Catherine Choupin. La nouvelle Béatrice

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2 Catherine Choupin La nouvelle Béatrice

3 Catherine Choupin, 2018 ISBN numérique : Courriel : contact@librinova.com Internet : Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

4 Couverture : Détail de La Pensée d'alexandre Séon, 1898

5 «Il obtient tous les suffrages celui qui unit l utile à l agréable, et plaît et instruit en même temps.» Horace, Art poétique, III,

6 À ma mère et à mon père désormais réunis dans l au-delà, Renée et Jacques Choupin.

7 Prologue Le silence Longtemps je suis restée silencieuse. D abord, je n avais rien à dire. Ensuite je pensais qu il suffisait à mes proches de me regarder pour lire en moi comme dans un livre ouvert. Je n avais donc pas besoin de formuler mes pensées. J adhérais, sans le savoir, à l illusion rousseauiste d un langage du regard, plus direct et plus vrai que le langage des mots. Enfin je me suis rendu compte, à l heure de mes premières amours, que le silence jouait plus en ma faveur que n importe quelle parole, qu il m auréolait d un mystère et d une profondeur que je n avais pas encore. Le silence est une arme de séduction dont on ne parle guère, et pour cause! Cette arme est redoutable, surtout pour une femme. L homme aime se mettre en valeur : une femme qui l écoute attentivement et sait se taire, non seulement se pare de mystère mais encore le flatte. D ailleurs, pourquoi toute une tradition satirique viserait-elle le bavardage des femmes si les hommes appréciaient cette propension à la parole qui caractérise beaucoup de mes sœurs? Bref le silence m a longtemps distinguée et expliquait que ma grand-mère maternelle, éprise de calme, acceptât volontiers de me garder chez elle, à Autun, pendant les vacances d été. Mon grand-père était comme moi peu bavard et nous nous «entendions» très bien lors de nos longues promenades silencieuses. Mais le silence n a pas que des avantages et je me suis mise à parler. Mon métier m y a obligée : j ai choisi l enseignement des lettres car je ne me

8 voyais pas quitter le monde silencieux des livres ; j ai donc dû sortir de mon mutisme et trouver les mots. Puis certains «malentendus» de ma vie sentimentale m ont conduite par amour à exprimer mes émotions et mes désirs. Surtout, aujourd hui, j ai quelque chose à dire, quelque chose que moi seule peux dire. Je voudrais rendre hommage à celui qui m a aimée comme rarement un homme a aimé une femme. Tout ce que je vais raconter est vrai, terriblement vrai, et il ne s agit pas d un artifice de romancier, digne du «all is true» de Balzac au début du Père Goriot. J ai seulement changé quelques détails matériels pour respecter la vie privée des personnes encore vivantes que cette histoire extraordinaire touche de près ou de loin.

9 Chapitre I «Par où commencer?» «Par où commencer?». C est la question que se pose Phèdre au début de ses confidences à Œnone, c est aussi un sujet de philosophie sur lequel est tombé un de mes élèves. Contrairement à Homère dans son Odyssée, je commencerai par ce qui me semble être le début, c est-à-dire par ma passion des idées. Montesquieu écrit dans ses Cahiers : «L étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts, n ayant jamais eu de chagrin qu une heure de lecture ne m ait ôtée.». Je ne dis pas que l étude m ait ôté mes chagrins ; cependant quand ils ne m empêchaient pas de me livrer à une quelconque activité, elle les a écartés provisoirement de mon esprit et a toujours constitué un salutaire «divertissement». En tout cas, je peux dire aujourd hui que la passion des idées a été la seule passion durable de ma vie. J aime m attaquer à l un de ces sujets qui fleurissent dans les grandes écoles au moment des oraux, en chercher tous les sens, toutes les références, puis élaborer un plan. Ensuite, je le rédige entièrement en pesant tous les mots, en vérifiant les références littéraires, philosophiques, artistiques ou historiques. C est le moment où je passe dans un autre monde, un monde où seules les idées et le style comptent, un monde où plus rien d autre n a d importance. L horloge peut sonner, je ne l entends pas ; le temps, d habitude si lent, s écoule à une vitesse incroyable. Sur ce point, seul l amour, du moins dans ses débuts, peut rivaliser avec l étude, mais l étude a

10 cet avantage qu elle reste toujours à notre disposition, ce qui n est pas toujours le cas de l amour. En 1990, je décidai, dans le cadre de mon métier de professeur, d aller assister aux oraux d une grande école à laquelle je préparais mes étudiants. Je pratiquais déjà cela lorsque j étais à l Ecole normale supérieure. J avais eu de la chance car j avais assisté à l époque à une prestation éblouissante d un jeune homme sur un passage de La Princesse de Clèves. N en déplaise à notre président, je n avais jamais entendu quelque chose d aussi exaltant. À la sortie, j avais fait part de mon enthousiasme à ce jeune homme et je lui avais demandé son nom. Il avait été reçu deuxième à la rue d Ulm, cette année-là. Je ne l ai jamais oublié, bien que je ne l aie jamais revu. En 1990 donc, je retournai assister à des oraux : ils étaient publics et se déroulaient à la fin du mois de juin et au début du mois de juillet, samedi et dimanche compris. Ce fut une sorte de renaissance. Après dix ans d enseignement, je revenais avec délices, de l autre côté de la barrière, face à des professeurs hors pair qui jonglaient avec les concepts et voyaient des relations inouïes entre les idées et les exemples. J avais l impression que mon cerveau s éveillait et bouillonnait de mille idées nouvelles, que je recueillais soigneusement sur le papier, pour méditer plus tard sur toutes les pistes inexplorées qu elles ouvraient. Par exemple, la phrase de Camus : «Nous sommes tous des assassins.» pouvait s appliquer à la peine de mort (c est dans ce contexte que Camus l avait prononcée), mais aussi à tous les Œdipe que nous sommes en puissance selon Freud, aux «Mozart qu on assassine», selon Saint-Exupéry, lorsqu on ne donne pas une éducation à un enfant, aux bourreaux que nous devenons chaque fois que nous rejetons un être qui nous aime et que nous n aimons pas, mais encore et c était là le bouquet final à tous les descendants de Caïn, le premier assassin, à tous