilisation du brevet comme instrument de veille n a pas fait l objet d études approfondies (Jakobiak, 1994 ; Walker, 1995) ou, tout au moins, n a pas été suffisamment relatée dans les publications académiques (2). Or, du point de vue pratique, nombreuses sont les entreprises qui souscrivent à cette démarche. Notre recherche veut donc contribuer à enrichir la littérature sur ce domaine et donner toute sa place aux analyses et aux retours d expériences sur la veille technologique dès lors qu elle s intéresse aux brevets des tiers. Notre papier est structuré en trois parties. La première partie revient tout d abord sur le lien entre brevet, veille technologique et innovation. Nous y présentons des travaux portant sur l articulation entre veille technologique et innovation. Cela nous permet de montrer le lien entre innovation et veille technologique, ensuite nous identifions les apports potentiels du brevet dans un tel dispositif. La deuxième partie présente la méthodologie utilisée dans le cadre de cette recherche. Enfin, la troisième partie présente les principaux résultats qui sont par la suite discutés au regard de la littérature existante. BREVET, VEILLE TECHNOLOGIQUE ET INNOVATION Selon Libmann (2011), l information est le premier ingrédient du pouvoir, et la veille constitue donc une des toutes premières mailles du processus d innovation. Celui-ci présente la veille comme un élément important pour l innovation. Les travaux de Vera et Lellis (2007) ont montré qu un travail approfondi sur les bases de données des brevets peut aider à identifier des thèmes prioritaires pour un programme de développement technologique et, partant, à favoriser l innovation. (2) Corbel et Raytcheva (2010) dans leur travail sur la hiérarchisation des rôles du brevet, avaient identifié ce rôle sans toutefois l approfondir. 54

Le brevet comme instrument de veille technologique et d innovation : une application au secteur automobile Sylvain Mbongui-Kialo Innover par la veille technologique La veille technologique est une activité mise en place par un individu ou un groupe d individus «pour suivre les évolutions susceptibles d influer sur le devenir de son métier» (Rouach, 1996, p. 17). Werner et Degoul (1994) la définissent comme «le moyen pour l entreprise de faire émerger les éléments stratégiques de la masse d information disponible aujourd hui. Ni espionnage industriel, ni réalisation d un état de l art purement spéculatif dans un domaine technique restreint, la veille est avant tout destinée à éclairer les responsables de l entreprise dans la résolution des problèmes industriels auxquels ils sont confrontés». Elle repose sur une démarche de recherche, de recueil, de traitement, d analyse, de mise en perspective et de diffusion de l information scientifique et technique auprès des entités compétentes pour faciliter la prise des décisions appropriées. Dans le même sens, Behohlav et Sussman (1983) indiquent qu'un des objectifs centraux de la veille est de faciliter l'identification rapide des opportunités et des menaces pour l'entreprise. Cela se traduit par une exploitation et une analyse systématique de l information collectée pour déduire les menaces et les opportunités de développement qui la concerne (Jakobiak, 2005, p.125). Finalement, la veille technologique permet, entre autres, de mesurer le potentiel technologique du marché (mieux connaître les concurrents) et de fournir de l information technique pouvant aider à la mise en place et à la réalisation des projets d innovation. Selon Ahituv et al. (1998), il existe une corrélation entre la capacité des entreprises à faire de la veille et leur capacité d'innovation. Ce dernier indique que la surveillance de l'environnement technologique faciliterait la mise au point et l'introduction d'innovations sur les marchés. C est une démarche globale qui offre la possibilité de détecter les technologies émergentes, de recueillir l information permettant d anticiper les innovations et d identifier les techniques ou les technologies mises en œuvre par les tiers. Dans le même ordre d idées, Caron-Fasan (2008) montre que l association de la veille et de l innovation, «conduit le plus souvent les entreprises (grandes et moyennes) à mettre en place une activité d'intelligence économique et, plus spécifiquement, un processus de veille technologique». Cependant, celle-ci demande d adopter une vision plus ou moins large de la veille technologique pour garantir son succès : «Il serait intéressant qu'elle élargisse l'étendue de sa collecte aux acteurs pertinents de son environnement et, ainsi, avoir une compréhension beaucoup plus globale des acteurs en présence mais aussi des acteurs potentiels» (Caron- Fasan, 2008). Les travaux de Lesca (1989) et de Bukhart (2001) ont ainsi montré que l une des missions de la veille est d innover, au sens de West et Farr (1989, p. 16), c est-à-dire que l innovation est perçue comme l introduction volontaire au sein d une activité, d un groupe, d une organisation, d idées qui soient à la fois nouvelles et pertinentes, et dont l adoption a pour objectif d augmenter de manière significative la performance de l organisation. Cette réalité est en «phase» avec Marquer (1985, p. 19) qui conçoit le brevet comme «un moyen d explorer le gisement technologique, d en transmettre la connaissance, de formuler et de stocker l information de manière telle qu elle soit facile à retrouver [ ] et à évaluer sur tous les plans, d en faciliter l exploitation maximale». Pour ce dernier, il est clair que le brevet peut être un élément essentiel en veille technologique, puisque son utilisation permet d explorer les «gisements technologiques» des tiers en vue d innover sans risquer d être bloqué au moment de développer des nouveaux produits. Apports potentiels du brevet pour la veille technologique et l innovation Généralement considéré comme un output du processus d innovation, le brevet constitue une des matérialisations des résultats des projets de recherche et développement qui, dans certains cas, permet d apprécier la capacité d innovation d une organisation. Cependant, l évolution rapide de l économie pousse les entreprises vers une utilisation du brevet de plus en plus «stratégique» (Corbel, Raytcheva, 2010). Ce faisant, il ne s agit plus seulement d un output, mais d un input au regard de l information technologique et scientifique qui font sa spécificité. D après Lombard (1998), le portefeuille de brevets renforce le pouvoir de négociation, facilite les coopérations, assure le succès d une technologie et convainc les partenaires techniques et commerciaux. La littérature présente le brevet comme un signal permettant de favoriser la recherche de partenaires industriels. Il joue alors un rôle de «signal de compétences» (Pénin, 2005). Il devient un véritable moyen de négociation appelé à jouer un rôle impor- 55

A D E T E M tant parce qu il facilite les interactions entre acteurs (Bureth et al., 2006). Ce moyen de négociation encore appelé «legal bargaining chip», permet de mettre en commun au moins deux acteurs hétérogènes. Ainsi, il favorise la recherche de partenaires industriels en R&D et met un «peu d ordre dans le développement de larges perspectives technologiques» (Mazzoleni, Nelson, 1998). Il existe un consensus largement partagé : le brevet joue un rôle stratégique, à la fois comme protection d une compétence particulière, comme garant d un avantage concurrentiel et comme outil de création de valeur (Breesé, 2002 ; Penin, 2005 ; Corbel et al., 2007 ; Lallement, 2008). En sus, enregistrant l innovation technologique souvent avant tout autre support de communication, il est potentiellement un formidable outil de veille (voir par exemple Corbel, Raytcheva, 2010). Chaque brevet rappelle l état antérieur de la technique et cite souvent des brevets ou autres publications antérieures ayant été rendus publics. On peut ainsi remonter la filière complète d une technologie donnée (Marquer, 1985, p. 151). Se définissant comme «une solution technique à un problème technique», le brevet représenterait un puissant stimulant de la recherche de solutions innovantes. Selon Kabla et Guellec, (1994, p. 86), il est un facteur d accélération des progrès techniques, car il obéit à un processus interactif et cumulatif dans la mesure où il doit obligatoirement comporter les citations d antériorités. L analyse de l information brevet aide à trouver des solutions nouvelles et à ne pas être bloqué par un concurrent : «Rien de tel que de buter sur des brevets des concurrents, de les évaluer et de chercher, en équipe, à les contourner et à mieux faire, pour stimuler les idées de tous» (Kermadec, 2001, p. 58). Si plusieurs travaux (Marquer, 1985 ; Penin, 2005 ; Corbel, et al., 2007 ; Le Bas, 2007 ; Corbel, Raytcheva, 2010) insistent sur le rôle stratégique du brevet, peu sont ceux (Jakobiak, 1994 ; Walker, 1995) qui le considèrent comme un véritable outil de veille technologique. Or, cette dimension est intimement liée à la nature même du brevet, un outil efficace offrant non seulement la possibilité d être informé des avancées technologiques des concurrents mais aussi, comme l indique Corbel, (2006) un actif dont «les rôles potentiels sont encore plus nombreux : instrument de motivation des ingénieurs d études ou des chercheurs, outil de dissuasion destiné à décourager les attaques juridiques des concurrents ou tout simplement de «déminage» (éviter qu un concurrent ne bloque l accès à une technologie), ou encore vecteur d une image d entreprise innovante». Il nous semble alors important d aller plus loin dans la compréhension de son utilisation effective dans le processus de veille technologique. Ce papier nous donne la possibilité d approfondir ce rôle classé numéro 4 par Corbel et Raytcheva (2010) dans leur étude. Ahituv et al. (1998), cité par Caron-Fasan (2008), montre une corrélation entre la capacité des entreprises à faire de la veille et leur capacité d'innovation. Il indique à ce titre que les entreprises qui réussissent le mieux à introduire de nouveaux produits sur leurs marchés, sont celles qui ont une activité de veille qui n'est ni focalisée, ni étroite mais qui, au contraire, se modifie et s'adapte en permanence à l'environnement. Face à cette situation, nous proposons dans la suite de cet article, d'apporter un regard critique sur l utilisation des brevets des tiers comme instrument de veille technologique au sein des bureaux d études de PSA Peugeot-Citroën. MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE Dans le prolongement des travaux portant sur la veille technologique, notre recherche traite de l utilisation des brevets comme instrument de veille technologique. La méthodologie de recherche mobilisée s'appuie sur une démarche qualitative fondée sur une étude de cas à dominante exploratoire, réalisée chez PSA Peugeot-Citroën. Nous avons privilégié une démarche visant à obtenir un échantillon représentant le mieux possible la diversité des positions au sein du processus de conception d un véhicule automobile et de ses principaux organes. Nous n avons pas cherché à obtenir un échantillon représentatif du personnel des bureaux d études au sens statistique du terme, mais nous voulions interroger des personnes au profil suffisamment diversifié pour obtenir un panorama global. Le recueil des données a été possible grâce à une vingtaine d entretiens qui ont été menés sur un mode semi-directif, dans le cadre d un guide d entretien structuré autour de trois grands thèmes (activité du bureau d étude, rôle du brevet et ses différentes utilisations dans le processus d innovation). Chaque entretien a duré entre 45 minutes et 1 heures 30 minutes, avec une moyenne 56

Le brevet comme instrument de veille technologique et d innovation : une application au secteur automobile Sylvain Mbongui-Kialo d une heure. Ils ont été intégralement retranscrits de manière à pouvoir travailler sur le verbatim original. Les données collectées ont fait l objet d une analyse thématique sous deux approches : analyse verticale et analyse horizontale. PRÉSENTATION ET DISCUSSION DES RÉSULTATS D une façon générale, l utilisation des brevets des tiers offre des informations capitales sur l'évolution de l environnement technologique et juridique, en vue de mieux s'adapter aux changements de celui-ci. Ce faisant, l'une de ses missions est d alimenter le processus d innovation en apportant des informations intéressantes : «Les brevets de concurrents qu ils soient en vigueur ou déchus, disons, tout document de propriété industrielle peut être une source intéressante d informations». Présentation et Analyse des résultats Le premier rôle identifié est celui de la protection : «On a intérêt à déposer le maximum de brevet pour nous protéger». «La réflexion de la protection nous permet de rentrer dans le brevet. La deuxième façon de rentrer dans le brevet c est la veille technologique. La troisième façon c est de tenter de faire un état de lieux brevet sur un projet véhicule complet. C est-à-dire, qu on cherche à savoir : quels sont les sujets nouveaux (protégés ou non) ; comment les contourner le cas échant. Ça permet de cartographier la situation des brevets sur un projet de véhicule donné. C est un point d entrée possible dans les phases amont». In fine, le brevet représente, pour bon nombre de bureaux d études, un instrument permettant, non seulement d être informé des avancées technologiques des concurrents mais aussi un actif au service de l innovation permettant d identifier les failles technologiques des concurrents : «Quand on utilise le brevet comme input, on n a pas de choix si ce n est chercher les failles dans les brevets des tiers. L identification et l exploitation de ces failles peut effectivement générer des nouvelles idées, qui seront à l origine d une invention brevetable. Car il est essentiel de voir ce qui se fait dans la concurrence. Cela permet de se positionner par rapport à ce que font les autres». Il aide à repérer les «points chauds», c est-à-dire les domaines où il y a une «accumulation de demandes de brevets». Plus encore, «le brevet permet de voir où est le concurrent ou le fournisseur en termes de développement technique. Une lecture approfondie des brevets des concurrents peut aussi permettre d identifier les futures voies de développement technologique des concurrents. Le brevet permet d orienter notre innovation». Le recours aux brevets des tiers est assurément une option intéressante, puisqu il aide à l acquisition des connaissances nouvelles, à gagner du temps sur la recherche et le développement, à connaître le droit des tiers, à être sûr de la liberté d exploitation d une invention et à orienter et affiner le raisonnement des ingénieurs : «Lorsque j ai déposé mon brevet c était pour protéger un modèle de calcul plus complet [.] et lorsque mon analyse d antériorité est arrivée, je me suis rendu compte qu il y avait déjà un certain nombre de briques de l ensemble de ce que je voulais protéger qui étaient protégés sans que cela puisse affecter mon idée car j avais une approche différente. Mais du coup, je ne pouvais plus protéger ce que je voulais protéger initialement et ça m a réorienté vers la partie d initialisation du calcul qui n avait pas du tout été protégée. Cette démarche a affiné mon raisonnement car les études d antériorité permettent d affiner les idées». Les résultats font apparaitre trois types de veille : veille ponctuelle, veille réactive et veille anticipative. La veille brevet ponctuelle porte sur un sujet très précis. Elle est spontanée parce que menée de façon naturelle pour répondre à une préoccupation immédiate, correspondant à un besoin explicitement formulé : «Dans notre entité, la veille n est pas régulière. Enfin, je veux dire que nous la faisons un peu de manière spontanée dès lors que nous sommes confrontés à un problème et que nous souhaitons regarder dans les brevets des autres pour trouver une solution, [..] ou tout simplement pour vérifier si l idée a déjà été brevetée». La veille brevet réactive permet de détecter les opportunités et les menaces en révélant les événements sensibles et tendances prévisibles : «Chez nous, la veille brevet permet de préparer et d identifier les technologies susceptibles d être utilisées dans le domaine automobile». Par ailleurs, la veille dans les bases de données brevet aide à «interpréter les grandes tendances scientifiques au sens large, c est-à-dire toutes les tendances scientifiques en rapport avec l automobile dans le monde». Enfin, la veille anticipative contribue à la recherche d une certaine vision du futur sur un horizon de temps probabiliste et de lever l indétermina- 57

A D E T E M Figure 1 Les différentes phases d'utilisation du brevet avant son intégration dans le processus de décision tion sur le sens de l évolution. Elle permet «d anticiper les grandes découvertes scientifiques, [ ], voire détecter d éventuelles opportunités dans les sciences de l ingénieur». Avant toute démarche de veille, il est plus qu essentiel de circonscrire le périmètre de recherche afin de collecter les brevets les plus pertinents ou ceux ayant un lien avéré avec le problème à résoudre. La veille technologique permet de passer d une information brute à une «information intelligente» afin de la rendre plus exploitable et diffusable auprès des autres. Plus précisément, il s agit, d une part, d identifier l'intérêt de contenu informationnel du brevet et, d autre part, d analyser et d interpréter les technologies usitées par les tiers. C est un exercice offrant la possibilité de retrouver la trace d idées existantes et de repérer les points chauds : «En intelligence technologique, l essentiel c est de savoir où il se passe des choses c est-à-dire savoir repérer les points chauds. Le plus important c est de détecter (le domaine ou secteur) où il y a une accumulation de demandes de brevets (point chaud)». Toutefois, pour que ce raisonnement soit bénéfique, une grande partie des répondants reconnaissent qu il faut se poser de bonnes questions. Parmi les questions qui viennent, nous pouvons citer : «Que veuton surveiller?» ; «Comment se procurer l information correspondante?» ; «Comment interpréter cette information?» ; «Quelles connaissances nous apporte-t-elle?» et «Comment l incorporer dans le processus d innovation?». Une analyse plus fine des résultats permet de mettre en évidence une démarche qui se décline en sept étapes (figure 1), visant à «préparer» l information brevet en vue de son intégration dans le processus d innovation. Cette démarche est soit pilotée par un individu, soit par un réseau d acteurs qui s appuie sur des processus d animation et des outils afin de construire de nouvelles connaissances, de nouveaux savoirs et des nouvelles stratégies pour dynamiser l innovation. Ainsi, les préoccupations décisionnelles en matière d innovation et d acquisition d informations technologiques, confèrent au brevet une place centrale dans les bureaux d études. D après la plupart des interviewés, l analyse et l interprétation de l information brevet donnent la possibilité de prendre une diversité de décisions tout au long du processus d innovation, soit pour créer des améliorations des inventions existantes, soit pour saisir des opportunités technologiques nouvelles. Cependant, bien que la grande majorité exploitent les bases de données brevets, il n existe pas de démarche ou de méthode préalablement établie pour le faire : «Je regarde les revendications du brevet en fonction de ce que l on cherche. Je regarde les brevets cités» ; «La méthode n est pas clairement définie. Chaque expert ou ingénieur la fait à sa manière». Dans la majorité des cas, le recours aux brevets des tiers est dicté soit, par la culture brevet présente dans le bureau d études, «On nous encourage à faire des dépôts de brevets et utiliser la créativité des personnes», soit par l expérience antérieure du salarié. Il existe dans certains bureaux d études des sous-structures dénommées «cellules d intelligence technologique» ou «réseau concurren- 58

Le brevet comme instrument de veille technologique et d innovation : une application au secteur automobile Sylvain Mbongui-Kialo ce» qui s occupent de surveiller la concurrence : «Ce qui est intéressant c est qu on a mis en place depuis cette année dans notre service un réseau concurrence. C est-à-dire qu au lieu de déléguer le pilote projet de recueillir les informations sur la concurrence, nous avons mandaté une personne qui fait de la veille concurrentielle en temps plein. Ça devient une bible qui contient plusieurs informations sur la concurrence..». Par ailleurs, la recherche dans les bases de données brevets est un travail délicat et parfois difficile à effectuer. S il existe des cas simples où la recherche est effectuée à partir du nom d un inventeur, les interviewés reconnaissent toutefois qu une recherche basée sur le nom d un inventeur permet de découvrir une famille de demande de brevets dont l analyse peut s avérer complexe. Cette complexité s intensifie «quand on n a pas de noms d inventeurs ni de société, et qu on travaille sur des mots clés thématiques. Et là, il faut se méfier parce qu il y a plusieurs synonymes. Certaines personnes en charge de rédiger les brevets vont utiliser par exemple le terme «numérique», alors que d autres utiliseront les termes «digitale et électronique» pour exprimer la même chose». Ainsi, un ingénieur qui utilise la terminologie «numérique» pour effectuer ses recherches, peut passer à côté de plusieurs brevets pertinents. «C est la même chose pour le terme «moteur», un malin qui rédige la demande de brevet d une société peut bien utiliser le mot «convertisseur d énergies thermo-mécanique» pour dire moteur. Il peut le faire pour que le mot moteur n apparaisse pas dans les résultats de recherche dans les bases brevets». La veille technologique à l aide des brevets constitue de ce point de vue, un couteau à «double tranchant». La prudence est donc de mise : «la lecture d un brevet des tiers donne forcement des idées, après, il est toujours délicat de l utiliser au risque de ne pas reproduire la même chose» ou de passer à côté d une information capitale. Enfin, inscrits dans une démarche intéressante, les bureaux d études ont su intégrer aisément les brevets des tiers dans leur problématique d innovation. Ils sont tous convaincus de l apport effectif du brevet, à l exception d une infime partie des répondants qui restent sceptiques par rapport à l utilisation des brevets des tiers comme input dans le processus d innovation. En effet, certains ingénieurs ne jugent pas utile d utiliser les brevets des tiers dans le cadre d une démarche de veille technologique. Ils évoquent plusieurs raisons. La première raison est celle relative à l absence d outils pour effectuer des recherches dans les bases de données : «si j avais à ma disposition des outils simples, quand j ai un peu du temps libre je chercherais à savoir ce qui a été déposé et/ou ce qui ne l a pas été dans un domaine technique précis, c est vrai que ça pourrait m aider». «On n a pas ces outils-là. Donc à mon avis, ça fait du travail en plus pour le service brevet». Néanmoins, il convient de préciser que le nombre de personnes évoquant cette raison reste très insignifiant par rapport à l ensemble des non utilisateurs du brevet, soit un répondant sur les six répondants non utilisateurs de veille brevet. La deuxième raison évoquée est liée à la difficulté d utilisation de l outil dédié à la recherche dans les bases de données. Bien que constitué de deux interfaces (une interface «guidée» pour un nouvel utilisateur ou utilisateur occasionnel) et une interface dite performante, il est perçu par certains comme un outil difficile à utiliser : «Je sais qu il existe un lien intranet sur les recherches dans les bases de données brevets. Je ne l ai pas trouvé convivial car je n ai pas pu trouver ce que je cherchais». «On a énormément besoin de l aide du service brevet». La troisième raison est celle liée à la complexité du brevet aussi bien dans la lecture que dans la compréhension de son contenu. «Ce n est pas toujours facile car le vocabulaire utilisé n est pas facile à comprendre. Lorsqu on lit un brevet, il faut bien comprendre ce qui est protégé, or ce n est pas toujours évident». Le langage n est pas celui qui est employé habituellement. Cet exercice devient plus difficile lorsqu il faut lire des brevets écrits dans une langue autre que le français. La quatrième raison est la perte de temps. Rien ne permet de penser que l utilisation de brevets de tiers accélérera le processus d innovation. Pour d autres, le brevet inhiberait la capacité à innover et à créer : «, c est plutôt une problématique qui n est pas de trouver des solutions en regardant un tout petit peu ce que les autres font, mais plutôt en partant de nos besoins identifiés. À partir de ce moment, on voit si on peut breveter l idée». Enfin, une raison plus surprenante a été identifiée : l implication forte du service brevet. Cette dernière raison présente le service brevet comme un frein à l utilisation des brevets des tiers : «j ai eu besoin de vérifier certains éléments sur [ ], je fais la demande au sein du service brevet via l interface prévue pour ça. C est le service brevet qui fait ces types de recherches». En d autres termes, «nous nous appuyons sur le service 59

A D E T E M brevet» pour faire la veille technologique. Discussion des résultats Le rôle de protection est le plus couramment cité et, par conséquent, le plus important (voir Corbel, Raytcheva, 2010). Nonobstant ce rôle de protection, notre étude permet de comprendre que le brevet est une source d information efficace dans la mesure où il permet d être d informé des avancées technologiques des tiers. Ce besoin qui sous-tend l acquisition de l information brevet repose particulièrement sur un objectif de minimisation de risque et de réduction de l incertitude liée à la prise de décisions en matière d innovation. Et cela est en adéquation avec la plupart des répondants qui estiment que l industrie automobile est confrontée à des risques réels, et que le brevet à ce titre, apparait à leurs yeux comme étant, à la fois, un instrument de protection de leurs inventions et un moyen pour suivre et contrôler les stratégies d innovation des tiers (rejoignant ainsi Kabla et Guellec, 1994). Notre étude montre qu il est extrêmement important d avoir une bonne connaissance des technologies détenues par les tiers, de leur valeur en termes de points forts et de faiblesses. Ce qui se rapproche, d une part, des travaux de Marquer (1985, p.19) pour qui le brevet est un moyen d explorer le gisement technologique et, d autre part, de ceux de Brockhoff (1992) qui présente la veille sur l état de la technique comme la recherche des solutions pour créer des améliorations des inventions déjà protégées ou saisir une opportunité technologique. Cela s inscrit dans une vision purement stratégique donnant l opportunité de voir ce qui se fait dans la concurrence : «le brevet permet de voir où est le concurrent ou le fournisseur en termes de développement technique», et de se positionner par rapport à l environnement externe pour mieux répondre aux attaques des concurrents. Cela rejoint les conclusions issues de l étude de Werner et Degoul (1994). Pour ces deux auteurs, la veille est le moyen pour l entreprise de faire émerger les éléments stratégiques destinés à éclairer les responsables de l entreprise dans la résolution des problèmes auxquels ils sont confrontés. Dans ces conditions, et en accord avec Libmann (2011) et Ahituv et al. (1998), la veille est présentée comme un élément important pour l innovation. Dans le même ordre d idées, les travaux de Vera et Lellis (2007) ont montré qu un travail approfondi sur les bases de données brevets peut aider à identifier des thèmes prioritaires pour un programme de développement technologique et, partant, à favoriser l innovation. Cela est conforté par l analyse empirique qui voudrait que la veille dans les bases de données brevets puisse orienter l innovation et la créativité. Par ailleurs, la littérature présente le brevet comme un signal permettant de favoriser la recherche de partenaires industriels (Pénin, 2005). Il devient un véritable moyen de négociation appelé à jouer un rôle important parce qu il facilite les interactions entre acteurs (Bureth et al., 2006). Bien que très éloignée, cette situation est tout de même repérable dans les résultats de notre étude. Ces derniers montrent de façon indirecte que le brevet peut être un moyen de s approprier les bénéfices liés à une innovation, certes, mais aussi de signaler une compétence et de faciliter les négociations entre plusieurs acteurs. Plus généralement, la mise en place d une démarche de veille brevet permet d alimenter un réservoir de données dont l objectif est, soit de faire émerger des idées, soit de choisir celles qui ont le potentiel le plus important et pour lesquelles des ressources vont être allouées. Ces résultats corroborent les recherches de Lesca (1989) et de Bukhart (2001) qui ont ainsi montré que l une des missions de la veille est d innover. Toutefois, pour que le brevet soit un véritable instrument de veille technologique, il est primordial que «le service brevet vienne dans tous les métiers y compris ceux qui ne sont pas forcément en ligne directe avec l innovation pour expliquer la démarche». Une sensibilisation s avère donc utile pour vulgariser l utilisation du brevet au sein des bureaux d études. CONCLUSION Nous avons souhaité montrer que le brevet pouvait être considéré comme un instrument de veille technologique au service de l innovation. Une approche basée sur l analyse des brevets des tiers semble être une piste intéressante. Le succès d'une telle démarche requiert davantage une sensibilisation et une adhésion des parties-prenantes aux rôles du brevet comme élément permettant de s adapter à la variabilité de l environnement technologique. Cet article permet également, mais de manière plus éloignée, de voir que l utilisation des brevets des tiers peut permettre de négocier et de collaborer plus 60

Le brevet comme instrument de veille technologique et d innovation : une application au secteur automobile Sylvain Mbongui-Kialo facilement avec les autres acteurs du marché. Il démontre ainsi que, loin d être uniquement un instrument juridique, le brevet est une véritable source d informations scientifique et technologique pouvant impacter positivement le processus d innovation. Enfin, l examen de la littérature a révélé qu il existe encore, dans le champ du management stratégique des droits de la propriété industrielle et de celui du marketing, certains domaines à approfondir, concernant notamment la compréhension du rôle du brevet dans la stratégie industrielle d une firme. Les études sur le sujet sont rares, sans doute parce que le brevet est avant tout considéré comme l un des résultats du processus d innovation, c est-à-dire comme un output. Pourtant, les rôles du brevet identifiés dans la littérature, renchéris par les résultats de notre étude, montrent que ce sujet est loin d être négligeable. En conséquence, la présente investigation nous fournit un apport intéressant sous deux angles : théorique et empirique. Du point de vue théorique, elle a tenté de contribuer à enrichir la littérature en sciences de gestion. Un des apports principaux de notre recherche présente le brevet non pas comme un output, mais comme un input qui peut constituer un moyen d améliorer les performances d une organisation en se basant sur une démarche de veille brevet. Du point de vue pratique, cet article met en avant des apports managériaux de différentes natures. En effet, si la variabilité et les mutations économiques et technologiques constituent une des préoccupations centrales des opérateurs économiques, force est de constater la difficulté de trouver des outils capables de permettre aux firmes de mieux contrôler leur environnement externe d un point de vue holistique. Nous montrons à ce titre que l utilisation des brevets des tiers peut apporter des solutions concrètes à cette situation, grâce notamment à l information scientifique et technologique contenue dans les documents brevets. La démarche de veille brevet ci-dessus développée pourrait, si elle s inscrit dans une démarche de veille technologique rigoureusement menée, contribuer à éclairer les «veilleurs» dans la résolution des problèmes industriels et concurrentiels auxquels ils sont confrontés. Cette recherche offre plusieurs avantages mais également plusieurs limites. Une des limites de cette étude réside assurément dans notre positionnement qui est davantage stratégique que marketing. Même si, il faut le reconnaitre, le brevet est une arme stratégique comme le souligne Lallement (2008), un positionnement marketing du sujet serait d une grande utilité en sciences de gestion eu égard à la rareté de recherche dans ce domaine. On pourra par exemple reconduire la même investigation dans une perspective «marché» en mettant l accent soit sur l articulation brevet veille concurrentielle, soit sur l innovation en marketing. Par ailleurs, reposant sur une étude de cas unique, notre recherche mérite d être affinée et vérifiée sur un large échantillon qui offrirait une diversité de caractéristiques. Cette réflexion appelle donc des prolongations en termes de recherche pour confronter les résultats de cette recherche à d autres recherches sur des secteurs d activité différents. BIBLIOGRAPHIE Ahituv N., Zif J. et Machlin I. (1998) - Environmental scanning and information system in relation to success in introducing new products, Information and Management, vol. 33, n 4, p. 201-211. Belohlav J., Sussman L. (1983) - Environmental scanning and dialectical Inquiry, Managerial planning, Vol. 32, n 2, p. 46-49. Breesé P. (2002) - Stratégies de propriété industrielle, Paris, Dunod. Brockhoff K. (1992) - Instruments for patent data analyses in business firms, Technovation, n 12, p. 41-58. 61

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