ÉCLAIRER LE CIEL, EXPOSER L OMBRE

Transcription

1 YANNICK RENAUD ÉCLAIRER LE CIEL, EXPOSER L OMBRE LES HERBES ROUGES / POÉSIE

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3 ÉCLAIRER LE CIEL, EXPOSER L OMBRE

4 DU MÊME AUTEUR chez le même éditeur Taxidermie, poésie, La disparition des idées, poésie, autre éditeur La plaquette cubaine, poésie, en collaboration avec José Acquelin et Bertrand Laverdure, Québec, Le Lézard amoureux, 2008.

5 YANNICK RENAUD Éclairer le ciel, exposer l ombre poésie LES HERBES ROUGES

6 Les Herbes rouges remercient le Conseil des arts du Canada, ainsi que le Fonds du livre du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec, pour leur soutien financier. Les Herbes rouges bénéficient également du Programme de crédit d im pôt pour l édition de livres du gouvernement du Québec. L auteur remercie le Conseil des arts du Canada et le Conseil des arts et des lettres du Québec pour leur soutien à l écriture de ce livre. Données de catalogage disponibles sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec Éditions Les Herbes rouges Dépôt légal : Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Bibliothèque et Archives Canada, 2014 ISBN :

7 À ceux qui savent À ceux qui suivent

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9 le frère : Je préfère bavarder. Toi aussi, tu peux avoir besoin d entendre ta voix le monsieur : C est vrai, mais nous glissons si facilement vers le passé le frère : Ce qui nous fait oublier le présent le monsieur : Il n y a pas de présent, le présent, c est le vide, le néant ; en avant ou en arrière, oui plutôt en avant, car là se trouve l espoir! le frère, s assied à la table : L espoir de quoi? le monsieur : D un changement! le frère : Très bien. Ce qui veut dire que la paix de la vieillesse, tu en as assez? le monsieur : Peut-être. le frère : Donc sûrement! Et si maintenant tu avais à choisir entre ta solitude et le passé le monsieur : Pas de fantômes! le frère : Et tes souvenirs? le monsieur : Ce ne sont pas des fantômes, non, plutôt des poèmes que j écris sur certaines réalités ; mais si les morts revenaient, oui, ce seraient des fantômes. August Strindberg Orage

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11 Négatif

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15 L incertitude balaie ce que nous voulons imaginer. Pas l émotion, pas la nostalgie. Que la fluidité du jour, le fil, les cheveux. On s y noierait. Dans tes yeux, sombre, violence, le masque de l autre. L illusion : des peaux, le grain, des êtres, la persistance. Par les lèvres, leur entrebâillement, on devine le dégoût de parler. 15

16 Le noir à s y méprendre. Regarde quelque chose d objectivement beau. Tu fixes l obscur, donnes à voir l ennui. Porte la main à ton cœur : déception, rémission, tolérance. Les personnages fuient leur poste lorsque nous ne les espionnons pas, décochent des œillades du haut de leur absence, évoquent l oubli en chacun. 16

17 Silhouette n égale ni corps, ni vie, ni plaisir. L idée d une porte ressemble à une porte. Nier les équivoques est mécanisme de foi. Apprends que les certitudes font piètre paysage, comme si les ruines étaient habitables. Tu as su que rien n aurait le grondement de la jeunesse. Tu vivras pour comprendre ce que manigance ton instinct. Les mondes retournent rarement à leur place une fois périmés. 17

18 Outrage disent les satisfaits, délivrance, les insouciants, pertinence, les morts. Combien de façons d interpréter, combien de méandres? Les eaux sur ton visage trahissent, sois-en certaine, le décalage, l éloignement. Il y a dans les manifestations du paraître un plaisir à abolir jusqu à l idée de bonheur. 18

19 La réalité : les silences qui affleurent, les cris sans leur fracas sur la page, l impalpable symphonie des discordes. La réalité : que l on massacre les icônes. Tu ne voleras pas comme ceux à qui ne manque que ta solitude. Qu ils partent, tu comprendras le ternissement de leur singularité. On naît seul, mourir seul va de soi. 19

20 L impression qu un ancien tableau t a dicté l exécution, le port, la clarté. Les secrets une fois révélés, rien n émergera de ces intentions intimes. Visages pour ce qu ils sont. Incohérence de savoir être autre que soi. À quoi penseras-tu au moment de défaillir? À qui im porte la joie quand la tristesse s obstine, intacte? 20

21 Éditions Les Herbes rouges C. P , succ. Outremont Montréal (Québec) H2V 4V3 Téléphone : Document de couverture : Sans titre, photographie de l auteur Distribution : Diffusion Dimedia inc. 539, boulevard Lebeau Montréal (Québec) H4N 1S2 Téléphone : Diffusion en Europe : Librairie du Québec 30, rue Gay-Lussac Paris (France) Téléphone : (01) Télécopieur : (01) Cet ouvrage a été achevé d imprimer sur les presses de l Imprimerie Gauvin à Gatineau en juin 2014 pour le compte des Éditions Les Herbes rouges Imprimé au Québec (Canada)

22 «Vous pesez sur le bouton, nous faisons le reste», clame Kodak à la fin du XIX e siècle. La popularité de l appareil-photo dépassera toutes les espérances de succès de l entreprise américaine. Avec le remplacement du support argentique par le numérique au XXI e siècle, un monde sans photographies est devenu inimaginable. En même temps, leur surabondance évoque une crise de la représentation sans précédent. À rebours du progrès technologique, l omniprésence des clichés excite l envie de procédés moins mécaniques et d images moins fabriquées. Celles qui continuent de nous toucher soulèvent l intérêt. De quelle mission furent-elles investies? Maintenir une présence? Témoigner une tendresse? Changer un destin? «Imprimer, fixer des fantômes les désirs, décrier des sociétés l avilissement.» Dans Éclairer le ciel, exposer l ombre, Yannick Renaud confie à la poésie la garde de quelques œuvres photographiques. Chaque poème interprète un moment de vérité qu elles renferment. Tel est le sens des authentiques images : acculer le cliché à la ruine pour livrer un témoignage émouvant sur la vie. Yannick Renaud est né à Beauport. Éclairer le ciel, exposer l ombre est son troisième titre aux Herbes rouges.