HISTOIRE DES ARTS. «La Fée Électricité» De Raoul Dufy (1937)

Transcription

1 HISTOIRE DES ARTS «La Fée Électricité» De Raoul Dufy (1937)

2 I. Qui est Raoul Dufy? 3 juin 1877 : naissance au Havre. Aîné de neuf enfants d une famille modeste mais ouverte sur la culture (musique notamment). Fait ses études aux Beaux-Arts de Paris. Début XX ème siècle : participe au mouvement de l impressionnisme en s inspirant de Monet, puis au fauvisme et enfin, aux cotés de Braque, participe à l invention du cubisme. Dufy = artiste aux multiples talents. - Dessins, gravures, illustrations (Apollinaire ou Gide), céramiques - Création de motifs pour les tissus de mode entraînant la création avec le grand couturier Paul Poiret «La Petite Usine», petite entreprise de décoration et d impression de tissus. - Création de décors et de costumes pour le théâtre : réalisation de son œuvre monumentale «La Fée Électricité» : promu au grade de commandeur de la Légion d Honneur : prix de la 26 ème Biennale de Venise. 23 mars 1953 : décès à Forcalquier.

3 II. Présentation de l œuvre Titre : «La Fée Électricité». Date : 1937 (début en 1936 puis 10 mois de travail) Mouvement artistique : l art décoratif Contexte : à Paris, exposition internationale universelle des arts et techniques dans la vie moderne (25 mai au 25 novembre 1937). La compagnie parisienne de l électricité commande à Dufy une œuvre qui doit montrer au visiteur la force du progrès technique et la puissance française. Format de l œuvre : peinture monumentale de 624 m² (10 m 62,4 m). Technique utilisée pour le support : 250 panneaux en contreplaqué juxtaposés. Réalisation au préalable de dessins à l échelle 1/10 ème. Technique utilisée pour la peinture : peinture à l huile et personnages dessinés à l encre de Chine. Utilisation des couleurs primaires et secondaires uniquement. Jeu sur le contraste des couleurs imposant des parties bien distinctes au tableau. Sujet du tableau : «La Fée Électricité» = énergie électrique. Le tableau raconte l histoire de l électricité et celle des grandes inventions ou découvertes scientifiques qui y sont liées. Il montre aussi ses bienfaits sur la société.

4 Ce tableau peut se décomposer en trois parties : une scène centrale (qui crée une symétrie au tableau) le registre inférieur (moitié basse du tableau) le registre supérieur (moitié haute du tableau)

5 III. Analyse de l œuvre : 1) La scène centrale : Cette scène centrale comporte deux éléments majeurs : en haut, les Dieux de l Olympe en bas, la centrale électrique de Vitry-sur-Seine. Les deux parties sont reliées par la foudre, avec un espace de transition entre le monde ancien et le monde moderne.

6 1) La scène centrale : Tout en haut, on peut reconnaître le dieu du chant et de la musique, Apollon (lyre) et la déesse de la guerre, Athéna (casque). En dessous à droite, le dieu du vent, Éole, tient un tissu en guise de parachute. Dans la centrale, on distingue un ouvrier, représenté tout petit par rapport à la grande taille du bâtiment. Du coup, l ouvrier semble un peu perdu, voire écrasé face à l immensité de cette centrale.

7 1) La scène centrale : À gauche, on voit le messager des dieux, Hermès, avec ses sandales ailées. Il contemple et ordonne les découvertes des Hommes. Il s agit donc d une allégorie. Elle montre que grâce aux Hommes qui ont travaillé sur l électricité, tout un monde, une société a progressé. Et cette électricité est tellement extraordinaire, «magique» qu elle est à la fois un don des dieux et bénie par les dieux. Dans le sens vertical, il y a deux registres comme dans une bande dessinée : un registre inférieur illustrant les scientifiques ayant travaillé dans le domaine de l électricité et un registre supérieur montrant les bienfaits de l électricité pour le monde et la société.

8 2) Le registre inférieur : 110 philosophes, savants et ingénieurs qui ont contribué aux grandes découvertes scientifiques. Ces personnages sont répartis en deux cortèges à gauche et à droite de la scène centrale, respectant une certaine chronologie. Trois personnages issus de la Grèce Antique : Thalès de Milet, encadré par Aristote à sa gauche et Archimède à sa droite. Thalès de Milet connu pour ses découvertes concernant les propriétés d électricité statique d une pierre, l ambre jaune (elektron en grec ancien). Le mot «électricité» y prend son origine.

9 III. Analyse de l œuvre : 2) Le registre inférieur : Volta et sa célèbre pile (la première inventée en 1800) Ampère connu pour ses travaux reliant le magnétisme et l électricité Ohm célèbre pour la loi portant son nom (conducteurs ohmiques) Le nom de ces trois physiciens est utilisé aujourd hui comme unité de grandeurs physiques liées à l électricité. Dufy ne fait pas que représenter les différents savants mais les met en scène en montrant plusieurs moments de l histoire des sciences.

10 2) Le registre inférieur : 1750 : expérience de Franklin (caractère électrique des éclairs). Utilisation d un cerf-volant attaché à une corde humidifiée au bout de laquelle était suspendue une clé métallique. Pendant un orage, il devait apparaître des étincelles : expérience de Cavendish. Près du pont de Londres, Cavendish utilisa l eau de la Tamise qui transmet de l électricité d une bouteille au bord d une rive à un fil métallique trempé de l autre côté en faisant des étincelles.

11 2) Le registre inférieur : Côté gauche, précurseurs de l industrie, physiciens, ingénieurs, électroniciens ou mécaniciens : Watt (machine à vapeur) : Faraday (principe du moteur électrique) : Gramme avec Pacinotti (dynamo) : Siemens (train électrique) : Bell (vibraphone, ancêtre du téléphone) : Edison (lampe à incandescence) : Pierre et Marie Curie (phénomène de la radioactivité et découverte de nouveaux éléments chimiques comme le radium).

12 3) Le registre supérieur : À droite de la scène centrale : scènes montrant le monde avant l invention de l électricité, les forces de la nature, les travaux agricoles, des paysages ruraux et urbains. Travaux d extérieurs, agricoles : des hommes qui piétinent le raisin pour faire du vin, un forgeron, d autres qui scient du bois ou s occupent des moissons Quelques détails montrant son inspiration envers d autres artistes comme Lorrain (temple) ou Monet (meules de foin).

13 3) Le registre supérieur : Partie rouge : des constructions datant d avant l invention de l électricité, un château d eau, des usines, des hautes cheminées, la gare Saint-Lazare (Paris) avec un train à vapeur en sortant. Là encore Dufy s est inspiré d une toile de Monet. L objectif de Dufy est de progressivement montrer à l observateur la confrontation entre la nature, la technologie et l industrialisation, qui grâce à l électricité va modifier la vie des hommes. L énergie humaine s efface au profit des trains, des navires et des usines, amenant notre regard vers la partie gauche.

14 3) Le registre supérieur : À gauche de la scène centrale : le monde et la société depuis l invention de l électricité. Dufy montre l intérêt de l électricité, qu elle permet aux hommes de mieux vivre et qu elle est aussi la condition de la société de consommation dans laquelle nous vivons.

15 3) Le registre supérieur : Complètement à gauche : Iris, fille de la déesse grecque Électra et déesse messagère des dieux fait le lien entre la modernité et l origine du monde. En-dessous, un grand orchestre en concert : amour de la musique pour Dufy. Autour d Iris : monuments symbolisant des capitales mondiales, architecture asiatique et les tons du bleu largement employés montrant que la nuit s étend peu à peu sur ces villes. La déesse Iris est représentée comme une fée, de taille disproportionnée par rapport aux autres objets à proximité. Dufy veut que le spectateur pose son regard dessus puisqu elle est le sujet principal du tableau («La Fée Électricité»).

16 3) Le registre supérieur : Vie nocturne rendue plus agréable depuis l invention de l électricité : enseignes de publicité, «Cinéma» et drapeaux tricolores dans les rues symbolisant les fêtes populaires (14 juillet entre autres). En dessous et à droite des deux grosses sphères lumineuses : bâtiments industriels mais aussi à nouveau un château d eau et une gare. Par rapport à la partie droite, ces deux derniers bâtiments sont représentés bien plus grands montrant que l électricité a permis leur développement. À côté d une grue, un paquebot (un des sujets de prédilection de Dufy, les bateaux, notamment les plus gros).

17 IV. Contexte de l époque et portée de l œuvre : 1) Le contexte historique : 1937 : année de paradoxes : la paix à tout prix et la guerre inévitable ; l illusion du bonheur et la réalité désespérée. Malgré un lourd climat politique, la joie et une grande envie de bonheur règnent en France grâce notamment à la première loi sur les congés payés. C est le temps des loisirs (cinéma, postes de TSF de plus en plus nombreux dans les ménages ). L art est alors très politique car le contexte économique et social est particulièrement difficile et les œuvres d art sont associées à des idées sur la société. Les gouvernements passent alors beaucoup de commandes aux artistes afin de diffuser de cette façon leurs idées. C est ce que l on appelle l art de propagande. Deux ans avant le début de la seconde guerre mondiale, les tensions entre les pays prochainement impliqués sont fortes. L exposition internationale universelle de 1937 est très orientée politiquement : chaque pays veut montrer que ses idées sur le monde sont les plus justes et les plus puissantes. Pavillon de la France : montrer la force du progrès (œuvre de Dufy + machines électriques + écran de cinéma aussi grand que la fresque sur les murs extérieurs). Pavillon de l Espagne : dénonciation engagée du bombardement par les troupes nazies de Guernica (toile de Picasso).

18 IV. Contexte de l époque et protée de l œuvre : 2) Le contexte artistique : Paris = capitale de la modernité (peinture murale) qui donnait une place importante à l abstraction. Opposition avec la peinture réaliste utilisée ailleurs comme instrument de propagande pour une idéologie extrême. «La Fée Électricité» ni abstraite ni réaliste mais grande modernité par le jeu des couleurs et du dessin. Enjeu politique de l art. En Allemagne, Hitler organise une exposition de l art allemand (se rapprochant le plus de l idéologie nazie) mais ouvre en même temps l exposition de ce qu il appelle «l art dégénéré», s éloignant pour lui du nazisme et condamne ainsi la peinture moderne. Cette peinture contemporaine est bien représentée lors de l exposition universelle de 1937 par «Guernica» (instantané sur le malheur). C était le contraire de «La Fée Électricité» (mouvement de l humanité vers le bonheur désiré grâce aux progrès). Les visiteurs, inconscients ou angoissés, sont déroutés par «Guernica» et s enivrent du bienfait de «La Fée Électricité», qui apporte un peu de joie. Un critique d art écrit au moment où Dufy peint sa fresque : «En un temps où l on vit dans l angoisse du lendemain, où les gazettes sont pleines d affreuses tueries, voici le chantre de la joie, le peintre de la grâce légère, de la fraîcheur, de l allégresse.» Malheureusement, les années suivantes donneront raison à Picasso