LES INTERVIEWS GERANTS de Philippe Maupas Philippe Maupas est diplômé d HEC (1987), titulaire du CFA et du diplôme de Chartered Alternative Investment Analyst (Caia). Il est actuellement président de CFA Society France, actionnaire de Quantalys et consultant, après avoir été directeur général de Morningstar, de La Cote Bleue et de KNEIP SAS. Ulysses LT Funds European General LU0864474365 Jean- Pascal Rolandez, vous avez créé et dirigez The L.T. Funds, une société de conseil implantée à Genève, et vous êtes le conseiller du fonds Ulysses LT Funds European General, un fonds long only d actions européennes. Pouvez- vous revenir sur votre parcours de gérant et sur ce qui vous a amené à devenir indépendant? Après des études à l ESSEC (complétées en 1998 par l obtention de la certification CFA), j ai débuté ma carrière dans le groupe Paribas, devenu BNP Paribas, où j ai passé 22 ans, travaillant notamment à Paris, Londres et Tokyo. J y ai développé au fil des ans un modèle de gestion actions de long terme qui s est matérialisé en 1999 par un compte géré. BNP Paribas a fermé l activité brokerage actions institutionnel et j ai proposé à mon employeur d alors de développer en interne mon modèle de gestion de long terme. Après son refus, j ai décidé de le poursuivre en indépendant et j ai ainsi créé The L.T. Funds. Le compte géré a été apporté au 1 er janvier 2005 au compartiment LT Funds European General créé à cet effet par la banque Degroof au sein de la SICAV luxembourgeoise Ulysses. Au 1 er janvier 2005, le fonds comptait un client et un million d euros d encours. Ses encours s élèvent au 14 novembre 2014 à 160 millions d euros. Votre approche de gestion dispose donc d un historique de près de 16 ans et KPMG a vérifié et validé que les performances étaient conformes les normes GIPS Global Investment Performance Standard. Quelle a été la performance cumulée et annualisée de votre gestion par rapport à votre indice de référence depuis le lancement du compte géré?
Sur près de 16 ans, de janvier 1999 à fin octobre 2014, la performance cumulée de mon approche de gestion (compte géré puis SICAV) s est élevée à 238,88%, contre 74,19% pour le MSCI Europe dividendes réinvestis. En annualisé, la performance du fonds est de 8,01% contre 3,57% pour l indice de référence Vous utilisez une approche fondamentale et votre portefeuille est concentré (moins de 30 valeurs en général). Pouvez- vous nous décrire votre philosophie d investissement? L analyse macro- économique entre- t- elle en ligne de compte? Commençons par l analyse macro- économique : elle entre marginalement en ligne de compte. Je ne m intéresse qu aux tendances sociétales de fond : l arrivée d un milliard de consommateurs dans les pays émergents, le vieillissement de la population, l outsourcing. J essaie ensuite d évaluer lesquelles constituent de bons thèmes d investissement : le vieillissement est un piège, car ce sont des Etats désargentés qui financent le vieillissement ; l externalisation est en revanche un phénomène inéluctable, correspondant à la spécialisation croissante des sociétés, et une thématique d investissement forte. Ma philosophie d investissement peut être résumée comme suit : si vous choisissez peu de sociétés, qu elles sont dynamiques et bien gérées et que vous choisissez un point d entrée raisonnable, votre portefeuille devrait faire mieux que le marché à long terme. Cette approche demande une grande discipline pour constituer le portefeuille et une veille de tous les instants. Elle s apparente à celle du capital- investissement, à la différence que les fonds de capital- investissement doivent faire tourner leur portefeuille et vendre leurs participations au bout de 5 ans pour toucher leur carried interest [pourcentage des plus- values revenant à l'équipe de gestion]. Je considère ainsi que mes concurrents dans l approche sont Sofina et GBL plutôt qu Eurazeo et Wendel, ces derniers utilisant le levier, avec environ 50% d endettement pour financer leurs rachats ou leurs prises de participation. Une société se construit sur le très long terme (comme par exemple Air Liquide, L Oréal, ou BASF) et peut rester en portefeuille pendant des années. Pour moi, vendre un titre après une bonne performance est équivalent à couper le pommier après la récolte. Pouvez- vous décrire votre approche de la sélection de valeurs? J investis dans des sociétés européennes cotées sur des marchés pleinement règlementés excluant ainsi en France Alternext ou le Marché Libre. Par européenne j entends originaire de l union européenne et de l association européenne de libre- échange, à savoir l Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse. LT Funds European General investit toujours majoritairement en grandes capitalisations (plus de 5 milliards d euros) mais son portefeuille peut se trouver assez fortement surpondéré, tant en mid- caps (de 500 millions à 5 milliards) qu en small caps (de 50 millions à 500 millions). J investis rarement dans des small caps de moins de 100 millions ou dans les sociétés au flottant de moins de 50 millions. J utilise 5 filtres dans mon analyse : compréhension des produits et services, analyse stratégique, revue du management, analyse financière et analyse de risque. Les sociétés passant ces 5 filtres entrent dans mon univers d investissement et sont classées parmi 9
profils de risque que je vais panacher (défensif, croissance, cycliques et retournement vs grandes, moyennes et petites capitalisations). J étudie évidemment la valorisation d un titre avant de le mettre en portefeuille et je le conserve généralement pendant de longues années. Chaque valeur détenue est suivie constamment, et le scoring initial est refait tous les ans. J ai identifié 8 raisons de vendre une valeur, dont un changement de stratégie, la perte d un des facteurs clés de succès, ou une erreur d évaluation de ma part. Vous pratiquez «une gestion à long terme basée sur l analyse des fondamentaux des sociétés» et vous considérez qu elle apporte une nouvelle diversification au sein de nombreuses autres approches (growth, value, quantitatif, indiciel). Pouvez- vous développer cette idée? En principe, normalement on investit dans une gestion active pour dégager de la surperformance par rapport au marché. Mon concurrent numéro 1, ce sont donc les ETF [fonds indiciels cotés répliquant la performance d un indice sous- jacent]. Parmi les gérants surperformants, il y a différents styles : certains dégagent de la surperformance à 3 jours, d autres à 3 mois, d autres encore à 3 ans et sur plus long terme. En ce qui me concerne, investir en actions, c est investir sur un cycle économique, à savoir au moins 5 ans. Tous les chiffres que je fournis dans le reporting du fonds sont sur au moins 5 ans. Pour illustrer l importance du long terme dans mon approche, j ai ainsi récemment refusé de me porter candidat à un mandat actions européennes de 3 ans. Cette approche patiente et de long terme favorise- t- il une typologie de sociétés particulière? A contrario, exclut- elle certains secteurs? Mon approche ne favorise aucune société particulière mais exclut certains secteurs très perturbés par des tendances de fond : ainsi les médias, dont l économie a été bouleversée par internet, ne sont pas représentés dans le portefeuille. Pour investir à long terme dans des secteurs comme la pharmacie, la technologie, les biotechnologies ou les mines, il faut des compétences techniques que je n ai pas : à mon sens, il est en effet impératif de connaître et comprendre les secteurs dans lesquels on investit. Je peux en outre être amené à exclure ponctuellement, en fonction du positionnement dans le cycle économique, certains secteurs, par exemple les valeurs cycliques trop risquées (sidérurgie, compagnies aériennes). Le fonds investit en valeurs européennes mais je suppose que la plupart des sociétés détenues ont des activités dans le monde entier. Comment se répartit l exposition réelle de votre portefeuille? Je calcule en effet l exposition géographique réelle des valeurs en portefeuille au niveau du résultat d exploitation. Au 30 septembre, 49% du résultat d exploitation provient d Europe,
19% d Amérique du Nord et 29% des pays émergents, le solde de 3% provenant du Japon et d Océanie. Le portefeuille est construit pour être très diversifié au sein de l univers des pays émergents. J ai par exemple de l exposition à la Russie que j ai conservée, mais elle est limitée à 2% du portefeuille et concentrée sur une valeur. La croissance de l EBITDA [Earnings Before Interest, Tax, Depreciation and Amortization, soit Résultat avant frais financiers, taxes, dotations aux provisions et amortissements ou Excédent Brut d Exploitation] conditionne la croissance de la société et c est une donnée comptable avec laquelle on ne peut pas tricher. Compte tenu de la conjoncture économique, L Europe est aujourd hui un magma d EBITDA stagnant, je recherche donc de la croissance en- dehors (dans le monde émergent) et en Europe, je recherche les courants ascendants en essayant d éviter les courants descendants. Vous êtes très discret sur les valeurs en portefeuille dans votre reporting mensuel et ne fournissez par exemple pas les premières lignes. Pourquoi ne fournissez- vous pas plus d informations dans votre reporting? Nos client principaux sont des institutionnels, qui, à partir d un million d euros d encours détenus, accèdent à la totalité du portefeuille sous réserve de signer un accord de confidentialité. Je considère que publier les premières valeurs du fonds peut inciter certains investisseurs, qu ils soient professionnels ou pas, à acheter ces valeurs, alors que leur horizon de détention est vraisemblablement beaucoup plus court que le mien et qu ils n ont pas procédé à une analyse approfondie comme je l ai fait. Il y a également une raison de concurrence : avec un portefeuille concentré comme le mien, il peut être tentant pour certains gérants de s inspirer de ma sélection de valeurs, eu égard à l historique de performance du fonds. Nous publions par ailleurs l ensemble du portefeuille une fois par an conformément aux obligations réglementaires au Luxembourg, domicile de la SICAV. Depuis l épouvantable année 2008, les valeurs européennes ont connu 4 années de performances exceptionnelles (2009, 2010, 2012 et 2013), une année de baisse (2011). Quelles réflexions vous inspirent les performances stratosphériques depuis mars 2009? Que pensez- vous des niveaux de valorisation actuels au regard de l environnement macro- économique global? Les taux à long terme sont très bas (et devraient le rester en Europe et même aux USA), la valorisation relative des actions par rapport aux obligations est encore faible. Les actions Europe ont corrigé de 10% en octobre, c est la partie visible de la baisse, mais il existe la partie invisible correspondant à la baisse concomitante de 0,6 point des taux longs, qui aurait dû conduire mécaniquement le marché à monter d environ 20%, ce qui ne s est pas produit. C est donc au total un krach invisible d environ 30% qui a eu lieu sur les actions
européennes, que je trouve aujourd hui particulièrement attractives par rapport aux obligations. Par exemple, une caisse de retraite suisse peut investir en obligations d Etat suisses à 10 ans rapportant 0,5%, ou en actions Nestlé avec un rendement du dividende de 3%. L horizon d investissement minimum recommandé pour le fonds est de 5 ans, le prospectus indique que vous détenez les valeurs en portefeuille plus de 5 ans, le taux de rotation du portefeuille est- il en phase avec cette durée? Le portefeuille tourne une fois tous les 9 ans. Si l on exclut les valeurs faisant l objet d une OPA ou d une OPE il tournerait tous les 16 ans. Notez que je ne recherche pas les OPA/OPE et que mon fonds n est pas un fonds situations spéciales, mais mon mode de sélection fait que certaines valeurs en portefeuille intéressent d autres sociétés ou des fonds de capital- investissement. Pouvez- vous nous donner la décomposition des frais courants de l exercice clôturé au 31 mars 2014 et le montant de la commission de surperformance (20% de la performance au- delà de celle du MSCI Europe + dividendes + frais de gestion courants avec high water mark) pour la classe A du fonds? Les frais courants se sont élevés à 1,41%, en totalité au titre de la commission de gestion. Il n y a évidemment pas de commissions de mouvement. La commission de surperformance s est élevée à 1,52%. Nos clients sont heureux de la payer : elle est raisonnable et le mécanisme du high water mark n a jamais été modifié depuis le lancement (pas de reset périodique par exemple). Votre fonds a connu une perte maximum de 53,37% entre le 27 juillet 2007 et le 6 mars 2009 (conforme à celle de la moyenne de la catégorie Quantalys actions Europe et de l indice MSCI Europe) alors que vous avez très nettement surperformé dans la hausse (du 6 mars 2009 à aujourd hui). Est- ce représentatif selon vous de votre approche? Oui, quand les marchés s effondrent, toutes les valeurs s effondrent, on ne marche pas sur l eau très longtemps d autant que le fonds est toujours pleinement investi en seules actions et ce à environ 98%. Dans un rebond post krach, je distingue 3 phases : le «junk» (les valeurs médiocres) remonte dans les premiers jours, puis pendant un an ou deux, ce sont les valeurs de qualité qui surperforment. Dans la 3 ème phase, ce sont les valeurs de moindre qualité qui surperforment. Le portefeuille est construit pour bien se comporter pendant toutes les phases : un cœur de valeurs de croissance, puis des valeurs de moindre qualité, des cycliques, des défensives, des petites et moyennes capitalisations (dont le poids dans le portefeuille est 2 fois celui qu elles ont dans l indice). A quels types d investisseurs Ulysses Fund LT European est- il destiné? Qui sont les investisseurs aujourd hui? Comment votre fonds est- il distribué en France?
Cette gestion s adresse à tous les investisseurs désireux de s exposer à une approche de long terme en actions européennes, avec un investissement minimum d une action [valeur liquidative au 10 novembre 2014 : 226,37 ]. Au 30/09, le plus petit actionnaire détient 10 actions, le plus gros 20 millions d euros. L'encours du fonds (160 millions d euros) est détenu à 93% par 65 investisseurs institutionnels très stables (caisses de retraite françaises, banques, gestions, family offices, assureurs). 35 particuliers possèdent environ 7% des parts. L'encours provient principalement de France (environ 48%), de Suisse Romande (environ 37%), du Luxembourg (10%) et de Belgique (3%). Il n'y a pas d'investisseur dominant : le premier détient 12,5% des parts, le deuxième 8%, le troisième 7% et le quatrième 6%. J utilise 3 canaux de distribution en France : un indépendant pour la clientèle institutionnelle, une société de distribution indépendante, Exclusive Partners, pour les réseaux (et notamment l assurance vie) et enfin nos propres contacts. Vous avez lancé récemment une classe d actions protégée, à qui cette classe est- elle destinée? Pouvez- vous décrire le mécanisme de protection utilisé? Cette classe protégée a été créée notamment à la demande d une banque privée souhaitant se repositionner sur les actions avec une volatilité moindre (30% plus faible). L intérêt de cette protection est d amortir les chocs importants du type de celui de 2008. Sur des baisses annuelles «normales» (jusqu à - 10% environ), la protection ne sera pas suffisante pour éviter la baisse. La classe d actions protégée est investie sur la classe d actions historique avec un mécanisme automatique et systématique d achat d un put à 1 an à 90% sur l Euro Stoxx 50, renouvelé chaque mois par douzièmes. Comme le coût de ce Put est très élevé, nous vendons pour le financer partiellement un call à 102% sur le même indice, à horizon 2 semaines, renouvelé par dixième chaque jour. Sur un marché très haussier, la hausse du fonds sera cappée par l exercice des calls. La classe protégée s adresse donc avant tout à des clients ayant une forte aversion aux fortes baisses, et prêts à sacrifier une partie des hausses pour se prémunir des fortes baisses. Cette approche est automatique et systématique, et nous nous assurons seulement que la couverture, gérée par la Société Générale pour notre compte, est en adéquation avec l encours du fonds. Pour tenir compte du mismatch entre l indice (MSCI Europe) et la couverture (Euro Stoxx 50), l ajustement se fait par le beta. La Société Générale a ainsi réalisé un back- test de cette stratégie qui montre qu elle aurait bien amorti la baisse de 2008 : la part CP (protégée) aurait baissé de 4,83%, alors que la part C (non protégée) a baissé de 39,3%. Entretien réalisé à Genève le 10 novembre 2014