BILLET d HUMEUR Février 2014 Jean-Yves COPIN et Manon QUILLEVERE Juristes - Consultants au Centre de droit JuriSanté - CNEH Cadres de santé : connaitre le droit pour réussir le management Les cadres de santé sont aujourd hui les éléments indispensables d une gestion des ressources humaines à la fois dynamique et sécurisée. Relais de la direction des ressources humaines, vecteurs d une communication interne que le dialogue social impose, sensibilisés aux risques psycho-sociaux, aux responsabilités, à la sociologie des organisations, ils ne sont plus les surveillants de l hôpital d hier. Le diagnostic est partagé. Ils ne surveillent donc plus, ils managent. Il n est pas ici question de vouloir inventer une théorie du management. Encore moins d avoir la prétention de dire que le droit est une fin en soi. Absolument pas. Il est ici question de présenter le droit non comme un ensemble de règles rébarbatives mais comme un outil du manager. N en déplaise aux réfractaires, la règle de droit fait partie du quotidien du bon manager. Pour illustrer notre propos, trois exemples. Les mauvaises langues affirmeront que ces exemples sont éloignés des pratiques du terrain. Ou encore que le statut de la fonction publique est trop complexe pour être applicable. C est oublier un peu vite que dans les entreprises privées il y a un code du travail qui fixe lui aussi des règles relatives au temps de travail, des cas de recours aux contractuels et des procédures pour licencier Eléments que des conventions collectives viennent préciser Il n est pas nécessaire que les cadres du privé soient des spécialistes du code du travail mais la connaissance de ces règles est indéniablement également un outil du manager. Les cadres de santé ont une difficulté supplémentaire. Trop souvent, leurs recherches les mènent sur des sites ou forums traitant d une autre fonction publique ou du code du travail. Raison de plus pour inclure dans leur formation initiale les fondamentaux des règles applicables à l hôpital. Exemple n 1 : la gestion du temps de travail L organisation et la gestion du temps de travail est une question importante au sein des établissements publics de santé. A ce titre, la connaissance du cadre règlementaire est l une des clés pour réussir le management. En effet, en ce qui concerne l organisation et la gestion du temps de travail, deux points essentiels doivent être mis en exergue. 1
D une part, il y a le cadre règlementaire défini par deux décrets du 4 janvier 2002 1 prévoyant les garanties offertes aux agents et les obligations minimales devant être respectées par les établissements publics de santé. D autre part, il y a la liberté d action du directeur pour l organisation du travail au sein de son établissement. Effectivement, sous réserve de consulter les partenaires sociaux, une marge d appréciation est laissée au chef d établissement pour définir l organisation et la gestion du temps de travail applicable dans sa structure. Un double corpus qui pointe l importance de connaître la règle de droit pour réussir son management en termes d organisation et gestion du temps de travail. Pour illustrer les propos, prenons l exemple de la définition des cycles de travail. L article 9 du décret n 2002-9 du 4 janvier 2002 dispose, «Le travail est organisé selon des périodes de référence dénommées cycles de travail définis par service ou par fonctions et arrêtés par le chef d établissement après avis du comité technique d établissement ( ). Le cycle de travail est une période de référence dont la durée se répète à l identique d un cycle à l autre et ne peut être inférieure à la semaine ni supérieure à douze semaines ; le nombre d heures de travail effectué au cours des semaines composant le cycle peut être irrégulier. ( ).» Dans le cadre de ces contraintes règlementaires, une liberté d action est laissée au chef d établissement pour définir la durée des cycles de travail. Par exemple, le texte prévoit que chaque cycle de travail ne doit être ni inférieur à une semaine ni supérieur à douze semaines. Sous réserve de respecter cette contrainte, toute latitude est laissée au chef d établissement dans la fixation du cycle de travail (possibilité de définir un cycle de travail à 3 semaines par exemple). Il est alors opportun d admettre qu à partir de la règle de droit s installe le management. La connaissance du cadre règlementaire est donc un prérequis indispensable pour un management efficace en matière d organisation et de gestion du temps de travail. Exemple n 2 : la gestion des contractuels de droit public La gestion des contractuels de droit public au sein des établissements publics de santé est définie par un cadre juridique: les articles 9 et 9-1 de la loi du 9 janvier 1986 2 et le décret du 6 février 1991 3. 1 Décret n 2002-8 du 4 janvier 2002 relatif au temps de travail et à l organisation du travail dans les établissements mentionnés à l article 2 de la loi n 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière / Décret n 2002-9 du 4 janvier 2002 relatif au temps de travail et à l organisation du travail dans les établissements mentionnés à l article 2 de la loi n 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière. 2 Loi n 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière. 3 Décret n 91-155 du 6 février 1991 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels des établissements mentionnés à l article 2 de la loi n 86-33 du 9 janvier 1986 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière. 2
Il précise les motifs de recours aux agents contractuels et les modalités de leur gestion par les gestionnaires d établissements publics de santé. Il est proposé de synthétiser ces règles de droit dans le tableau suivant : Motif de recours Disposition Nature du juridique à contrat appliquer Durée du contrat Remplacement de congés annuels Complément de temps partiel maladie ordinaire Remplacement de congés longue maladie, longue durée, grave maladie de maternité ou d adoption parental de présence parentale de solidarité familiale Art. 9-1 I CDD Vacance d emploi Art. 9-1 II CDD Accroissement temporaire d activité Absence de corps de fonctionnaires ou connaissances techniques hautement spécialisées du contractuel Emploi à temps non complet inférieur au mitemps et correspondant à un emploi permanent Art. 9-1 III Art. 9 CDD CDD long ou CDI Contrat conclu pour une durée déterminée, renouvelable, par décision expresse, dans la limite de la durée de l absence de l agent à remplacer Contrat conclu pour une durée déterminée ne pouvant excéder un an après publicité de la vacance de l emploi. A défaut de candidature de titulaire, le contrat est renouvelable une fois, dans la limite de 2 ans Durée maximale des contrats conclus est de 12 mois sur une période de 18 mois consécutifs S il s agit d un CDD, celui-ci est conclu pour une durée maximale de 3 ans renouvelable 1 fois dans la limite de 6 ans. Au-delà, il est transformé en CDI. Ou, l agent bénéficie directement d un CDI. Compte tenu de ces différentes règles, une bonne gestion des contractuels d un point de vue managérial passe indéniablement par une maîtrise du dispositif juridique. En effet, pour manager de manière efficiente ses équipes et réduire tout risque contentieux, il est 3
nécessaire de maîtriser les motifs de recours et modalités de gestion des agents contractuels de droit public à l hôpital. Et surtout en connaissant le motif de recrutement de l agent affecté dans son service, le cadre de santé pourra évoquer, sans prendre de risque, l éventualité ou non du renouvellement d un contrat. Exemple n 3 : Le licenciement de l agent stagiaire Dans l esprit du texte, lorsqu un poste est vacant, il est proposé aux autres fonctionnaires. Dans l attente de ce recrutement, le poste peut donc être occupé, et pour un an, renouvelable éventuellement une fois, par un contractuel. Si aucun fonctionnaire ne se présente, le poste est ouvert au concours. Le lauréat du concours sera nommé. Cette nomination ne va pas lui conférer le statut de fonctionnaire. Il sera stagiaire, et ce n est qu à l issue de ce stage, et s il démontre son aptitude à la fonction pour laquelle il a été recruté, qu il sera titularisé et rentrera dans «la carrière». Le stage est prévu à l article 37 4 du statut de la fonction publique hospitalière : «La titularisation des agents nommés [ ] est prononcée à l'issue d'un stage dont la durée est fixée par les statuts particuliers.» Mais le dernier alinéa de cet article précise également que «l'agent peut être licencié au cours de la période de stage après avis de la commission administrative paritaire compétente, en cas de faute disciplinaire ou d'insuffisance professionnelle. Dans ce dernier cas, le licenciement ne peut intervenir moins de six mois après le début du stage.» Ainsi, l agent stagiaire peut être licencié : - En cours de stage pour insuffisance professionnelle, à la condition d avoir réalisé six mois de stage ; - En cours de stage et à tout moment, pour faute disciplinaire ; - En fin de stage, pour insuffisance professionnelle. Et c est là qu interviennent les cadres de santé. Le directeur prend éventuellement la décision managériale de licencier mais le cadre de santé doit fournir les éléments de preuve en rédigeant des rapports circonstanciés. Et il y a parfois de la lassitude à rédiger des rapports sans comprendre leur utilité finale. Puisqu une décision défavorable doit être motivée 5 et que le juge administratif en vérifiera l exactitude, sans éléments en provenance du cadre de proximité, aucune décision ne sera prise. 4 Loi n 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière 5 La loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l amélioration des relations entre l administration et le public prévoit notamment l obligation de motiver les «décisions administratives individuelles défavorables». La motivation doit être écrite et comporter «l ensemble des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. L administration est cependant dispensée de motiver ses décisions en cas d urgence. La non motivation d une décision qui doit être motivée, entraîne l annulation de celle-ci par le juge administratif pour vice de forme en cas de recours 4
A contrario, des rapports circonstanciés contiennent les éléments permettant de motiver les décisions et constituent des preuves pouvant venir démonter l exactitude matérielle des faits. Et dans la pratique, il arrive que l absence de rapport ou des rapports insuffisamment détaillés entrainent une absence de décision. Or, l absence d explication sur le non licenciement d un agent entraine l incompréhension du cadre et le maintien dans l emploi d un agent insuffisant professionnellement est un facteur de démotivation de l équipe. Alors oui, si le cadre de santé connaît le droit il dispose d un outil supplémentaire dans le management. Uniquement un outil, mais indispensable. Conclusion Il n y aura pas à l hôpital de gestion du temps de travail, de gestion structurée et sécurisée des contractuels et de licenciement en fin de stage sans implication des cadres. Mais leur formation juridique, souvent réduite aux questions de responsabilités doit aussi intégrer les thématiques relatives au statut, au temps de travail et au dialogue social. Et les directions des ressources humaines doivent savoir informer et communiquer sur les nouveautés légales et réglementaires avec les cadres afin qu en qualité de manager ils trouvent toute leur place dans l accompagnement quotidien de leurs équipes. Renseignement et inscription Nadia HASSANI 01 41 17 15 43 nadia.hassani@cneh.fr 5