Pratique du sport et cardiopathies congénitales P. Dehant, E. Bogino, M. Jimenez Clinique Saint-Augustin, Bordeaux La question de la pratique sportive chez les enfants et les adultes porteurs de cardiopathies congénitales est fréquente. Le cardiologue et le cardiopédiatre en particulier y sont confrontés quotidiennement. Nous sommes parfois étonnés de voir la place apparente du sport dans les familles lorsqu une cardiopathie congénitale (CC) est découverte, quelquefois même avant la naissance de l enfant. La question : «Pourra-t-il (ou pourra-t-elle) faire du sport?» devance quelquefois les questions sur la gravité de la cardiopathie, sa correction possible, la nécessité d une ou plusieurs interventions, sur les éventuelles souffrances à venir, sur le risque vital. L enfant à naître ou déjà né est porteur d un projet incluant des capacités physiques au moins normales, ce qui est finalement compréhensible. La peur du handicap s exprime sans doute par ce «raccourci» : «Pourra-til (elle) faire du sport?». Certaines cardiopathies sont découvertes à l occasion de l exploration d un souffle lors d une demande de certificat médical de non contre-indication à la pratique sportive. Enfin, les immenses progrès réalisés dans le domaine du traitement des CC ont permis à une population de patients adultes porteurs de cardiopathies congénitales, opérées ou non, de mener une vie quasi normale, faisant espérer une pratique sportive. Lors de la rédaction d un certificat de non contre-indication à la pratique sportive, le médecin devra connaître les risques réels ou l absence de risque pour le cas particulier du patient et du sport en question. Il devra rester objectif face aux attitudes excessivement restrictives ou permissives du patient, ou de l enfant et de ses parents. Les craintes de syncope ou de mort subite de certains parents, parfois inappropriées, contrastent avec une négation de la cardiopathie et de ses risques par tel autre patient ou telle autre famille. Les effets bénéfiques de la pratique sportive (en excluant les dérives régulièrement d actualité) ne sont plus à prouver. Ces bénéfices sont encore plus importants pour la majorité des patients porteurs de CC. L entraînement physique permet d améliorer la consommation d oxygène et donc de soulager le travail cardiaque. Tableau 1 faible I Dynamique faible A Billard Bowling, curling Golf Tir (armes à feu) Cricket Dynamique moyenne B Escrime Tennis de table Tennis (en double) Baseball a Volleyball Dynamique forte C Badminton Course d orientation Course de fond (marathon) Marche athlétique Ski de fond (classique) Hockey sur gazon a Squash a moyenne II Course auto a,b Plongée scaphandre b Sports équestres a,b Courses moto a,b Gymnastique a Voile Tir à l arc Plongeon a,b Sauts (athlétisme) Patinage artistique a Course de sprint Football américain a Rugby a Football a Surf a,b Basketball a Biathlon Hockey sur glace a Ski de fond (skating technique) Course de demi-fond Natation Tennis (en simple) Handball a forte III Bobsleigh/luge a,b Lancers (athlétisme) Escalade sportive a,b Ski nautique a,b Haltérophilie a Planche à voile a,b Arts martiaux (judo,karaté) a Body building a Ski de descente a,b Lutte a Snowboard a,b Skateboard Boxe a Canoë/kayak Cyclisme a,b Décathlon Aviron Patinage de vitesse Triathlon a,b Classification des sports (adaptée et modifiée d après Mitchell et al. (3) ). a : Danger de collision corporelle, b : Risque accru si une syncope survient. Les sollicitations cardiovasculaires les plus basses (débit cardiaque et PA) sont représentées en vert et les plus élevées en rouge. Les couleurs bleu, jaune et orange correspondent respectivement à des sollicitations cardiovasculaires moyenne basse, moyenne et moyenne haute. 15
Les facteurs de risque (HTA, surcharge pondérale, troubles des métabolismes lipidique et glucidique) sont mieux contrôlés. Enfin, la pratique sportive adaptée, même partielle, évite aux enfants la marginalisation d une dispense, souvent abusive, des activités physiques et sportives scolaires. De plus, l autorisation, voire l encouragement par le médecin de la pratique sportive, permet de lever l angoisse des enfants et surtout des parents vis-àvis des risques de l activité physique et d éviter une éventuelle surprotection de l enfant. Il est quelquefois nécessaire d intervenir auprès de l encadrement scolaire pour permettre l intégration adaptée de l enfant aux activités sportives. Si l autorisation à la participation aux activités physiques et sportives dans le cadre scolaire ou du loisir pose en général moins de problèmes que l autorisation de la pratique du sport en compétition, elle doit néanmoins être délivrée par un médecin connaissant particulièrement le patient et les recommandations détaillées ci-dessous. Des recommandations (1, 2) existent pour nous aider dans nos conseils et nos décisions. La classification des sports de Mitchell (3), bien qu imparfaite, modifiée à plusieurs reprises, avec des sports susceptibles de changer de catégorie en fonction du poste occupé dans l équipe ou de la sous-spécialité éventuelle, constitue cependant une aide précieuse au quotidien (Tableau 1 p. 15). Elle est basée sur les niveaux statiques et dynamiques maximaux atteints en compétition. Il faut cependant noter que des niveaux plus élevés peuvent être atteints durant l entraînement. Le niveau de la composante dynamique est défini en termes de pourcentage estimé de consommation maximum d oxygène atteinte et donc d augmentation de débit cardiaque. Le niveau de la composante statique est en relation avec le pourcentage de contraction volontaire maximale (MVC) atteint et s exprime donc en termes d augmentation de la pression artérielle. Figure 1 Anomalie d Ebstein (forme moyenne) contre-indiquant toute pratique sportive en compétition. L autorisation, voire l encouragement par le médecin de la pratique sportive, permet de lever l angoisse des enfants et surtout des parents vis-à-vis des risques de l activité physique et d éviter une éventuelle surprotection de l enfant. Les sollicitations cardiovasculaires les plus basses (débit cardiaque et PA) sont représentées en vert et les plus élevées en rouge. Les couleurs bleu, jaune et orange correspondent respectivement à des sollicitations cardiovasculaires moyenne basse, moyenne et moyenne haute. Les recommandations européennes et nord-américaines sont assez comparables. Nous avons choisi la présentation des recommandations européennes (Tableau 2), plus faciles à utiliser, établies en fonction des cardiopathies opérées ou non permettant une activité sportive sans restriction, avec restrictions partielles, ou représentant une contre-indication absolue à la pratique sportive. Ces recommandations appellent plusieurs commentaires : - elles sont destinées à fournir des conseils de base au médecin sollicité pour autoriser la pratique d un sport en compétition à des patients porteurs de CC. La pratique du sport en compétition sous-entend la notion d entraînement en vue d améliorer les performances et de recherche de dépassement de soi-même lors de la compétition, c est-à-dire de sollicitation des capacités physiques, donc cardiovasculaires, à la limite des possibilités, dans un contexte de stress mental lié à la compétition ; - de ce fait, un certain nombre de CC, opérées ou non, sont incompatibles avec le sport en compétition, du fait de la complexité des lésions anatomiques, de la limitation des performances ventriculaires et du risque de survenue de troubles rythmiques. Il s agit du syndrome d Eisenmenger, de l hypertension artérielle pulmonaire, des cœurs univentriculaires, des anomalies coronaires congénitales, de l anomalie d Ebstein (Fig. 1), des sténoses aortiques critiques, de la dou- DR 16
Tableau 2 Anomalie Evaluation Critères Recommandation Suivi CIA (fermée ou petite, non opérée) et FOP Ex.Clin., Echo, Orifice < 6mm, ou 6 mois après fermeture avec PAP normale, arythmie = 0, dysfonction ventriculaire = 0. Si FOP, discussion de fermeture avant plongée régulière avec bouteilles CIV (fermée ou petite, non opérée) Orifice restrictif (gradient VG-VD > 64mmHg) ou 6 mois après fermeture, PAP normale CAV Pas ou peu de régurgitation valvulaire, pas de sténose sousaortique, arythmie = 0, VO²max normale. RVPA partiel ou total, IRM Pas d obstruction veineuse pulmonaire, PAP normale, pas d arythmie d effort Canal artériel opéré 6 mois après fermeture, PAP normale Non nécessaire Sténose pulmonaire (peu serrée, opérée ou non) Native ou 6 mois après fermeture, gradient max transvalvulaire < 30mmHg, VD normal, ECG normal ou HVD modérée, arythmie = 0 Sténose pulmonaire (moyennement serrée, opérée ou non) Native ou 6 mois après fermeture, gradient max transvalvulaire entre 30 et 50 mmhg, VD normal, ECG normal ou HVD modérée, arythmie = 0 I A, I B Tous les 6 mois Coarctation aortique (native ou corrigée) Sténose aortique (modérée) Sténose aortique (moyenne) Tétralogie de Fallot, IRM, Holter ECG, Holter ECG, IRM HTA = 0, gradient TA bras-jambe < 21mmHg, TA max pendant EE < 231mmHg, pas d ischémie à l ECG, pas d HVG Gradient moyen < 21mmHg, arythmie = 0, syncope = 0, dyspnée = 0, angor = 0 Gradient moyen entre 21 et 49 mmhg, arythmie = 0, syncope = 0, dyspnée = 0, angor = 0 Peu ou pas d obstruction droite, pas ou peu de régurgitation valvulaire pulmonaire, fonction biventriculaire normale ou sub normale, arythmie = 0 Lésion résiduelle moyenne avec pression VD < 50% de pression VG, ou CIV résiduelle, ou régurgitation pulmonaire moyenne, mais fonction biventriculaire normale I A, I B, II A, II B. Si interposition d un tube, éviter les sports avec risque de collision sauf III C I A I A, I B, II A, II B I A. Si interposition d un tube, éviter les sports avec risque de collision. Tous les 6 mois.. Transposition des gros vaisseaux (switch artériel) Pas ou peu d insuffisance aortique, pas de sténose pulmonaire significative, arythmie et ischémie = 0 au test d effort. Coronarographie ou scanner coronaire normal(e) dans l enfance sauf III C Recommandations pour la participation aux sports de compétition pour les sportifs porteurs de cardiopathie congénitale. Hist.Clin. : histoire clinique ; Ex.Clin. : examen clinique ; ECG : électrocardiogramme 12 dérivations ; Echo : échocardiographie-doppler ; Rx : radiographie de thorax ; EE : ECG d effort. Le suivi inclut : interrogatoire, classe NYHA, Ex.Clin., ECG, et écho. 17
Figure 2 A B C DR A et B : incidences parasternales grand axe et petit axe d une bicuspidie aortique avec 2 raphés. C : Enregistrement en Doppler continu par voie apicale du gradient moyen de la sténose (24 mmhg), ne permettant que la pratique des sports de type I A de la classification de Mitchell. ble discordance et des transpositions des gros vaisseaux corrigées par les interventions de Mustard, Senning ou Rastelli ; - rappelons que les CC les plus fréquemment associées avec la mort subite pendant la pratique sportive sont la myocardiopathie hypertrophique, les anomalies coronariennes, le syndrome de Marfan et les sténoses aortiques. Certains éléments déterminants méritent d être rappelés Les troubles du rythme La survenue de troubles du rythme chez les patients avec CC est un problème fréquent, en particulier dans la population des congénitaux adultes. Les patients ayant bénéficié d une chirurgie avec incisions auriculaire et/ou ventriculaire sont à risque majoré d arythmie et de dysfonction ventriculaire du fait des cicatrices myocardiques. La fonction ventriculaire La dysfonction ventriculaire, droite ou gauche, du fait des arythmies d effort potentiellement inductibles, est une contre-indication à la pratique de sport de compétition. Les pressions pulmonaires Les shunts gauche-droit, corrigés ou non, peuvent ou ont pu élever les pressions pulmonaires et modifier les résistances artérielles pulmonaires. En cas de doute sur leur niveau, une évaluation à l effort est nécessaire. Une élévation de la pression artérielle pulmonaire systolique au cours des efforts de moins de 35 mmhg ne semble pas faire prendre de risque. Les valvulopathies Qu elles soient sténosantes ou régurgitantes, les valvulopathies congénitales (Fig. 2) ou résiduelles après chirurgie doivent être évaluées au repos et à l effort et des recommandations spécifiques existent à leur propos (4). 18
Seuls les patients dont l activité physique pourrait aggraver la pathologie ou induire des troubles rythmiques potentiellement dangereux doivent être écartés de la pratique sportive. Les prothèses valvulaires et les conduits prothétiques Les patients avec prothèse valvulaire mécanique et traitement anticoagulant ainsi que les patients porteurs de conduits prothétiques doivent éviter de pratiquer les sports à risque de collision. Le statut fonctionnel Seuls les patients en classe fonctionnelle 1 de la NYHA peuvent pratiquer sans restriction les sports de compétition. La réponse tensionnelle à l effort Une chute tensionnelle à l effort chez un patient porteur de sténose aortique nécessite d autres investigations. Une élévation tensionnelle anormale à l effort chez un patient opéré d une coarctation aortique est possible, mais son pronostic n est pas connu. Deux points essentiels doivent être observés Le premier est la nécessité d une évaluation documentée Celle-ci comportera : - une histoire complète de la maladie avec connaissance des éventuels comptes-rendus opératoires et des précédentes évaluations ; - un interrogatoire rigoureux sur le statut fonctionnel et les aspects spécifiques de la pratique, des entraînements et des compétitions du sport en question ; - un examen clinique ; - un ECG ; - un cliché radiologique ; - une échographie-doppler cardiaque avec évaluation des pressions pulmonaires et des fonctions ventriculaire gauche et droite ; - un test d effort maximal avec ECG, mesure de TA et si possible mesure de la VO²max. Dans certains cas, d autres investigations sont requises : - enregistrement Holter en cas de recherche de trouble rythmique ; - scanner pour l étude des vaisseaux de la base incomplètement appréhendés par l échographie ; - IRM pour l évaluation de la fonction et du volume du ventricule droit ; - échographie d effort pour évaluer les pressions pulmonaires dans certaines cardiopathies opérées ou non. Cette évaluation est nécessaire à l utilisation du Tableau 2 (p. 17) avant l autorisation de la pratique du sport en compétition. Le second est le suivi et la réévaluation périodique de ces patients Le suivi doit intervenir dans les 6 mois ou un an après la première autorisation et, compte tenu de l évolution possible ou attendue de la CC, être renouvelé annuellement dans la plupart des cas, avec des réévaluations complètes plus ou moins espacées. En conclusion, les bénéfices de l activité physique, voire sportive, sur la santé physique et mentale des patients porteurs de CC sont évidents. De ce fait, seuls les patients dont l activité physique pourrait aggraver la pathologie ou induire des troubles rythmiques potentiellement dangereux doivent être écartés de la pratique sportive. Néanmoins, malgré l aide apportée par les recommandations, les cardiopédiatres connaissent bien les multiples associations, variétés anatomiques et cliniques des CC, opérées ou non, et la variabilité de leur retentissement et de leurs complications. Ils sont donc les mieux formés pour donner les conseils adaptés à chaque patient et délivrer les autorisations de pratique sportive, en particulier en compétition, qui s appuieront toujours sur une évaluation rigoureuse. Ces conseils et autorisations, voire restrictions, peuvent varier au fil du temps, dans un sens ou dans un autre, du fait de l évolution de la CC ou des interventions réalisées. La réévaluation périodique est donc indispensable. RÉFÉRENCES 1 Graham TP Jr, Driscoll DJ, Gersonny WM, Newburger JW, Rocchini A, Towbin JA. Task Force 2 : Congenital heart disease. J Am Coll Cardiol. 2005;45:1326-33 2 Pelliccia A, Fagard R, Bjørnstad HH, et al. Recommendations for competitive sports participation in athletes with cardiovascular disease: A consensus document from the Study Group of Sports Cardiology of the Working Group of Cardiac Rehabilitation and Exercise Physiology and the Working Group of Myocardial and Pericardial Diseases of the European Society of Cardiology. Eur Heart J. 2005 Jul;26(14):1422-45 3 Mitchell JH, Haskell W, Snell P, Van Camp SP. Task Force 8 : Classification of sports. J Am Coll Cardiol. 2005;45:1364-7 4 Bonow ROMD, Cheitlin MD, Crawford MH, and Pamela S. Douglas PS. 36th Bethesda Conference. Task Force 3: Valvular heart disease. J Am Coll Cardiol 2005;45:1334-40 19