ÉNONCÉ SUR LES TESTS GÉNÉTIQUES ET L ASSURANCE INSTITUT CANADIEN DES ACTUAIRES Le 13 novembre 2000 Document 20065 Le présent énoncé témoigne du point de vue de l Institut Canadien des Actuaires (ICA) à l égard du rapport entre les tests génétiques et l assurance. Les opinions qui y sont exprimées, et qui ont été avalisées par la Direction des services aux membres de l ICA, reposent sur les résultats de l examen des questions relatives au rapport entre la génétique et l assurance effectué par le Groupe de travail sur la génétique de l ICA. Introduction En juin 2000, on a annoncé que l équipe du Projet du génome humain avait finalisé une ébauche du code génétique humain. Cette annonce a depuis fait l objet de bien des spéculations et a suscité tout un débat au sujet de l effet des tests génétiques sur l industrie de l assurance et sa clientèle. Les consommateurs craignent que les sociétés d assurance se servent de l information génétique pour refuser d émettre un contrat ou exiger des primes exorbitantes. Les assureurs, quant à eux, redoutent la possibilité d une antisélection advenant que les consommateurs achètent de l assurance sans divulguer les résultats des tests, ce qui aurait des répercussions défavorables sur les coûts de l assurance. La compréhension de la génétique évolue rapidement. En observant certaines caractéristiques génétiques, il est maintenant possible d informer une personne des conséquences éventuelles sur sa santé. Ces conséquences peuvent être favorables ou défavorables et influent sur la probabilité que cette personne contracte certaines maladies ainsi que sur son état de santé futur et son espérance de vie. La profession actuarielle a notamment pour mandat de susciter des débats sur la place publique. En ce qui concerne, par exemple, le rapport entre la génétique et l assurance, la profession veut s assurer que les politiques gouvernementales soient élaborées par des personnes qui connaissent bien le dossier et qui sont disposées à donner leur opinion professionnelle, y compris l analyse des résultats éventuels de certaines décisions stratégiques. La profession vise à évaluer l incidence financière pour tous les groupes susceptibles d être affectés, et elle ne défend pas les intérêts d un groupe en particulier. Le présent énoncé aborde les questions suivantes : Portée : Définition des tests génétiques Assises du risque assurable Rôle des actuaires Tests génétiques et risque assurable Antisélection et risque assurable Tests génétiques : Questions liées à l éthique et à la protection de la vie privée Avenir des tests génétiques et du risque assurable Conclusions Portée : Définitions des tests génétiques Certaines caractéristiques physiologiques se transmettent d une génération à l autre par l entremise de l ADN qu on retrouve dans chaque cellule vivante. Les gènes sont les composantes de l ADN qui contrôlent la manière dont les personnes se développent. Les gènes peuvent aussi à ce titre déterminer d autres traits physiques et causer une maladie ou y contribuer. Dans certains cas, les tests génétiques peuvent indiquer si une personne a plus de chances que la normale de contracter une maladie. Aux fins du présent énoncé, on entend par test génétique un test servant à déterminer la présence ou l absence de variations particulières dans le code génétique d une personne. Les résultats d un test de ce genre pourraient être utilisés pour déterminer si une personne est admissible en vue de l achat d une couverture d assurance et(ou) le prix à exiger pour la couverture. Secrétariat : 360 rue Albert # 820, Ottawa, Ontario, Canada, K1R 7X7 (613) 236-8196 Téléc. : (613) 233-4552
Assises du risque assurable Les consommateurs versent aux sociétés d assurance des primes pour se protéger contre les pertes financières; de leur côté, les sociétés d assurance perçoivent les primes, assurent la gestion des risques acceptés et veillent à ce qu il y ait suffisamment de fonds pour acquitter toutes les éventuelles réclamations. Le partage du risque est un précepte fondamental dans la conception des produits d assurance. L assurance regroupe les personnes dont les réclamations sont prévisibles en tant que groupe, mais imprévisibles sur une base individuelle. Pour les consommateurs, les risques individuels sont regroupés avec d autres profils de risque comparables (p. ex., les fumeurs et les non-fumeurs sont regroupés de façon distincte), le niveau des primes est déterminé en fonction du risque du groupe et une prime équitable est imputée à chaque groupe. Pour les sociétés d assurance, les mises en commun permettent de s assurer que toutes les personnes payent leur juste part, qu aucun groupe n en subventionne un autre et que les réclamations soient partagées entre tous les membres du groupe. Un autre précepte fondamental du contrat d assurance est qu il s agit d une entente «de bonne foi» entre toutes les parties en cause. Avant de s engager à partager un risque, l assureur doit avoir en main tous les renseignements que le requérant a à sa disposition au sujet du risque qu il représente. Puisque les consommateurs ont la capacité de choisir le type et la portée de la garantie qu ils souhaitent obtenir et le moment de leur achat, il est essentiel qu ils transmettent à l assureur l information sur les risques. Rôle des actuaires Les actuaires jouent un rôle fondamental dans le fonctionnement des sociétés d assurance. Encadrés par des normes de pratique professionnelles, les actuaires mettent à contribution leurs compétences en analyse financière pour évaluer les produits d assurance et en fixer le prix. Conformément aux normes professionnelles, les actuaires sont tenus de connaître les circonstances du cas, d avoir recours à des données qui sont suffisantes et fiables, de choisir des hypothèses et des méthodes appropriées relativement au risque et de formuler des opinions qui reposent sur leurs calculs. Les actuaires exercent un certain leadership au sein des sociétés pour s assurer que les décisions en matière de risque soient bien fondées. Pour déterminer des primes concurrentielles, d une part, et permettre à la société de payer les réclamations, d autre part, il faut absolument gérer tous les risques éventuels. Or, pour gérer les risques, il est essentiel de les classer; conformément aux principes traditionnels de souscription, les risques des souscripteurs sont regroupés en fonction de l âge, du sexe, du profil médical, des attributs physiques, des antécédents familiaux et des questions relatives au comportement. Tests génétiques et risque assurable Le rapport entre les gènes et la morbidité et la mortalité futures est extrêmement complexe. Même si des renseignements génétiques supplémentaires pouvaient, dans une certaine mesure, aider les sociétés d assurance à déterminer si elles acceptent un contrat d assurance, la plupart des personnes présentant une demande d assurance-vie ou d assurance-maladie seraient quand même acceptées à titre de risques normaux. Malgré tous les progrès réalisés dans le domaine de la médecine ces quarante dernières années, le pourcentage de personnes présentant une demande d assurance-vie et qui sont acceptées à titre de risques normaux est demeuré relativement stable. Plus de 90 pour cent de l ensemble des consommateurs demandant de souscrire à une assurance-vie au Canada sont classés dans la catégorie des risques normaux (les pourcentages sont uniformes aux États-Unis et en Angleterre), ce qui pousse certains à dire que la souscription est un exercice inutile. Or, on affirmait, dans une étude effectuée par l American Academy of Actuaries, que : [traduction] «si l on abolissait la souscription et que chaque personne aux États-Unis présentait simultanément une demande pour le même montant de couverture, la prime requise serait à 90 pour cent plus élevée que les primes courantes consenties aux requérants à risques normaux». Le fait de déterminer les primes en fonction du risque permet de s assurer que la prime la plus équitable possible soit offerte à chaque membre de chaque groupe. 2
En ce qui a trait aux risques inhabituels, on peut obtenir la plupart des renseignements qu il est possible d obtenir par le biais des tests génétiques actuels en posant les questions usuelles au sujet des antécédents médicaux et familiaux. De fait, cette information est déjà prise en compte dans le processus traditionnel de souscription. C est une époque stimulante pour les percées médicales et une meilleure compréhension de la génétique permettrait de faire des prévisions plus précises en ce qui a trait à la mortalité et à la morbidité. Mais il n en demeure pas moins que pour l instant, le style de vie et les habitudes comme le tabagisme demeurent des indices beaucoup plus utiles et fiables que les gènes pour prévoir la santé et la durée de vie. Pour établir des hypothèses quant aux niveaux de morbidité et de mortalité, un actuaire doit continuer à évaluer si les données utilisées aux fins de la tarification et de l évaluation des produits d assurance sont fiables et suffisantes. Avant qu une société d assurance puisse proposer d intégrer à l avenir les résultats des tests génétiques au procédé de souscription, nous devons continuer à recourir à l analyse actuarielle pour s assurer que les décisions au sujet de la classification des risques soient fondées sur les faits et les technologies éprouvées et témoignent de décisions appropriées et importantes au sujet des coûts. Il est essentiel de procéder à une étude objective. Les actuaires seront tenus de vérifier si les tests sont définitifs, exacts et efficients et s ils ont de solides propriétés prédictives avant d en utiliser les résultats à des fins de souscription. Une gestion adéquate des risques passe par de bonnes pratiques de souscription, ce qui exige des données exactes. Voici les faits : même si l annonce de l établissement du génome humain revêt une grande importance dans l optique de la recherche, il en va autrement sous l angle de la souscription aujourd hui. Bien que les tests génétiques permettent éventuellement de confirmer les prédispositions génétiques ou les profils héréditaires, ce qui permet en retour de déterminer et de traiter les maladies génétiques, le fait de subir un test génétique en soi n influe en rien sur l espérance de vie d une personne ou sur la morbidité. D après les connaissances actuelles, il semblerait qu il existe relativement peu de maladies où la présence ou l absence d un gène influera directement sur la possibilité pour une personne de contracter l une de ces maladies. Il convient de rappeler que les tests génétiques aideront non seulement à poser un diagnostic, mais également à faciliter le traitement grâce à la mise au point de thérapies géniques. Pour le moment, le traitement accuse du retard par rapport aux tests. Cependant, le dépistage génétique peut inciter certaines personnes à changer leur style de vie ou la façon dont elles gèrent leur santé par suite de résultats de tests génétiques positifs, ce qui permet en retour le prolongement de leur espérance de vie ou l amélioration des taux de morbidité. En outre, les résultats des tests génétiques pourraient être utilisés pour faire contrepoids à l information provenant d autres sources. Si le résultat d un test est favorable, une société d assurance pourrait décider d ignorer certains renseignements défavorables au titre des antécédents familiaux et approuver une demande d assurance au tarif approprié. Antisélection et risque assurable L antisélection est le risque qu une des parties en cause choisisse des options au détriment de l autre partie. Des rapports fondés sur le principe de la bonne foi exigent l échange de renseignements de façon à ce qu une partie ne puisse refuser de donner de l information qui est essentielle à l autre partie pour l évaluation des risques. L industrie canadienne de l assurance de personnes a pour politique de ne pas exiger d un requérant qu il se soumette à un test génétique. Or, si le test en question a déjà été effectué et que le requérant a reçu les résultats, il faudrait les fournir à la société d assurance, car un contrat d assurance constitue essentiellement une entente conclue de bonne foi. Au Canada, le fait de ne pas communiquer ces renseignements peut donner lieu à l annulation d un contrat d assurance. L ICA est d accord avec cette position. Si on interdisait aux sociétés l accès aux résultats des tests génétiques lorsque ceux-ci sont disponibles, il n y aurait donc pas partage adéquat des risques. Ceci aurait pour effet d augmenter le volume de réclamations des sociétés d assurance, ce qui en retour ferait hausser les primes des consommateurs. Les types et les montants de contrats d assurance offerts aux consommateurs seraient donc plus limités. 3
Tests génétiques : questions liées à l éthique et à la protection de la vie privée L utilisation de l information obtenue au moyen des tests génétiques soulève des questions importantes en matière d éthique et de protection de la vie privée. Les craintes au sujet de la confidentialité constituent un élément important. Deux principes figurant dans le code de conduite à l égard des consommateurs de l Association canadienne des sociétés d assurances de personnes inc. sont particulièrement pertinents à la collecte et à l utilisation de l information génétique. Il s agit de ce qui suit : avoir recours à des méthodes de souscription judicieuses et équitables; respecter la vie privée des personnes, c est-à-dire n utiliser les renseignements personnels qu aux fins autorisées et ne les révéler à aucune personne non autorisée. L ICA est d accord avec la politique préconisée par l industrie, à savoir que l information ne doit être utilisée que pour le motif visé initialement et ne doit être divulguée à personne sans le consentement écrit du requérant. Bien entendu, les requérants devraient avoir le choix de se soumettre à un test génétique s ils le souhaitent et il ne faudrait pas les y obliger. Les actuaires devront travailler avec les médecins dans le cadre de cette percée révolutionnaire tout en respectant les droits de la personne et le caractère confidentiel de l information. Éventuellement, les données génétiques serviront à identifier les personnes aux fins de traitement ou de gestion de la maladie à l instar de ce qui se fait actuellement avec la dépranocytose, la maladie de Tay-Sachs ou divers tests prénataux. Les actuaires seront chargés de veiller à ce que les tests soient fiables et pertinents et à ce que les résultats soient prédictifs. Les actuaires auront aussi pour rôle de s assurer que les procédés de souscription sont équitables et que les besoins sociétaux en matière d équité soient équilibrés en fonction de la nécessité de classifier les risques. L ICA recommande également de codifier les pratiques de l industrie en ce qui concerne le traitement de telles données de même que les protocoles utilisés pour vérifier si les tests sont fiables et pertinents. Les tests génétiques et les thérapies géniques qui en découlent peuvent soulever de graves questions d éthique (p. ex., le devoir de mettre en garde les autres membres de la famille par rapport au devoir de préserver la confidentialité). Les actuaires, en collaboration avec le corps médical, les chercheurs et les législateurs, ont un rôle à jouer pour ce qui est de cerner les enjeux et leur impact connexe et de susciter des débats sur des questions d intérêt public. Plusieurs provinces canadiennes travaillent actuellement à l établissement d une loi visant à protéger tous les renseignements personnels dont disposent les divers segments du secteur privé. Par exemple, en 1994, la province du Québec a promulgué une loi visant à protéger tous les renseignements personnels détenus dans le secteur privé. Celle du Manitoba a promulgué une loi visant à protéger les renseignements personnels sur la santé dans le secteur de la santé et plusieurs autres provinces envisagent actuellement de promulguer une loi semblable. Le gouvernement fédéral, quant à lui, prend actuellement des mesures pour protéger les renseignements personnels utilisés à des fins commerciales. Avenir des tests génétiques et du risque assurable La plupart des maladies mettent en cause divers facteurs non seulement génétiques mais aussi environnementaux et certains éléments des tests génétiques font depuis longtemps partie des critères fondamentaux de classification des risques. La controverse qu ont suscité les travaux sur le génome humain a trait à la crainte qu il n y ait discrimination dans le domaine de l assurance ou dans d autres domaines comme celui de l emploi, suivant l identification d éventuelles mutations génétiques significatives. Une fois que des tests fiables auront été mis au point, les médecins seront en mesure d identifier les personnes atteintes de mutations génétiques importantes. La preuve médicale semble viser des maladies déterminées par un seul gène, comme la maladie de Huntington et la fibrose kystique, qui évoluent de façon déterminée du stade présymptomatique au stade symptomatique. Par contre, la preuve médicale est moins concluante dans le cas de maladies multifactorielles comme la coronaropathie, qui se caractérisent par la probabilité que le malade passe du stade «de la prédisposition» au stade symptomatique; elle est moins concluante aussi en ce qui concerne leurs répercussions, tant sur le plan de la gestion de la santé que sur le plan de la classification des risques. Les actuaires doivent participer à l évaluation de ces probabilités et à la détermination des conséquences sur les soins de santé. 4
Il se peut qu un jour l information génétique permette aux sociétés d assurance de réduire la variation des pertes techniques et de rendre l assurance plus efficace. Mais ce n est pas pour demain et aucun assureur canadien ne devrait exiger des tests génétiques avant que ceux-ci ne soient certifiés fiables et prédictifs; cependant, les sociétés d assurance ont la capacité de réduire la variation des pertes techniques. Le consommateur devrait y trouver son compte, car la maladie sera mieux identifiée et traitée et les coûts de l assurance seront moins élevés. Conclusions À l heure actuelle, l utilité des tests génétiques aux fins de la souscription a des limites. Les résultats des tests génétiques ne sont, la plupart du temps, pas assez définitifs pour être utiles comme seul facteur déterminant dans l évaluation du risque assurable. D autres facteurs du style de vie (par exemple, le tabagisme) demeurent, pour le moment, plus importants dans l évaluation du profil des risques de mortalité et de morbidité d une personne. L ICA salue les progrès médicaux qui peuvent grandement contribuer à l évaluation des risques; il estime d autre part que les tests génétiques représentent un autre outil prometteur au titre de la souscription du risque assurable. L ICA n appuie ni les tests génétiques obligatoires aux fins de l assurance ni la divulgation des résultats des tests sans l autorisation de la personne concernée. Cependant, l ICA est d avis que si les résultats des tests génétiques sont disponibles, il conviendrait que les deux parties à un contrat d assurance en soient informées (à savoir le titulaire de la police et l assureur). Les tests génétiques n entraîneront sans doute aucune augmentation générale des primes pour les Canadiens. À mesure que les résultats des tests génétiques deviendront plus fiables, les primes pourraient augmenter pour certains et diminuer pour d autres. Les actuaires seront appelés à jouer un rôle important pour ce qui est de déterminer de quelle manière, si et à quel moment il conviendrait que les tests génétiques soient utilisés aux fins de l assurance et pour ce qui est d équilibrer les questions de protection de la vie privée, d équité et de classification des risques au fur et à mesure que cette technologie évoluera. Au sujet de l Institut Canadien des Actuaires L ICA est l organisme national de la profession actuarielle au Canada et compte plus de 2 200 actuaires agréés à titre de Fellows de l ICA. L ICA est voué au service de la population par la prestation de services et conseils actuariels de la plus haute qualité. À cette fin, l ICA favorise l avancement de la science actuarielle, parraine des programmes de formation et de qualification des membres, veille à ce que les services actuariels fournis par ses membres répondent aux normes professionnelles reconnues et fournit des services aux membres afin de les aider à s acquitter de leurs responsabilités professionnelles. L ICA favorise aussi la mise au point d une base de connaissances et de pratiques actuarielles spécialisées et adaptées aux besoins économiques et sociaux du Canada, collabore avec les gouvernements et les organismes publics et apporte une contribution opportune et pertinente aux débats sur les questions d intérêt public. 5